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Bernard Calvino

Professeur honoraire en neurosciences à la faculté des sciences de Créteil et à l’Ecole supérieure de physique et de chimie industrielles de la Ville de Paris
 

Résumé

Selon la définition élaborée par l’International Association for the Sudy of Pain (IASP), la douleur est une «expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à un dommage tissulaire réel ou potentiel, ou décrite en termes d’un tel dommage». La complexité de cette définition rend compte de la complexité de la notion de douleur. On distingue quatre mécanismes possibles de douleurs : une lésion périphérique (coupure, brûlure, fracture...), une inflammation chronique, une lésion du système nerveux ou une douleur en l’absence de toute cause objective (douleur idiopathique ou nociplastique). La durée d’évolution de la douleur est aussi fondamentale et l’on distingue une douleur aiguë, douleur de courte durée (post-chirurgicale, post-lésionnelle...), d’une douleur chronique (douleur qui excède trois à six mois).

D’un point de vue clinique, la douleur aiguë, douleur-symptôme, est un véritable «signal d’alarme». D’installation récente, elle est utile car elle permet au médecin d’établir son diagnostic : elle est la plupart du temps d’origine traumatique, mécanique et/ou inflammatoire, et met en jeu essentiellement une composante émotionnelle réactionnelle. Son traitement étiologique est primordial et l’évolution de cette douleur se fait généralement vers une guérison de la lésion initiale. Sa prise en charge se fait avec des antalgiques, selon les trois paliers de l’OMS (palier 1 : paracétamol, anti-inflammatoires non stéroïdiens ; palier 2 : association d’un antalgique de palier 1 avec un opioïde faible tel que tramadol ou codéïne ; palier 3 : opioïde fort, morphine ou un dérivé de synthèse), avec une bonne efficacité.

Les mécanismes générateurs des douleurs aiguës, douleurs par excès de nociception qui résultent de la lésion des tissus périphériques, mettent en jeu le passage de la nociception (mécanismes neurophysiologiques de genèse et transmission par les afférences sensorielles périphériques de l’influx nociceptif jusqu’au cerveau) à la douleur aiguë (mécanismes psychophysiologiques, sensation ressentie). D’un point de vue neurophysiologique, la cascade d’évènements conduisant à l’intégration des informations douloureuses met en jeu des récepteurs (nocicepteurs périphériques), des nerfs sensoriels périphériques (constitués par les fibres sensorielles primaires de fin diamètre, myélinisées – fibres Aδ – ou non myélinisées – fibres C) ; puis, après un relais synaptique dans la corne dorsale de la moelle épinière, des voies médullaires ascendantes constituées par les neurones spino-thalamiques et spino-réticulo-thalamiques ; des relais dans l’encéphale intégrant ces informations douloureuses (principalement au niveau du noyau thalamique ventro-postéro-latéral ; mais aussi de la substance réticulée et du système limbique) ; et enfin des sites de projection corticaux (cortex somesthésiques primaire et secondaire, mais aussi insulaire, cingulaire et préfrontal). Ainsi, des nocicepteurs périphériques au cortex somatosensoriel, les voies de la nociception sont caractérisées par un réseau ascendant de trois neurones. Il existe en parallèle à ce réseau des voies diffuses pour l’information codant la perception émotionnelle de la douleur, mises en évidence grâce aux techniques d’imagerie en IRM fonctionnelle, qui constituent ce que l’on a appelé la «matrice de la douleur» impliquant des régions corticales et sous-corticales hautement interconnectées entre elles. La complexité de la compréhension des bases neurophysiologiques de la douleur vient en grande partie de cette multiplicité des voies spinales ascendantes et des nombreuses structures de projection de l’encéphale qui contribuent toutes à la genèse de la douleur.


 
Selon la définition de l’IASP (International Association for the Study of Pain), la douleur aiguë est une expérience sensorielle et émotionnelle résultant des stimulations dites «nociceptives» (susceptibles de remettre en cause l’intégrité de l’organisme), c’est-à-dire de haute intensité, qui déclenchent une cascade d’évènements physiologiques conduisant à l’intégration des informations codant les différents aspects de la douleur. Le prolongement dans le temps de la douleur aiguë conduit au développement d’une douleur chronique lorsqu’elle se prolonge au-delà de trois mois. La douleur perd alors sa signification de signal d’alarme pour évoluer vers un syndrome chronique.
Les douleurs chroniques peuvent être en rapport avec plusieurs causes, soit des douleurs par excès de nociception prolongées (inflammation, sensibilisation des nocicepteurs...), soit des douleurs neuropathiques (neuropathies périphériques consécutives à une lésion de nerfs sensoriels périphériques, ou neuropathies centrales, lésions de structures relais du système nerveux central). Il y a aussi des douleurs mixtes, douleurs par excès de nociception et douleurs neuropathiques, par exemple dans le cas des douleurs cancéreuses. Enfin ont été considérées plus récemment par l’IASP (2018) les douleurs dites nociplastiques (autrefois répertoriées comme douleurs idiopathiques, sans lésion ni cause objective) qui résultent de la plasticité du système nerveux central susceptible de modifier les systèmes de contrôle de la douleur et d’engendrer ainsi des douleurs sans cause apparente (par exemple la fibromyalgie).
La douleur peut être modulée en fonction de la situation psychologique du sujet, mais aussi en fonction de son environnement (affectif, socio-culturel, ethnologique, religieux...). Cette modulation résulte de la mise en jeu de contrôles inhibiteurs exercés par des structures spinales et supra-spinales (corticales ou sous-corticales) par l’intermédiaire des voies inhibitrices descendantes.
D’un point de vue physiologique, la cascade d’évènements conduisant à la genèse et à l’intégration des informations douloureuses s’inscrit dans un chapitre de la neurophysiologie sensorielle, la somesthésie (qui regroupe la physiologie sensorielle de la sensibilité tactile cutanée mais aussi des muscles, des tendons, des articulations et des viscères) et répond au même schéma fonctionnel que toutes les autres fonctions sensorielles.

La douleur nociceptive aiguë résulte de la mise en jeu de la triade : lésion-inflammation-douleur. Les informations nociceptives à l’origine de la douleur aiguë sont générées à la périphérie par la lésion qui va être à l’origine d'une inflammation : de nombreuses molécules, constituant la «soupe inflammatoire», sont synthétisées et libérées par les cellules lésées des tissus périphériques, les terminaisons nerveuses et les cellules immunocompétentes activées qui migrent dans le foyer inflammatoire et sont à l’origine de la composante inflammatoire de la douleur. Ces molécules sont susceptibles d’activer et/ou de sensibiliser les nocicepteurs périphériques, du fait que leurs récepteurs sont exprimés par les terminaisons nerveuses des fibres périphériques nociceptives de petit diamètre (fibres Aδ, C) des nerfs sensoriels (dans lesquels on trouve aussi les fibres non nociceptives de la sensibilité tactile légère de gros diamètre, fibres Aβ), qui n’interviennent pas dans la transmission de l’information douloureuse.
Ces fibres Aδ et C sont les axones des neurones sensoriels primaires dont le corps cellulaire est localisé dans le ganglion de la racine dorsale (GRD). Elles génèrent et conduisent l’information sensorielle jusqu’à la corne dorsale de la moelle épinière (CDME). Ainsi, une stimulation nociceptive met ainsi en jeu les nocicepteurs périphériques. Les nocicepteurs ne répondent qu’à des stimulations nociceptives (mécanonocicepteurs ; thermonocicepteurs au chaud et au froid ; chémonocicepteurs, qui répondent aux molécules algogènes de la soupe inflammatoire ; nocicepteurs polymodaux, qui répondent à plusieurs modalités de stimulations). Dans la CDME, les neurones nociceptifs post-synaptiques (neurones de deuxième ordre) reçoivent les terminaisons centrales des neurones périphériques (neurones de premier ordre). Leurs axones sont à l’origine des voies médullaires appelées ascendantes parce qu’elles conduisent le message nerveux douloureux aux différents noyaux relais dans le cerveau, où sont intégrées ces informations douloureuses. Les axones des neurones nociceptifs de deuxième ordre de la CDME constituent les faisceaux médullaires ascendants qui projettent leur information à différents niveaux supraspinaux. On distingue quatre principaux sites supraspinaux de projection :

  • les noyaux du thalamus ventro-postéro-latéral (VPL), noyaux spécifiques de la sensibilité tactile et de la nociception, à l’origine de la composante sensori-discriminative de la douleur ;
  • des sites de projection bulbaires (noyau gigantocellulaire) et mésencéphaliques (substance grise périaqueducale et noyau cunéiforme), structures relais pour l’information nociceptive véhiculée par le faisceau spino-réticulo-thalamique jusqu’au thalamus médian non spécifique ;
  • l’hypothalamus intervient dans le contrôle des réactions végétatives de la douleur mais aussi dans la libération d’hormones intervenant dans le contrôle du stress (axe hypothalamo-hypophysaire corticotrope, dont la stimulation aboutit à la libération plasmatique des hormones glucocorticoïdes) ;
  • le complexe amygdalien, structure du système limbique, intervient dans les réactions affectives et émotionnelles de la douleur.

