Changement climatique, le GIEC persiste et signe

Alain Foucault

Professeur émérite du Muséum national d’histoire naturelle (Paris)
 

L’idée que les activités humaines puissent être la cause de changements climatiques a fait l’objet d’innombrables controverses. Pourtant, dès la fin du XIXe siècle, le Suédois Svante Arrhenius (1859-1927) avait montré que l’introduction de dioxyde de carbone dans l’atmosphère devait augmenter la température globale. Dans un travail détaillé publié en 1896, il donne des détails quantitatifs sur ce phénomène. Il reprend pour cela les travaux du géologue Arvid Högbom (1857-1940), publiés en suédois deux ans plus tôt, qui mettent l’accent sur le rejet dans l’atmosphère de dioxyde de carbone par l’utilisation du charbon. Ce que l’on retient surtout dans la publication d’Arrhenius, ce sont ses calculs concernant l’échauffement de la surface de la Terre en fonction de différentes concentrations de l’atmosphère en dioxyde de carbone. Pour un doublement de cette concentration, il évalue cet échauffement entre 5 et 6°C selon les latitudes (valeurs qu’il réduit à 4°C en moyenne en 1908). Plus d’un siècle plus tard, les calculs ont donné des valeurs identiques (entre 2 et 5°C).

En 1908, le même Arrhenius, dans une autre publication, Worlds in the Making, revient sur les émissions de dioxyde de carbone dans l’air du fait de notre utilisation du charbon, et ses conséquences découlant de ce qui est aujourd’hui désigné comme l’effet de serre. Il constate que cette utilisation s’accroît rapidement. Alors qu’on a consommé 510 millions de tonnes de charbon en 1890, cette quantité est passée à 550 millions en 1894, à 690 en 1899, et à 890 en 1904. D’après lui, les cinq sixièmes du dioxyde de carbone correspondant ont été capturés par l’océan, mais il reconnaît que «[…] le faible pourcentage de dioxyde de carbone dans l’atmosphère pourrait être changé substantiellement au cours de quelques siècles par un progrès des industries». Cela ne l’inquiète pas, au contraire, car, dit-il : «Par l’action d’un pourcentage croissant de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, nous pouvons espérer jouir de temps ayant des climats meilleurs et plus équilibrés, spécialement en ce qui concerne les régions les plus froides de la terre, temps où la terre nous offrira des récoltes beaucoup plus abondantes qu’aujourd’hui pour le bien d’une humanité rapidement croissante».

Aujourd’hui, si nous suivons Arrhenius dans ses conclusions physiques, nous ne partageons pas son optimisme concernant les conséquences du réchauffement. Ses idées ont cheminé et ont été reprises et discutées à diverses occasions, sans vraiment inquiéter jusqu’à ce que le GIEC les reprenne.

Rappelons que le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) a été créé en 1988 par l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) pour évaluer les informations d’ordres scientifique, technique et socio-économique nécessaires à la compréhension des changements climatiques d’origine humaine et de leurs conséquences. Il est articulé en trois groupes de travail. Le groupe de travail I évalue les aspects scientifiques du système climatique et de l’évolution du climat, le groupe de travail II s’occupe des questions concernant la vulnérabilité des systèmes socio-économiques et naturels aux changements climatiques, les conséquences négatives et positives de ces changements et les possibilités de s’y adapter, et le groupe de travail III évalue les solutions envisageables pour limiter les émissions de gaz à effet de serre ou atténuer de toute autre manière les changements climatiques. Depuis sa création, il a publié cinq rapports comportant des milliers de pages, à la rédaction desquelles ont participé des centaines de spécialistes. Si ces rapports sont bien difficiles à lire, ils sont tous précédés d’un abrégé pour les décideurs (Summary for Policymakers) qui, en quelques pages, en résume l’essentiel.

Cette année 2021 doit voir la publication de son 6e rapport dont, le 8 août, il vient de donner la première partie constituée par les travaux du groupe I. Gros de près de quatre mille pages, sa lecture n’est pas une sinécure malgré un net effort de présentation, d’autant plus que la version actuellement disponible est encore sous une forme provisoire. Il faut donc se référer au résumé pour les décideurs, qui donne une idée de son contenu.

Alors que le groupe I du GIEC prend grand soin de présenter ses conclusions avec leur probabilité plus ou moins grande, il ouvre son rapport par la phrase suivante : «Il est sans équivoque que l’activité humaine a réchauffé l’atmosphère, l’océan et les continents». C’est dire combien il veut convaincre ! Pour lui, cette activité est responsable, entre autres, de l’augmentation de la concentration de l’atmosphère en gaz à effet de serre (+45% de CO2 depuis 1850), de l’augmentation de la température globale (de l’ordre de 1°C depuis 1850), de l’augmentation des précipitations, de la retraite générale des glaciers depuis les années quatre-vingt-dix, de la montée du niveau des mers de 20 cm depuis 1901, du déplacement vers les pôles des zones climatiques et du renforcement des événements météorologiques extrêmes. Sous beaucoup d’aspects, l’échelle des changements climatiques observés est sans précédent depuis des centaines ou même des milliers d’années.

En ce qui concerne l’avenir du climat, on ne peut le prévoir, par modélisation, qu’en élaborant des scénarios d’émission de gaz à effet de serre, à l’image de ce que le GIEC a fait depuis le début de ses travaux. Aujourd’hui, dans tous les scénarios imaginés, la température de surface du globe continuera à monter jusqu’au moins le milieu du siècle. Par rapport à la période 1850-1900, la température devrait augmenter d’ici la fin du siècle selon les scénarios d’émission de gaz à effet de serre, de 1 à 1,8°C (scénario optimiste), de 2,1 à 3,5°C (scénario moyen) ou de 3,3 à 5,7°C (scénario pessimiste). Autant dire qu’il y a bien des chances que l’on dépasse une augmentation de 1,5°C avant la fin du siècle ou même avant, et plus cette augmentation sera forte, plus sera grand le risque d’événements extrêmes.

Ces chiffres sont des moyennes pour tout le globe, mais la répartition géographique des réchauffements sera très inégale. Ainsi, les régions arctiques devraient se réchauffer trois fois plus vite que la moyenne, avec comme conséquences une fonte des glaciers et du pergélisol et une réduction de la banquise et des surfaces enneigées. D’ailleurs, c’est une des nouveautés principales de ce rapport de nous faire voir les modifications régionales grâce à de nombreux tableaux et figures.

Il est clair que pour limiter ces changements, il faudrait limiter nos émissions de gaz à effet de serre, principalement notre consommation en combustibles fossiles. Mais même avec ces efforts, des changements climatiques seront irréversibles à l’échelle du siècle ou même du millénaire, notamment ceux qui concernent l’océan, les glaces et le niveau des mers.

Ainsi, dans ses aspects scientifiques, le GIEC consolide dans ce 6e rapport les conclusions de ses rapports précédents. Il y ajoute cependant une foule de détails dont l’ensemble constitue une mine pour les climatologues. Il nous reste à attendre la publication des deux autres groupes de travail qui nous indiqueront comment ils pensent que l’on peut lutter contre le changement climatique et/ou s’y adapter.