Les membres de l’Afas publient régulièrement des notes de lectures. Elles sont à retrouver ici.
Martin Stevens
(Buchet-Chastel, 2018, 336 p. 22€)
Un livre pour les curieux, un curieux livre…
Une somme de 300 pages. Après l’avoir lue, on se demande à qui cet ouvrage était destiné. Un grand public de gens disposant d’une culture scientifique déjà conséquente ou bien des spécialistes du monde animal ?
Si le public recherché est généraliste, on peut s’étonner de n’y trouver aucune illustration, hors la couverture. Pour ce public, une photo aurait été plus intéressante que le nom latin ou des références d’articles qu’il serait bien en peine de se procurer. Une phrase du genre « Le drongo brillant s’associe à des cratérocopes bicolores et des choucas » laisse un peu perplexe (d’après le contexte, ce sont des oiseaux, et bravo à la traductrice!). Le côté anthropomorphique, qui prête des sentiments humains aux animaux, tendrait à appuyer une cible grand public : Ruses de la nature, Menteurs et tricheurs, Bluff et surprise…
En fait, il pourrait plutôt s’agir d’un ouvrage de revue qui fait le point sur des recherches couvrant deux siècles. A confirmer.
Cela dit, le livre contient une foule d’informations très intéressantes. Parmi celles-ci, l’auteur passe en revue toutes les adaptations du monde animal et végétal pour se protéger, assurer sa survie et sa reproduction : odeurs, sons, aspect, camouflage, mimétisme en général, parasitisme… Quand on lit l’histoire des chenilles se faisant entretenir par des fourmis, on se croirait chez Molière.
Le livre insiste sur le mimétisme et sur le fait que les oiseaux et les insectes ne voient pas de la même façon que nous autres humains (en lumière ultra-violette notamment), si bien qu’une imitation grossière pour nous est en fait très subtile et trompe la cible. A cet égard, l’auteur parle de tests de leurres plus ou moins raffinés, des œufs en particulier, et là, on regrette de ne pas avoir de photographies.
Parmi les bonnes feuilles, le chapitre évoquant la lutte des insectes contre l’écho-localisation des chauves-souris fait irrésistiblement penser à la mise au point des radars pendant la Seconde guerre mondiale ; le fait que l’attitude des mâles paradant pour s’attirer les bonnes grâces des femelles a été rejetée par la bonne société victorienne du temps de Darwin est vraiment amusant, quand on sait les bals somptueux de cette société.
L’auteur est justement un darwiniste inconditionnel, ce qui l’amène à faire l’impasse sur la génétique moléculaire, évoquée d’un mot dans l’avant-dernière page, ce qui, justement, aurait intéressé les chercheurs contemporains. Et on en revient à l’ambiguïté du livre…
Catherine Bréchignac
(Cherche Midi Editions, 2018, 240 p. 20€)
L’écart se creuse-t-il entre les scientifiques et les autres ? Catherine Bréchignac, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, le pense et s’en inquiète. Elle est donc convaincue des bienfaits de la vulgarisation. C’est dans ce cadre qu’elle nous propose ce livre où elle expose pêle-mêle des morceaux choisis de l’histoire des sciences, des portraits de savants et des réflexions personnelles.
L’auteur aborde la science des mouvements («De Galilée à Rosetta»), ce qui nous vaut un séduisant portrait d’Emilie du Châtelet, cette physicienne exceptionnelle, amante de Voltaire et sa complice intellectuelle. Ils ont tous deux le désir de transmettre les progrès de la science. Emilie écrit un cours de physique et traduit Principia Mathematica, l’ouvrage fondamental de Newton. La France aura attendu 69 ans pour lire Newton en français !
