Les feux du ciel

Jean Audouze

Astrophysicien, directeur de recherche émérite au CNRS, scientifique associé au Théâtre de la Ville
 

Article publié avec l’aimable autorisation de l’A-Ulm, Association des anciens, élèves et amis de l’Ecole normale supérieure (in L’Archicube, n° 35, déc. 2023, pp. 9-25).
 
 

«J’ai longtemps habité sous de vastes portiques
que les soleils marins teignaient de mille feux»
Charles Baudelaire,
Les Fleurs du mal

 
 
Le mot «feu» possède deux sens, d’une part un sens «concret» : il s’agit de la production d’une flamme produite par la combustion d’un corps. Evidemment le ciel est rempli d’innombrables feux que je vais évoquer ici. Je ne me contenterai pas de faire allusion aux feux célestes «visibles». Nous savons depuis plus d’un siècle que la lumière perçue par nos yeux ne représente qu’une très faible fraction de ce que l’on appelle le rayonnement électromagnétique, qui s’étend des ondes radio jusqu’aux rayons X et gamma en passant par l’infrarouge et l’ultraviolet. Je ferai intervenir ces feux «invisibles» et pourtant, certains très énergiques. D’autre part, les philosophes présocratiques ont également conféré à ce terme un sens plus abstrait puisque dans l’Antiquité, le feu était avec l’air, l’eau et la terre, l’un des quatre éléments décrivant la matière de l’Univers. De fait, ce concept ancien s’est transformé à partir du début du XIXe siècle en celui d’énergie qui est, peut-être, le moteur essentiel du fonctionnement et de l’évolution de l’Univers à la fois globalement et dans tous ses composants, que ce soit la matière inanimée ou la matière vivante.

Les feux extraterrestres

Fig. 1 – Le Soleil

Le feu céleste le plus proche de nous est évidemment le Soleil (fig. 1) autour duquel notre Terre orbite à une distance de 150 millions de km [1]. Le Soleil occupe une sphère dont le rayon est de 700 000 km ; sa température de surface est de 5750 K, ce qui lui confère une couleur jaune orangé [2] ; sa masse est de 2×1027 tonnes. On note que sa surface est très active : on peut y voir comme des flammes, des taches et des jets de gaz très chauds. Il est entouré d’une «couronne» à la fois ténue et très chaude (plusieurs millions de degrés) que l’on ne peut observer que lors des éclipses totales.

L’étoile la plus proche du Soleil, qui se trouve à une distance de 4,2 années-lumière [3], porte le nom de Proxima dans la constellation du Centaure. Elle est de couleur rouge (sa température de surface n’est que de 3000 K). Sa masse est 12% et son rayon 15% ceux du Soleil.

Le Soleil et Proxima du Centaure font partie des 200 à 400 milliards d’étoiles qui constituent notre Galaxie (la Voie lactée). Celle-ci a la forme d’un disque renflé en son milieu ayant une taille d’environ 100 000 années-lumière. Elle est dite «galaxie spirale» [4] car la plupart des étoiles incluses dans ce disque forment ce que l’on appelle des «bras spiraux», qui s’enroulent à partir de ce milieu. Le Soleil est situé à 26 100 années-lumière de son centre, qui est dans la direction du Sagittaire et effectue une rotation complète autour de lui en 200 millions d’années. Ces différentes étoiles se rangent dans un diagramme conçu autour de 1910 par le Danois Ejnar Hertzsprung et l’Américain Henry N. Russell, devenu l’outil le plus efficace pour étudier le fonctionnement et l’évolution des étoiles (fig. 2).
 

