Comment des écureuils multicolores mettent fin à une hypothèse très controversée en Allemagne sur le risque zoonotique lié à la maladie de Borna

Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
 

 
Depuis le premier bornavirus identifié (Mammalian 1 orthobornavirus ou BoDV-1), responsable depuis le XVIIe siècle de la maladie de Borna chez les chevaux et les moutons, dont la présence a été signalée pour la première fois en 2000 chez des chevaux français [1], d’autres bornavirus ont été décrits chez des oiseaux puis chez des écureuils exotiques non autorisés en France (variegated squirrel bornavirus 1 ou VSBV-1). Contrairement aux bornavirus aviaires, le BoDV-1 et le VSBV-1 pourraient être des agents zoonotiques.
Ce sont tout d’abord trois cas d’encéphalites mortelles observées chez des propriétaires d’écureuils exotiques (écureuil multicolore ou Sciurus variegatoides et écureuil de Prévost ou Callosciurus prevostii) entre 2011 et 2013 qui ont permis d’identifier le VSBV-1 en 2015 [2]. Cette identification a permis de confirmer rétrospectivement un cas d’encéphalite limbique due à ce virus chez une animalière décédée en 2013 dans un zoo et qui avait été en contact avec des écureuils de Prévost, probablement contaminée par les morsures ou les griffures [3]. L’émergence de ce virus en Allemagne a alerté l’ECDC* et des enquêtes épidémiologiques ont été diligentées pour comprendre l’origine de ces contaminations concernant des écureuils du secteur privé et des jardins zoologiques. Ces enquêtes ont permis de détecter la présence du virus chez 8,5% des Callosciurinae (C. prevostii, C. finlaysonii et Tamiops swinhoei) et 1,5% des Sciurinae (Sciurus granatensis), alors que l’écureuil roux (Sciurus vulgaris) n’est pas infecté [4], puis d’identifier rétrospectivement, après les quatre décès déjà connus, un cas humain probable (décédé en 2007 et qui avait travaillé dans le même zoo que le cas de 2013) et deux cas possibles d’infection par le VSBV-1. L’absence de cas séropositifs chez les animaliers des zoos ou chez les propriétaires en contact avec des écureuils infectés peut cependant révéler un taux de mortalité élevé ou le faible risque lié à un contact (ou une combinaison de ces deux facteurs) [5]. Les écureuils infectés sont porteurs asymptomatiques même avec une charge virale importante. Une étude épidémiologique de l’origine possible du VSBV-1 dans les élevages d’écureuils captifs en Allemagne a permis de démontrer les risques liés aux importations non contrôlées d’animaux exotiques chez des particuliers comme dans les zoos [6].
Cette découverte d’un risque zoonotique lié au VSBV-1 a relancé la question souvent controversée de celui pouvant être lié au BoDV-1 (identifié chez plusieurs espèces d’animaux domestiques), surtout après trois cas d’encéphalites mortelles signalées en 2016 chez des personnes immunodéprimées après une greffe [7] et deux autres cas non transplantés [8, 9]. La recherche du BoDV-1 dans les prélèvements de cinquante-six cas mortels d’encéphalites humaines pouvant être d’origine virale réalisés en Bavière entre 1999 et 2019 a permis de retrouver huit cas positifs, dont deux immunodéprimés après transplantation d’organe. Deux cas supplémentaires ont été identifiés à Munich [10].
 

* European Centre for Disease Prevention and Control. Novel zoonotic Borna disease virus associated with severe disease in breeders of variegated squirrels in Germany – first update, 5 May 2015. Stockholm: ECDC; 2015.
 
 

Bibliographie
[1] Brugère-Picoux J, Bode L, Del Sole A, Ludwig H. Identification du virus de la maladie de Borna en France. bavf. 2000;153(4):411‑20.
[2] Hoffmann B, Tappe D, Höper D, Herden C, Boldt A, Mawrin C, et al. A Variegated Squirrel Bornavirus Associated with Fatal Human Encephalitis. N Engl J Med. 9 juill 2015;373(2):154‑62.
[3] Tappe D, Schlottau K, Cadar D, Hoffmann B, Balke L, Bewig B, et al. Occupation-Associated Fatal Limbic Encephalitis Caused by Variegated Squirrel Bornavirus 1, Germany, 2013. Emerg Infect Dis. juin 2018;24(6):978‑87.
[4] Schlottau K, Hoffmann B, Homeier-Bachmann T, Fast C, Ulrich RG, Beer M, et al. Multiple detection of zoonotic variegated squirrel bornavirus 1 RNA in different squirrel species suggests a possible unknown origin for the virus. Arch Virol. sept 2017;162(9):2747‑54.
[5] Tappe D, Frank C, Homeier-Bachmann T, Wilking H, Allendorf V, Schlottau K, et al. Analysis of exotic squirrel trade and detection of human infections with variegated squirrel bornavirus 1, Germany, 2005 to 2018. Eurosurveillance [Internet]. 21 févr 2019 [cité 27 août 2023];24(8). Disponible sur: https://www.eurosurveillance.org/content/10.2807/1560-7917.ES.2019.24.8.1800483
[6] Cadar D, Allendorf V, Schulze V, Ulrich RG, Schlottau K, Ebinger A, et al. Introduction and spread of variegated squirrel bornavirus 1 (VSBV-1) between exotic squirrels and spill-over infections to humans in Germany. Emerging Microbes & Infections. 1 janv 2021;10(1):602‑11.
[7] Schlottau K, Forth L, Angstwurm K, Höper D, Zecher D, Liesche F, et al. Fatal Encephalitic Borna Disease Virus 1 in Solid-Organ Transplant Recipients. N Engl J Med. 4 oct 2018;379(14):1377‑9.
[8] Korn K, Coras R, Bobinger T, Herzog SM, Lücking H, Stöhr R, et al. Fatal Encephalitis Associated with Borna Disease Virus 1. N Engl J Med. 4 oct 2018;379(14):1375‑7.
[9] Coras R, Korn K, Kuerten S, Huttner HB, Ensser A. Severe bornavirus-encephalitis presenting as Guillain–Barré-syndrome. Acta Neuropathol. juin 2019;137(6):1017‑9.
[10] Niller HH, Angstwurm K, Rubbenstroth D, Schlottau K, Ebinger A, Giese S, et al. Zoonotic spillover infections with Borna disease virus 1 leading to fatal human encephalitis, 1999–2019: an epidemiological investigation. The Lancet Infectious Diseases. avr 2020;20(4):467‑77.