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Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France

Le premier article, publié dans The Lancet, est celui de scientifiques chinois qui soulignent l’importance de découvrir l’origine du SARS-CoV-2 pour la prévention d’une pandémie [1]
Historiquement, l'émergence des maladies infectieuses chez l'Homme a souvent été liée à une faille dans la barrière d’espèce profitant à des agents pathogènes d'origine animale. Une origine naturelle du SARS-CoV-2 est de loin le scénario le plus probable. Mais on n’a pas pu le confirmer, ce qui explique les différentes hypothèses évoquées à propos de son origine. Bien que la souche RaTG13, présente dans le laboratoire de virologie de Wuhan depuis 2013, soit très proche de ce virus, elle en est suffisamment éloignée pour conclure qu’elle joue un rôle dans l’origine du SARS-CoV-2, notamment par échappement de ce laboratoire.
L’étude du SARS-CoV-2 circulant indique que la structure de son génome rappelle beaucoup les souches hébergées par des animaux sauvages, notamment chez des chauves-souris étudiées au Cambodge, en Thaïlande, au Japon, dans les zones frontalières du sud-ouest de la Chine, ainsi qu’en Malaisie chez des pangolins capturés dans les zones de contrebande. Mais on n’a pas encore identifié le SARS-CoV-2 chez un animal alors que l’on sait maintenant que ce virus peut infecter de nombreuses espèces de mammifères (visons, civettes, chats, pangolins, lapins, furets, renards, cerfs, etc.).
Des virus de la famille du SARS-CoV-2 peuvent donc franchir la barrière d’espèce. Il est certain que cela se soit produit à de nombreuses reprises mais avec des échecs et sans provoquer obligatoirement une épidémie.
Les auteurs rappellent que ce n’est pas parce que la maladie a été identifiée à Wuhan qu’il s’agit du lieu géographique à l’origine du SARS-CoV-2. Enfin, ils soulignent l’importance d’étudier les possibilités d’hôtes intermédiaires potentiels du virus sur une plus grande variété d'espèces animales dans le monde.
Le second article correspond à une étude franco-laotienne (Instituts Pasteur de Paris et du Laos) en cours d’évaluation par la revue Nature [2]
Les chercheurs de l’Institut Pasteur du Laos rapportent l’identification de trois coronavirus isolés en 2020 chez des chauves-souris fer à cheval (Rhinolophus) dans le nord du Laos, qui se révèlent plus proches du SARS-CoV-2 que la souche chinoise RaTG13 isolée en 2013 dans une mine de cuivre du Yunnan au sud-ouest de la Chine. Cette étude a concerné 645 chauves-souris, dont 539 prélèvements de fèces en vue de la recherche d’un ARN viral. Les trois virus ayant présenté une homologie avec le SARS-CoV-2 ont été dénommés BANAL (bat pour chauve-souris en anglais et anal car les virus ont été isolés à partir de prélèvements rectaux). Il s’agit des virus BANAL-52 BANAL-103 et BANAL-236, respectivement isolés chez R. malayanus, R. pusillus et R. marshalli.
Depuis le SRAS en 2003 puis surtout la Covid-19, les études concernant les SARS-related coronavirus (SARSr-CoV) hébergés par les chauves-souris se sont multipliées, en particulier pour rechercher des virus proches du SARS-CoV-2, principalement en Chine mais aussi au Japon, au Cambodge, en Thaïlande et au Laos. Cette recherche s’avère essentielle pour déterminer l’origine de la Covid-19 et éviter de nouvelles épidémies.
Le choix du site dans le nord du Laos par des chercheurs de l’Institut Pasteur se justifie du fait qu’il s’agit d’une région proche du Yunnan (rappelons que la souche RaTG13 a été isolée dans une ancienne mine à la suite d’une étude ayant concerné six cas de pneumonies humaines suspectes car semblables à la Covid-19) chez des personnes étant entrées dans cette mine pour y nettoyer les déjections de chauves-souris. Le foyer d’origine du SARS-CoV-2 pourrait être apparu dans cette région située autour du Mékong. Il s’agit de la région du Triangle d’or, région montagneuse d'Asie du Sud-Est, aux confins du Laos, de la Birmanie et de la Thaïlande, mais aussi pour certains également une partie du Vietnam et le Yunnan chinois. Dans cette région, de nombreux animaux sauvages sont commercialisés sur les marchés de village traditionnels, où les règles d'hygiène sont négligées. Or le commerce d'espèces sauvages vivantes ainsi que les personnes fréquentant les grottes (chasse de chauves-souris, récolte de guano, tourisme...) favorisent l’exposition à la transmission zoonotique d’un coronavirus.
Les chercheurs ont logiquement comparé les trois virus «BANAL» à la souche RaTG13 considérée comme la plus proche du SARS-CoV-2 du fait de 96,2% d’homologie avec le génome de ce virus. Or le virus BANAL-52 s’avérait pour la première fois encore plus proche, avec 96,85% d’homologie. Mais il fallait aussi comparer les possibilités d’interaction entre le virus et la cellule hôte. Rappelons que la glycoprotéine de surface S (spicule ou spike) du virus s’attache à la cellule hôte grâce à l’interaction entre le receptor binding domain (RBD) de cette protéine S et l’angiotensin-converting enzyme 2 (ACE2), un récepteur situé à la surface de la membrane cellulaire de l’hôte. La fusion membranaire ainsi obtenue permet l’entrée du virus dans la cellule. Or le RBD de la souche RaTG13 ne présente qu’une faible affinité de liaison avec l’ACE2 humain (11 sur les 17 acides aminés dans la souche RaTG13 peuvent interagir avec l’ACE2 humain). Dans le cas du coronavirus BANAL-52, 16 acides aminés sur 17 interagissent avec l’ACE2 humain.
Mais ce virus BANAL-52 ne peut être considéré comme un ancêtre de la souche pandémique du SARS-CoV-2, même si, selon les chercheurs, ce virus semble avoir le même potentiel d'infecter les humains que les premières souches de SARS-CoV-2. Il faut aussi noter que ces virus sont dépourvus d’une séquence particulière, dénommée «site de clivage de la furine», que possède en revanche le SARS-CoV-2 et qui joue un rôle majeur dans la fusion entre les membranes virale et cellulaire, ainsi que dans la transmission du virus.
Cette étude souligne le rôle probable joué par les chauves-souris et peut-être d'autres animaux vivant en étroite collaboration avec celles-ci, mais montre également les «risques inhérents au commerce d'animaux sauvages vivants». Elle confirme aussi la nature diversifiée attendue des chauves-souris infectant les coronavirus et augmente les preuves de la possibilité d’événements naturels de risque de transmissions zoonotiques des chauves-souris aux humains. Il y aurait eu une recombinaison entre différents virus plutôt qu’une simple évolution d'une seule lignée sur une longue période.
Mais on ignore toujours où ces recombinaisons génétiques entre les souches de chauves-souris ont pu avoir lieu, de même que les circonstances qui ont permis le franchissement de la barrière d’espèce de la chauve-souris à l’Homme, par l’intermédiaire ou non d’un hôte intermédiaire.
Le troisième article, en prépublication, concerne une stratégie pour évaluer le risque de débordement des coronavirus liés au SRAS des chauves-souris en Asie du Sud-Est [3]
Les auteurs appartenant à EcoHealth Alliance ont essayé de quantifier le risque zoonotique lié aux SARSr-CoVs en Chine et en Asie du Sud et du Sud-Ouest, considérées comme les points chauds potentiels pour les infections humaines. Ils considèrent qu’il y a une sous-estimation des risques d’exposition de l’Homme à ces virus.
Ils ont identifié 23 espèces de chauves-souris pouvant héberger des SARSr-CoVs, en particulier des Rhinolophidae et des Hipposideridae, l’espèce Rhinolophus affinis étant la plus fréquente. Les pays concernés ont été le Laos, le Cambodge, la Birmanie (Myanmar), le sud-est de la Chine et les îles à l’ouest de l’Indonésie, soit 478 millions de personnes sur 4,5 millions de km2. Après une étude sur le terrain et une recherche bibliographique permettant d’évaluer les risques de contact entre l’Homme et les chauves-souris, les auteurs aboutissent à un risque de coronavirose pour 407 422 personnes chaque année. Il est vraisemblable qu’un nouveau foyer d’infection lié à un SARSr-CoV apparaissant régulièrement dans ces régions n’est pas obligatoirement rapporté pour expliquer cette sous-estimation du fait du manque d’une surveillance systématique. Par exemple, la surveillance des encéphalites causées par le virus Nipah mise en place dans les cliniques au Bangladesh a permis d’observer des épidémies avec un taux de mortalité d'environ 70% alors que cette maladie n’y avait été décrite que récemment. Il est probable qu’un agriculteur du Myanmar n’ira pas consulter dans une clinique s’il tousse un peu. Il peut s’agir aussi de cas limités à une zone géographique isolée. Enfin, les symptômes peuvent être bénins sans évolution vers une épidémie importante.
Les auteurs soulignent aussi les données manquantes concernant les animaux hôtes intermédiaires (ou amplificateurs) pouvant jouer un rôle dans le franchissement de la barrière d’espèce de ces SARSr-CoVs. On connaît le rôle que peuvent avoir joué les civettes dans l’émergence du SRAS. Mais on ne sait toujours rien sur les hôtes intermédiaires ou amplificateurs du SARS-CoV-2 (civettes ?, pangolins ?...). Cependant on connaît la forte sensibilité à ce virus des visons et des chiens viverrins élevés en grande quantité en Chine pour leur fourrure, qui pourraient jouer un rôle de transmetteur comme on l’a constaté en Europe pour les visons d’élevage.
Pour estimer le risque réel au SARS-CoV-2, une enquête concernant les espèces animales réservoirs (chauves-souris) ou sensibles (animaux sauvages et hôtes intermédiaires potentiels, élevés et commercialisés sur les marchés chaque année) ainsi que le risque de forte exposition de l’Homme à ces espèces animales pouvant être réservoirs du SARS-CoV-2 est nécessaire dans ces zones géographiques.
Le dernier article, publié dans Cell, concerne les origines du SARS-CoV-2 [4]
Cet article souligne l’intérêt de comprendre l’origine de l’émergence du SARS-CoV-2 face à deux hypothèses : un virus échappé d’un laboratoire ou une émergence zoonotique. Pour la majorité des scientifiques, il s’agit d’un événement zoonotique par comparaison avec les précédentes épidémies de coronavirus associées au marché des animaux vivants. La recherche des contacts du SARS-CoV-2 sur les marchés de Wuhan présente des similitudes frappantes avec la propagation précoce du SARS-CoV sur les marchés du Guangdong, où les humains infectés au début de l'épidémie vivaient à proximité ou travaillaient sur des marchés d'animaux.
Il n'y a actuellement aucune preuve que le SARS-CoV-2 ait pour origine une fuite provenant d’un laboratoire. Il s’agit d’une coïncidence car le virus a été détecté pour la première fois dans une ville qui abrite un grand laboratoire virologique qui étudie les coronavirus. Wuhan est la plus grande ville du centre de la Chine, avec plusieurs marchés d'animaux, et est une plaque tournante majeure pour les voyages et le commerce, bien connectée à d'autres régions, à la fois en Chine et à l'étranger. Le lien avec Wuhan reflète donc plus vraisemblablement le fait que les agents pathogènes nécessitent souvent des zones fortement peuplées pour s'établir.
Bien que le réservoir animal du SARS-CoV-2 n'ait pas été identifié et que les espèces clés n'aient peut-être pas été découvertes contrairement à d'autres scénarios, il existe un ensemble de preuves scientifiques soutenant une origine zoonotique. Bien que la possibilité d'un accident de laboratoire ne puisse être entièrement écartée, cette voie d'émergence est hautement improbable par rapport aux nombreux contacts répétés entre l'homme et l'animal qui se produisent régulièrement dans le commerce des espèces sauvages.