Fig. 2 – Le diagramme d’Hertzsprung-Russell (HR) où l’on range les étoiles suivant leur luminosité (les plus lumineuses en haut, les plus faibles en bas) et leur couleur (ou température de surface), les plus chaudes (bleues) à gauche et les plus froides (rouges) à droite. On remarque que la plupart des étoiles occupent une grande bande qui part du haut à gauche et qui se poursuit en bas à droite, sur laquelle se trouve le Soleil et que l’on appelle la Séquence Principale. Au-dessus et à droite de celle-ci se trouve une autre région peuplée d’environ 10% des étoiles de la Galaxie que l’on appelle «géantes rouges». Ce diagramme permet de suivre et de prédire l’évolution des étoiles qui en font partie : les étoiles plus chaudes que le Soleil sont aussi plus massives. Elles évoluent en des temps de l’ordre de quelques millions d’années et terminent leurs évolutions dans des explosions gigantesques auxquelles on donne le nom de supernovas. Le Soleil, qui s’est formé il y a 4,5 milliards d’années, a encore 5 milliards d’années «devant lui» avant de devenir une «géante rouge» pendant un autre milliard d’années puis terminer son évolution d’abord comme nébuleuse planétaire puis en se ratatinant en une «naine blanche», une étoile «fossile» dont le rayon n’est plus que le centième du rayon initial. Les étoiles plus froides (plus rouges) ont une masse plus petite que celle du Soleil et vont évoluer encore beaucoup plus lentement.


 
Les feux extraterrestres sont en majorité ces étoiles qui se regroupent dans les innombrables galaxies qui peuplent le ciel. Les plus brillantes d’entre elles sont bien sûr les supernovas. Ces phénomènes très spectaculaires interviennent à raison d’un à trois tous les siècles dans une galaxie donnée.

De fait, il y a dans le ciel des «feux» encore plus intenses. Il s’agit d’une part des sursauts gamma et de l’autre des quasars.
Les sursauts gamma consistent en l’apparition inopinée dans le ciel d’une bouffée intense mais très brève (quelques secondes à quelques minutes) de rayonnements gamma [5]. De fait, ce sont les satellites militaires américains Vela, chargés de repérer d’éventuels essais nucléaires qui auraient contrevenu aux traités de non-prolifération, qui furent les premiers à en découvrir en 1967. Depuis cette date on en a détecté plus de dix mille.

L’origine extragalactique de ces phénomènes très puissants est désormais avérée. On les attribue soit à l’effondrement gravitationnel d’une étoile de très grande masse, avant qu’elle se transforme en un trou noir, c’est-à-dire un objet si dense qu’il attire et emprisonne tout y compris la lumière et tous les rayonnements électromagnétiques, ou en une étoile à neutrons [6], soit à la fusion de deux étoiles à neutrons. Dans le contexte de cet article, il est amusant de noter que l’on cherche à comprendre l’origine de ces sursauts à partir de modèles dits de «boule de feu» visant à reproduire théoriquement ces bouffées inopinées de rayonnements très énergétiques. Cette boule de feu est produite par l’expulsion de matières à des vitesses proches de celle de la lumière, chauffées soit par l’attraction induite par le trou noir résultant, soit par la fusion de deux étoiles à neutrons.

Les quasars furent découverts conjointement grâce à la radioastronomie, en particulier par le Britannique Cyril Hazard, et à l’astronomie classique du visible par le Néerlandais Maarten Schmidt en 1961, six ans avant les sursauts gamma. Mais contrairement à ceux-ci qui ont des tailles «stellaires», les quasars sont des galaxies d’un genre particulier en raison de leurs gigantesques émissions électromagnétiques. Leur nom vient de la contraction de «quasi stellar objects» : en radioastronomie ils apparaissent comme des galaxies alors que dans le visible, on semble les voir comme des étoiles. Les quasars sont, de fait, les astres les plus lumineux de l’Univers ; leurs fortes émissions visibles proviennent de la matière des noyaux de ces galaxies qui est fortement accélérée par leur trou noir supermassif central [7]. La différence entre les quasars et les autres galaxies tient à l’efficacité énergétique de leur trou noir central qui parvient même à éjecter cette matière avoisinante sous forme de jets émis perpendiculairement au plan du quasar (fig. 3).
 