Ces sites de projection sont constitués de neurones de troisième ordre, d’où partent des projections vers différentes aires corticales et les interactions entre ces aires sont nombreuses :

  • les neurones du thalamus VPL projettent leurs axones vers les aires des cortex somesthésiques primaire S1 et secondaire S2 (cortex spécifiques de la somesthésie et de la nociception) : les caractéristiques du message nociceptif y sont décodées, permettant la genèse de la perception de la sensation douloureuse (qualité, localisation, intensité, durée) ;
  • différents noyaux de l’encéphale impliqués dans la douleur projettent leurs axones vers les aires corticales préfrontales, le cortex insulaire et le cortex cingulaire antérieur, impliqués dans les réactions émotionnelles plus élaborées à la douleur et qui jouent un rôle fondamental dans la composante émotionnelle et cognitive de la douleur, l’ensemble constituant la «matrice de la douleur».

La complexité de la compréhension des bases neurophysiologiques de la douleur vient en grande partie de la multiplicité des voies ascendantes localisées dans la moelle épinière, des nombreuses structures de projection du tronc cérébral et de l’encéphale qui contribuent toutes à la genèse de la douleur, et à sa modulation qui résulte de la mise en jeu de contrôles exercés par des structures spinales et supraspinales.
On distingue deux principales catégories de systèmes physiologiques de contrôle de la douleur :

1- Les contrôles segmentaires spinaux de la CDME, qui est un lieu d’intégration et pas seulement un relais de transmission de l’information douloureuse entre les fibres sensorielles périphériques et les structures supraspinales. La mise en jeu des contrôles segmentaires spinaux a été modélisée par Melzack et Wall en 1965 dans leur «théorie du portillon» (gate control theory). Ce modèle repose sur l’équilibre d’une balance entre deux types d’activités d’origine segmentaire périphérique exercées sur les neurones nociceptifs non spécifiques : les unes sont activatrices, véhiculées par les fibres nociceptives de petit diamètre ; les autres sont inhibitrices, véhiculées par les fibres non nociceptives de la sensibilité tactile légère de gros diamètre. La douleur n’est ressentie que lorsque la balance penche en faveur des activités excitatrices. L’activation des fibres non nociceptives fermerait le portillon et bloquerait la transmission de l’information nociceptive vers les structures de la douleur dans l’encéphale (idée associée à une analgésie) ; l’activation des fibres nociceptives ouvrirait le portillon et favoriserait la transmission de l’information nociceptive vers les structures de la douleur dans l’encéphale (idée associée à la sensation de douleur). Dans le modèle du «gate control», le mécanisme de régulation spinal est lui-même soumis à des contrôles descendants d’origine supraspinale (voir ci-dessous).

2- Les contrôles inhibiteurs descendants (CID) issus de structures du tronc cérébral dont l’origine est la substance grise périaqueducale, SGPA, mésencéphalique : la stimulation de ces neurones et de ceux des structures en aval sérotoninergiques (neurones des noyaux du raphé magnus, des noyaux paragigantocellulaire et gigantocellulaire de la medulla rostro-ventrale, RVM) est à l’origine d’effets analgésiques résultant de la mise en jeu de voies descendantes exerçant un contrôle inhibiteur sur les neurones nociceptifs non spécifiques de la CDME, bloquant la transmission des messages nociceptifs. Les axones descendants de ces neurones se projettent à tous les différents segments de la moelle épinière (du segment cervical au segment sacré) dans la corne dorsale de la moelle. On y associe les systèmes de contrôles inhibiteurs descendants noradrénergiques (neurones du locus coeruleus et du locus subcoeruleus), qui fonctionnent sur le même modèle. D’où l’utilisation de molécules ayant une action centrale à la fois sérotoninergique et noradrénergique, comme certains antidépresseurs, pour obtenir des effets analgésiques dans la douleur chronique neuropathique, qui renforcent ces CID.

Mais des contrôles facilitateurs descendants (CFD) proalgiques, également issus du tronc cérébral, ont été décrits exacerbant les conséquences d’une stimulation nociceptive au niveau de la moelle épinière. Une stimulation de la RVM à des intensités élevées déclenche des effets analgésiques (cf. ci-dessus), mais, à des intensités plus faibles dans la même région, déclenche des effets facilitateurs proalgiques, avec une discrimination anatomique entre des sites inhibiteurs antalgiques et d’autres facilitateurs proalgiques. L’équilibre entre ces deux systèmes descendants concurrents CID et CFD déterminerait in fine le degré global d’excitabilité du réseau de neurones dans la CDME, degré qui à son tour modulerait la transmission de l’information douloureuse vers les structures nerveuses centrales de l’encéphale. Lorsque les deux systèmes sont à l’équilibre, l’organisme est dans un état d’homéostasie physiologique qui se traduit par un état de bien-être. Lorsque cet équilibre est rompu en faveur des CFD, l’état de bien-être disparaît au profit d’un état douloureux systémique, ce qui pourrait être le cas par exemple dans la fibromyalgie.

En conclusion, la douleur aiguë est un processus complexe résultant de l’expérience sensorielle d’une sensation émotive déplaisante et chacun d’entre nous est unique face à sa douleur. La définition de l’IASP présente l’avantage de parler d’une expérience émotionnelle et pas seulement d’une sensation mesurable. Le soulagement de la douleur est un problème qui va bien au-delà de la mise en jeu de réseaux de neurones car il prend aussi en compte les facteurs de chacun dans la globalité de sa personnalité. On ne peut réduire la douleur au seul aspect anatomo-physiologique de la nociception, car fondamentalement la prise en charge thérapeutique et clinique de la douleur et son traitement ont pour but non pas seulement de soulager cette douleur mais aussi d’apaiser l’homme douloureux.

 

Voir le PowerPoint de la présentation de B. Calvino (© 2021 B. Calvino, tous droits réservés) du 10 décembre 2021 dans le cadre des «Rencontres franco-tunisiennes : Autour de la science» organisées en partenariat avec le Palais des sciences de Monastir.
Calvino B. Physiologie moléculaire de la douleur, Ed. Douin, 2019, 256 p.
Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
 

cerf de Virginie

Pendant l’année 2021, le cerf de Virginie (Odocoileus virginianus) a fait l’objet de plusieurs études témoignant du risque lié à un réservoir animal potentiel du Sars-CoV-2, voire de mutation de ce virus chez l’animal pouvant compromettre la protection immunitaire vaccinale ou naturelle chez l’Homme. Ces études ont été principalement réalisées aux Etats-Unis, où cette espèce est trop abondante et parfois très répandue près des zones urbaines.

Sensibilité du cerf de Virginie démontrée expérimentalement en 2021

En premier lieu, ce fut une étude expérimentale réalisée aux Etats-Unis par Palmer et al. [1] sur la sensibilité de ce cerf de Virginie, que l’on pouvait suspecter du fait des similitudes entre l’ACE2 de ce cerf et celle de l’Homme. Quatre jeunes faons ont été inoculés par la voie intranasale avec une souche de Sars-CoV-2. Les symptômes de ces quatre faons ont été discrets mais ils ont montré une excrétion virale qui a permis de contaminer deux autres faons (non inoculés) par contact [1].

Premières publications à la fin de l’année 2021 de la forte contamination par le Sars-CoV-2 du cerf de Virginie aux Etats-Unis

A la suite de cette expérience, l’équipe de Chandler a proposé, en janvier 2021, de lancer un programme pilote pour surveiller des cerfs de Virginie dans le cadre du programme de surveillance des agents pathogènes dans la faune sauvage du département américain de l’Agriculture [2]. L’étude a concerné des cerfs de Virginie vivant à l’état sauvage dans quatre Etats (Michigan, Pennsylvanie, Illinois et New York) avant et après la pandémie, soit 385 sérums prélevés de janvier à mars 2021. 239 sérums prélevés pendant la période prépandémique et le début de la pandémie de 2011 à 2020 (dont 182 sérums datant de 2018 à 2020) dans le cadre officiel du programme américain d’épidémiosurveillance de la faune sauvage ont été aussi étudiés pour comparer les résultats obtenus. Un fort taux d’anticorps neutralisants a été observé chez 152 cervidés prélevés en 2021 (soit 40% des animaux testés).
Cette étude de Chandler correspond à des données sérologiques et non à l’isolement du virus. Le premier isolement du Sars-CoV-2 chez un cerf de Virginie dans l’Ohio a été annoncé aux médias le 27 août 2021 par le département de l’Agriculture du Gouvernement américain (USDA) [3].

A la suite des premiers résultats de l’équipe de Chandler, Kuchipudi et ses collaborateurs [4] ont recherché aussi l’ARN du Sars-CoV-2 dans les ganglions lymphatiques rétropharyngés de 283 cerfs de Virginie (151 vivant en liberté et 132 en captivité) d'avril 2020 à janvier 2021 dans l'Iowa : 94 échantillons se sont révélés positifs, soit 32,2%. Les premiers échantillons de 2020 (7 en avril, 4 en mai, 4 en juin) se sont révélés négatifs, puis progressivement les pourcentages d’animaux positifs ont augmenté (2 sur 39 en septembre soit 5%, 4 sur 66 en octobre soit 6%, 22 sur 55 en novembre soit 29%, 61 sur 75 en décembre soit 81%, puis l’ensemble des 5 échantillons de janvier 2021). Pour la première fois, la possibilité d’une persistance du virus dans la faune sauvage par transmission intra-espèce pouvant représenter un risque pour l’Homme en retour est alors évoquée chez le cerf de Virginie.