Conclusion sur ces quatre articles
Ils ne font que confirmer les alertes de certains scientifiques que nous avions constatées après le SRAS et, avant 2019, à propos des SARSr-CoVs, pour exemple celle ci-dessous datant de 2015 :
NOUVEAU CORONAVIRUS SIMILAIRE À SARS-CoV ?
Nombreux coronavirus isolés chez la chauve-souris
Dr Ralph Baric (université de Caroline du Nord) :
Mise en garde très récente contre un nouveau coronavirus SHC014-CoV isolé chez la chauve-souris, qui se réplique comme le virus SARS-CoV dans des cellules primaires de poumon humain.
Transmission interhumaine ?
Parmi les très nombreux coronavirus dans les populations de chauves-souris, certains d’entre eux ont le potentiel à émerger comme des agents pathogènes humains.
ON NE SAIT SI CERTAINS DE CES CORONAVIRUS SERONT À L’ORIGINE D’UNE NOUVELLE ÉPIDÉMIE MAIS LES VIROLOGISTES SOULIGNENT QU’IL FAUT PRÉVOIR QUAND ET COMMENT S’Y PRÉPARER POUR Y FAIRE FACE.
Menachery et al. Nature Med, nov. 2015
Nous ne sommes donc pas à l’abri de nouvelles souches émergentes de SARSr-CoVs, qu’il convient de surveiller dans les «points chauds», comme c’est le cas pour les virus grippaux.
[2] Temmam S, Vongphayloth K, Salazar EB, Munier S, Bonomi M, Régnault B, et al. Coronaviruses with a SARS-CoV-2-like receptor-binding domain allowing ACE2-mediated entry into human cells isolated from bats of Indochinese peninsula [Internet]. In Review; 2021 sept [cité 21 sept 2021]. Disponible sur: https://www.researchsquare.com/article/rs-871965/v1.
[3] Sánchez CA, Li H, Phelps KL, Zambrana-Torrelio C, Wang L-F, Olival KJ, et al. A strategy to assess spillover risk of bat SARS-related coronaviruses in Southeast Asia [Internet]. Epidemiology; 2021 sept [cité 16 sept 2021]. Disponible sur: http://medrxiv.org/lookup/doi/10.1101/2021.09.09.21263359.
[4] Holmes EC, Goldstein SA, Rasmussen AL, Robertson DL, Crits-Christoph A, Wertheim JO, et al. The origins of SARS-CoV-2: A critical review. Cell. 16 sept 2021;184(19):4848‑56.
Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France

Jusqu’en 1990, les fausses morilles (Gyromitra gigas) pouvaient encore être classées en tant que comestibles. Ce n’est plus le cas depuis 1991 en Europe.
Très récemment, nous apprenons que ces gyromitres pourraient être responsables d’une sclérose latérale amyotrophique (SLA) ou maladie de Charcot.
Cette découverte est due à une médecin généraliste qui alerta des spécialistes de cette maladie face à un nombre anormalement élevé de cas dans le village de Montchavin, près La Plagne (Savoie) : entre 1990 et 2018, quatorze cas de SLA ont été diagnostiqués dans ce village d’une centaine d’habitants. Une origine génétique et plusieurs facteurs environnementaux connus (plomb, autres contaminants chimiques dans le sol, eau, alimentation…) ont été éliminés. L’enquête a surtout révélé que tous les patients avaient ingéré des champignons sauvages, notamment des fausses morilles. La moitié des malades a signalé une maladie aiguë après la consommation de ces champignons.
Cette découverte soutient l'hypothèse que les génotoxines d'origine fongique peuvent induire une dégénérescence des motoneurones.
Alain Foucault
Professeur émérite du Muséum national d'histoire naturelle (Paris)

L’idée que les activités humaines puissent être la cause de changements climatiques a fait l’objet d’innombrables controverses. Pourtant, dès la fin du XIXe siècle, le Suédois Svante Arrhenius (1859-1927) avait montré que l’introduction de dioxyde de carbone dans l’atmosphère devait augmenter la température globale. Dans un travail détaillé publié en 1896, il donne des détails quantitatifs sur ce phénomène. Il reprend pour cela les travaux du géologue Arvid Högbom (1857-1940), publiés en suédois deux ans plus tôt, qui mettent l’accent sur le rejet dans l'atmosphère de dioxyde de carbone par l'utilisation du charbon. Ce que l’on retient surtout dans la publication d’Arrhenius, ce sont ses calculs concernant l’échauffement de la surface de la Terre en fonction de différentes concentrations de l’atmosphère en dioxyde de carbone. Pour un doublement de cette concentration, il évalue cet échauffement entre 5 et 6°C selon les latitudes (valeurs qu’il réduit à 4°C en moyenne en 1908). Plus d’un siècle plus tard, les calculs ont donné des valeurs identiques (entre 2 et 5°C).
En 1908, le même Arrhenius, dans une autre publication, Worlds in the Making, revient sur les émissions de dioxyde de carbone dans l’air du fait de notre utilisation du charbon, et ses conséquences découlant de ce qui est aujourd’hui désigné comme l’effet de serre. Il constate que cette utilisation s’accroît rapidement. Alors qu’on a consommé 510 millions de tonnes de charbon en 1890, cette quantité est passée à 550 millions en 1894, à 690 en 1899, et à 890 en 1904. D’après lui, les cinq sixièmes du dioxyde de carbone correspondant ont été capturés par l’océan, mais il reconnaît que «[…] le faible pourcentage de dioxyde de carbone dans l’atmosphère pourrait être changé substantiellement au cours de quelques siècles par un progrès des industries». Cela ne l’inquiète pas, au contraire, car, dit-il : «Par l’action d’un pourcentage croissant de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, nous pouvons espérer jouir de temps ayant des climats meilleurs et plus équilibrés, spécialement en ce qui concerne les régions les plus froides de la terre, temps où la terre nous offrira des récoltes beaucoup plus abondantes qu’aujourd’hui pour le bien d’une humanité rapidement croissante».
Aujourd’hui, si nous suivons Arrhenius dans ses conclusions physiques, nous ne partageons pas son optimisme concernant les conséquences du réchauffement. Ses idées ont cheminé et ont été reprises et discutées à diverses occasions, sans vraiment inquiéter jusqu’à ce que le GIEC les reprenne.
Rappelons que le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) a été créé en 1988 par l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) pour évaluer les informations d’ordres scientifique, technique et socio-économique nécessaires à la compréhension des changements climatiques d’origine humaine et de leurs conséquences. Il est articulé en trois groupes de travail. Le groupe de travail I évalue les aspects scientifiques du système climatique et de l’évolution du climat, le groupe de travail II s’occupe des questions concernant la vulnérabilité des systèmes socio-économiques et naturels aux changements climatiques, les conséquences négatives et positives de ces changements et les possibilités de s’y adapter, et le groupe de travail III évalue les solutions envisageables pour limiter les émissions de gaz à effet de serre ou atténuer de toute autre manière les changements climatiques. Depuis sa création, il a publié cinq rapports comportant des milliers de pages, à la rédaction desquelles ont participé des centaines de spécialistes. Si ces rapports sont bien difficiles à lire, ils sont tous précédés d’un abrégé pour les décideurs (Summary for Policymakers) qui, en quelques pages, en résume l’essentiel.
Cette année 2021 doit voir la publication de son 6e rapport dont, le 8 août, il vient de donner la première partie constituée par les travaux du groupe I. Gros de près de quatre mille pages, sa lecture n’est pas une sinécure malgré un net effort de présentation, d’autant plus que la version actuellement disponible est encore sous une forme provisoire. Il faut donc se référer au résumé pour les décideurs, qui donne une idée de son contenu.
Alors que le groupe I du GIEC prend grand soin de présenter ses conclusions avec leur probabilité plus ou moins grande, il ouvre son rapport par la phrase suivante : «Il est sans équivoque que l’activité humaine a réchauffé l’atmosphère, l’océan et les continents». C’est dire combien il veut convaincre ! Pour lui, cette activité est responsable, entre autres, de l’augmentation de la concentration de l’atmosphère en gaz à effet de serre (+45% de CO2 depuis 1850), de l’augmentation de la température globale (de l’ordre de 1°C depuis 1850), de l’augmentation des précipitations, de la retraite générale des glaciers depuis les années quatre-vingt-dix, de la montée du niveau des mers de 20 cm depuis 1901, du déplacement vers les pôles des zones climatiques et du renforcement des événements météorologiques extrêmes. Sous beaucoup d’aspects, l’échelle des changements climatiques observés est sans précédent depuis des centaines ou même des milliers d’années.
En ce qui concerne l’avenir du climat, on ne peut le prévoir, par modélisation, qu’en élaborant des scénarios d’émission de gaz à effet de serre, à l’image de ce que le GIEC a fait depuis le début de ses travaux. Aujourd’hui, dans tous les scénarios imaginés, la température de surface du globe continuera à monter jusqu’au moins le milieu du siècle. Par rapport à la période 1850-1900, la température devrait augmenter d’ici la fin du siècle selon les scénarios d’émission de gaz à effet de serre, de 1 à 1,8°C (scénario optimiste), de 2,1 à 3,5°C (scénario moyen) ou de 3,3 à 5,7°C (scénario pessimiste). Autant dire qu’il y a bien des chances que l’on dépasse une augmentation de 1,5°C avant la fin du siècle ou même avant, et plus cette augmentation sera forte, plus sera grand le risque d’événements extrêmes.
Ces chiffres sont des moyennes pour tout le globe, mais la répartition géographique des réchauffements sera très inégale. Ainsi, les régions arctiques devraient se réchauffer trois fois plus vite que la moyenne, avec comme conséquences une fonte des glaciers et du pergélisol et une réduction de la banquise et des surfaces enneigées. D’ailleurs, c’est une des nouveautés principales de ce rapport de nous faire voir les modifications régionales grâce à de nombreux tableaux et figures.
Il est clair que pour limiter ces changements, il faudrait limiter nos émissions de gaz à effet de serre, principalement notre consommation en combustibles fossiles. Mais même avec ces efforts, des changements climatiques seront irréversibles à l’échelle du siècle ou même du millénaire, notamment ceux qui concernent l’océan, les glaces et le niveau des mers.
Ainsi, dans ses aspects scientifiques, le GIEC consolide dans ce 6e rapport les conclusions de ses rapports précédents. Il y ajoute cependant une foule de détails dont l’ensemble constitue une mine pour les climatologues. Il nous reste à attendre la publication des deux autres groupes de travail qui nous indiqueront comment ils pensent que l’on peut lutter contre le changement climatique et/ou s’y adapter.
Jean-François Cervel
Commission nationale française pour l’Unesco, IGAENR
L’Unesco vient de publier la septième édition du Rapport mondial sur la science. La précédente édition datait de 2015. Comme à l’accoutumée, ce rapport fait un tour d’horizon très complet sur le développement de la recherche scientifique et sur les politiques conduites en ce domaine par les différents pays du monde.
Le rapport lui-même est un très gros volume (non traduit en français) qui comporte trois parties :
1ère partie : The shifting landscape for scientists: a collection of essays
– What the Covid-19 pandemic reveals about the evolving landscape of scientific advice
– Covid-19: from crisis management to sustainable solutions
– The time for openscience is now
– Scientific literacy: an imperative for a complex world
– The integration of refugee and displaced scientists creates a win-win situation
– Global standards now exist for a healthy ecosystem of research and innovation
2e partie : Global trends
– The race against time for smarter development
– Are we using science for smarter development?
– To be smart, the digital revolution will need to be inclusive
3e partie : A closer look at countries and regions
Le résumé exécutif reprend, en français, la partie « Une course contre la montre pour un développement plus intelligent ».
Il apporte d’abord un large ensemble de chiffres clés.