Spécialiste de la physique de l’atome, Catherine Bréchignac nous raconte la longue histoire de la découverte de l’atome, depuis -600 lorsque l’Indien Kanada formula l’hypothèse atomique, jusqu’en 1911 lorsque le Néo-Zélandais Rutherford met en évidence la structure de l’atome. Elle expose les découvertes successives qui ont jalonné cette histoire, chacune profitant des précédentes et servant de tremplin aux suivantes. Les acteurs de cette passionnante odyssée se nomment Torricelli, Pascal, Dalton, Proust, Richter, Lavoisier, Gay-Lussac, Mendeleïev, Röntgen, Becquerel, Curie.
L’auteur montre que ce voyage n’est pas un long fleuve tranquille. L’existence de l’atome fait débat : la matière est-elle continue et divisible à l’infini ou bien discontinue et formée d’atomes ? C’est en France que le refus de l’atome est le plus fort, en raison du positivisme qui domine au XIXe siècle. L’académicien Dumas voudrait «effacer le mot atome de la science» (1838), suivi par Sainte-Claire Deville, autre académicien de renommée mondiale. Berthelot, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, interdira jusqu’à sa mort, en 1907, l’enseignement de la théorie atomique : «Qui a jamais vu, je le répète, un atome ou une molécule gazeuse ?». On s’est beaucoup trompé à l’Académie sur cette question !
L’auteur fait une large part à l’histoire du nombre d’Avogadro, au destin extraordinaire : conçu en 1811 par Avogadro, fixé en 1908 par Jean Perrin, consacré constante universelle en 2018 ! Gigantesque (il s’écrit avec 23 zéros), il représente le facteur d’échelle entre notre monde et le monde atomique. Quant à l’homme Amedeo Avogadro, Catherine Bréchignac lui consacre pas moins de cinq pages ; avec raison, car l’histoire de ce juriste turinois devenu savant, «pas beau mais qui plaît aux femmes», est peu connue en France.
Dans un chapitre dédié aux unités de mesure, elle évoque opportunément ce précurseur oublié qu’est le Lyonnais Gabriel Mouton : en 1670, il propose d’instaurer un étalon de longueur universel basé sur la longueur du méridien terrestre, plus d’un siècle avant l’instauration du système métrique qui reprendra cette idée.
L’auteur nous donne un petit cours sur les nanoparticules, dont elle est spécialiste. Elle n’en nie pas les dangers, en rappelant le smog de Londres de 1952 qui tua 4000 personnes. «L’étude de l’impact des nanoparticules sur la santé s’impose», affirme-t-elle. Mais elle s’inquiète de la part d’irrationalité qui entoure ces débats. Elle nous fait un exposé inattendu sur le mythe et souligne son rôle sociologique utile, mais elle s’inquiète de son irruption dans le monde des sciences.
Catherine Bréchignac raconte l’histoire extraordinaire du phonautographe et de son inventeur français, Scott de Martinville, qui, en 1860, enregistra la voix humaine, vingt ans avant Edison. En 2007, un retraité américain, passionné d’histoire des sons, tire le document de son sommeil à l’Académie des sciences et parvient à reproduire le son : Au clair de la lune chanté par Scott ! Il s’agit du son le plus vieux jamais enregistré (audible sur Internet).
Le livre est parsemé de réflexions diverses de Catherine Bréchignac sur le temps, la science du vivant, les motivations du chercheur, le rôle joué par les théories, le processus scientifique, le danger des pseudosciences, la nécessité de la réflexion : «Donnons-nous le temps de penser» est son mot de la fin.
En conclusion, voici un livre au style sobre et rigoureux, dont la lecture est plaisante et à la portée d’un large public. Il répond bien au souci de vulgarisation des sciences exprimé par Catherine Bréchignac.
Peter Godfrey-Smith
(Flammarion, 2018, 352 p. 21€)
Si le monde des poulpes et autres céphalopodes est relativement mal connu – à part peut-être le calamar géant qui attaque le Nautilus dans Vingt mille lieues sous les mers et le célèbre Paul le poulpe qui prévoyait les résultats des matchs de football –, ils ont en revanche la réputation d’être intelligents.