Une autre étude a permis de montrer la sensibilité et la transmission du Sars-CoV-2 chez le cerf de Virginie adulte après une inoculation expérimentale avec la souche virale sévissant aux Etats-Unis (Sars-CoV-2/human/USA/WA1/2020) ou le virus variant alpha [5]. Une transmission par contact avec des animaux témoins ainsi que la possibilité d’une transmission verticale (de la mère au fœtus) ont été démontrées.

Une enquête a été aussi réalisée au Texas sur 54 échantillons sanguins provenant de cerfs de Virginie prélevés entre janvier et février 2021 [6]. Les chercheurs ont découvert des anticorps neutralisants chez 20 cervidés, soit 37% des animaux prélevés. Les cerfs mâles (15 individus) étaient plus atteints que les femelles (5 individus). Il y avait une forte différence selon l’âge des animaux testés : le taux le plus élevé a été observé dans le groupe de cerfs âgés d’un an et demi (82%) mais le faible nombre d’animaux testés (11 dont 9 positifs) ne permet pas de conclure.

Enfin, une étude plus récente acceptée par la revue scientifique Nature (Hale et al. [7]) confirme cette fréquente infection du cerf de Virginie aux Etats-Unis dans le nord-est de l’Ohio après la première identification du virus dans cette espèce fin août 2021 [3] et le risque d’un réservoir animal sauvage du Sars-CoV-2. Dans cette étude, le virus Sars-CoV-2 a été détecté par rRT-PCR chez 129 individus à partir de 360 écouvillonnages nasaux réalisés entre janvier et mars 2021 sur neuf sites différents dans l’Ohio. Plus du tiers (35,8%) des animaux testés ont été positifs, avec des variations de 13,5% à 70% dans les neuf sites. Les quatre sites les plus infectés correspondaient à la partie nord de la zone échantillonnée, qui était adjacente à des zones urbaines présentant les densités les plus élevées de population humaine.
Il a été possible d’étudier le génome complet de 14 virus isolés entre le 26 janvier 2021 et le 25 février 2021 sur six sites parmi les neuf étudiés. Il a été aussi possible d’isoler deux virus Sars-CoV-2 viables dans les échantillons collectés, témoignant de la possibilité d’une transmission inter-espèces dans la population de cerfs.
Par ailleurs, il faut noter que les prélèvements sur les cerfs ont été réalisés environ six semaines après le pic de la pandémie de l’hiver 2020-2021 dans l’Ohio, qui a été dominée par la souche virale B.1.2. (plus de 50% des cas humains). Ils ont ont permis d’identifier trois souches virales de Sars-CoV-2 (B.1.2, B.1.582 et B.1.596, dont aucune ne correspond à un virus variant préoccupant). La lignée virale B.1.2. a été détectée sur quatre sites. Un autre lignée mineure, B.1.596 (correspondant à 11% des virus humains), a été identifiée dans sept échantillons de cerfs sur un site. Une lignée plus rare, B.1.582 (environ 1% des virus humains), a été identifiée dans deux échantillons de cerfs sur un autre site. Les virus variants alpha (B.1.1.7) et delta (B.1.617.2) n’ont pas été détectés car ils se sont propagés dans la population humaine seulement après février 2021.
Cette étude a permis de conclure à une contamination probable d’origine humaine mais aussi par la suite à une infection active ou récente des cervidés lors de la grande vague de l'hiver dernier. Il s’agit d’une alerte sur le risque de transmission du virus de la Covid-19 par l’Homme à une espèce animale sauvage lorsque celle-ci est proche de zones urbaines. La forte prévalence observée témoigne aussi d’un risque de persistance du virus au sein d’une espèce sensible, voire d’une mutation virale pouvant être préoccupante, et nécessite de surveiller le cerf de Virginie comme d’autres espèces animales dont on connaît la sensibilité. Ces programmes de surveillance de la santé humaine, de la santé animale et de l’environnement s’avèrent essentiels dans le contexte «Une seule santé» pour contrôler la pandémie qui sévit actuellement pour éviter une contamination en retour de l’Homme à partir d’un réservoir animal.

Le CDC d’Atlanta (ou plus exactement l'ensemble des «Centers for Disease Control and prévention» des Etats-Unis) recommande des mesures de biosécurité vis-à-vis de la faune sauvage pouvant être suspecte d’une infection par le Sars-CoV-2 [8]).

Cerfs de Virginie au Canada

C’est vraisemblablement à la suite des publications américaines ci-dessus que le Canada a entrepris de surveiller les cerfs de Virginie sur son territoire. Les premiers résultats obtenus au Québec ont permis de découvrir pour la première fois trois animaux positifs sur les 156 premiers prélèvements réalisés entre le 6 et le 8 novembre 2021 [9]. Ces animaux ne présentaient aucun symptôme et une surveillance concernant 2700 cervidés est prévue sur le territoire canadien. Cette surveillance est aussi prévue chez d’autres espèces de la faune sauvage (martres, belettes, loutres, ratons laveurs et mouffettes) qui, jusqu’à présent pour les 900 échantillons testés, ne se sont pas révélées positives.

Conclusion

Il s’agit d’une alerte sur le risque de transmission du virus de la Covid-19 par l’Homme à une espèce animale sauvage lorsque celle-ci est proche de zones urbaines. La forte prévalence observée témoigne aussi d’un risque de persistance du virus au sein d’une espèce sensible, voire d’une mutation virale pouvant être préoccupante, et nécessite de surveiller le cerf de Virginie comme d’autres espèces animales dont on connaît la sensibilité.

 

[1] Palmer MV, Martins M, Falkenberg S, Buckley A, Caserta LC, Mitchell PK, et al. Susceptibility of White-Tailed Deer (Odocoileus virginianus) to SARS-CoV-2. Gallagher T, éditeur. J Virol [Internet]. 10 mai 2021 [cité 3 juill 2021];95(11). Disponible sur : https://journals.asm.org/doi/10.1128/JVI.00083-21.
[2] Chandler JC, Bevins SN, Ellis JW, Linder TJ, Tell RM, Jenkins-Moore M, et al. SARS-CoV-2 exposure in wild white-tailed deer (Odocoileus virginianus). Proc Natl Acad Sci. 23 nov 2021;118(47):e2114828118.
[3] Agence Reuters. U.S. reports world’s first deer with COVID-19. 2021.
[4] Kuchipudi SV, Surendran-Nair M, Ruden RM, Yon M, Nissly RH, Nelli RK, et al. Multiple spillovers and onward transmission of SARS-Cov-2 in free-living and captive White-tailed deer (Odocoileus virginianus) [Internet]. Microbiology. 2021 nov [cité 3 nov 2021]. Disponible sur : http://biorxiv.org/lookup/doi/10.1101/2021.10.31.466677.
[5] Cool K, Gaudreault NN, Morozov I, Trujillo JD, Meekins DA, McDowell C, et al. Infection and transmission of ancestral SARS-CoV-2 and its alpha variant in pregnant white-tailed deer [Internet]. Microbiology. 2021 août [cité 2 sept 2021]. Disponible sur: http://biorxiv.org/lookup/doi/10.1101/2021.08.15.456341.
[6] Palermo PM, Orbegozo J, Watts DM, Morrill JC. SARS-CoV-2 Neutralizing Antibodies in White-Tailed Deer from Texas. Vector-Borne Zoonotic Dis [Internet]. 10 déc 2021 [cité 14 déc 2021]; Disponible sur : https://www.liebertpub.com/doi/full/10.1089/vbz.2021.0094.
[7] Hale VL, Dennis PM, McBride DS, Nolting JM, Madden C, Huey D, et al. SARS-CoV-2 infection in free-ranging white-tailed deer. Nature [Internet]. 23 déc 2021 [cité 30 déc 2021]; Disponible sur : https://www.nature.com/articles/s41586-021-04353-x.
[8] CDC Atlanta. Reducing the Risk of SARS-CoV-2 Spreading between People and Wildlife.
[9] ProMED-mail. Coronavirus Disease 2019 Update (413): Animal, Canada, Wild Deer [Internet]. ProMED. 2021 [cité 3 janv 2022]. Disponible sur : https://www.cbc.ca/news/science/covid-white-tailed-deer-quebec-1.6269947.

Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
 

Le premier article, publié dans The Lancet, est celui de scientifiques chinois qui soulignent l’importance de découvrir l’origine du SARS-CoV-2 pour la prévention d’une pandémie [1]

Historiquement, l'émergence des maladies infectieuses chez l'Homme a souvent été liée à une faille dans la barrière d’espèce profitant à des agents pathogènes d'origine animale. Une origine naturelle du SARS-CoV-2 est de loin le scénario le plus probable. Mais on n’a pas pu le confirmer, ce qui explique les différentes hypothèses évoquées à propos de son origine. Bien que la souche RaTG13, présente dans le laboratoire de virologie de Wuhan depuis 2013, soit très proche de ce virus, elle en est suffisamment éloignée pour conclure qu’elle joue un rôle dans l’origine du SARS-CoV-2, notamment par échappement de ce laboratoire.