Les dépenses pour la recherche ont augmenté de 19,2% entre 2014 et 2018 alors que le PIB mondial a augmenté de 14,8%. Trente pays ont augmenté leurs dépenses au cours de cette période mais le principal de cette croissance est dû à la Chine (puis Etats-Unis, puis Europe). En 2018, 87% des dépenses de recherche se concentraient dans trois régions du monde : Asie de l’Est et du Sud-Est (40%, avec Chine, Japon, Corée), Amérique du Nord (27%) et Union européenne (19%).
La répartition de ces dépenses a évolué. Quelques exemples en pourcentage du total mondial :
- Etats-Unis : 27,1 à 26,1
- Union européenne : 19,6 à 18,7
- Russie : 1,6 à 1,3
- Chine : 21,2 à 24,8
- Corée du Sud : 4,6 à 4,9
- Japon : 9,7 à 8,2
- Inde : 2,9 à 3,1
- Brésil : 2,4 à 1,9
Quelques exemples du pourcentage du PIB du pays consacré à la recherche et développement :
- Israël : 4,95
- Corée : 4,53
- Japon : 3,26
- Allemagne : 3,09
- Etats-Unis : 2,84
- France : 2,20
- Chine : 2,19
- Union européenne : 2,02
- Bresil : 1,26
- Russie : 0,99
- Inde : 0,65
- Etats arabes : 0,59
Quatre-vingts pays consacrent moins de 1% de leur PIB à la recherche et 93% de la recherche mondiale est assurée par les pays du G20.
Le nombre de chercheurs dans le monde a augmenté de 13,7% entre 2014 et 2018. Il est aujourd’hui de 8,854 millions, dont 23,5% dans l’Union européenne, 21,1% en Chine et 16,2% aux Etats-Unis. Seulement un tiers des chercheurs sont des femmes.
Quelques exemples du nombre de chercheurs par million d’habitants et leur évolution entre 2014 et 2018 :
- Corée : 6826 à 7980
- Japon : 5328 à 5331
- Allemagne : 4321 à 5212
- France : 4324 à 4715
- Etats-Unis : 4205 à 4412
- Union européenne : 3493 à 4069
- Russie : 2784 à 3075
- Monde : 1245 à 1368
- Chine : 1089 à 1307
- Etats arabes : 682 à 736
Par-delà ces chiffres, le rapport souligne d’abord une harmonisation des priorités. Tous les pays ont conscience de l’importance de la science pour la modernité et la compétitivité économique. Tous privilégient une transition vers des sociétés numériques et vertes. Pour cela, tous les gouvernements élaborent de nouveaux instruments pour faciliter le transfert de technologies vers le secteur industriel.
Malgré la priorité verte, les sciences de la durabilité demeurent marginales au niveau mondial et il est difficile de placer tous les secteurs de développement dans la perspective des objectifs de développement durable.
La pandémie a stimulé les systèmes de production de connaissances. Mais, en lien avec l’évolution du paysage géopolitique, elle a suscité un débat concernant la manière de préserver les intérêts stratégiques en matière de commerce et de technologie. Il est possible que le découplage entre les Etats-Unis et la Chine oblige les autres régions du monde à choisir entre deux blocs technologiques de plus en plus distincts.
L’industrie 4.0 est une priorité commune. L’intelligence artificielle et la robotique ont dominé la production scientifique mondiale en 2018-2019, y compris dans les pays à bas revenu. De nombreux gouvernements y consacrent des programmes stratégiques, de la Corée au Cameroun en passant par l’Indonésie ou l’Afrique du Sud. La course à l’intelligence artificielle s’accélère (cf. Vladimir Poutine : « La personne qui prendra les rênes en ce domaine dirigera le monde »).
La volonté de développer simultanément la transition verte et le développement numérique nécessite de très gros investissements (énergie, données, transports...), avec souvent des programmes globaux tels le projet de Société 5.0 développé au Japon, le programme Horizon Europe pour l’Union européenne ou la stratégie russe pour le développement de la science et de la technologie à l’horizon 2035. Certains pays en développement font aussi de très gros efforts, tels les Emirats arabes unis avec un programme spatial important, 2379 chercheurs par million d’habitants et une forte collaboration internationale.
Dans ce contexte, la propriété intellectuelle et les brevets font l’objet d’une grande attention alors que le secteur privé finance une part importante de la recherche et développement (78% au Japon, 76% en Corée). Les startups font souvent l’objet de rachats par les grands groupes (exemple : Israël). Les publications scientifiques augmentent dans de nombreux pays et le paysage de l’édition scientifique évolue (Union européenne : 28,6%, Chine : 24,5%, Etats-Unis : 20,5%).
La collaboration scientifique internationale se poursuit mais se développe aussi un marché des talents lucratif.
Le rapport préconise un renforcement de l’investissement dans les sciences face à la multiplication des crises.
Il se termine par un examen détaillé des pays et des régions du monde : Canada, Etats-Unis, Caricom, Amérique latine, Brésil, Union européenne, Europe du Sud-Est, AELE, Pays du bassin de la mer Noire, Fédération de Russie, Asie centrale, Iran, Israël, Etats arabes, Afrique de l’Ouest, Afrique centrale et orientale, Afrique australe, Asie du Sud, Inde, Chine, Japon, République de Corée, Asie du Sud-Est et Océanie, et comporte des tableaux chiffrés globaux.
Quelques commentaires
Le rapport est un ensemble complexe, quelquefois un peu confus et répétitif dans sa présentation.
L’essentiel des données concernent l’année 2018. De ce fait, l’impact de l’épidémie de coronavirus, même s’il est fréquemment abordé, ne peut encore être évalué.
La compétition scientifique et technologique internationale est évoquée mais de manière dispersée alors qu’elle est évidemment un élément majeur aujourd’hui (données, cyberguerre, spatial, armement...) et que l’ambiguïté collaboration/compétition est flagrante en de nombreux domaines.
Les rôles respectifs du secteur privé et du secteur public sont bien mis en lumière, même si les différences sont grandes en ce domaine entre les différents pays.
Denis Monod-Broca
Ingénieur et architecte

«A lui de choisir entre le Royaume et les ténèbres» est la phrase par laquelle Jacques Monod achève son très fameux ouvrage Le hasard et la nécessité. «Lui» y est l’homme : à l’homme donc, nous dit Jacques Monod dans cette formule à la tonalité si curieusement religieuse, de choisir entre le Royaume et les ténèbres. Le Royaume cependant n’y est pas le Royaume de Dieu naturellement. Fondé sur le postulat d’objectivité, ce Royaume-ci est le «Royaume transcendant des idées, de la connaissance, de la création».
Peut-on se passer de transcendance ?
Louis Pasteur, lui, disait : «Celui qui proclame l'existence de l'infini, et personne ne peut y échapper, accumule dans cette affirmation plus de surnaturel qu'il n'y en a dans tous les miracles de toutes les religions ; car la notion de l'infini a ce double caractère de s'imposer et d'être incompréhensible. Quand cette notion s'empare de l'entendement, il n'y a qu'à se prosterner.»
Et Georges Canguilhem, nous ramenant sur terre : «Nous soupçonnons que, pour faire des mathématiques, il nous suffirait d’être des anges, mais pour faire de la biologie, même avec l’intelligence, nous avons besoin de nous sentir bêtes.»
Ange ou bête ? Faut-il être ange pour se pencher sur la bête qui est en nous ? Le biologiste se penche sur la vie, l’anthropologue se penche sur l’homme. Autrement dit, le sujet se penche sur l’objet, mais que reste-t-il de l’indispensable objectivité quand le sujet est aussi l’objet de l’observation ?
L’animé se distingue de l’inanimé : il naît, vit, se reproduit, meurt. Il est animé, mais qu’est-ce qui l’anime ? Il y faut un «projet». Monod, comme à contrecœur, le concède : «L’objectivité oblige à reconnaître le caractère téléonomique des êtres vivants, à admettre que dans leurs structure et performances, ils réalisent et poursuivent un projet.».
Comme l’animé se distingue de l’inanimé, l’homme se distingue des autres êtres animés : il parle, pense, se penche sur lui-même.
La réflexivité est-elle dans le «projet» ? A quoi nous mène-t-elle ?
Narcisse, penché sur sa propre image, meurt de ne pas pouvoir la saisir. Le devin Tirésias, interrogé sur la question de savoir si Narcisse atteindrait le grand âge, avait répondu : «Il l'atteindra s'il ne se connaît pas.» Chercher à se connaître, quel danger ! Drôle de leçon qui nous vient de la mythologie grecque.
Le Royaume (Monod), l’infini (Pasteur), l’ange (Canguilhem)... sont des artefacts spirituels qui donnent un point d’appui et nous ouvrent ainsi l’observation de nous-mêmes. Il n’en reste pas moins qu’il y a une part irréductible d’impossibilité dans la connaissance que chacun peut avoir de lui-même, dans la connaissance que l’homme peut avoir de l’homme, dans la connaissance que le biologiste, aussi éminent soit-il, et fut-il transhumaniste, peut avoir de la vie.
Dans la routine des jours, ce genre de considérations est en sommeil. Quand un minuscule virus bouscule nos vies, il n’en va plus de même.
Hasard, l’apparition du virus. Nécessité, celle de faire face, pour survivre, comme depuis que le monde est monde, comme depuis que la vie est apparue, mais quelle part devait être laissée aux défenses naturelles de nos organismes et de nos sociétés et quelle part devait être prise par les mesures prophylactiques et les techniques biomédicales ?
Pas sûr que, pris par l’urgence, nous y ayons assez réfléchi.
Le virus Sars-CoV-2 a-t-il un «projet» ? Non. Ou plutôt si, le plus sommaire qui soit : se répliquer. Nos cellules, nos personnes, nos sociétés en ont un aussi : survivre, se perpétuer. Laissées à elles-mêmes, auraient-elles trouvé une issue ? Très probablement.
Nous ne pouvions pas faire cela, ne rien faire du tout, laisser faire, c’était impensable évidemment, mais n’avons-nous pas par trop sacralisé la vie, par trop idéalisé la technique, comme s’il nous était possible, et que nous nous étions fait un devoir, par la technique, de maîtriser complétement la vie ? En contradiction donc avec les appels à la circonspection de Canguilhem, Pasteur, Monod. Et de Tirésias…
Dans son dernier chapitre, Jacques Monod s’interroge sur une hypothétique «théorie de l’évolution des idées» qui prolongerait, pour cet animal si particulier qu’est Homo sapiens sapiens, humain se sachant sachant, la théorie de l’évolution. Mais, dans une telle hypothèse, comment l’inévitable sélection se ferait-elle, comment les idées seraient-elle départagées, sur quel critère ? «On voit bien, écrit-il, que les idées douées du plus haut pouvoir d’invasion sont celles qui expliquent l’homme en lui assignant sa place dans une destinée immanente, au sein de laquelle se dissout son angoisse», et on voit bien aussi que ces idées-là ne sont pas les meilleures, pas les plus rationnelles, pas les plus objectives, pas les plus porteuses d’avenir. A côté de ces idées, religieuses ou philosophiques ou idéologiques, qui expliquent et rassurent, mensongèrement, il y a l’«idée froide et austère» de la connaissance objective, seule source de vérité. Par «son prodigieux pouvoir de performance» au cours des trois derniers siècles, cette idée-là a, malgré sa «puritaine arrogance», gagné sa place dans la société. Oui, mais voilà... nous n’avons pas renoncé pour autant à ces idées mensongères d’antan qui expliquent et rassurent, nous avons même fait de la science elle-même, via le scientisme, une idée mensongère mais qui, ainsi trahie, ne rassure ni n’explique plus guère. D’où ce «mal à l’âme moderne» que diagnostique Monod.
Quel remède à ce mal ?