L’auteur du livre est un philosophe des sciences qui cherche à trouver une relation entre la matière et l’esprit. Son intérêt pour les poulpes vient du fait que ceux-ci ont développé une intelligence originale alors qu’ils se sont séparés il y a bien longtemps (600 millions d’années) de la branche qui a conduit aux mammifères et aux oiseaux. Lors d’une plongée, il est visiblement interloqué par le regard du poulpe qui l’observe et aussi par sa poignée de main-tentacule.
Après un rappel très didactique sur la genèse des animaux, l'auteur explique l’évolution des céphalopodes. Le système de défense commence par la coquille et conduit au fossile vivant que sont les nautiles ; mais pour gagner en vélocité, certains perdent leur coquille et deviennent des poulpes, en gagnant une forme d’intelligence complexe à appréhender. A la fin des années cinquante, on découvre que les poulpes ont un comportement qui présente une forte variabilité, qu’ils sont capables de larcins et d’évasion sophistiquée, sans parler de ceux qui aspergent d’eau les ampoules pour éteindre la lumière qui les dérange, et de l’organisation d’«Octopolis», le village de poulpes.
L’étude du système nerveux du poulpe montre que ses bras ont une indépendance étrange par rapport à son cerveau. Son demi-milliard de neurones correspond à une évolution vers la chasse qui l’a conduit à un caractère curieux et explorateur. La complexité de la gestion de ses nombreux tentacules l’a obligé par ailleurs à développer un système nerveux important. Et malgré ses trois cœurs, il n’est pas fidèle !
Le point de vue du philosophe sur la structure du cerveau des hommes et des animaux est développé et il nous fait découvrir la façon dont les êtres vivants perçoivent le monde qui les entoure. Il dissèque les différentes théories sur la conscience et les applique au poulpe. Celui-ci semble sensible à la douleur et possède un étrange sens de l’orientation. Mais le plus bizarre est la distribution des commandes entre son cerveau et ses bras, qui ont une certaine forme d’indépendance.
Les mystérieux changements de couleur des céphalopodes, souvent associés à un comportement hostile, sont étudiés. On découvre une complexité insoupçonnée, qui implique plusieurs couches de cellules intervenant dans la couleur de l’animal. Les seiches, entre autres, arrivent à se camoufler dans l’environnement grâce à un grand nombre de combinaisons de couleurs. Encore plus curieusement, les céphalopodes, capables de prendre toutes les couleurs, ont des yeux qui ne peuvent les voir mais l’animal se débrouille pour les observer quand même. Ces changements de couleurs sont certainement conçus pour le camouflage mais peut-être s’agit-il aussi d’une forme d’expression. Les céphalopodes ont, grâce aux changements de couleur et à la grande variabilité de formes de leur corps, une puissance de communication énorme, dont on n’appréhende pas l’utilité. La comparaison avec le comportement des babouins est passionnante et les observations de l’auteur sont troublantes.
On passe ensuite longuement à la relation entre langage, discours intérieur et intelligence pour les hommes et les animaux. Le chapitre correspondant nécessite beaucoup d’attention, mais peut être lu par des néophytes en philosophie. L’auteur revient ensuite vers ses chers céphalopodes et, après avoir constaté que même les sèches géantes ne vivent qu’un an ou deux, se demande à quoi leur sert alors un si gros cerveau. Ce qui nous entraîne vers la théorie évolutionniste moderne du vieillissement.
Le dernier chapitre est consacré à Octopolis, une zone où les poulpes vivent en communauté. Grâce à des caméras, que les poulpes ont tendance à attaquer pendant leur fonctionnement, il est possible de les observer. Leur comportement physique et leurs changements de couleur sont difficiles à interpréter et très complexes. La construction d’Octopolis à partir d’un morceau de ferraille et de l'apport de coquilles Saint Jacques vides est mystérieuse mais l’auteur tente une interprétation vraisemblable.