Fig. 3 – Un quasar (on peut noter l’intensité du jet de matière émis en raison de la forte interaction du trou noir central avec la matière avoisinante).

Les feux célestes, moteurs de l’évolution de l’Univers dans son ensemble et de tous ses composants

Le feu fut pendant longtemps synonyme d’énergie. L’histoire et l’évolution de l’Univers sont marquées par trois manifestations énergétiques qui ont été mises en évidence chronologiquement dans l’ordre inverse des moments de leurs apparitions.

On sait depuis 1929-1930, grâce au prêtre belge Georges Lemaître et à l’Américain Edwin Hubble, que l’Univers est en expansion. En 1998, deux groupes d’astronomes dirigés l’un par l’Américain Saul Perlmutter et l’autre par les Américains Brian P. Schmidt et Adam Riess [8] utilisant le télescope spatial Hubble démontrèrent que cette expansion, loin de se freiner en raison du contenu matériel de l’Univers, s’accélérait au contraire. La majorité des spécialistes imagine l’existence d’une forte énergie primordiale, deux fois plus importante que la matière totale de l’Univers pour expliquer cette accélération de l’expansion cosmique.

En 1965, deux physiciens américains, Arno A. Penzias et Robert W. Wilson [9] mirent en évidence un rayonnement électromagnétique «fossile» ayant une température de 2,7K qui remplit tout l’Univers : chaque centimètre cube de celui-ci contient 400 grains de lumière ou photons émis lors du passage entre un Univers complétement ionisé et celui de maintenant de nature atomique : l’Univers est apparu d’abord très dense et très chaud. C’est ainsi qu’une seconde après le Big Bang, celui-ci avait une température de l’ordre du milliard de degrés. Jusqu’à un temps d’environ 380 000 ans, la température de l’Univers était suffisamment élevée pour que le gaz qui le constituait soit complètement ionisé. Les électrons alors «libres» pouvaient absorber et émettre continument les photons, ce qui rendait l’Univers complètement opaque. Mais quand la température de l’Univers, qui diminuait du fait de son expansion, passa sous la valeur d’un gaz d’hydrogène complètement ionisé, à savoir 10 000 K environ, les électrons de «libres» devinrent «liés» aux protons devenus les noyaux des atomes d’hydrogène. Ils perdirent alors leur capacité d’interagir avec les photons et l’Univers d’opaque devint visible. Quand l’Univers eut un âge de 380 000 ans, ce passage d’un plasma ionisé à un gaz atomique porte le nom de recombinaison et fut, de fait, une véritable transition de phase, analogue, par exemple, à la transformation de l’eau liquide en glace. La libération d’un flux électromagnétique intense accompagna cette recombinaison. Le rayonnement était alors ultraviolet. A mesure que l’expansion se poursuivit ensuite, ce rayonnement devint invisible, puis infrarouge jusqu’à devenir micrométrique aujourd’hui. La poursuite de son observation d’abord au sol puis dans l’espace à partir des années quatre-vingt-dix permit de déterminer des paramètres importants relatifs à l’histoire de l’Univers, tels que son âge fixé dorénavant à 13,7 milliards d’années.