Monod en appelle à l’authenticité pour réconcilier éthique et connaissance. «Le discours authentique à son tour fonde la science, et remet aux mains des hommes les immenses pouvoirs qui, aujourd’hui, l’enrichissent et le menacent, le libèrent mais aussi pourraient l’asservir. Les sociétés modernes, tissées par la science, vivant de ses produits, en sont devenues dépendantes comme un intoxiqué de sa drogue. Elles doivent leur puissance matérielle à cette éthique fondatrice de la connaissance et leur faiblesse morale aux systèmes de valeurs, ruinés par la connaissance elle-même [...] L’éthique de la connaissance, créatrice du monde moderne, est la seule compatible avec lui, la seule capable, une fois comprise et acceptée, de guider son évolution.»
On ne saurait mieux dire. Et constatons, après presque dix-huit mois de vie sous Covid, que nous avons encore des progrès à faire vers cette éthique de la connaissance.
Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France

Le virus de l’hépatite E (VHE) est la cause la plus fréquente d'hépatite virale aiguë diagnostiquée en Angleterre et l'estimation annuelle des infections est de 100 000 à 150 000. Une augmentation des cas d’hépatite E a été observée au Royaume-Uni de 2010 à 2016 avec 1212 cas signalés en 2015, 1243 en 2016, 1002 en 2018 et 1202 en 2019. Cette augmentation est aussi observée dans toute l’Europe : dans Espace économique européen, une enquête réalisée dans vingt pays surveillant le VHE a permis de noter une augmentation du nombre de cas signalés de 514 cas en 2005 à 5617 en 2015. Les hospitalisations sont passées de moins de 100 en 2005 à plus de 1100 en 2015 (dont 28 cas mortels pendant l’enquête) [1].
Selon un article publié en juin 2921 par Smith et al. [2] dans la revue du Centers for Disease Control and Prevention (CDC) d’Atlanta et reprise dans Food Safety News du 12 mai 2021 [3], une étude cas-témoins a permis de rechercher les facteurs de risque d'une infection acquise par le VHE chez les donneurs de sang au Royaume-Uni pendant la période 2018-2019. Cette étude cas-témoins a été réalisée chez des donneurs de sang (117 positifs et 564 négatifs pour l’ARN du VHE) d’avril 2018 à mars 2019. Sur les 117 donneurs positifs, 76 ont été asymptomatiques. Les symptômes rapportés chez les 47 autres personnes positives ont été une fatigue, des douleurs articulaires et une migraine, après une période d’incubation estimée de deux à neuf semaines. Aucun végétarien n’a été positif.
Sur 19 aliments étudiés, 14 ont été associés significativement à une infection par le VHE, en particulier le bacon, les charcuteries comme le salami et le Kabanos (saucisse polonaise fumée) ou le foie de porc.
Ce n’est pas la première fois que l’on signale un risque d’hépatite E lié à des produits de charcuterie insuffisamment cuits (en France, on avait surtout alerté sur le risque lié aux figatelli corses, riches en foie de porc) mais il s’agit de la première étude signalant un risque lié à la consommation de bacon (s’il n’est pas cuit) et à une charcuterie composée de viande séchée.
Enfin, les auteurs rappellent que le VHE circulant chez les porcs au Royaume-Uni était surtout un génotype 3-clade 1 (G3 efg) alors que l’augmentation des cas aigus de VHE en Angleterre en 2010 a coïncidé avec l'émergence d'un nouveau génotype G3-clade 2 (G3 abcdhij) [4]. Ce nouveau génotype isolé en Angleterre chez l’Homme serait la conséquence de la consommation de produits d’origine porcine importés au Royaume-Uni.
Cette étude démontre l’importance d’une surveillance des cas de VHE chez l’Homme en Europe mais surtout de mettre en place des méthodes standards de contrôle de ce virus dans les élevages porcins et les produits de charcuterie car c’est à la source qu’il faut cibler pour éviter une transmission d’origine alimentaire à l’Homme.
[2] Smith, I., Said B.., Vaughan, A., Haywood, B., Ijaz, S., Reynolds C., Morgan, D. Case–Control Study of Risk Factors for Acquired Hepatitis E Virus Infections in Blood Donors, United Kingdom, 2018–2019. Emerging Infectious Diseases, 2021, 27(6), 1654-1661. https://doi.org/10.3201/eid2706.203964.
[3] https://www.foodsafetynews.com/2021/05/study-shows-bacon-cured-pork-are-risk-factors-for-hepatitis-e/
[4] Said B., Usdin M., Warburton F., Ijaz S., Tedder R.S., Morgan D. Pork Products Associated with Human Infection Caused by an Emerging Phylotype of Hepatitis E virus in England and Wales. Epidemiol Infect. , 2017, 145:2417–23. DOIExternal LinkPubMedExternal Link.
Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France

L’agence Reuters a annoncé le 1er juin 2021 un cas de «grippe aviaire» dû à un virus influenza H10N3, chez un Chinois âgé de 41 ans, de la ville de Zhenjiang. L’homme, hospitalisé le 28 avril dernier, est maintenant guéri.
On ne connaît pas l’origine de cette infection humaine mais il faut noter que pour cette souche H10N3 :
- il s’agit du premier cas mondial de grippe humaine due à cette souche ;
- elle n’a jamais été isolée chez des volailles ;
- elle est rarement isolée chez des oiseaux sauvages (160 isolats signalés pendant les quarante années avant 2018 en Asie et en Amérique du Nord) ;
- elle est considérée comme étant faiblement pathogène.
Si, pour le moment, on peut considérer qu’il s’agit d’un cas exceptionnel de grippe humaine due à une souche rarement rencontrée, on peut regretter une fois de plus le terme de grippe aviaire annoncé par l’agence Reuters alors que les volailles ne sont pas concernées dans ce cas.
Par ailleurs, l’illustration choisie pour cette dépêche est fort regrettable : il s’agit d’une photo datant d’avril 2013 signalant une vaccination de poussins âgés d’un jour contre la souche d’influenza aviaire H7N9 qui a tué plus de Chinois en cinq ans que la souche H5N1 hautement pathogène en dix-sept ans (soit de 2003 à janvier 2020, 861 malades, dont 455 morts).
Cette souche H7N9, faiblement pathogène pour les volailles lorsqu’elle apparue en février 2013, a contaminé jusqu’au 6 décembre 2019, 1568 personnes (dont 616 décès) en Chine (quelques cas ont été signalés à Taïwan), cette contamination étant principalement observée dans les marchés de volailles vivantes. Or la vaccination des volailles n’a été mise en place en Chine qu’en 2017, dans le but d’une part, de lutter contre cette souche H7N9 devenue hautement pathogène pour les volailles (et l’on parle alors de peste aviaire) mais surtout d’autre part, pour éviter une nouvelle vague de cas humains [1].
Rappelons aussi qu’il n’y a jamais eu de transmission interhumaine avec les souches de peste aviaire H5N1 et H7N9.
Denis Monod-Broca
Ingénieur et architecte

La lumière, la Lumière, les Lumières... que de sens symboliques sont donnés à ce mot si banal, lumière !
La lumière est à la fois ce qui éclaire et ce qui est éclairé. A la fois ce qui permet de voir et ce qui est vu, ce qui permet de connaître et ce qui est connu.
Science et lumière sont presque synonymes. Science aussi a ce double sens : recherche de la connaissance et connaissance.
Leurs contraires, obscurité, obscurantisme, se passent de commentaire.
Sans la lumière que serions-nous ?
La Bible ne s’y trompe pas qui, dès son troisième verset dit « Que la lumière soit ! Et la lumière fut ».
Sans la lumière que serions-nous ? Que les aveugles excusent une telle phrase, mais eux aussi, s’ils ne voient pas par leurs propres eux, perçoivent la réalité par les yeux d’autrui et les récits qu’ils en font.
Par le biais des ondes électromagnétiques, c’est-à-dire des ondes lumineuses au sens large, nous explorons l’Univers entier, de l’infiniment grand et infiniment lointain à l’infiniment petit.
Désormais nous faisons mieux encore : par le laser, nous maîtrisons la lumière elle-même. Le laser existe, dans sa forme et sa dénomination actuelles, depuis une soixantaine d’années. Il n’est plus, dans ce sens-là, une nouveauté mais il est une perpétuelle nouveauté par ses domaines d’application qui s’étendent continûment.
Des leds aux imprimantes, des armes de guerre aux opérations chirurgicales, et jusqu’aux technologies quantiques, le livre LumièreS, de Jean Audouze, Michel Menu et Costel Subran (EDP Sciences, 2020), donne un aperçu des extraordinaires possibilités du laser, ou des lasers, tant il en existe différents types.
Après la machine à vapeur, le moteur à explosions, la «fée électricité», l’électronique, le laser est une révolution techno-scientifique : par lui, l’information et la puissance sont transportés d’un point à un autre sans déplacement de matière.
L’électricité, l’électronique ont pu être vu comme magiques. Elles aussi transportent à longue distance puissance et information, mais elles ont besoin d’un support, câble de cuivre par exemple, et elles s’accompagnent d’un mouvement de la matière, celui d’électrons, même s’il s’agit plus de la transmission d’un signal que d’un déplacement.
Avec la lumière, seuls des photons se déplacent et les photons sont dépourvus de masse. Par la lumière laser, puissance et information sont véritablement téléportées.
Les barbarismes créés à l’occasion de la pandémie et désormais bien connus en donnent une image très suggestive : l’électricité est du domaine du «présentiel», la lumière laser, elle, qui est sans contact physique, est du domaine du «distanciel».
En passant de l’électron au photon, ne sommes-nous pas entrés dans une nouvelle ère ?
Jeanne Brugère-Picoux* et Jean-Luc Angot**
* Professeur honoraire de l'Ecole nationale vétérinaire d’Alfort, membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
** Docteur vétérinaire, inspecteur général de santé publique vétérinaire au Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), président de l’Académie vétérinaire de France
Article publié avec l'aimable autorisation de l'Académie vétérinaire de France.

Résumé - La majorité des maladies émergentes ou résurgentes qui ont été observées ces dernières décennies sont des zoonoses et celles-ci ont été parfois la cause de graves crises sanitaires, la pandémie due à la Covid-19 représentant une crise majeure qui ne connaît pas de précédent. Les facteurs favorisant l’émergence ou la résurgence d’une maladie sont très divers et parfois associés : agents pathogènes importés par des vecteurs (animaux de compagnie, oiseaux migrateurs, commerce international, etc.), modification de l’environnement (déforestation, travaux de terrassement, augmentation des zones éclairées, etc.), engouement pour de nombreuses espèces exotiques modifiant leurs écosystèmes en vue de leur commerce, voire de leur consommation, augmentation de la densité de la faune sauvage urbaine ou rurale, modification de nos relations avec l’animal (visites pédagogiques de fermes, nouveaux animaux de compagnie). L’important est de maintenir un écosystème favorable à tous, animaux sauvages ou domestiques et l’Homme. Il n’y a qu’une seule santé dans un seul monde où interviennent la médecine humaine, la médecine vétérinaire et l’environnement.
Il y aura toujours des maladies émergentes
Dans l’ouvrage Destin des maladies infectieuses, Charles Nicolle écrivait en 1933 : «Il y aura donc des maladies nouvelles. C’est un fait fatal. Un autre fait, aussi fatal, est que nous ne saurons jamais les dépister dès leur origine... Il faut aussi bien se résigner à l’ignorance des premiers cas évidents. Ils seront méconnus, confondus avec des maladies déjà existantes... Pour qu’on la reconnaisse plus vite, il faudrait que l’infection nouvelle soit d’importation exotique et douée d’un pouvoir marqué de contagiosité, telle autrefois la syphilis à son débarquement en Europe.» L’arrivée de la Covid-19 en Europe puis dans les Amériques démontre que la vision des maladies émergentes par cet illustre médecin microbiologiste, prix Nobel en 1928, est toujours d’actualité près de quatre-vingts années plus tard. La majorité des maladies émergentes ou résurgentes qui ont été observées en France ou dans le monde ces dernières décennies sont des zoonoses et celles-ci ont été parfois la cause de graves crises sanitaires (encéphalopathie spongiforme bovine, pandémie grippale due au virus H1N1, etc.), la pandémie due à la Covid-19 représentant une crise majeure qui ne connaît pas de précédent. Le commerce international croissant des animaux domestiques et sauvages (ou de denrées alimentaires d’origine animale), l’introduction accidentelle ou volontaire d’espèces animales dans des zones géographiques nouvelles, l’engouement pour de nombreuses espèces exotiques modifiant leurs écosystèmes en vue de leur commerce, voire de leur consommation, sont à l’origine de l’émergence ou de la résurgence de ces zoonoses.