L’étude du SARS-CoV-2 circulant indique que la structure de son génome rappelle beaucoup les souches hébergées par des animaux sauvages, notamment chez des chauves-souris étudiées au Cambodge, en Thaïlande, au Japon, dans les zones frontalières du sud-ouest de la Chine, ainsi qu’en Malaisie chez des pangolins capturés dans les zones de contrebande. Mais on n’a pas encore identifié le SARS-CoV-2 chez un animal alors que l’on sait maintenant que ce virus peut infecter de nombreuses espèces de mammifères (visons, civettes, chats, pangolins, lapins, furets, renards, cerfs, etc.).

Des virus de la famille du SARS-CoV-2 peuvent donc franchir la barrière d’espèce. Il est certain que cela se soit produit à de nombreuses reprises mais avec des échecs et sans provoquer obligatoirement une épidémie.
Les auteurs rappellent que ce n’est pas parce que la maladie a été identifiée à Wuhan qu’il s’agit du lieu géographique à l’origine du SARS-CoV-2. Enfin, ils soulignent l’importance d’étudier les possibilités d’hôtes intermédiaires potentiels du virus sur une plus grande variété d'espèces animales dans le monde.

Le second article correspond à une étude franco-laotienne (Instituts Pasteur de Paris et du Laos) en cours d’évaluation par la revue Nature [2]

Les chercheurs de l’Institut Pasteur du Laos rapportent l’identification de trois coronavirus isolés en 2020 chez des chauves-souris fer à cheval (Rhinolophus) dans le nord du Laos, qui se révèlent plus proches du SARS-CoV-2 que la souche chinoise RaTG13 isolée en 2013 dans une mine de cuivre du Yunnan au sud-ouest de la Chine. Cette étude a concerné 645 chauves-souris, dont 539 prélèvements de fèces en vue de la recherche d’un ARN viral. Les trois virus ayant présenté une homologie avec le SARS-CoV-2 ont été dénommés BANAL (bat pour chauve-souris en anglais et anal car les virus ont été isolés à partir de prélèvements rectaux). Il s’agit des virus BANAL-52 BANAL-103 et BANAL-236, respectivement isolés chez R. malayanus, R. pusillus et R. marshalli.

Depuis le SRAS en 2003 puis surtout la Covid-19, les études concernant les SARS-related coronavirus (SARSr-CoV) hébergés par les chauves-souris se sont multipliées, en particulier pour rechercher des virus proches du SARS-CoV-2, principalement en Chine mais aussi au Japon, au Cambodge, en Thaïlande et au Laos. Cette recherche s’avère essentielle pour déterminer l’origine de la Covid-19 et éviter de nouvelles épidémies.

Le choix du site dans le nord du Laos par des chercheurs de l’Institut Pasteur se justifie du fait qu’il s’agit d’une région proche du Yunnan (rappelons que la souche RaTG13 a été isolée dans une ancienne mine à la suite d’une étude ayant concerné six cas de pneumonies humaines suspectes car semblables à la Covid-19) chez des personnes étant entrées dans cette mine pour y nettoyer les déjections de chauves-souris. Le foyer d’origine du SARS-CoV-2 pourrait être apparu dans cette région située autour du Mékong. Il s’agit de la région du Triangle d’or, région montagneuse d'Asie du Sud-Est, aux confins du Laos, de la Birmanie et de la Thaïlande, mais aussi pour certains également une partie du Vietnam et le Yunnan chinois. Dans cette région, de nombreux animaux sauvages sont commercialisés sur les marchés de village traditionnels, où les règles d'hygiène sont négligées. Or le commerce d'espèces sauvages vivantes ainsi que les personnes fréquentant les grottes (chasse de chauves-souris, récolte de guano, tourisme...) favorisent l’exposition à la transmission zoonotique d’un coronavirus.

Les chercheurs ont logiquement comparé les trois virus «BANAL» à la souche RaTG13 considérée comme la plus proche du SARS-CoV-2 du fait de 96,2% d’homologie avec le génome de ce virus. Or le virus BANAL-52 s’avérait pour la première fois encore plus proche, avec 96,85% d’homologie. Mais il fallait aussi comparer les possibilités d’interaction entre le virus et la cellule hôte. Rappelons que la glycoprotéine de surface S (spicule ou spike) du virus s’attache à la cellule hôte grâce à l’interaction entre le receptor binding domain (RBD) de cette protéine S et l’angiotensin-converting enzyme 2 (ACE2), un récepteur situé à la surface de la membrane cellulaire de l’hôte. La fusion membranaire ainsi obtenue permet l’entrée du virus dans la cellule. Or le RBD de la souche RaTG13 ne présente qu’une faible affinité de liaison avec l’ACE2 humain (11 sur les 17 acides aminés dans la souche RaTG13 peuvent interagir avec l’ACE2 humain). Dans le cas du coronavirus BANAL-52, 16 acides aminés sur 17 interagissent avec l’ACE2 humain.

Mais ce virus BANAL-52 ne peut être considéré comme un ancêtre de la souche pandémique du SARS-CoV-2, même si, selon les chercheurs, ce virus semble avoir le même potentiel d'infecter les humains que les premières souches de SARS-CoV-2. Il faut aussi noter que ces virus sont dépourvus d’une séquence particulière, dénommée «site de clivage de la furine», que possède en revanche le SARS-CoV-2 et qui joue un rôle majeur dans la fusion entre les membranes virale et cellulaire, ainsi que dans la transmission du virus.

Cette étude souligne le rôle probable joué par les chauves-souris et peut-être d'autres animaux vivant en étroite collaboration avec celles-ci, mais montre également les «risques inhérents au commerce d'animaux sauvages vivants». Elle confirme aussi la nature diversifiée attendue des chauves-souris infectant les coronavirus et augmente les preuves de la possibilité d’événements naturels de risque de transmissions zoonotiques des chauves-souris aux humains. Il y aurait eu une recombinaison entre différents virus plutôt qu’une simple évolution d'une seule lignée sur une longue période.

Mais on ignore toujours où ces recombinaisons génétiques entre les souches de chauves-souris ont pu avoir lieu, de même que les circonstances qui ont permis le franchissement de la barrière d’espèce de la chauve-souris à l’Homme, par l’intermédiaire ou non d’un hôte intermédiaire.

Le troisième article, en prépublication, concerne une stratégie pour évaluer le risque de débordement des coronavirus liés au SRAS des chauves-souris en Asie du Sud-Est [3]

Les auteurs appartenant à EcoHealth Alliance ont essayé de quantifier le risque zoonotique lié aux SARSr-CoVs en Chine et en Asie du Sud et du Sud-Ouest, considérées comme les points chauds potentiels pour les infections humaines. Ils considèrent qu’il y a une sous-estimation des risques d’exposition de l’Homme à ces virus.

Ils ont identifié 23 espèces de chauves-souris pouvant héberger des SARSr-CoVs, en particulier des Rhinolophidae et des Hipposideridae, l’espèce Rhinolophus affinis étant la plus fréquente. Les pays concernés ont été le Laos, le Cambodge, la Birmanie (Myanmar), le sud-est de la Chine et les îles à l’ouest de l’Indonésie, soit 478 millions de personnes sur 4,5 millions de km2. Après une étude sur le terrain et une recherche bibliographique permettant d’évaluer les risques de contact entre l’Homme et les chauves-souris, les auteurs aboutissent à un risque de coronavirose pour 407 422 personnes chaque année. Il est vraisemblable qu’un nouveau foyer d’infection lié à un SARSr-CoV apparaissant régulièrement dans ces régions n’est pas obligatoirement rapporté pour expliquer cette sous-estimation du fait du manque d’une surveillance systématique. Par exemple, la surveillance des encéphalites causées par le virus Nipah mise en place dans les cliniques au Bangladesh a permis d’observer des épidémies avec un taux de mortalité d'environ 70% alors que cette maladie n’y avait été décrite que récemment. Il est probable qu’un agriculteur du Myanmar n’ira pas consulter dans une clinique s’il tousse un peu. Il peut s’agir aussi de cas limités à une zone géographique isolée. Enfin, les symptômes peuvent être bénins sans évolution vers une épidémie importante.

Les auteurs soulignent aussi les données manquantes concernant les animaux hôtes intermédiaires (ou amplificateurs) pouvant jouer un rôle dans le franchissement de la barrière d’espèce de ces SARSr-CoVs. On connaît le rôle que peuvent avoir joué les civettes dans l’émergence du SRAS. Mais on ne sait toujours rien sur les hôtes intermédiaires ou amplificateurs du SARS-CoV-2 (civettes ?, pangolins ?...). Cependant on connaît la forte sensibilité à ce virus des visons et des chiens viverrins élevés en grande quantité en Chine pour leur fourrure, qui pourraient jouer un rôle de transmetteur comme on l’a constaté en Europe pour les visons d’élevage.

Pour estimer le risque réel au SARS-CoV-2, une enquête concernant les espèces animales réservoirs (chauves-souris) ou sensibles (animaux sauvages et hôtes intermédiaires potentiels, élevés et commercialisés sur les marchés chaque année) ainsi que le risque de forte exposition de l’Homme à ces espèces animales pouvant être réservoirs du SARS-CoV-2 est nécessaire dans ces zones géographiques.