Le livre se termine par des réflexions sur l’évolution des espèces, en notant que le cerveau du poulpe semble trop développé par rapport à son espérance de vie, ce qui peut être un accident de l’évolution. Les recherches les plus récentes montrent que le dernier ancêtre commun des poulpes, des sèches et des calamars vivait il y a 270 millions d’années, ce qui le date d’avant les dinosaures. La discussion sur la mémoire épisodique, sémantique et procédurale est fort intéressante tout comme la comparaison entre les mammifères, les oiseaux et les seiches. La fin de l’ouvrage est consacrée à un plaidoyer pour la défense des océans, sur lesquels la pression humaine est trop forte.
Ce livre se lit pratiquement d’un seul trait. De façon très didactique, il nous fait évoluer de la biologie/biochimie à la philosophie en se servant du cas étonnant du poulpe. Il nous permet de bien appréhender l’évolution des espèces vivantes et est basé sur des sources de bon niveau et très récentes. A la fin du livre, on porte un regard différent sur ces animaux si éloignés de nous et, du coup, on se demande ce que pense le poulpe quand ses étranges grands yeux nous regardent !
Etienne Klein
(Editions de l'Observatoire, 2018, 156 p. 17€)
Comme l'indique le sous-titre mieux que le titre, c'est aux confins de la physique et de la philosophie qu'Etienne Klein nous emmène, dans un de ces petits voyages dont il est coutumier (40 livres publiés).
La science est fille de la philosophie. Les notions de preuve et de démonstration ont d'abord été élaborées en philosophie avant de devenir l’apanage de la science. Au cours des quatre derniers siècles, la science s'est certes peu à peu émancipée de la « gadoue métaphysique ». Mais elle a dû aussi se développer en opposition au sens commun : la loi de la chute des corps, l'héliocentrisme, le principe d'inertie, la relativité, la mécanique quantique, toutes ces avancées supposent une démarche préalable de rejet des croyances existantes. « La science de la matière peut devenir elle-même matière… à contredire », nous dit Klein, dans un de ces jeux de mots qu'il affectionne. Et c'est ici que la philosophie peut revenir à la rescousse : Einstein reconnut que, sans la lecture des grands penseurs, il n’aurait pas eu la force intellectuelle de contester la conception classique du temps pour bâtir sa théorie de la relativité. «Penser, c’est dire non.» (Alain)
Klein compare physique et philosophie à « deux fort belles femmes amoureuses du même homme, et ayant, pour cette raison, une fois les réticences surmontées, bien des choses à se dire ». Et l'auteur de consacrer un chapitre à chacun des cinq grands concepts où ces deux amoureuses ont de quoi échanger : le temps, le vide, la causalité, la masse et le réel.
Klein décortique, à sa façon, chacun de ces concepts, en fait une analyse historique, des deux points de vue philosophique et physique, en insistant toutefois sur les acquis de la physique actuelle. Il montre les ambiguïtés que le mot recouvre, les contradictions, les paradoxes, les impasses. Il pose des énigmes, soulève des problèmes apparemment insolubles. Il esquisse des évolutions possibles, parfois surprenantes. Il convoque Parménide, Démocrite, Platon, Aristote, Saint Augustin, Leibniz, Hume, Spinoza, Pascal, Kant, Bergson, Wittgenstein, mais aussi Fitzgerald, Proust, Valéry, Nabokov, Dylan, et, enfin, les grands physiciens Galilée, Newton, Einstein, Bohr, Schrödinger, Heisenberg, Pauli, Dirac, Higgs…
Klein a le souci de bien faire comprendre les concepts même les plus ardus de la physique moderne, en faisant appel à des analogies ; ainsi, il utilise la métaphore des échanges de balles entre deux barques sur un lac pour expliquer le rôle des bosons de jauges des interactions ; ou bien celle du fartage de skis pour expliquer le concept de masse de particule.
