Encore un mot sur Pascal

Denis Monod-Broca

Ingénieur et architecte, secrétaire général de l’Afas
 

L’année Pascal s’achève. Elle a été l’occasion, ici et là, de rappeler l’apport de Blaise Pascal aux mathématiques, aux sciences naturelles, à la physique, au calcul des probabilités, à la technique, à la démarche scientifique elle-même.

Il fut un enfant très précoce et un esprit extrêmement brillant.

Il inventa ex nihilo et fit réaliser de toutes pièces la première machine à calculer, la Pascaline, l’un des trésors du musée des Arts et Métiers. L’unité internationale de pression est le Pascal, ou Pa. Deux signes révélateurs de son extraordinaire brio intellectuel. On sait tout cela.

À trente-et-un ans, sans renoncer à ses recherches scientifiques, il se tourna vers la religion. Donne-t-on assez d’importance à cette conversion et à ce qu’elle peut signifier ?

Celles que nous nommons «sciences exactes», ou «sciences» tout court, ou parfois «sciences dures», il les nomme «sciences abstraites». Par là-même il les oppose implicitement à ce qui est, à ses yeux, la seule science concrète, la science de l’homme, la connaissance de l’homme, domaine depuis des siècles de la religion.

Nous nommons, nous, parfois, «sciences molles», les sciences de l’homme. Nous les considérons implicitement comme inexactes puisqu’opposées aux «sciences exactes».

Est-il tellement impossible d’avoir une connaissance exacte de l’homme ? La difficulté n’est pas mince certes puisque, en la matière, l’objet observé, l’homme donc moi et donc l’Autre, est en même temps le sujet observateur, moi homme ou mon double, l’Autre. Et il est vrai en effet que, dans les temps si troublés et si inquiétants que le monde traverse, théories sociologiques, psychologiques, économiques et autres ne sont pas d’une grande aide. Quand les hommes et les nations semblent à nouveaux prisonniers de leurs pulsions ancestrales, primitives, il est légitime de s’interroger sur les leçons que nous avons retenues du savoir accumulé par les générations qui nous ont précédés.

La première des Pensées de Pascal commence ainsi : «Les hommes ont mépris pour la religion ; ils en ont haine, et peur qu’elle soit vraie».

Le mot «religion» gêne. Paraphrasée ainsi, «les hommes ont mépris pour l’anthropologie ; il en ont haine, et peur qu’elle soit vraie», l’affirmation passerait mieux.

Nous avons peur de la vérité, car bien souvent nous nous sentons visés, cela aussi est bien connu.

L’actualité étant ce qu’elle est, les choses étant ce qu’elles sont, n’y a-t-il pas urgence pourtant à voir, en face, la vérité sur nous-mêmes ? Et donc à suivre l’exemple de Pascal qui, sans se désintéresser des «sciences abstraites», s’est tourné résolument vers la connaissance de l’homme ?

Ou, pour le dire comme Friedrich Hölderlin (1770-1843) : «Il faut bien que la science anéantisse le christianisme, ou bien qu’elle ne fasse qu’un avec lui, car il ne peut y avoir qu’une seule vérité».