Du fait de leur formation les confrontant aux maladies de plusieurs espèces animales, les vétérinaires ont des notions de pathologie comparée, de biosécurité et d’épidémiologie qui les aident souvent dans le diagnostic d’une nouvelle maladie émergente touchant une espèce. En raison de l’existence d’un réseau sanitaire vétérinaire permettant une surveillance des maladies émergentes, ils sont aussi rapidement disponibles pour limiter la propagation de celles-ci, aidés pour cela par un réseau de laboratoires vétérinaires départementaux très performants et par une industrie du médicament vétérinaire efficace. Leur action concerne aussi le contrôle sanitaire de notre alimentation. Ils ont toujours été des acteurs de terrain efficaces pour limiter la propagation des maladies comme ce fut le cas lors des grandes campagnes de prophylaxie contre des maladies redoutables pour l’élevage et la santé publique (tuberculose, brucellose, fièvre aphteuse...). Les vétérinaires sont en effet des acteurs à part entière de la santé publique du fait que près de 75% des maladies émergentes humaines sont des zoonoses. Entre 1940 et 2008, Jones et al. [1] ont identifié 335 maladies émergentes dans le monde, dont 60% étaient des zoonoses (parmi lesquelles 72% étaient dues à la faune sauvage), 54 % étaient dues à des bactéries ou des rickettsies, 23% étaient des maladies vectorielles. Nous limiterons ce document à certains exemples de maladies émergentes qui peuvent être dues à plusieurs facteurs associés ou non : importation et/ou dissémination d’agents pathogènes par de nouveaux vecteurs, émergence ou résurgence d’agents pathogènes, le plus souvent découverts lors d’une modification de l’environnement de leur réservoir tellurique ou d’un écosystème animal (déforestation, travaux de terrassement, notamment dans des zones tropicales où il existe une grande biodiversité animale, augmentation des zones éclairées liée à l’urbanisation et au développement des transports entraînant des changements d’habitats, consommation de certaines espèces animales sauvages), extension et augmentation de la densité de la faune sauvage urbaine (faune liminaire) ou rurale réservoir d’agents zoonotiques, modification de nos relations avec l’animal (visites pédagogiques de fermes, nouveaux animaux de compagnie).
Importation d'agents pathogènes
Les possibilités d’importation d’un nouvel agent pathogène sont variées. Ces importations peuvent être le fait d’un commerce ou de l’importation illégale d’animaux porteurs, du transport d’agents pathogènes par des oiseaux migrateurs (ou du transport par ces oiseaux de vecteurs comme la tique) ou par des vecteurs inanimés [2].
Importation d’animaux de compagnie porteurs
Certaines maladies émergentes peuvent survenir avec l’importation d’animaux dont le statut sanitaire est inconnu (porteurs ou réservoirs asymptomatiques, malades en cours d’incubation, non déparasités). Les exemples sont nombreux chez les animaux sauvages et/ou les animaux de compagnie importés : chiens enragés importés illégalement du Maroc, rats de Gambie importés aux Etats-Unis et porteurs du virus de la variole du singe, rats de compagnie infectés par le virus du cowpox, reptiles porteurs de salmonelles, etc.
Transport d’agents pathogènes par des oiseaux migrateurs
On connaît le risque lié à la contamination des volailles par le virus influenza aviaire hautement pathogène qui représente un véritable problème économique dans les pays touchés, d’où le nom de peste aviaire donné à cette maladie hautement contagieuse qui concerne principalement le domaine de la santé publique vétérinaire. En effet, on peut se tromper en annonçant à tort un risque de pandémie humaine comme ce fut le cas de la peste aviaire (dénommée «grippe aviaire») due à un virus influenza H5N1 hautement pathogène qui est apparu en Chine en 1996 et qui a envahi progressivement l’Asie puis le continent européen. Il faut dire qu’après l’épidémie de grippe espagnole due à un virus H1N1 en 1917 (40 à 100 millions de morts dans le monde), la grippe asiatique en 1957 due à un virus H2N2 (1 à 4 millions de morts), puis la grippe de Hong Kong due à un virus H3N2 (1 à 2 millions de morts), l’Organisation mondiale de la santé (OMS), attendant une nouvelle pandémie, pensa, comme d’autres épidémiologistes réputés, que le virus aviaire H5N1 pouvait être un bon candidat. C’était méconnaître la médecine vétérinaire, où la peste aviaire n’était pas classée dans les zoonoses avant l’épisode de Hong Kong de 1996 avec le virus H5N1. Ce virus a pu contaminer l’Homme lors de contacts très étroits avec des volailles vivantes en Asie mais il ne s’est jamais adapté à l’espèce humaine. De 2003 au 20 janvier 2020, il n’y a eu que 861 malades, dont 455 décès, sans transmission interhumaine, ce qui ne correspond pas à la définition d’une épidémie ! (fig. 1). Plus tard, en 2009, il y a eu une épidémie de grippe humaine A due à un virus H1N1 (dénommée à tort «grippe porcine») qui fit 500 000 morts dans le monde.

Transport de tiques par les oiseaux migrateurs
Les oiseaux migrateurs peuvent aussi favoriser le transport de vecteurs de maladies tels que les tiques. Ce type de transport est particulièrement suspecté dans la diffusion en Europe d’une tique redoutable, Hyalomma marginatum, vectrice potentielle de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo (des cas mortels ont été signalés en Espagne et en Turquie) et de la fièvre boutonneuse due à Rickettsia aeschlimannii (observée en Allemagne) [3]. L’exemple de la «tique tueuse asiatique», Haemaphysalis longicornis, responsable d’une fièvre hémorragique pouvant s’accompagner d’un taux de mortalité de 50% chez les personnes âgées de plus de 60 ans et désormais présente sur le continent américain, démontre que ce danger est bien réel [4].
Transport de tiques par des vecteurs inanimés
Le cas particulier des transports d’agents pathogènes liés au commerce est bien connu avec la diffusion des moustiques tigres, notamment d’un continent à l’autre par des pneus, véritables réservoirs d’eau stagnante favorisant leur multiplication. Le trafic aérien a souvent été en cause pour expliquer certaines maladies exotiques importées en particulier dans l’environnement des aéroports (paludisme, fièvre jaune). Deux maladies émergentes récentes non zoonotiques, la fièvre catarrhale ovine ou FCO et la maladie de Schmallenberg, ayant touché des ruminants dans des zones qui n’étaient pas considérées à risque en Europe septentrionale il y a moins de deux décennies devraient faire prendre conscience des nouveaux risques de maladies émergentes. C’est à partir de la région de Maastricht, carrefour mondial du commerce des fleurs, que ces deux maladies caractérisées par des avortements et des malformations fœtales, ont diffusé de manière identique, la première en 2006, la seconde en 2011, touchant la Belgique, l’Allemagne, le Luxembourg, les Pays-Bas et la France. L’origine exotique des agents pathogènes isolés laisse fortement suspecter l’introduction d’un insecte infecté avec les fleurs puis la possibilité d’un relais avec un vecteur autochtone du genre Culicoïdes. Cependant, ces deux exemples remarquables à cinq années d’intervalle n’ont pas conduit à traiter préventivement les fleurs exotiques avec un insecticide ; ce type d’accident pourrait donc survenir à nouveau pour menacer d’autres espèces, dont l’espèce humaine ! Rappelons que la FCO fut la plus grande épizootie de ces trois dernières décennies et que l’on observe actuellement une recrudescence des arboviroses zoonotiques circulant en Europe (West Nile, virus Usutu, encéphalite à tiques...). On peut d’ailleurs noter l’émergence récente en France du virus Usutu [5] ou de l’encéphalite à tiques, transmise par une morsure de tique ou par l’ingestion d’un produit laitier contaminé. Les symptômes de cette encéphalite débutent par un syndrome grippal estival nécessitant actuellement un diagnostic différentiel avec la Covid-19 [6].
Importation d’origine inconnue du virus du Nil Occidental aux Etats-Unis en 1999 : rôle des animaux sentinelles lors d’une zoonose émergente
La fièvre du virus du Nil occidental ou VNO (West Nile), due à un Flavivirus, était connue depuis longtemps sur de nombreux continents. Les oiseaux sauvages en sont les réservoirs essentiels. Cette maladie a connu une émergence historique en 1999 dans un zoo du Bronx : la survenue d’une mortalité anormale chez des corneilles dans ce zoo fut d’abord considérée par le Centre de référence des maladies émergentes (Center for Disease Control ou CDC) d’Atlanta comme un «problème uniquement vétérinaire», le VNO n’étant pas connu dans cette zone géographique. Ce n’est que plus tard qu’une relation entre ce virus et des cas d’encéphalites chez l’Homme fut découverte. Depuis, la maladie a envahi les Etats-Unis, représentant maintenant la principale cause des encéphalites arbovirales humaines. Chez l’Homme, de 1999 à 2019, on a dénombré 2381 décès et plus de 25 000 formes neuro-invasives ont été observées [7]. Les circonstances de l’apparition du VNO aux Etats-Unis démontrent l’importance qu’il faut accorder aux «animaux sentinelles» qui, par un taux de mortalité anormale, peuvent annoncer une maladie émergente menaçant l’Homme. Rappelons aussi qu’une autre arbovirose zoonotique, la fièvre de la vallée du Rift, pourrait menacer l’Europe en raison de la présence probable du virus dans le Maghreb et en Turquie comme le montre l’observation de sérologies positives [8, 9]. Ce virus est actuellement particulièrement actif en Mauritanie.
Emergence ou résurgence d'agents pathogènes par modification d'un écosystème
Des agents pathogènes ont pu émerger lorsque leur environnement a été modifié. L’origine peut être tellurique mais, le plus souvent, il s’agit d’un changement dans l’écosystème de leur réservoir animal.
Maladies telluriques (résurgentes)
La fièvre charbonneuse est une maladie ancienne qui peut émerger à nouveau lorsque les spores de Bacillus anthracis, enfouies dans le sol pendant de nombreuses décennies (à l’époque où l’on enfouissait les cadavres des animaux), sont ramenées à la surface (du fait de travaux de terrassement, d’une montée de la nappe phréatique...) puis sont ingérées par des ruminants. Cela explique les cas sporadiques observés dans de nombreux pays, dont la France.
Maladies liées à une modification d’un écosystème animal
Bien souvent, on peut remarquer qu’une maladie émergente apparaît dans une contrée où l’on a favorisé la possibilité d’un contact plus étroit avec diverses espèces animales. Ces zones à haut risque, appelées «points chauds», où l’on peut observer l’émergence d’une nouvelle maladie humaine correspondent à la modification de l’écosystème d’une espèce sauvage ayant pu contaminer alors l’Homme. Les exemples sont nombreux ces dernières années, notamment avec les chauves-souris, tant en Asie avec le syndrome respiratoire aigu sévère (Sars), la Coronavirus disease 2019 ou Covid-19 et le virus Nipah qu’au Moyen-Orient avec le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (Mers) ou en Afrique avec les fièvres hémorragiques comme l’Ebola ou la maladie de Marburg [10]. Ce n’est pas la biodiversité qui est en cause dans l’apparition de ces zoonoses mais plutôt la perturbation de l’écosystème de ces chauves-souris qui a favorisé l’émergence et la transmission d’un nouvel agent pathogène à l’Homme.