Il sait aussi trouver la formule ou l’image qui frappe ou fait sourire :
«Dessiner d’un trait fléché l’axe du temps, ainsi que nous avons pris à l’école l’habitude de le faire sous la plupart de nos graphiques ou courbes, devient un geste quasi monstrueux. »
« En clair, pour faire le vide, il faut tout enlever, absolument tout, sauf le vide… »
« Il y eut les Métamorphoses d’Ovide. Voici venues celles du vide. »
« La causalité est une histoire de vertige surmonté ; car traiter des causes nous amène à traiter de l'infini. »
« Si l’on remplaçait la Terre par une cacahuète, celle-ci décrirait exactement la même orbite que notre planète autour du Soleil. »
« La masse d’un corps doit davantage à la danse frénétique des particules qu’il contient qu’aux masses propres de celles-ci… »
« Certains pensent que lorsque nous disposerons de suffisamment de données, les nombres parleront d’eux-mêmes et les corrélations qu’ils dévoileront remplaceront les relations de causalité que manifestent les lois théoriques. La science changerait alors de visage… » (Allusion au big data).
Chaque lecteur trouvera dans ce livre une part de nouveautés, et évidemment une part d’informations connues, mais présentées de façon originale. Le récit d’Etienne Klein est vivant, alerte, amusant, quelquefois provocateur, truffé d’anecdotes et de quelques calembours. On referme ce livre, encore un peu étourdi, mais avec l'impression d'être un peu plus intelligent qu'avant. Tout sauf ennuyeux, ce livre !
Joël de Rosnay
(Les liens qui libèrent, 2018, 240 p. 20€)
Un livre facile à lire, qui présente la révolution de l'épigénétique, découverte récente de la biologie qui change la vision des scientifiques sur le comportement humain : nous ne sommes pas programmés par notre patrimoine génétique mais nous pouvons agir sur certains de nos gènes et ainsi vivre en bonne santé, prévenir les maladies et ralentir les processus de vieillissement. Un ensemble de conseils est prodigué en termes de diététique et de mode de vie afin de profiter de ces découvertes.
Joël de Rosnay applique ensuite ces découvertes au fonctionnement de la société en développant une relation entre épigénétique et épimémétique : il fait une analogie audacieuse entre gènes et mèmes (les gènes sociaux selon Richard Dawkins). Ainsi, en intégrant les possibilités des nouvelles technologies de la communication, il montre que l'on peut modifier le fonctionnement de la société de l'intérieur et ainsi espérer aller vers une société plus collaborative et circulaire.
Patrice Debré
(Odile Jacob, 2018, 368 p. 23,90€)
Après s’être intéressé successivement aux biographies de Jacques Monod et de Louis Pasteur, et avoir mis à profit ses compétences en immunologie pour publier plusieurs ouvrages tels que Vie et mort des épidémies (avec Jean-Paul Gonzales) ou plus récemment L’Homme microbiotique, qui sont de beaux témoignages des bienfaits du progrès scientifique, Patrice Debré consacre, à partir d’archives retrouvées dans la maison familiale, une biographie à son grand-père, Robert Debré, et emmène le lecteur sur les chemins de la naissance de la pédiatrie.
L'auteur, aujourd’hui lui-même membre de l'Académie nationale de médecine, met à profit ses propres compétences pour nous raconter la vie, d'une extraordinaire richesse intellectuelle et humaine, de son grand père et nous faire bien comprendre, au fil d’un récit alerte, pourquoi et comment Robert Debré, grand défenseur de la recherche biomédicale et de la santé publique, a laissé une empreinte indélébile aux côtés des plus grands noms de l’histoire scientifique du siècle dernier.
Yaël Nazé
(Belin, 2018, 240 p. 25€)
Un beau livre, très richement illustré et bien documenté. Mais aussi un défi : comment opérer un croisement entre une science aujourd’hui ultra-précise (l’astronomie) et son approche dans un passé lointain, historique ou même préhistorique, qui, par nature, est incomplète, sujette à altérations et préjugés ?
Le livre commence par décrire toutes sortes de mythes issus de civilisations à travers la Terre pour décrire la création du monde. Ce n’est pas la partie la plus attirante, sauf peut-être quand elle aborde le temps contemporain avec les histoires de canaux sur Mars et d’invasion par de petits hommes verts : dans le genre «n’importe quoi», nous n’avons rien à envier à nos ancêtres.
