Sixième rapport du GIEC / IPCC

Denis Monod-Broca

Ingénieur et architecte, secrétaire général de l’Afas
 

Le dernier rapport du GIEC est sorti récemment. Tout le monde en parle. Qui l’a lu ? Qui en a lu quoi ? Je me suis lancé à l’assaut de la montagne…

Quelques rappels

Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), ou IPCC (Intergovernmental Panel on Climate Change) en anglais, a été fondé en 1988.
Il n’est pas un organisme de recherche, ni même un organisme scientifique. Ses membres sont des experts (certains scientifiques, d’autres non) et des représentants des Etats. Ses rapports s’appuient sur les plus récents travaux scientifiques (mesures, modèles, hypothèses, projections, etc.) et composent, bien obligé, avec les préoccupations politiques des Etats.
Il a eu sa 58e session à Interlaken, en Suisse, du 13 au 17 mars 2023.
A cette occasion, qui concluait son sixième cycle d’évaluation, a été validé le rapport de synthèse des six rapports de ce sixième cycle.

Contenu du rapport de synthèse

Ce rapport de synthèse synthétise les rapports des trois groupes de travail :

  • Groupe 1 : les sciences physiques du changement climatique
  • Groupe 2 : les impacts, l’adaptation et la vulnérabilité
  • Groupe 3 : atténuation du changement climatique (solutions envisageables, options politiques, mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre, coûts socio-économiques de ces options)

Il intègre les résultats-clés de trois rapports spéciaux :

  • Réchauffement à +1,5°C
  • Climat et terres
  • Océans et cryosphère

Cela est récapitulé par le graphe ci-dessous.

Et il contient les chapitres suivants :

  • Un résumé pour les dirigeants politiques
  • Le rapport proprement dit (85 p.)
  • Les principales constatations
  • Le communiqué de presse
  • Un document de présentation

Aucun de ces documents n’est disponible en français sur Internet, sauf le communiqué de presse.
Voici le lien vers le résumé pour les dirigeants politiques :
https://report.ipcc.ch/ar6syr/pdf/IPCC_AR6_SYR_SPM.pdf.
Et le lien vers la version française du communiqué de presse :
https://www.ipcc.ch/report/ar6/syr/downloads/press/IPCC_AR6_SYR_PressRelease_fr.pdf

On trouve aussi, en français, bien sûr, sur divers sites, quelques paragraphes inspirés du résumé pour dirigeants politique et/ou du communiqué de presse. Autrement dit, les simples citoyens (ainsi que la plupart des journalistes et hommes politiques sans doute) ont facilement accès au digest de l’abrégé du résumé d’une synthèse…

Quel fantastique travail est fourni par ces innombrables scientifiques et autres experts ! Or qu’en reste-t-il ? quelques formules et slogans. J’ai voulu montrer cette disproportion.
Elle interpelle, comme on dit.

Commentaire (tout personnel)

Voulons-nous vraiment voir la réalité des choses et notre responsabilité en l’affaire ?

J’ai lu avec attention le communiqué de presse.
Il mélange de façon étonnante optimisme et pessimisme.

Les premiers paragraphes sont optimistes :

  • «Nous disposons de plusieurs solutions réalistes et efficaces pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et pour nous adapter au changement climatique d’origine humaine – et ces solutions sont aujourd’hui à portée de main.»
  • «Une action climatique équitable et efficace portée à l’échelle planétaire réduira non seulement les pertes et les dommages infligés à la nature et aux populations, mais nous apportera aussi d’autres avantages.»

Mais la tonalité générale est pessimiste :

  • «Des mesures plus ambitieuses s’imposent de toute urgence.»
  • «Cinq ans plus tard, ce défi a pris encore plus d’ampleur du fait de l’augmentation continue des émissions de gaz à effet de serre.»
  • «Tout réchauffement supplémentaire aggrave rapidement […]»
  • «Sur tous les continents, des personnes meurent par suite de chaleurs extrêmes.»