Le dernier article, publié dans Cell, concerne les origines du SARS-CoV-2 [4]

Cet article souligne l’intérêt de comprendre l’origine de l’émergence du SARS-CoV-2 face à deux hypothèses : un virus échappé d’un laboratoire ou une émergence zoonotique. Pour la majorité des scientifiques, il s’agit d’un événement zoonotique par comparaison avec les précédentes épidémies de coronavirus associées au marché des animaux vivants. La recherche des contacts du SARS-CoV-2 sur les marchés de Wuhan présente des similitudes frappantes avec la propagation précoce du SARS-CoV sur les marchés du Guangdong, où les humains infectés au début de l'épidémie vivaient à proximité ou travaillaient sur des marchés d'animaux.

Il n'y a actuellement aucune preuve que le SARS-CoV-2 ait pour origine une fuite provenant d’un laboratoire. Il s’agit d’une coïncidence car le virus a été détecté pour la première fois dans une ville qui abrite un grand laboratoire virologique qui étudie les coronavirus. Wuhan est la plus grande ville du centre de la Chine, avec plusieurs marchés d'animaux, et est une plaque tournante majeure pour les voyages et le commerce, bien connectée à d'autres régions, à la fois en Chine et à l'étranger. Le lien avec Wuhan reflète donc plus vraisemblablement le fait que les agents pathogènes nécessitent souvent des zones fortement peuplées pour s'établir.

Bien que le réservoir animal du SARS-CoV-2 n'ait pas été identifié et que les espèces clés n'aient peut-être pas été découvertes contrairement à d'autres scénarios, il existe un ensemble de preuves scientifiques soutenant une origine zoonotique. Bien que la possibilité d'un accident de laboratoire ne puisse être entièrement écartée, cette voie d'émergence est hautement improbable par rapport aux nombreux contacts répétés entre l'homme et l'animal qui se produisent régulièrement dans le commerce des espèces sauvages.

Conclusion sur ces quatre articles

Ils ne font que confirmer les alertes de certains scientifiques que nous avions constatées après le SRAS et, avant 2019, à propos des SARSr-CoVs, pour exemple celle ci-dessous datant de 2015 :
 

NOUVEAU CORONAVIRUS SIMILAIRE À SARS-CoV ?


Nombreux coronavirus isolés chez la chauve-souris
Dr Ralph Baric (université de Caroline du Nord) :
Mise en garde très récente contre un nouveau coronavirus SHC014-CoV isolé chez la chauve-souris, qui se réplique comme le virus SARS-CoV dans des cellules primaires de poumon humain.

Transmission interhumaine ?
Parmi les très nombreux coronavirus dans les populations de chauves-souris, certains d’entre eux ont le potentiel à émerger comme des agents pathogènes humains.

ON NE SAIT SI CERTAINS DE CES CORONAVIRUS SERONT À L’ORIGINE D’UNE NOUVELLE ÉPIDÉMIE MAIS LES VIROLOGISTES SOULIGNENT QU’IL FAUT PRÉVOIR QUAND ET COMMENT S’Y PRÉPARER POUR Y FAIRE FACE.

Menachery et al. Nature Med, nov. 2015

 
Nous ne sommes donc pas à l’abri de nouvelles souches émergentes de SARSr-CoVs, qu’il convient de surveiller dans les «points chauds», comme c’est le cas pour les virus grippaux.

 

[1] Wu Z, Jin Q, Wu G, Lu J, Li M, Guo D, et al. SARS-CoV-2’s origin should be investigated worldwide for pandemic prevention. The Lancet. sept 2021;S0140673621020201.
[2] Temmam S, Vongphayloth K, Salazar EB, Munier S, Bonomi M, Régnault B, et al. Coronaviruses with a SARS-CoV-2-like receptor-binding domain allowing ACE2-mediated entry into human cells isolated from bats of Indochinese peninsula [Internet]. In Review; 2021 sept [cité 21 sept 2021]. Disponible sur: https://www.researchsquare.com/article/rs-871965/v1.
[3] Sánchez CA, Li H, Phelps KL, Zambrana-Torrelio C, Wang L-F, Olival KJ, et al. A strategy to assess spillover risk of bat SARS-related coronaviruses in Southeast Asia [Internet]. Epidemiology; 2021 sept [cité 16 sept 2021]. Disponible sur: http://medrxiv.org/lookup/doi/10.1101/2021.09.09.21263359.
[4] Holmes EC, Goldstein SA, Rasmussen AL, Robertson DL, Crits-Christoph A, Wertheim JO, et al. The origins of SARS-CoV-2: A critical review. Cell. 16 sept 2021;184(19):4848‑56.

Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
 

Gyromitre fausse morille – Toffel, CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons


 
Jusqu’en 1990, les fausses morilles (Gyromitra gigas) pouvaient encore être classées en tant que comestibles. Ce n’est plus le cas depuis 1991 en Europe.

Très récemment, nous apprenons que ces gyromitres pourraient être responsables d’une sclérose latérale amyotrophique (SLA) ou maladie de Charcot.

Cette découverte est due à une médecin généraliste qui alerta des spécialistes de cette maladie face à un nombre anormalement élevé de cas dans le village de Montchavin, près La Plagne (Savoie) : entre 1990 et 2018, quatorze cas de SLA ont été diagnostiqués dans ce village d’une centaine d’habitants. Une origine génétique et plusieurs facteurs environnementaux connus (plomb, autres contaminants chimiques dans le sol, eau, alimentation…) ont été éliminés. L’enquête a surtout révélé que tous les patients avaient ingéré des champignons sauvages, notamment des fausses morilles. La moitié des malades a signalé une maladie aiguë après la consommation de ces champignons.

Cette découverte soutient l'hypothèse que les génotoxines d'origine fongique peuvent induire une dégénérescence des motoneurones.

 

Lagrange E, Vernoux JP, Reis J, Palmer V, Camu W, Spencer PS. An amyotrophic lateral sclerosis hot spot in the French Alps associated with genotoxic fungi. J Neurol Sci. août 2021;427:117558.

Alain Foucault

Professeur émérite du Muséum national d'histoire naturelle (Paris)
 

L’idée que les activités humaines puissent être la cause de changements climatiques a fait l’objet d’innombrables controverses. Pourtant, dès la fin du XIXe siècle, le Suédois Svante Arrhenius (1859-1927) avait montré que l’introduction de dioxyde de carbone dans l’atmosphère devait augmenter la température globale. Dans un travail détaillé publié en 1896, il donne des détails quantitatifs sur ce phénomène. Il reprend pour cela les travaux du géologue Arvid Högbom (1857-1940), publiés en suédois deux ans plus tôt, qui mettent l’accent sur le rejet dans l'atmosphère de dioxyde de carbone par l'utilisation du charbon. Ce que l’on retient surtout dans la publication d’Arrhenius, ce sont ses calculs concernant l’échauffement de la surface de la Terre en fonction de différentes concentrations de l’atmosphère en dioxyde de carbone. Pour un doublement de cette concentration, il évalue cet échauffement entre 5 et 6°C selon les latitudes (valeurs qu’il réduit à 4°C en moyenne en 1908). Plus d’un siècle plus tard, les calculs ont donné des valeurs identiques (entre 2 et 5°C).

En 1908, le même Arrhenius, dans une autre publication, Worlds in the Making, revient sur les émissions de dioxyde de carbone dans l’air du fait de notre utilisation du charbon, et ses conséquences découlant de ce qui est aujourd’hui désigné comme l’effet de serre. Il constate que cette utilisation s’accroît rapidement. Alors qu’on a consommé 510 millions de tonnes de charbon en 1890, cette quantité est passée à 550 millions en 1894, à 690 en 1899, et à 890 en 1904. D’après lui, les cinq sixièmes du dioxyde de carbone correspondant ont été capturés par l’océan, mais il reconnaît que «[…] le faible pourcentage de dioxyde de carbone dans l’atmosphère pourrait être changé substantiellement au cours de quelques siècles par un progrès des industries». Cela ne l’inquiète pas, au contraire, car, dit-il : «Par l’action d’un pourcentage croissant de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, nous pouvons espérer jouir de temps ayant des climats meilleurs et plus équilibrés, spécialement en ce qui concerne les régions les plus froides de la terre, temps où la terre nous offrira des récoltes beaucoup plus abondantes qu’aujourd’hui pour le bien d’une humanité rapidement croissante».

Aujourd’hui, si nous suivons Arrhenius dans ses conclusions physiques, nous ne partageons pas son optimisme concernant les conséquences du réchauffement. Ses idées ont cheminé et ont été reprises et discutées à diverses occasions, sans vraiment inquiéter jusqu’à ce que le GIEC les reprenne.