Une partie importante concerne les nombreux alignements de pierres un peu partout dans le monde, dont Stonehenge, qui fait l’objet du sous-titre, et les pyramides d’Égypte. L’auteur fait un gros effort pour convaincre que ces alignements ne sont pas fortuits. Des esprits forts pourraient en effet dire que «quand on se place dans l’alignement de deux pierres, il y a forcément une étoile au bout» mais derrière ces observations, il y a le problème des calendriers, élément important de la vie en société, et l’auteure met fréquemment en garde contre le risque de surinterprétation.
On apprend ainsi que ce sont les Égyptiens qui ont créé l’année de 365 jours et le jour de 24 heures et que les Chinois tiennent le compte des 29 derniers passages de la comète de Halley (tous les 76 à 79 ans).
On est assez interloqué devant la complexité du système maya de gestion des dates avec leur alphabet très exotique et on se dit que Tintin avait eu bien de la chance de trouver un journal prédisant l’éclipse qui le tirait d’affaire dans Le Temple du Soleil.
Un livre abordable pour un large public, qui prend soin de publier une annexe donnant les notions de base de l’astronomie, science qui n’est plus enseignée dans nos lycées depuis pas mal de rotations de la Terre autour du Soleil.
Sous la direction de Claude Dargent, Yannick Fer et Raphaël Liogier
(CNRS Editions, 2017, 250 p. 25€)
Science et religion : le sujet est vieux comme la science, sinon même vieux comme la religion et donc comme l'humanité si l'on considère que l'homme se distingue de l'animal par sa capacité de croire et son besoin de savoir.
Sujet vieux comme le monde et pourtant toujours quelque peu tabou puisque touchant au sacré, et quelque peu délicat à aborder.
Ce livre est donc le bienvenu, il est un utile jalon sur une longue route, même si bien sûr il n'épuise pas le sujet.
Sujet difficile car le résultat de l'observation, comme en physique quantique, est influencé par l'observateur. En effet, chacun appartient, pour reprendre les catégories que l'un des auteurs utilise, à l'une de ces trois catégories : croyant, agnostique ou athée. Et selon que l'observateur est croyant, agnostique ou athée, sa vision des relations entre science et religion sera différente, ou soupçonnée de l'être. Forcément.
Les huit contributions de l'ouvrage ont pour titres :
- Les formes religieuses de la recherche expérimentale : expérimenter et croire dans la science anglaise du XVIIe siècle,
- Liberté religieuse ou liberté de pensée du scientifique ? Une réponse théologique et canonique de l'Eglise catholique face à l'exercice problématique de la liberté scientifique,
- La promotion de l'histoire sous le pontificat de Jean-Paul II. Une science au service de la purification de la mémoire et de la nouvelle évangélisation,
- L'Eglise au secours de la Science : le discours pontifical dans la réflexion écologique autour de l'anthropocentrisme
- Les sciences sociales au secours des Eglises protestantes : l'exemple du « mariage pour tous »,
- Faire de la science, croire en Dieu. Recherche d'exoplanètes et foi à l'intérieur d'une communauté scientifique d'astrophysiciens,
- Sacralisation des âmes, de la vie puis de la science. Trois formes du sacré en confrontation en Ethiopie,
- La religion de l'amélioration : le transhumanisme et la sacralisation contemporaine des neurosciences.
Où l'on voit, par ce seul inventaire, par la richesse des thèmes abordés, à quel point science et religion ont partie liée.
On se promène, au gré de ces études, toutes pleines d'enseignement, à travers les sujets et les points de vue, à travers les époques, à travers les continents... et toujours on constate cet entremêlement de savoirs et de croyances, de raison et de foi.