Il est pétri de bonnes intentions :

  • «L’instauration d’une justice climatique est essentielle, car les populations qui contribuent le moins au changement climatique en subissent des conséquences disproportionnées.»
  • «Au cours de cette décennie, nous devons renforcer de toute urgence les mesures d’adaptation au changement climatique pour qu’elles puissent enfin répondre aux besoins.»
  • «Il faut instaurer un développement résilient au changement climatique.»
  • «Pour porter leurs fruits, ces choix doivent s’ancrer dans nos diverses valeurs, perspectives et connaissances, qui comportent les connaissances scientifiques, les connaissances autochtones et les connaissances locales.»
  • «Si nous mettons en commun nos technologies, notre savoir-faire et nos mesures politiques les plus pertinentes, si nous dégageons suffisamment de ressources dès à présent, toutes les populations pourront réduire ou supprimer leur consommation à forte intensité de carbone.»
  • «Les transformations de fond ont plus de chances de porter leurs fruits lorsque règne la confiance, lorsque tout le monde collabore pour se concentrer sur la réduction des risques, et lorsque les avantages et les charges se répartissent équitablement.»
  • «Il s’agit d’intégrer les mesures d’adaptation au changement climatique et les mesures permettant de réduire ou d’éviter les émissions de gaz à effet de serre, en optant pour des méthodes qui nous offrent d’autres avantages.»

Mais que propose-t-il ?

Soit des mesurettes :

  • «De même […] que les déplacements à pied, à bicyclette et en transport public assainissent l’air, améliorent la santé, créent des emplois et favorisent l’équité»

Soit l’appel, bien sûr, et forcément massif, au capital :

  • «Nous disposons de suffisamment de capitaux sur la planète pour diminuer rapidement les émissions de gaz à effet de serre.»
  • «Il nous faut investir davantage de ressources au profit du climat pour atteindre les objectifs climatiques planétaires.»

Oubliant donc de façon manifeste ce qui pourtant transparaît entre les lignes tout au long de ce texte, à savoir que l’investissement, c’est de l’activité économique, que l’activité économique, c’est de l’énergie transformée, et donc que l’investissement, c’est d’abord (même si c’est pour les diminuer à terme) plus d’émissions de gaz à effet de serre. Depuis 1988 et la création du GIEC et malgré les mesures supposément prises pour limiter les dégâts depuis toutes ces années, la situation ne fait que s’aggraver :

  • «Nous devons renforcer de toute urgence les mesures d’adaptation au changement climatique pour qu’elles puissent enfin répondre aux besoins» (c’est moi qui souligne).

Une phrase dit même l’essentiel sans guère d’ambiguïté :

  • «De plus, une meilleure compréhension des conséquences de la surconsommation peut contribuer à des choix plus éclairés» (c’est encore moi qui souligne).

Car nous la connaissons, la réalité : nous pays riches, nous consommons trop ; nous sommes obèses, au propre et au figuré ; nous sommes drogués à la surconsommation ; nous faisons peser le poids et les risques de notre addiction au reste du monde. Cela est, sinon dit en ces termes, au moins sous-entendu à chaque ligne de ce communiqué de presse (voir citations ci-dessus).
Faut-il autant de rapports aussi épais pour rappeler cela ?
Le mot magique, qui figurait dans une précédente publication du GIEC, n’apparaît pourtant pas dans ce document : «sobriété».

Ni les scientifiques ni la science ne sont en cause ici.
Mais où est la volonté ?
Où est la volonté de mettre les actions en accord avec les intentions ?
Même si le débat n’est pas clos avec les climato-sceptiques, climato-réalistes et autres climato-ralentistes, il n’est pas niable que notre actuel mode de vie n’est pas tenable.
Rien n’est plus difficile, lorsqu’on est alcoolique ou toxico, que d’être sobre.
Ne nous voilons pas la face, l’obstacle est considérable !
Ne nous cachons pas derrière des montagnes de rapports, affrontons l’obstacle !
L’esprit scientifique commande de ne pas se payer de mots.