Après la période de la recombinaison, les premières générations d’étoiles vont prendre naissance et constituer globalement une source d’énergie comparable à celle véhiculée par le rayonnement fossile. L’origine de cette énergie est différente de celle des deux autres puisqu’elle est principalement nucléaire : les étoiles dont le point figuratif se trouve sur la Séquence Principale du diagramme HR rayonnent une énergie provenant de la fusion thermonucléaire de l’hydrogène en hélium. En effet, la masse d’un noyau d’hélium est plus petite que celle de quatre noyaux d’hydrogène. La différence de masse se transforme en énergie suivant la fameuse formule E=Mc2. Comme la luminosité d’une étoile est proportionnelle à la puissance quatrième de sa masse, sa «durée de vie» est inversement proportionnelle au cube de sa masse. Le point figuratif d’une étoile comme le Soleil passera 10 milliards d’années sur la Séquence Principale du diagramme HR. Celui d’une étoile dix fois plus grosse n’y séjournera que dix millions d’années. Les étoiles géantes et supergéantes (dont le point figuratif est en haut et à droite de la Séquence Principale) tirent leur énergie d’abord de la fusion de trois héliums en un noyau de carbone 12 puis ultérieurement de la fusion de deux carbones en magnésium ou sodium et de celle de deux oxygènes en silicium et aluminium. Mais à mesure que la masse atomique des noyaux impliqués augmente, les températures des régions où se produisent ces fusions augmentent et la différence de masse entre les noyaux de départ et de fin diminue : le temps passé dans ces phases ultérieures devient très court au regard de celui passé à transformer une partie de l’hydrogène d’une étoile donnée en hélium. Pour résumer les caractéristiques essentielles des étoiles de petite et de grande masse, les premières durent longtemps (des milliards d’années) mais ont une activité nucléosynthétique insignifiante alors que les étoiles de grande masse durent peu de temps (des millions d’années) mais contribuent fortement à la synthèse d’éléments chimiques de masse atomique élevée.

Pour terminer cette évocation des feux du ciel, rappelons-nous que la vie sur Terre est tributaire du rayonnement et de la chaleur qui sont procurés à notre planète par le Soleil, que ce soit directement ou via l’assimilation de la lumière solaire par la chlorophylle des végétaux. Mis à part l’énergie nucléaire, les énergies dites fossiles et renouvelables proviennent toutes directement ou de façon différée du Soleil. D’autres feux disparus depuis longtemps parce que émis par des étoiles de grande masse ont façonné la matière terrestre, donc la nôtre puisque nous sommes «poussières de ces étoiles massives» ayant terminé leur évolution avant la formation du Soleil et de son système planétaire, comme aimaient le proclamer les regrettés Carl Sagan et Hubert Reeves ; mais c’est au Soleil que nous devons l’énergie qui nous permet de vivre.
 
 

[1] Les astronomes appellent cette distance une unité astronomique (ua).
[2] On peut remarquer que nos yeux sont particulièrement sensibles à cette couleur, sous l’effet vraisemblable de l’évolution darwinienne.
[3] Une année-lumière est la distance parcourue en une année (30 millions de secondes) par la lumière, dont la vitesse est égale à 300 000 km/s. Elle est égale à dix mille milliards de kilomètres.
[4] Les deux tiers des galaxies observables appartiennent à cette classe de galaxies spirales.
[5] Les rayons gamma sont les plus énergétiques de ceux produits par l’interaction électromagnétique. C’est ainsi que l’énergie des photons gamma peut être des milliers de fois plus grande que celle des photons X, eux-mêmes plus forts que les ultraviolets et a fortiori les visibles.
[6] Une étoile à neutrons constitue le résidu très dense (puisque une masse solaire est contenue dans un rayon de quelques kilomètres, soit un facteur de contraction de plus de cent mille par rapport à la sphère occupée par le Soleil) produit à l’issue d’une explosion de supernova. De tels astres ont été détectés pour la première fois sous forme de «pulsars» également en 1967 par la radioastronome britannique Jocelyn Bell.
[7] Toutes les galaxies, y compris la nôtre, ont en leur centre un trou noir supermassif. Celui de la Voie lactée a une masse de 4,6 millions de fois celle du Soleil, celui de la galaxie centrale de l’amas de la Vierge, M87, 6,3 milliards de masses solaires. Il y a même des trous noirs supermassifs dont les masses sont de l’ordre de 50 à 60 milliards de fois celle du Soleil.
[8] Prix Nobel de physique 2011.
[9] Prix Nobel de physique 1978.

 

Quelques références
J. Audouze, Les cent mots de l’astronomie, Que sais-je ?, n° 4171, Humensis, 2020.
J. Audouze et M.-C. Maurel, Du cosmos à la vie, Editions L’Archipel, 2023.