Rappelons que le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) a été créé en 1988 par l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) pour évaluer les informations d’ordres scientifique, technique et socio-économique nécessaires à la compréhension des changements climatiques d’origine humaine et de leurs conséquences. Il est articulé en trois groupes de travail. Le groupe de travail I évalue les aspects scientifiques du système climatique et de l’évolution du climat, le groupe de travail II s’occupe des questions concernant la vulnérabilité des systèmes socio-économiques et naturels aux changements climatiques, les conséquences négatives et positives de ces changements et les possibilités de s’y adapter, et le groupe de travail III évalue les solutions envisageables pour limiter les émissions de gaz à effet de serre ou atténuer de toute autre manière les changements climatiques. Depuis sa création, il a publié cinq rapports comportant des milliers de pages, à la rédaction desquelles ont participé des centaines de spécialistes. Si ces rapports sont bien difficiles à lire, ils sont tous précédés d’un abrégé pour les décideurs (Summary for Policymakers) qui, en quelques pages, en résume l’essentiel.

Cette année 2021 doit voir la publication de son 6e rapport dont, le 8 août, il vient de donner la première partie constituée par les travaux du groupe I. Gros de près de quatre mille pages, sa lecture n’est pas une sinécure malgré un net effort de présentation, d’autant plus que la version actuellement disponible est encore sous une forme provisoire. Il faut donc se référer au résumé pour les décideurs, qui donne une idée de son contenu.

Alors que le groupe I du GIEC prend grand soin de présenter ses conclusions avec leur probabilité plus ou moins grande, il ouvre son rapport par la phrase suivante : «Il est sans équivoque que l’activité humaine a réchauffé l’atmosphère, l’océan et les continents». C’est dire combien il veut convaincre ! Pour lui, cette activité est responsable, entre autres, de l’augmentation de la concentration de l’atmosphère en gaz à effet de serre (+45% de CO2 depuis 1850), de l’augmentation de la température globale (de l’ordre de 1°C depuis 1850), de l’augmentation des précipitations, de la retraite générale des glaciers depuis les années quatre-vingt-dix, de la montée du niveau des mers de 20 cm depuis 1901, du déplacement vers les pôles des zones climatiques et du renforcement des événements météorologiques extrêmes. Sous beaucoup d’aspects, l’échelle des changements climatiques observés est sans précédent depuis des centaines ou même des milliers d’années.

En ce qui concerne l’avenir du climat, on ne peut le prévoir, par modélisation, qu’en élaborant des scénarios d’émission de gaz à effet de serre, à l’image de ce que le GIEC a fait depuis le début de ses travaux. Aujourd’hui, dans tous les scénarios imaginés, la température de surface du globe continuera à monter jusqu’au moins le milieu du siècle. Par rapport à la période 1850-1900, la température devrait augmenter d’ici la fin du siècle selon les scénarios d’émission de gaz à effet de serre, de 1 à 1,8°C (scénario optimiste), de 2,1 à 3,5°C (scénario moyen) ou de 3,3 à 5,7°C (scénario pessimiste). Autant dire qu’il y a bien des chances que l’on dépasse une augmentation de 1,5°C avant la fin du siècle ou même avant, et plus cette augmentation sera forte, plus sera grand le risque d’événements extrêmes.

Ces chiffres sont des moyennes pour tout le globe, mais la répartition géographique des réchauffements sera très inégale. Ainsi, les régions arctiques devraient se réchauffer trois fois plus vite que la moyenne, avec comme conséquences une fonte des glaciers et du pergélisol et une réduction de la banquise et des surfaces enneigées. D’ailleurs, c’est une des nouveautés principales de ce rapport de nous faire voir les modifications régionales grâce à de nombreux tableaux et figures.

Il est clair que pour limiter ces changements, il faudrait limiter nos émissions de gaz à effet de serre, principalement notre consommation en combustibles fossiles. Mais même avec ces efforts, des changements climatiques seront irréversibles à l’échelle du siècle ou même du millénaire, notamment ceux qui concernent l’océan, les glaces et le niveau des mers.

Ainsi, dans ses aspects scientifiques, le GIEC consolide dans ce 6e rapport les conclusions de ses rapports précédents. Il y ajoute cependant une foule de détails dont l’ensemble constitue une mine pour les climatologues. Il nous reste à attendre la publication des deux autres groupes de travail qui nous indiqueront comment ils pensent que l’on peut lutter contre le changement climatique et/ou s’y adapter.

Jean-François Cervel

Commission nationale française pour l’Unesco, IGAENR
 

Rapport de l'Unesco pour la science 2021L’Unesco vient de publier la septième édition du Rapport mondial sur la science. La précédente édition datait de 2015. Comme à l’accoutumée, ce rapport fait un tour d’horizon très complet sur le développement de la recherche scientifique et sur les politiques conduites en ce domaine par les différents pays du monde.
Le rapport lui-même est un très gros volume (non traduit en français) qui comporte trois parties :

1ère partie : The shifting landscape for scientists: a collection of essays
– What the Covid-19 pandemic reveals about the evolving landscape of scientific advice
– Covid-19: from crisis management to sustainable solutions
– The time for openscience is now
– Scientific literacy: an imperative for a complex world
– The integration of refugee and displaced scientists creates a win-win situation
– Global standards now exist for a healthy ecosystem of research and innovation

2e partie : Global trends
– The race against time for smarter development
– Are we using science for smarter development?
– To be smart, the digital revolution will need to be inclusive

3e partie : A closer look at countries and regions

Le résumé exécutif reprend, en français, la partie « Une course contre la montre pour un développement plus intelligent ».
Il apporte d’abord un large ensemble de chiffres clés.

Les dépenses pour la recherche ont augmenté de 19,2% entre 2014 et 2018 alors que le PIB mondial a augmenté de 14,8%. Trente pays ont augmenté leurs dépenses au cours de cette période mais le principal de cette croissance est dû à la Chine (puis Etats-Unis, puis Europe). En 2018, 87% des dépenses de recherche se concentraient dans trois régions du monde : Asie de l’Est et du Sud-Est (40%, avec Chine, Japon, Corée), Amérique du Nord (27%) et Union européenne (19%).
La répartition de ces dépenses a évolué. Quelques exemples en pourcentage du total mondial :

  • Etats-Unis : 27,1 à 26,1
  • Union européenne : 19,6 à 18,7
  • Russie : 1,6 à 1,3
  • Chine : 21,2 à 24,8
  • Corée du Sud : 4,6 à 4,9
  • Japon : 9,7 à 8,2
  • Inde : 2,9 à 3,1
  • Brésil : 2,4 à 1,9

Quelques exemples du pourcentage du PIB du pays consacré à la recherche et développement :

  • Israël : 4,95
  • Corée : 4,53
  • Japon : 3,26
  • Allemagne : 3,09
  • Etats-Unis : 2,84
  • France : 2,20
  • Chine : 2,19
  • Union européenne : 2,02
  • Bresil : 1,26
  • Russie : 0,99
  • Inde : 0,65
  • Etats arabes : 0,59

Quatre-vingts pays consacrent moins de 1% de leur PIB à la recherche et 93% de la recherche mondiale est assurée par les pays du G20.

Le nombre de chercheurs dans le monde a augmenté de 13,7% entre 2014 et 2018. Il est aujourd’hui de 8,854 millions, dont 23,5% dans l’Union européenne, 21,1% en Chine et 16,2% aux Etats-Unis. Seulement un tiers des chercheurs sont des femmes.
Quelques exemples du nombre de chercheurs par million d’habitants et leur évolution entre 2014 et 2018 :

  • Corée : 6826 à 7980
  • Japon : 5328 à 5331
  • Allemagne : 4321 à 5212
  • France : 4324 à 4715
  • Etats-Unis : 4205 à 4412
  • Union européenne : 3493 à 4069
  • Russie : 2784 à 3075
  • Monde : 1245 à 1368
  • Chine : 1089 à 1307
  • Etats arabes : 682 à 736

Par-delà ces chiffres, le rapport souligne d’abord une harmonisation des priorités. Tous les pays ont conscience de l’importance de la science pour la modernité et la compétitivité économique. Tous privilégient une transition vers des sociétés numériques et vertes. Pour cela, tous les gouvernements élaborent de nouveaux instruments pour faciliter le transfert de technologies vers le secteur industriel.

Malgré la priorité verte, les sciences de la durabilité demeurent marginales au niveau mondial et il est difficile de placer tous les secteurs de développement dans la perspective des objectifs de développement durable.

La pandémie a stimulé les systèmes de production de connaissances. Mais, en lien avec l’évolution du paysage géopolitique, elle a suscité un débat concernant la manière de préserver les intérêts stratégiques en matière de commerce et de technologie. Il est possible que le découplage entre les Etats-Unis et la Chine oblige les autres régions du monde à choisir entre deux blocs technologiques de plus en plus distincts.

L’industrie 4.0 est une priorité commune. L’intelligence artificielle et la robotique ont dominé la production scientifique mondiale en 2018-2019, y compris dans les pays à bas revenu. De nombreux gouvernements y consacrent des programmes stratégiques, de la Corée au Cameroun en passant par l’Indonésie ou l’Afrique du Sud. La course à l’intelligence artificielle s’accélère (cf. Vladimir Poutine : « La personne qui prendra les rênes en ce domaine dirigera le monde »).

La volonté de développer simultanément la transition verte et le développement numérique nécessite de très gros investissements (énergie, données, transports...), avec souvent des programmes globaux tels le projet de Société 5.0 développé au Japon, le programme Horizon Europe pour l’Union européenne ou la stratégie russe pour le développement de la science et de la technologie à l’horizon 2035. Certains pays en développement font aussi de très gros efforts, tels les Emirats arabes unis avec un programme spatial important, 2379 chercheurs par million d’habitants et une forte collaboration internationale.