Comment pourrait-il en être autrement d'ailleurs ? On ne peut savoir sans croire (à la solidité et à la justesse de ce qu'on sait), ni croire sans savoir (sans avoir nommé ce en quoi l'on croit). Science et religion : chacun peut être tenté de donner la primauté à l'une sur l'autre, mais l'une et l'autre, fondamentalement, ont un seul et même objectif : le refus des fausses croyances et des faux savoirs ; l'une et l'autre, pour éviter les pièges mortels de la certitude et du dogmatisme, ont un seul et même guide : le doute.
Dans sa postface, « Science et religion, de la modernité en puissance à la modernité en acte », c'est bien ce qu'exprime Raphaël Liogier ; il conclut l'ouvrage par cette phrase : « Lorsque la laïcité, ou du moins ses représentants, prétendent s'appuyer sur une science incritiquable pour combattre l'irrationalité, elle sort déjà de son domaine et de sa fonction en projetant une idéalité incritiquable. »
Michel Blay
(Dunod, 2017, 256 p. 19€)
Ce livre fondateur de la mécanique rationnelle a été publié (en latin) en 1687. La première édition en langue anglaise est de 1729 et une traduction en français, due à Gabrielle-Emilie de Breteuil, marquise du Chastelet, paraît en 1756, avec une préface de Voltaire. Les raisonnements y sont essentiellement géométriques [1] et, donc, inhabituels pour un lecteur contemporain. Michel Blay a lu cet ouvrage pour nous et il apporte ses commentaires, qui dégagent clairement les difficultés conceptuelles que l’auteur a su surmonter par ses apports originaux.
Après avoir rappelé les notions introduites par les principaux prédécesseurs de Sir Isaac Newton : Galilée en 1638, Descartes en 1644 et Huygens en 1673, l’auteur de ce petit livre nous explique comment ont été mises en place les nouvelles notions mathématiques et physiques nécessaires. Puis il expose la déduction, par une habileté géométrique remarquable, des lois des mouvements des planètes autour du Soleil, de la notion d’attraction entre deux masses proportionnelle à l’inverse du carré de la distance qui les sépare. La généralisation : une attraction universelle, a conduit Newton à des applications aux marées, à l’aplatissement de la Terre aux pôles et aux mouvements des projectiles, sujets qui occuperont de nombreux scientifiques au XVIIIe siècle.
Le livre se termine par les apports du calcul différentiel et intégral de W.G. Leibniz (de 1684) et des algorithmes cinématiques de Pierre Varignon, qui ont donné le jour à la mécanique analytique.
Une courte bibliographie de livres et d’articles qui concerne des éditions et des études de l’œuvre de Newton complète ce livre.
Laurent Vercueil
(Belin, 2017, 256 p. 19€)
Quel titre ! Ce livre est écrit par un neurologue praticien hospitalier, Laurent Vercueil, responsable de l’unité des explorations fonctionnelles du système nerveux au CHU de Grenoble. Il s’appuie sur des données issues d’expériences animales, ou auprès de volontaires sains, et aussi sur la pratique de l’auteur, mais de façon générique et non en relatant le cas précis d’un patient.
Ce livre s’intéresse à ce que nous dit notre corps, les petits riens très banals qui mobilisent le fonctionnement de structures nerveuses complexes, notamment l'insula. Volontairement, les aspects liés à la douleur ne sont pas abordés ; l’auteur s’en explique de façon très claire dès l’introduction. Alors que nous disent les hoquets, fous-rires, bâillements, chatouilles, frissons, éternuements... et autres petits tracas sur le fonctionnement du cerveau ?
Partez à la découverte de cet ouvrage, dans l’ordre qu’il vous plaira de suivre, ou suivez celui donné de la sensation, fil rouge auquel un chapitre est dédié. Des quatre parties, Petits riens et grandes choses, Orages minuscules, Expériences banales et extraordinaires, Quelque part, hors du corps... dans le cerveau, vous tirerez de petites et de grandes choses. Pour ma part j’ai savouré Comment faire rire un existentialiste dans la partie une et Le hoquet est un sport olympique en partie deux.
Bonne lecture, vous trouverez de savoureux passages dans les 26 chapitres qui composent cet ouvrage !