Rapport de l’Unesco sur la science : Une course contre la montre pour un développement plus intelligent

Jean-François Cervel

Commission nationale française pour l’Unesco, IGAENR
 

Rapport de l'Unesco pour la science 2021L’Unesco vient de publier la septième édition du Rapport mondial sur la science. La précédente édition datait de 2015. Comme à l’accoutumée, ce rapport fait un tour d’horizon très complet sur le développement de la recherche scientifique et sur les politiques conduites en ce domaine par les différents pays du monde.
Le rapport lui-même est un très gros volume (non traduit en français) qui comporte trois parties :

1ère partie : The shifting landscape for scientists: a collection of essays
– What the Covid-19 pandemic reveals about the evolving landscape of scientific advice
– Covid-19: from crisis management to sustainable solutions
– The time for openscience is now
– Scientific literacy: an imperative for a complex world
– The integration of refugee and displaced scientists creates a win-win situation
– Global standards now exist for a healthy ecosystem of research and innovation

2e partie : Global trends
– The race against time for smarter development
– Are we using science for smarter development?
– To be smart, the digital revolution will need to be inclusive

3e partie : A closer look at countries and regions

Le résumé exécutif reprend, en français, la partie « Une course contre la montre pour un développement plus intelligent ».
Il apporte d’abord un large ensemble de chiffres clés.

Les dépenses pour la recherche ont augmenté de 19,2% entre 2014 et 2018 alors que le PIB mondial a augmenté de 14,8%. Trente pays ont augmenté leurs dépenses au cours de cette période mais le principal de cette croissance est dû à la Chine (puis Etats-Unis, puis Europe). En 2018, 87% des dépenses de recherche se concentraient dans trois régions du monde : Asie de l’Est et du Sud-Est (40%, avec Chine, Japon, Corée), Amérique du Nord (27%) et Union européenne (19%).
La répartition de ces dépenses a évolué. Quelques exemples en pourcentage du total mondial :

  • Etats-Unis : 27,1 à 26,1
  • Union européenne : 19,6 à 18,7
  • Russie : 1,6 à 1,3
  • Chine : 21,2 à 24,8
  • Corée du Sud : 4,6 à 4,9
  • Japon : 9,7 à 8,2
  • Inde : 2,9 à 3,1
  • Brésil : 2,4 à 1,9

Quelques exemples du pourcentage du PIB du pays consacré à la recherche et développement :

  • Israël : 4,95
  • Corée : 4,53
  • Japon : 3,26
  • Allemagne : 3,09
  • Etats-Unis : 2,84
  • France : 2,20
  • Chine : 2,19
  • Union européenne : 2,02
  • Bresil : 1,26
  • Russie : 0,99
  • Inde : 0,65
  • Etats arabes : 0,59

Quatre-vingts pays consacrent moins de 1% de leur PIB à la recherche et 93% de la recherche mondiale est assurée par les pays du G20.

Le nombre de chercheurs dans le monde a augmenté de 13,7% entre 2014 et 2018. Il est aujourd’hui de 8,854 millions, dont 23,5% dans l’Union européenne, 21,1% en Chine et 16,2% aux Etats-Unis. Seulement un tiers des chercheurs sont des femmes.
Quelques exemples du nombre de chercheurs par million d’habitants et leur évolution entre 2014 et 2018 :

  • Corée : 6826 à 7980
  • Japon : 5328 à 5331
  • Allemagne : 4321 à 5212
  • France : 4324 à 4715
  • Etats-Unis : 4205 à 4412
  • Union européenne : 3493 à 4069
  • Russie : 2784 à 3075
  • Monde : 1245 à 1368
  • Chine : 1089 à 1307
  • Etats arabes : 682 à 736

Par-delà ces chiffres, le rapport souligne d’abord une harmonisation des priorités. Tous les pays ont conscience de l’importance de la science pour la modernité et la compétitivité économique. Tous privilégient une transition vers des sociétés numériques et vertes. Pour cela, tous les gouvernements élaborent de nouveaux instruments pour faciliter le transfert de technologies vers le secteur industriel.

Malgré la priorité verte, les sciences de la durabilité demeurent marginales au niveau mondial et il est difficile de placer tous les secteurs de développement dans la perspective des objectifs de développement durable.

La pandémie a stimulé les systèmes de production de connaissances. Mais, en lien avec l’évolution du paysage géopolitique, elle a suscité un débat concernant la manière de préserver les intérêts stratégiques en matière de commerce et de technologie. Il est possible que le découplage entre les Etats-Unis et la Chine oblige les autres régions du monde à choisir entre deux blocs technologiques de plus en plus distincts.

L’industrie 4.0 est une priorité commune. L’intelligence artificielle et la robotique ont dominé la production scientifique mondiale en 2018-2019, y compris dans les pays à bas revenu. De nombreux gouvernements y consacrent des programmes stratégiques, de la Corée au Cameroun en passant par l’Indonésie ou l’Afrique du Sud. La course à l’intelligence artificielle s’accélère (cf. Vladimir Poutine : « La personne qui prendra les rênes en ce domaine dirigera le monde »).

La volonté de développer simultanément la transition verte et le développement numérique nécessite de très gros investissements (énergie, données, transports…), avec souvent des programmes globaux tels le projet de Société 5.0 développé au Japon, le programme Horizon Europe pour l’Union européenne ou la stratégie russe pour le développement de la science et de la technologie à l’horizon 2035. Certains pays en développement font aussi de très gros efforts, tels les Emirats arabes unis avec un programme spatial important, 2379 chercheurs par million d’habitants et une forte collaboration internationale.

Dans ce contexte, la propriété intellectuelle et les brevets font l’objet d’une grande attention alors que le secteur privé finance une part importante de la recherche et développement (78% au Japon, 76% en Corée). Les startups font souvent l’objet de rachats par les grands groupes (exemple : Israël). Les publications scientifiques augmentent dans de nombreux pays et le paysage de l’édition scientifique évolue (Union européenne : 28,6%, Chine : 24,5%, Etats-Unis : 20,5%).

La collaboration scientifique internationale se poursuit mais se développe aussi un marché des talents lucratif.

Le rapport préconise un renforcement de l’investissement dans les sciences face à la multiplication des crises.

Il se termine par un examen détaillé des pays et des régions du monde : Canada, Etats-Unis, Caricom, Amérique latine, Brésil, Union européenne, Europe du Sud-Est, AELE, Pays du bassin de la mer Noire, Fédération de Russie, Asie centrale, Iran, Israël, Etats arabes, Afrique de l’Ouest, Afrique centrale et orientale, Afrique australe, Asie du Sud, Inde, Chine, Japon, République de Corée, Asie du Sud-Est et Océanie, et comporte des tableaux chiffrés globaux.

Quelques commentaires

Le rapport est un ensemble complexe, quelquefois un peu confus et répétitif dans sa présentation.
L’essentiel des données concernent l’année 2018. De ce fait, l’impact de l’épidémie de coronavirus, même s’il est fréquemment abordé, ne peut encore être évalué.
La compétition scientifique et technologique internationale est évoquée mais de manière dispersée alors qu’elle est évidemment un élément majeur aujourd’hui (données, cyberguerre, spatial, armement…) et que l’ambiguïté collaboration/compétition est flagrante en de nombreux domaines.
Les rôles respectifs du secteur privé et du secteur public sont bien mis en lumière, même si les différences sont grandes en ce domaine entre les différents pays.