Dans ce contexte, la propriété intellectuelle et les brevets font l’objet d’une grande attention alors que le secteur privé finance une part importante de la recherche et développement (78% au Japon, 76% en Corée). Les startups font souvent l’objet de rachats par les grands groupes (exemple : Israël). Les publications scientifiques augmentent dans de nombreux pays et le paysage de l’édition scientifique évolue (Union européenne : 28,6%, Chine : 24,5%, Etats-Unis : 20,5%).

La collaboration scientifique internationale se poursuit mais se développe aussi un marché des talents lucratif.

Le rapport préconise un renforcement de l’investissement dans les sciences face à la multiplication des crises.

Il se termine par un examen détaillé des pays et des régions du monde : Canada, Etats-Unis, Caricom, Amérique latine, Brésil, Union européenne, Europe du Sud-Est, AELE, Pays du bassin de la mer Noire, Fédération de Russie, Asie centrale, Iran, Israël, Etats arabes, Afrique de l’Ouest, Afrique centrale et orientale, Afrique australe, Asie du Sud, Inde, Chine, Japon, République de Corée, Asie du Sud-Est et Océanie, et comporte des tableaux chiffrés globaux.

Quelques commentaires

Le rapport est un ensemble complexe, quelquefois un peu confus et répétitif dans sa présentation.
L’essentiel des données concernent l’année 2018. De ce fait, l’impact de l’épidémie de coronavirus, même s’il est fréquemment abordé, ne peut encore être évalué.
La compétition scientifique et technologique internationale est évoquée mais de manière dispersée alors qu’elle est évidemment un élément majeur aujourd’hui (données, cyberguerre, spatial, armement...) et que l’ambiguïté collaboration/compétition est flagrante en de nombreux domaines.
Les rôles respectifs du secteur privé et du secteur public sont bien mis en lumière, même si les différences sont grandes en ce domaine entre les différents pays.

Denis Monod-Broca

Ingénieur et architecte
 

Jacques Monod (1910-1976), Fonds Monod

Jacques Monod

«A lui de choisir entre le Royaume et les ténèbres» est la phrase par laquelle Jacques Monod achève son très fameux ouvrage Le hasard et la nécessité. «Lui» y est l’homme : à l’homme donc, nous dit Jacques Monod dans cette formule à la tonalité si curieusement religieuse, de choisir entre le Royaume et les ténèbres. Le Royaume cependant n’y est pas le Royaume de Dieu naturellement. Fondé sur le postulat d’objectivité, ce Royaume-ci est le «Royaume transcendant des idées, de la connaissance, de la création».

Peut-on se passer de transcendance ?

Louis Pasteur, lui, disait : «Celui qui proclame l'existence de l'infini, et personne ne peut y échapper, accumule dans cette affirmation plus de surnaturel qu'il n'y en a dans tous les miracles de toutes les religions ; car la notion de l'infini a ce double caractère de s'imposer et d'être incompréhensible. Quand cette notion s'empare de l'entendement, il n'y a qu'à se prosterner.»

Et Georges Canguilhem, nous ramenant sur terre : «Nous soupçonnons que, pour faire des mathématiques, il nous suffirait d’être des anges, mais pour faire de la biologie, même avec l’intelligence, nous avons besoin de nous sentir bêtes.»

Ange ou bête ? Faut-il être ange pour se pencher sur la bête qui est en nous ? Le biologiste se penche sur la vie, l’anthropologue se penche sur l’homme. Autrement dit, le sujet se penche sur l’objet, mais que reste-t-il de l’indispensable objectivité quand le sujet est aussi l’objet de l’observation ?

L’animé se distingue de l’inanimé : il naît, vit, se reproduit, meurt. Il est animé, mais qu’est-ce qui l’anime ? Il y faut un «projet». Monod, comme à contrecœur, le concède : «L’objectivité oblige à reconnaître le caractère téléonomique des êtres vivants, à admettre que dans leurs structure et performances, ils réalisent et poursuivent un projet.».

Comme l’animé se distingue de l’inanimé, l’homme se distingue des autres êtres animés : il parle, pense, se penche sur lui-même.

La réflexivité est-elle dans le «projet» ? A quoi nous mène-t-elle ?

Narcisse, penché sur sa propre image, meurt de ne pas pouvoir la saisir. Le devin Tirésias, interrogé sur la question de savoir si Narcisse atteindrait le grand âge, avait répondu : «Il l'atteindra s'il ne se connaît pas.» Chercher à se connaître, quel danger ! Drôle de leçon qui nous vient de la mythologie grecque.

Le Royaume (Monod), l’infini (Pasteur), l’ange (Canguilhem)... sont des artefacts spirituels qui donnent un point d’appui et nous ouvrent ainsi l’observation de nous-mêmes. Il n’en reste pas moins qu’il y a une part irréductible d’impossibilité dans la connaissance que chacun peut avoir de lui-même, dans la connaissance que l’homme peut avoir de l’homme, dans la connaissance que le biologiste, aussi éminent soit-il, et fut-il transhumaniste, peut avoir de la vie.

Dans la routine des jours, ce genre de considérations est en sommeil. Quand un minuscule virus bouscule nos vies, il n’en va plus de même.

Hasard, l’apparition du virus. Nécessité, celle de faire face, pour survivre, comme depuis que le monde est monde, comme depuis que la vie est apparue, mais quelle part devait être laissée aux défenses naturelles de nos organismes et de nos sociétés et quelle part devait être prise par les mesures prophylactiques et les techniques biomédicales ?

Pas sûr que, pris par l’urgence, nous y ayons assez réfléchi.

Le virus Sars-CoV-2 a-t-il un «projet» ? Non. Ou plutôt si, le plus sommaire qui soit : se répliquer. Nos cellules, nos personnes, nos sociétés en ont un aussi : survivre, se perpétuer. Laissées à elles-mêmes, auraient-elles trouvé une issue ? Très probablement.

Nous ne pouvions pas faire cela, ne rien faire du tout, laisser faire, c’était impensable évidemment, mais n’avons-nous pas par trop sacralisé la vie, par trop idéalisé la technique, comme s’il nous était possible, et que nous nous étions fait un devoir, par la technique, de maîtriser complétement la vie ? En contradiction donc avec les appels à la circonspection de Canguilhem, Pasteur, Monod. Et de Tirésias…

Dans son dernier chapitre, Jacques Monod s’interroge sur une hypothétique «théorie de l’évolution des idées» qui prolongerait, pour cet animal si particulier qu’est Homo sapiens sapiens, humain se sachant sachant, la théorie de l’évolution. Mais, dans une telle hypothèse, comment l’inévitable sélection se ferait-elle, comment les idées seraient-elle départagées, sur quel critère ? «On voit bien, écrit-il, que les idées douées du plus haut pouvoir d’invasion sont celles qui expliquent l’homme en lui assignant sa place dans une destinée immanente, au sein de laquelle se dissout son angoisse», et on voit bien aussi que ces idées-là ne sont pas les meilleures, pas les plus rationnelles, pas les plus objectives, pas les plus porteuses d’avenir. A côté de ces idées, religieuses ou philosophiques ou idéologiques, qui expliquent et rassurent, mensongèrement, il y a l’«idée froide et austère» de la connaissance objective, seule source de vérité. Par «son prodigieux pouvoir de performance» au cours des trois derniers siècles, cette idée-là a, malgré sa «puritaine arrogance», gagné sa place dans la société. Oui, mais voilà... nous n’avons pas renoncé pour autant à ces idées mensongères d’antan qui expliquent et rassurent, nous avons même fait de la science elle-même, via le scientisme, une idée mensongère mais qui, ainsi trahie, ne rassure ni n’explique plus guère. D’où ce «mal à l’âme moderne» que diagnostique Monod.

Quel remède à ce mal ?

Monod en appelle à l’authenticité pour réconcilier éthique et connaissance. «Le discours authentique à son tour fonde la science, et remet aux mains des hommes les immenses pouvoirs qui, aujourd’hui, l’enrichissent et le menacent, le libèrent mais aussi pourraient l’asservir. Les sociétés modernes, tissées par la science, vivant de ses produits, en sont devenues dépendantes comme un intoxiqué de sa drogue. Elles doivent leur puissance matérielle à cette éthique fondatrice de la connaissance et leur faiblesse morale aux systèmes de valeurs, ruinés par la connaissance elle-même [...] L’éthique de la connaissance, créatrice du monde moderne, est la seule compatible avec lui, la seule capable, une fois comprise et acceptée, de guider son évolution.»

On ne saurait mieux dire. Et constatons, après presque dix-huit mois de vie sous Covid, que nous avons encore des progrès à faire vers cette éthique de la connaissance.

Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
 
bacon

Le virus de l’hépatite E (VHE) est la cause la plus fréquente d'hépatite virale aiguë diagnostiquée en Angleterre et l'estimation annuelle des infections est de 100 000 à 150 000. Une augmentation des cas d’hépatite E a été observée au Royaume-Uni de 2010 à 2016 avec 1212 cas signalés en 2015, 1243 en 2016, 1002 en 2018 et 1202 en 2019. Cette augmentation est aussi observée dans toute l’Europe : dans Espace économique européen, une enquête réalisée dans vingt pays surveillant le VHE a permis de noter une augmentation du nombre de cas signalés de 514 cas en 2005 à 5617 en 2015. Les hospitalisations sont passées de moins de 100 en 2005 à plus de 1100 en 2015 (dont 28 cas mortels pendant l’enquête) [1].

Selon un article publié en juin 2921 par Smith et al. [2] dans la revue du Centers for Disease Control and Prevention (CDC) d’Atlanta et reprise dans Food Safety News du 12 mai 2021 [3], une étude cas-témoins a permis de rechercher les facteurs de risque d'une infection acquise par le VHE chez les donneurs de sang au Royaume-Uni pendant la période 2018-2019. Cette étude cas-témoins a été réalisée chez des donneurs de sang (117 positifs et 564 négatifs pour l’ARN du VHE) d’avril 2018 à mars 2019. Sur les 117 donneurs positifs, 76 ont été asymptomatiques. Les symptômes rapportés chez les 47 autres personnes positives ont été une fatigue, des douleurs articulaires et une migraine, après une période d’incubation estimée de deux à neuf semaines. Aucun végétarien n’a été positif.

Sur 19 aliments étudiés, 14 ont été associés significativement à une infection par le VHE, en particulier le bacon, les charcuteries comme le salami et le Kabanos (saucisse polonaise fumée) ou le foie de porc.
Ce n’est pas la première fois que l’on signale un risque d’hépatite E lié à des produits de charcuterie insuffisamment cuits (en France, on avait surtout alerté sur le risque lié aux figatelli corses, riches en foie de porc) mais il s’agit de la première étude signalant un risque lié à la consommation de bacon (s’il n’est pas cuit) et à une charcuterie composée de viande séchée.

Enfin, les auteurs rappellent que le VHE circulant chez les porcs au Royaume-Uni était surtout un génotype 3-clade 1 (G3 efg) alors que l’augmentation des cas aigus de VHE en Angleterre en 2010 a coïncidé avec l'émergence d'un nouveau génotype G3-clade 2 (G3 abcdhij) [4]. Ce nouveau génotype isolé en Angleterre chez l’Homme serait la conséquence de la consommation de produits d’origine porcine importés au Royaume-Uni.

Cette étude démontre l’importance d’une surveillance des cas de VHE chez l’Homme en Europe mais surtout de mettre en place des méthodes standards de contrôle de ce virus dans les élevages porcins et les produits de charcuterie car c’est à la source qu’il faut cibler pour éviter une transmission d’origine alimentaire à l’Homme.

 

[1] Aspinall E.J., Couturier E., Faber M., Said B., Ijaz S., Tavoschi L., Takkinen J., Adlhoch C., on behalf of the country experts. Hepatitis E virus Infection in Europe: Surveillance and Descriptive Epidemiology of Confirmed Cases, 2005 to 2015. Euro Surveill., 2017;22(26):pii=30561. DOI: http://dx.doi.org/10.2807/1560-7917. ES.2017.22.26.30561
[2] Smith, I., Said B.., Vaughan, A., Haywood, B., Ijaz, S., Reynolds C., Morgan, D. Case–Control Study of Risk Factors for Acquired Hepatitis E Virus Infections in Blood Donors, United Kingdom, 2018–2019. Emerging Infectious Diseases, 2021, 27(6), 1654-1661. https://doi.org/10.3201/eid2706.203964.
[3] https://www.foodsafetynews.com/2021/05/study-shows-bacon-cured-pork-are-risk-factors-for-hepatitis-e/
[4] Said B., Usdin M., Warburton F., Ijaz S., Tedder R.S., Morgan D. Pork Products Associated with Human Infection Caused by an Emerging Phylotype of Hepatitis E virus in England and Wales. Epidemiol Infect. , 2017, 145:2417–23. DOIExternal LinkPubMedExternal Link.

Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
 

L’agence Reuters a annoncé le 1er juin 2021 un cas de «grippe aviaire» dû à un virus influenza H10N3, chez un Chinois âgé de 41 ans, de la ville de Zhenjiang. L’homme, hospitalisé le 28 avril dernier, est maintenant guéri.

On ne connaît pas l’origine de cette infection humaine mais il faut noter que pour cette souche H10N3 :

  • il s’agit du premier cas mondial de grippe humaine due à cette souche ;
  • elle n’a jamais été isolée chez des volailles ;
  • elle est rarement isolée chez des oiseaux sauvages (160 isolats signalés pendant les quarante années avant 2018 en Asie et en Amérique du Nord) ;
  • elle est considérée comme étant faiblement pathogène.

Si, pour le moment, on peut considérer qu’il s’agit d’un cas exceptionnel de grippe humaine due à une souche rarement rencontrée, on peut regretter une fois de plus le terme de grippe aviaire annoncé par l’agence Reuters alors que les volailles ne sont pas concernées dans ce cas.

Par ailleurs, l’illustration choisie pour cette dépêche est fort regrettable : il s’agit d’une photo datant d’avril 2013 signalant une vaccination de poussins âgés d’un jour contre la souche d’influenza aviaire H7N9 qui a tué plus de Chinois en cinq ans que la souche H5N1 hautement pathogène en dix-sept ans (soit de 2003 à janvier 2020, 861 malades, dont 455 morts).
Cette souche H7N9, faiblement pathogène pour les volailles lorsqu’elle apparue en février 2013, a contaminé jusqu’au 6 décembre 2019, 1568 personnes (dont 616 décès) en Chine (quelques cas ont été signalés à Taïwan), cette contamination étant principalement observée dans les marchés de volailles vivantes. Or la vaccination des volailles n’a été mise en place en Chine qu’en 2017, dans le but d’une part, de lutter contre cette souche H7N9 devenue hautement pathogène pour les volailles (et l’on parle alors de peste aviaire) mais surtout d’autre part, pour éviter une nouvelle vague de cas humains [1].
Rappelons aussi qu’il n’y a jamais eu de transmission interhumaine avec les souches de peste aviaire H5N1 et H7N9.

 

[1] Zeng X., Tian G., Shi J., Deng G., Li C., Chen H. Vaccination of Poultry Successfully Eliminated Human Infection with H7N9 Virus in China. Sci China Life Sci. 2018, Dec;61(12):1465-1473. doi: 10.1007/s11427-018-9420-1. Epub 2018 Nov 7. PMID: 30414008.

Denis Monod-Broca

Ingénieur et architecte
 

lumière

La lumière, la Lumière, les Lumières... que de sens symboliques sont donnés à ce mot si banal, lumière !

La lumière est à la fois ce qui éclaire et ce qui est éclairé. A la fois ce qui permet de voir et ce qui est vu, ce qui permet de connaître et ce qui est connu.

Science et lumière sont presque synonymes. Science aussi a ce double sens : recherche de la connaissance et connaissance.

Leurs contraires, obscurité, obscurantisme, se passent de commentaire.

Sans la lumière que serions-nous ?

La Bible ne s’y trompe pas qui, dès son troisième verset dit « Que la lumière soit ! Et la lumière fut ».

Sans la lumière que serions-nous ? Que les aveugles excusent une telle phrase, mais eux aussi, s’ils ne voient pas par leurs propres eux, perçoivent la réalité par les yeux d’autrui et les récits qu’ils en font.

Par le biais des ondes électromagnétiques, c’est-à-dire des ondes lumineuses au sens large, nous explorons l’Univers entier, de l’infiniment grand et infiniment lointain à l’infiniment petit.

Désormais nous faisons mieux encore : par le laser, nous maîtrisons la lumière elle-même. Le laser existe, dans sa forme et sa dénomination actuelles, depuis une soixantaine d’années. Il n’est plus, dans ce sens-là, une nouveauté mais il est une perpétuelle nouveauté par ses domaines d’application qui s’étendent continûment.
Des leds aux imprimantes, des armes de guerre aux opérations chirurgicales, et jusqu’aux technologies quantiques, le livre LumièreS, de Jean Audouze, Michel Menu et Costel Subran (EDP Sciences, 2020), donne un aperçu des extraordinaires possibilités du laser, ou des lasers, tant il en existe différents types.

Après la machine à vapeur, le moteur à explosions, la «fée électricité», l’électronique, le laser est une révolution techno-scientifique : par lui, l’information et la puissance sont transportés d’un point à un autre sans déplacement de matière.

L’électricité, l’électronique ont pu être vu comme magiques. Elles aussi transportent à longue distance puissance et information, mais elles ont besoin d’un support, câble de cuivre par exemple, et elles s’accompagnent d’un mouvement de la matière, celui d’électrons, même s’il s’agit plus de la transmission d’un signal que d’un déplacement.

Avec la lumière, seuls des photons se déplacent et les photons sont dépourvus de masse. Par la lumière laser, puissance et information sont véritablement téléportées.

Les barbarismes créés à l’occasion de la pandémie et désormais bien connus en donnent une image très suggestive : l’électricité est du domaine du «présentiel», la lumière laser, elle, qui est sans contact physique, est du domaine du «distanciel».

En passant de l’électron au photon, ne sommes-nous pas entrés dans une nouvelle ère ?