Coronavirus
Les coronavirus et plus spécifiquement des betacoronavirus, font partie des derniers virus responsables de zoonoses émergentes, comme le Sras et le Mers puis la Covid-19. Si l’origine zoonotique de ces maladies est connue avec pour réservoir les chauves-souris, les modalités de contamination le sont moins, notamment le rôle éventuel des hôtes intermédiaires suspectés. Le Sras (Sars en anglais) fut responsable d’une épidémie sévère de février à mai 2003 avec un taux de mortalité de 10%, tuant 774 personnes sur 8096 malades, surtout en Chine mais le Canada fut aussi très touché (avec 43 décès sur 251 malades). Il a fallu mettre en place d’importantes mesures de biosécurité pour stopper l’épidémie. Quand le Sras est arrivé à la mi-novembre 2002 dans la province du Guangdong, les cas n’ont pas été officiellement notifiés par crainte d’éventuelles retombées sociales ou économiques, permettant ainsi une large diffusion du virus. L’OMS n’a été prévenue que le 11 février 2003... Le Mers est apparu plus tard, en septembre 2012, et concerne principalement le Moyen-Orient, l’animal réservoir étant le dromadaire. A la fin de novembre 2019, 2494 cas ont été confirmés dont 858 décès (soit un taux de mortalité de 34,4%). L’Arabie Saoudite a été le pays le plus touché avec 2102 cas dont 780 décès, soit un taux de mortalité de 37,1%. Alors que les premiers cas de Sras ont été observés en 2002 dans la province du Guangdong, il s’est avéré que la source géographique du virus était dans la province de Yunnan, ou dans le sud-ouest de la Chine, le principal réservoir animal étant vraisemblablement des chauves-souris fer à cheval (Rhinolophus sinicus). Une surveillance a été effectuée pendant plus de cinq ans sur ces chauves-souris présentes dans une grotte de la province de Yunnan. Celle-ci a permis de démontrer l’importante quantité de coronavirus pouvant être hébergés par ces chiroptères, dont certains étaient proches du virus du Sras (Sars-CoV), d’où leur dénomination de Sars-related coronavirus (Sarsr-CoV). Ainsi, dès 2017, des scientifiques chinois du laboratoire de Wuhan soulignèrent l’importance de ces nouvelles informations sur l’origine et l’évolution du Sars- CoV et la nécessité de se préparer à l’émergence future de maladies comme le Sras. En 2019, cette même équipe chinoise indiquait qu’«il est très probable que les futures épidémies de coronaviroses comme le Sras ou le Mers proviendront de chauves-souris, et qu’il y a une probabilité accrue que cela se produise en Chine. Par conséquent, l’enquête sur les coronavirus de chauve-souris devient un problème urgent pour la détection des signes d’alerte précoce pour minimiser alors l’impact de ces futures épidémies en Chine.»... Il était surtout évident pour ces scientifiques que la Chine représentait la zone à haut risque (le point chaud) d’où partirait l’épidémie. La prédiction de ces scientifiques chinois s’est réalisée avec l’apparition en décembre 2019 d’une pneumonie d’origine inconnue touchant 59 personnes dans la ville chinoise de Wuhan. Les personnes atteintes avaient surtout fréquenté le marché de fruits de mer de la ville où d’autres animaux domestiques et sauvages étaient vendus, souvent vivants. Le 2 janvier 2020, ce marché fut immédiatement fermé sans que l’on ait recherché l’origine de la contamination parmi les espèces animales vendues. On sait maintenant que cette maladie émergente (Covid-19) est due à un coronavirus (Sars-CoV-2) où une autre chauve-souris fer à cheval (Rhinolophus affinis) est de nouveau incriminée en tant que réservoir. L’étude du génome du Sars-CoV-2 confirme qu’il s’agit d’un virus proche à 96,2% d’un coronavirus présent chez la chauve-souris (Sarsr-CoV;RaTG13), ce virus étant plus éloigné du virus du Sras (79%) ou de celui du Mers (50%). Cependant, on ne connaît toujours pas l’origine exacte de la contamination humaine par le Sars-CoV-2 alors qu’un lien épidémiologique avec un marché d’animaux vivants sauvages ou domestiques a été établi pour expliquer l’origine du Sras en Chine (certains animaux ont pu jouer le rôle d’hôte intermédiaire, notamment la civette palmiste masquée, Paguma larvata, d’origine sauvage ou provenant de fermes d’élevage vendues vivantes sur les marchés). Dans le cas du Sars-CoV-2, le pangolin (Manis pentadactyla et Manis javanica) est suspecté. Face à l’importante diffusion mondiale du Sars-CoV-2, le risque d’apparition d’un réservoir animal est souvent évoqué, notamment du fait d’une contamination animal-Homme qui a été observée dans des élevages de visons aux Pays-Bas mais aussi du fait de la contamination d’animaux de compagnie par leur propriétaire (Communiqué de l’Académie nationale de médecine et de l’Académie vétérinaire de France du 23 juillet 2020) [11].
Déforestation et virus Nipah
L’apparition d’encéphalites humaines dues au virus Nipah (Henipavirus, de la famille des Paramyxoviridae) en Malaisie et à Singapour représente un excellent exemple de maladie émergente pouvant s’implanter et diffuser du fait d’une déforestation. Celle-ci a provoqué, à partir de 1998, le déplacement de chauves-souris frugivores du genre Pteropus vers des fermes et des abattoirs favorisant un contact avec des porcs domestiques et l’Homme, provoquant une encéphalite souvent mortelle (taux de mortalité supérieur à 50%) [12]. Ce n’est que plus tard que l’on a découvert aussi la possibilité d’une origine alimentaire de cette affection redoutable, en particulier au Bangladesh entre fin 2004 et début 2005. La contamination se faisait par un jus de palme contaminé lui-même par l’urine de ces chauves-souris frugivores (fig 2 et 3, [13]).

Extension des «gîtes à tiques»
Au contraire, la réduction du nombre d’exploitants agricoles et le remplacement de certains champs par de la forêt ou des taillis, associés à une extension des zones périurbaines, ont été un facteur favorisant l’extension de certains vecteurs comme les tiques à l’origine de la maladie de Lyme, de l’ehrlichiose ou de l’encéphalite à tiques dans de nombreux pays. D’autres facteurs, notamment climatiques avec un hiver trop doux, mais aussi l’augmentation du nombre de cervidés ou de suidés, réservoirs sauvages facilitant la dissémination de ces vecteurs ont pu favoriser la multiplication des tiques voire leur progression dans certaines régions jusque-là indemnes. L’inquiétude liée à l’augmentation du risque de maladies vectorielles dues aux tiques n’est pas nouvelle. Par exemple, dès 2010, une plaquette de 26 pages informant sur les maladies transmises par les tiques (borréliose de Lyme, encéphalites à tiques, rickettsioses de type TIBOLA ou LAR, anaplasmose humaine, tularémie, fièvre Q), réunissant notamment médecins et vétérinaires, a été réalisée par le réseau Franche-Comté sous l’égide de l’Institut national de veille sanitaire et du ministère de la Santé.
Consommation d’animaux sauvages
L’exemple des marchés chinois mettant en contact des animaux sauvages vivants et l’Homme peut expliquer l’apparition du Sras et de la Covid-19, même si les hôtes intermédiaires ayant pu être un relais dans ces contaminations ne sont pas encore connus avec précision. Ce risque d’origine alimentaire est aussi connu en Afrique avec la consommation de la viande de brousse, notamment de singes, qui a pu favoriser une contamination par le virus du sida.
Augmentation de la faune sauvage urbaine ou rurale
Faune sauvage urbaine (rats, pigeons)
Bien que surnommés «rats volants», les pigeons représentent un risque moins important pour la santé publique [14] que les rats (réservoirs de leptospires, de salmonelles, etc.), dont on a pu observer une prolifération importante en région parisienne [15]. Parfois le risque peut être très important comme c’est le cas à Madagascar où les rats sont les réservoirs d’un bacille de la peste résistant aux antibiotiques [16]. Enfin, on peut aussi remarquer que les tiques responsables de maladies vectorielles en augmentation actuellement (cf. faune sauvage en milieu rural) peuvent être présentes dans les jardins privés ou publics en zone urbaine.
Faune sauvage rurale
Nous avons connu les modifications progressives de notre enseignement vétérinaire où, avant l’arrivée des automobiles, le cheval était l’animal le plus important puis, avec l’importance de la consommation de viande après la seconde guerre mondiale, l’enseignement des maladies des ruminants fut privilégié, notamment avec les grandes prophylaxies réalisées par les vétérinaires, destinées à limiter un risque zoonotique (comme la tuberculose et la brucellose) ou les pertes économiques dues à certaines affections non zoonotiques limitant les échanges commerciaux (fièvre aphteuse, par exemple). Cependant, malgré ces grandes prophylaxies, on observe toujours la persistance de ces agents pathogènes dans la faune sauvage qui ne bénéficie pas d’une vaccination ou d’une surveillance sanitaire (avec une éradication des animaux malades ou à risque).
Faune sauvage réservoir de maladies du bétail
Le risque d’apparition d’une affection non zoonotique où la faune sauvage représente un réservoir dangereux pour les élevages est permanent. Nous l’avons vu pour la peste aviaire qui peut être apportée par les oiseaux migrateurs mais il peut s’agir d’un risque pour les élevages de porcs comme le montre actuellement la progression de la peste porcine africaine, qui a touché des pays voisins de la France comme la Belgique et l’Allemagne. Les pays asiatiques sont aussi confrontés à des épidémies de peste porcine classique interdisant tout commerce pour les pays contaminés. D’autres maladies du bétail peuvent reconnaître un réservoir dans la faune sauvage comme la paratuberculose (dont l’origine zoonotique est controversée), la FCO, la maladie de Schmallenberg, etc. [17].
Faune sauvage réservoir de maladies zoonotiques
La faune sauvage peut importer des agents pathogènes (virus du Nil occidental, influenza aviaire, virus rabique, virus Nipah) mais en France, elle peut aussi assurer la persistance de la tuberculose, de la brucellose, de l’hépatite E et de certaines zoonoses parasitaires ou favoriser une augmentation du risque de maladies transmises par les tiques [18]. Malgré l’éradication efficace de la tuberculose en France, des foyers peuvent réapparaître sporadiquement du fait de réservoirs sauvages comme les cervidés, les sangliers et les blaireaux. Un autre exemple est celui la brucellose sévissant actuellement dans le massif du Bargy en Haute-Savoie. Après la découverte d’un cas de brucellose dans un élevage laitier du Grand Bornand en avril 2012 et la relation entre cette infection et la contamination de deux jeunes enfants ayant consommé une tomme blanche venant de cette ferme, il a été démontré que la faune sauvage, en l’occurrence les bouquetins présents dans le massif du Bargy, était à l’origine de ces contaminations. La Brucella des bouquetins aurait pour origine une souche bovine, à savoir le dernier cas de brucellose bovine signalé en 1999 dans la région, cette souche ayant circulé en s’amplifiant pendant plusieurs années dans la population des bouquetins. La décision d’abattre les bouquetins âgés de plus de 5 ans, contaminés dans une proportion de 56% en 2013, a concerné principalement les mâles, d’où un accès prématuré des jeunes au rut et leur contamination puisque la maladie se transmet principalement par la voie vénérienne. Le bouquetin est une espèce sauvage protégée mais il n’en a plus le comportement dans le massif du Bargy comme l’ont constaté les promeneurs dans ce massif et il ne s’agit pas d’une espèce en voie de disparition. Il est apparu qu’un abattage total, même s’il ne peut pas être de 100% au sein d’une population sauvage, a représenté la solution la plus réaliste, considérant le risque non négligeable pour la santé publique, en particulier dans la région de production du reblochon fermier au lait cru. Il faut remarquer que la brucellose peut aussi exceptionnellement concerner le domaine des animaux de compagnie comme le chien [19]. Le cas particulier du virus de l’hépatite E (famille des Hepeviridae) représente un problème émergent dans de nombreux pays. Il s’agit du seul virus causant une hépatite rencontrée chez l’Homme et les animaux. Les réservoirs asymptomatiques de ce virus sont le porc, le sanglier, le cerf, le lapin, la mangouste ou le rat. Cette zoonose peut être transmise par des produits tels que la viande ou le foie de sanglier, de cerf ou de porc consommés crus ou insuffisamment cuits (comme la figatelle corse, riche en foie de porc). Enfin, l’augmentation de densité de la faune sauvage s’accompagne aussi d’un risque accru de maladies parasitaires zoonotiques transmises par l’alimentation [20, 21].
Modifications de nos relations avec l'animal
L’évolution actuelle de nos modes de vie nous a amenés à vivre plus souvent en région urbaine qu’à la campagne. Alors que la profession vétérinaire était surtout formée pour intervenir en région rurale chez les animaux de production il y a plus de 50 ans, on a pu observer une désertification progressive du milieu rural (comme chez les médecins) au profit d’une médecine urbaine des animaux de compagnie, plus confortable et plus lucrative. Si les zoonoses liées au contact trop souvent étroit entre les animaux de compagnie classiques comme le chien et le chat sont loin d’être négligeables [22], l’arrivée des nouveaux animaux de compagnie favorise aussi celle de nouveaux agents pathogènes émergents.
Risque zoonotique lié aux nouveaux animaux de compagnie (NAC)
A part le lapin, les NAC ne sont pas toujours recommandés pour les enfants. Les petits rongeurs comme le hamster peuvent être porteurs de tularémie ou du virus de la chorioméningite lymphocytaire. Il faut aussi noter le nombre de plus en plus élevé de mustélidés (furets) comme animaux de compagnie [23] particulièrement sensibles au Sars-Cov-2.
Poxviroses et salmonelloses
Nous avons cité précédemment le risque de poxviroses résultant de l’importation de rats : le premier est l’épisode de l’importation de la variole du singe (Monkeypox) survenu dans les Etats du Midwest américain en 2003, avec plus de 70 cas humains identifiés (la source était des rats de Gambie, rongeurs importés d’Afrique vers les Etats-Unis pour être vendus comme animaux de compagnie et qui se sont avérés responsables, chez le vendeur, de l’infection de chiens de prairie, eux-mêmes vecteurs secondaires de la contamination humaine) ; le second exemple est européen : il s’agit de rats importés de Hongrie en tant que NAC (un dessin animé destiné aux enfants avait fait l’apologie de cet animal de compagnie) et qui étaient porteurs d’un autre orthopoxvirus, le cowpox. L’Allemagne a été le premier pays à lancer l’alerte à la fin des années deux mille avant que la France ne soit touchée. Il faut également souligner le risque réel, trop souvent sous-estimé, des salmonelloses transmises par les reptiles (plus de 90% sont porteurs asymptomatiques de salmonelles), dont la possession en tant que NAC devrait être déconseillée, en particulier en présence d’enfants, d’autant qu’aucun traitement ne permet l’élimination de l’agent pathogène. Ainsi, 3 à 5% des cas de salmonellose humaine aux Etats-Unis sont associés à un contact avec des NAC et le plus souvent, ce sont des reptiles. Ce risque a été également confirmé en France [24, 25].
Cas particulier d’une zoonose émergente due au virus Borna
La maladie de Borna (du nom de la ville de Borna en Allemagne) est connue depuis le XVIIe siècle chez les chevaux et les moutons. L’intérêt pour la maladie de Borna s’est accru en médecine vétérinaire à partir de 1993 suite à la découverte d’autres espèces sensibles (chat, autruche, bovins, chien...) et de son extension géographique (Etats-Unis, Suède, Israël, Japon...). Puis la découverte en 2015 d’un risque d’encéphalites mortelles dues à ce virus chez des propriétaires d’écureuils multicolores ou de Prévost en Allemagne (ces NAC n’étant pas autorisés en France), suivie par la confirmation en 2018 que ce virus pouvait provoquer d’autres cas d’encéphalites mortelles chez l’Homme, ont démontré le rôle zoonotique qui fut longtemps controversé de ce virus [26, 27].
Risque zoonotique lié aux visites de fermes pédagogiques et aux «petting zoos»
La mode des visites de fermes pédagogiques est relativement récente en France par comparaison avec les pays anglo-saxons. C’est peut-être la raison pour laquelle nous n’avons jamais connu les épisodes dramatiques rencontrés en Amérique du Nord ou au Royaume-Uni chez de très jeunes enfants contaminés par des colibacilles entérotoxinogènes provoquant un syndrome hémolytique et urémique (SHU) particulièrement grave (fig. 4, [28]). De même, relativement récemment, on a pu observer dans certains zoos des emplacements spécialement aménagés (appelés «petting zoos» par les Anglo-Saxons) pour permettre aux enfants d’être en contact étroit avec des animaux domestiques ou d’origine sauvage pour les caresser (chèvres, moutons, daims, etc.). Depuis quelques années, de nombreuses publications signalent l’importance croissante du risque de zoonose dans ces conditions et l’urgence à les prévenir par des mesures strictes de biosécurité vis-à-vis des agents suivants : Escherichia coli O157:H7, Salmonella, Coxiella burnetti, Mycobacterium tuberculosis, Campylobacter et les dermatophytes agents de teignes (cf. tableau 1). Face à ces risques émergents liés aux visites de fermes pédagogiques et aux «petting zoos», l’Académie vétérinaire de France a adopté un avis sur ce sujet le 6 novembre 2008.

* zones aménagées dans les zoos pour un contact étroit entre les enfants et des animaux de la ferme
** VIAFP H7N2 : virus influenza aviaire faiblement pathogène de sous-type H7N2

Médecine humaine, médecine vétérinaire et médecine environnementale : une seule santé
Ces exemples de maladies émergentes témoignent que nous ne serons jamais à l’abri de nouvelles maladies émergentes et que la faune sauvage est souvent impliquée du fait de l’action de l’Homme qui a perturbé leur écosystème, notamment par une modification de leur environnement ou leur chasse en vue de leur consommation. La mise en évidence, chez les Chiroptères, de coronavirus pouvant provoquer deux épidémies comme le Sras à partir de 2002 puis la Covid-19 en 2019 doit nous amener à reconsidérer nos stratégies de prévention de ces endémies en évitant le risque de contamination par une cohabitation trop étroite avec les chauves-souris par modification de leur écosystème et leur consommation. Les répercussions médicales, économiques et médiatiques de la pandémie due à la Covid-19 démontrent l’importance à accorder à l’étude des coronavirus chez les Chiroptères mais aussi à protéger ces espèces, dont certaines sont insectivores et fort utiles dans la lutte contre les insectes. Il faut aussi éviter les possibilités de transfert de certains virus émergents vers l’Homme par le mélange de plusieurs espèces d’animaux sauvages ou domestiques vendus le plus souvent vivants sur les marchés asiatiques, véritables chaudrons réservoirs de virus et centres d’amplification pour les infections émergentes. Il faut espérer que l’interdiction des marchés d’animaux vivants, et plus particulièrement d’animaux sauvages, sera maintenue avec rigueur en Chine. Cela impliquera une importante modification des habitudes alimentaires dans plusieurs régions chinoises. L’important est de maintenir un écosystème favorable à tous, animaux sauvages ou domestiques et l’Homme. Il n’y a qu’une seule santé dans un seul monde où interviennent la médecine humaine, la médecine vétérinaire et l’environnement. C’est pourquoi il est nécessaire de mettre en œuvre de manière opérationnelle le concept Une seule santé/One Health, à toutes les échelles. Ce concept transdisciplinaire doit être pris en considération dans la stratégie nationale pour la biodiversité, dans la stratégie de l’Union européenne en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030 et au niveau des organisations internationales compétentes, y compris celles en charge de l’environnement et de la biodiversité, avec la création d’un Haut Conseil de la santé placé auprès du secrétariat général des Nations Unies.
[2] Brugère-Picoux J., Chomel B. Risques d’introduction et voies d’importation de maladies infectieuses exotiques en Europe par les animaux ou les produits d’origine animale. Bull Acad Natl Méd. 2009, 193 (8):1805-1818.
[3] Brugère-Picoux J. Installation de la tique Hyalomma marginatum en Europe du Nord. La Dépêche Vétérinaire. 2019, 1496:14.
[4] Beard C.B., Occi J., Bonilla D.L., Egizi A.M., Fonseca D.M., Mertins J.W. et al. Multistate Infestation with the Exotic Disease-Vector Tick Haemaphysalis longicornis - United States, August 2017-September 2018. MMWR. 2018, 67:1310-1313.
[5] Brugère-Picoux J. Une zoonose émergente due au virus Usutu. La Dépêche Vétérinaire. 2018; 1443:14.
[6] Communiqué de l’Académie nationale de médecine et de l’Académie vétérinaire de France du 12 juin 2020, Cet été, les syndromes pseudo-grippaux ne seront pas tous des Covid-19.
[7] Zientara S., Beck C., Lecollinet S.Arboviroses émergentes : fièvre West Nile, fièvre catarrhale ovine et virus Schmallenberg. Bull Acad Natl Med. 2020 Sep 28. doi: 10.1016/j. banm.2020.09.041.
[8] Gür S., Kale M., Erol N., Yapici O., Mamak N., Yavru S. The First Serological Evidence for Rift Valley Fever Infection in the Camel, Goitered Gazelle and Anatolian Water Buffaloes in Turkey. Trop Anim Health Prod. 2017, 49:1531-1535.
[9] EFSA. Rift Valley Fever – Epidemiological Update and Risk of Introduction into Europe. 20 janvier 2020.
[10] Brugère-Picoux J. Covid-19 : origine de la zoonose et modes de contamination. Droit Animal, Ethique et Sciences. 2020, 105.
[11] Brugère-Picoux J. Covid-19 : une étude montre une circulation significative du virus chez des chats et chiens dont le propriétaire était infecté. La Dépêche Vétérinaire. 2020, 1542:12.
[12] Vaillancourt J.P., Brugère-Picoux J. Le virus Nipah, un exemple d’agent pathogène émergent. In Risques d’importation et d’implantation en Europe des maladies infectieuses exotiques. Brugère-Picoux J., Rey M., éditeurs. Paris, Lavoisier, 2010, 71-87.
[13] Luby S.P., Rahman M., Hossain M.J., Blum L.S., Husain M.M., Gurley E. et al. Foodborne Transmission of Nipah Virus, Bangladesh. Emerg Infect Dis. 2006, 12:1888-1894.
[14] Brugère-Picoux J. Pigeons. Quel risque pour notre santé ? Revue du Palais de la découverte. 2010, 368:34-43.
[15] Brugère-Picoux J. Rats en milieu urbain : des risques zoonotiques réels. La Dépêche Vétérinaire. 2018, 1435:12.
[16] Cabanel N., Bouchier C., Rajerison M., Carniel E. Plasmid-Mediated Doxycycline Resistance in a Yersinia pestis Strain Isolated from a Rat. Int J of Antimicrobial Agents. 2018 51(7):249-254.
[17] Brugère-Picoux J., Vaissaire J. Rôle de la faune sauvage dans la transmission aux animaux de rente des maladies non réglementées. Séance commune avec l’Académie vétérinaire de France, 2011.
[18] Brugère-Picoux J., Le Floc’h Soye Y. Importance de l’implication de la faune sauvage dans les zoonoses émergentes ou résurgentes. Bull Acad Natle Méd. 2014, 198:1411-1422.
[19] Fontbonne A. L’identification récente d’un cas de brucellose canine en élevage canin impose de ne pas l’oublier. 2020.
[20] Thompson R.C.A., Kutz S.J., Smith A. Parasite Zoonoses and Wildlife: Emerging Issues. Int J Environ Res Public Health. 2009, 6:678-693.
[21] Dupouy-Camet J., Yera H., Bourée P., Aliouat-Denis C.M. Zoonoses parasitaires d’origine alimentaire à réservoir sauvage en France : aspects en santé publique. Epidémiol et santé anim. 2017, 71:25-34.
[22] Chomel B., Sun B. Zoonosis in the bedroom. Emerg Infect Dis. 2011, 17(2):167-172.
[23] Fédération vétérinaire européenne, 2018.
[24] Colomb-Cotinat M., Le Hello S., Rosières X., Lailler R., Weill F.X., Jourdan-Da Silva N. Salmonelloses chez des jeunes enfants et exposition aux reptiles domestiques : investigation en France métropolitaine en 2012. Bull Epidémiol Hebd. 2014, 1-2.
[25] Angot M., Labbe F., Duquesnoy A., Le Roux P. Co-infection rotavirus-Salmonella lié aux tortues : à propos de deux cas de zoonoses domestiques. Archives de Pédiatrie. 2017, 24:747-748.
[26] Brugère-Picoux J. Ecureuil multicolore et écureuil de Prévost : risque zoonotique lié au bornavirus VSBV-1. La Dépêche Vétérinaire. 2017, 1383:11.
[27] Brugère-Picoux J. Maladie de Borna des chevaux et du mouton : une zoonose émergente provoquant des encéphalites mortelles en Allemagne. La Dépêche Vétérinaire. 2020, 1513:12.
[28] Brugère-Picoux J. Le risque de zoonose inhérent aux visites de fermes pédagogiques. Bull Soc Vét Prat de France. 2010, 94:25-33.
Patrice Debré
Professeur émérite d’immunologie à Sorbonne Université, membre de l’Académie nationale de médecine

La science doit-elle être laissée au seul pouvoir des scientifiques professionnels ? La recherche médicale, et plus particulièrement la recherche clinique, celle liée aux soins, a permis dans quelques exemples limités que la société civile soit partie prenante de l’investigation scientifique. Certes la médecine s’y prête puisqu’il s’agit d’une science directement appliquée aux malades, c’est-à-dire à l’homme. Il est facile de concevoir qu’elle a pu faire germer le souhait d’une plus grande participation de la société, jusqu’à conduire elle-même les recherches qui la concernait. Faut-il étendre le modèle pour introduire plus encore les attentes de la société dans la réflexion et la mise en œuvre des programmes scientifiques, ce qui ne peut se faire au mieux qu’en l’associant aux investigateurs ? A travers les recherches sur l’homme, l’histoire nous apprend que la participation de la société civile a pu s’exercer au moins à trois niveaux : la programmation, le contrôle et la conduite des essais.
Les interfaces de l’homme avec les biotechnologies :
un contrôle d’amont par la société
Un certain nombre de techniques nouvelles, appliquées directement à la biologie humaine, ont nécessité des réflexions dont certaines participent du principe de précaution. Sans les reprendre ici, ni s’étendre sur leur utilisation, les unes découlent de modification possible du vivant par greffes (dont les xénogreffes), par thérapie cellulaire (dont les techniques d’implantation des cellules souches), par thérapie génique ; les autres, d’interfaces hommes-machines telles que proposées entre le cerveau et les exosquelettes. Ces diverses techniques, par les modifications qu’elles peuvent entraîner in vivo, ont fait l’objet de débats, parfois contradictoires, sur leur utilisation. Au-delà, il est apparu que la biologie, donc les biotechnologies, allant plus vite que l’homme, il fallait instaurer une réflexion éthique sur leur application possible. Ce fut à l’origine du Comité consultatif national d’éthique.
Le consentement éclairé : un contrôle d’aval par l’individu
Le consentement éclairé est un des moyens par lesquels l’individu contrôle les programmes qui le concerne. Les premières réflexions à ce sujet remontent au procès des Médecins de Nuremberg qui s’est ouvert le 9 décembre 1946. Il s’agissait de juger des expérimentations dites médicales des bourreaux nazis qui, sous prétexte de tester la résistance humaine à divers types d’agression, s’étaient livrés à toutes sortes d’exactions jusqu’à la mort. Les prévenus se justifiaient en disant que la science a ses propres droits et que l’imagination en recherche ne doit pas avoir de bornes. Le jugement, outre les peines individuelles, établit pour la première fois des règles encadrant les recherches sur l’homme et introduisit une notion essentielle, celle d’un consentement, dit éclairé, par celui qui participait à de telles recherches.
Pendant plus de trente ans, ce code est resté lettre morte. Ainsi aux Etats-Unis, pays qui avait fourni les juges du procès de Nuremberg et édicté les lois réglementaires, de nombreuses exactions furent pratiquées. Dans des pénitenciers ou des institutions spécialisées, telles celles pour enfants handicapés, des recherches traumatisantes furent effectuées sans la moindre information ni recueil de consentement de ceux qui les subissaient. Les sujets testés étaient les représentants de minorités – les noirs, les pauvres, les prisonniers, les indigents –, qu’on payait parfois de quelques dollars. Des études étaient conduites avec le concours de l’Armée et de la CIA, sans aucun respect de la personne, consistant à administrer du LSD ou des drogues hallucinogènes dix fois plus fortes que le permettait leur tolérance, des substances carcinogènes telle la dioxine, principe actif de l’agent orange, ou des molécules radioactives. A Tuskegee en Alabama, des recherches indignes sur la syphilis s’étalèrent sur quarante ans en accord avec l’Université, dans le but de connaître l’évolution naturelle, donc sans traitement, de la maladie. Aucun des patients ne fut traité par la pénicilline, même après que cet antibiotique ait fait preuve de son efficacité en 1940. En échange de leur résignation, ils recevaient un repas par jour et 1000 $ pour leurs funérailles, à condition qu’on puisse effectuer leur autopsie.
En France, il fallut attendre la fin des années quatre-vingt et un scandale qui prit le nom d’affaire d’Amiens pour que l’opinion publique s’émeuve à la suite d’expérimentations douteuses chez un malade dans le coma. Il devint évident qu’il fallait légiférer. Ce manquement à l’éthique et au respect de la personne conduisit à une loi qui fut proposée par les sénateurs Huriet et Sérusclat. Celle-ci aboutit à l’obligation d’une information à communiquer au patient sur les conditions des recherches et au recueil de son acceptation, en même temps qu’étaient créés des comités d’éthique qui veillaient à l’application des recherches. Le malade, objet des recherches, à travers son consentement, en effectuait règlementairement le contrôle.
Des investigations conduites par la société civile : un nouveau modèle
Une étape supplémentaire fut franchie par la mise en place d’un nouveau modèle permettant à des membres de la société civile de participer directement aux recherches comme investigateurs principaux et d’accéder à différents organes de la gouvernance scientifique. Cela fut mis en œuvre à l’occasion de l’épidémie de sida par un long processus qui date du début des années quatre-vingt. Qui ne se souvient de ces années terribles où les décès se multipliaient après infection par le VIH ? Les malades et leurs proches étaient à l’affût d’informations sur les possibilités thérapeutiques et les avancées de la recherche. Or les connaissances sur la maladie et son évolution, au-delà des souffrances et des morts, se limitaient à celles provenant du milieu médical, très souvent parcellaires. Les fausses rumeurs voisinaient avec des hypothèses parfois sans grand rationnel et aggravaient l’inquiétude. Des associations de lutte furent ainsi créées, cherchant à développer un mouvement favorisant la cause des malades et, en premier lieu, le droit à l’information. Où la trouver ? Les malades se retournaient vers les associations, les associations vers les médecins, les médecins vers les politiques, mais la boucle s’arrêtait là. Faute d’information, les malades, c’est-à-dire les associations de lutte, se mirent eux-mêmes à la tâche, cherchant à tirer des renseignements des journaux médicaux, apprenant la médecine sur le tas, au gré des informations glanées.
Lorsqu’à la fin des années quatre-vingt, le Gouvernement décida de créer une agence de recherche sur le sida, l’ANRS, c’est tout naturellement que les associations se retournèrent vers elle, et tout particulièrement Act Up-Paris, à l’occasion d’un zap, happening emblématique dont ils avaient l’habitude. Rapidement et de manière organisée, l’Agence prit l’habitude de communiquer des informations régulières sur l’état des recherches. Ce fut pour les militants un moyen aussi de connaître l’existence et la nature des essais soutenus par les équipes françaises et de suivre l’évolution des avancées thérapeutiques. Ils apprirent ainsi la méthodologie des essais et, d’un pas de plus, cherchèrent à les examiner. A travers l’analyse des bulletins d’information et des consentements éclairés, les associations en vinrent à recevoir et interroger les principaux investigateurs des essais thérapeutiques sur leurs hypothèses, les résultats attendus, leurs chances de succès. Progressivement, leur position devint officielle : leur avis était demandé sur les protocoles thérapeutiques avant leur soumission règlementaire aux comités d’éthique. Mais la participation des militants associatifs aux recherches ne s’arrêta pas là. Ils avaient successivement obtenu le partage d’informations – première étape – et un droit de regard sur les protocoles de recherche, depuis leur concept jusqu’à leur mise en place – deuxième étape. L’intégration à la démarche scientifique et le partenariat avec les chercheurs allèrent plus loin encore.
D’abord, les associations obtinrent de participer à certaines commissions scientifiques qui évaluaient et interclassaient les projets de recherche soumis à financement. Certes, cela resta limité aux investigations qui se déroulaient dans les pays à ressources limitées, mais cette responsabilité avait une importance qui n’était pas que symbolique : elle apportait le regard des communautés de patients chez qui s’effectuaient les recherches, pour les juger et les financer.
D’autre part, les militants, donc la société civile, furent conviés à conduire eux-mêmes les recherches en tant qu’investigateurs principaux. Cette étape supplémentaire de participation directe aux activités scientifiques débuta dans des circonstances particulières. Il s’agissait de tester une hypothèse : l’utilisation d’un traitement préventif contre le VIH pendant les quelques jours encadrant les prises de risque. Les militants associatifs étaient les mieux à même de recruter des volontaires pour participer aux essais. Au-delà et pour notre propos, une telle initiative démontrait que la science pouvait se pratiquer par des investigateurs qui n’étaient pas des professionnels. De là à faire participer la société civile, et non plus seulement les scientifiques, à la gouvernance de cet établissement de recherche qu’est l’ANRS, il n’y avait plus qu’un pas... qui fut à nouveau franchi. La direction de l’Agence, donc des stratégies de recherche, associa les militants aux divers organes de la gouvernance. Des sièges furent offerts aux représentants associatifs, déjà présents dans certaines commissions d’évaluation, pour participer également au conseil d’orientation, équivalent de conseil d’administration, et au conseil scientifique de l’ANRS.
L’intégration de la société civile à l’Agence, à toutes les étapes de la recherche, depuis la conduite d’activités de recherche clinique jusqu’à la participation à la gouvernance d’une institution de recherche, a constitué de l’avis de tous un des plus grands succès de cet établissement. Une de ses particularités aussi puisque le modèle ne fut reproduit nulle part ailleurs dans les sciences médicales, sauf à moindre degré dans le cas des maladies rares. Ce mode d’intégration de la société civile est cependant en cours de réflexion aujourd’hui à l’Inserm pour sa recherche clinique.
En conclusion, à travers ces différents temps de la recherche sur l’homme, il est apparu qu’il ne pouvait y avoir de science qui lui soit appliquée sans qu’il puisse être partie prenante, sans que la société puisse avoir un regard sur les applications de la science et sans offrir la possibilité aux représentants de la société civile d’être partenaires de sa démarche. Une telle initiative devrait s’appliquer aujourd’hui à l'un des principaux enjeux de la lutte contre le Sars-CoV-2 : la vaccination. Pour une adhésion à son emploi et une compréhension des défis, la communication à son propos doit être relayée et prise en charge par ceux à qui cette mesure de prévention s’adresse. Mais auparavant, il faut que cette mesure capitale pour l’individu et l’épidémie soit bien comprise. On en revient au rôle de l’Afas, et son rôle dans la mise en place et aussi mise en œuvre d’une science participative.

