L’irrésistible envie de savoir. Bâtisseurs de sciences

Catherine Bréchignac

(Cherche Midi Editions, 2018, 240 p. 20€)

 
L'irrésistible envie de savoir (C. Bréchignac, Cherche midi Ed., 2018)L’écart se creuse-t-il entre les scientifiques et les autres ? Catherine Bréchignac, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, le pense et s’en inquiète. Elle est donc convaincue des bienfaits de la vulgarisation. C’est dans ce cadre qu’elle nous propose ce livre où elle expose pêle-mêle des morceaux choisis de l’histoire des sciences, des portraits de savants et des réflexions personnelles.

L’auteur aborde la science des mouvements («De Galilée à Rosetta»), ce qui nous vaut un séduisant portrait d’Emilie du Châtelet, cette physicienne exceptionnelle, amante de Voltaire et sa complice intellectuelle. Ils ont tous deux le désir de transmettre les progrès de la science. Emilie écrit un cours de physique et traduit Principia Mathematica, l’ouvrage fondamental de Newton. La France aura attendu 69 ans pour lire Newton en français !

Spécialiste de la physique de l’atome, Catherine Bréchignac nous raconte la longue histoire de la découverte de l’atome, depuis -600 lorsque l’Indien Kanada formula l’hypothèse atomique, jusqu’en 1911 lorsque le Néo-Zélandais Rutherford met en évidence la structure de l’atome. Elle expose les découvertes successives qui ont jalonné cette histoire, chacune profitant des précédentes et servant de tremplin aux suivantes. Les acteurs de cette passionnante odyssée se nomment Torricelli, Pascal, Dalton, Proust, Richter, Lavoisier, Gay-Lussac, Mendeleïev, Röntgen, Becquerel, Curie.
L’auteur montre que ce voyage n’est pas un long fleuve tranquille. L’existence de l’atome fait débat : la matière est-elle continue et divisible à l’infini ou bien discontinue et formée d’atomes ? C’est en France que le refus de l’atome est le plus fort, en raison du positivisme qui domine au XIXe siècle. L’académicien Dumas voudrait «effacer le mot atome de la science» (1838), suivi par Sainte-Claire Deville, autre académicien de renommée mondiale. Berthelot, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, interdira jusqu’à sa mort, en 1907, l’enseignement de la théorie atomique : «Qui a jamais vu, je le répète, un atome ou une molécule gazeuse ?». On s’est beaucoup trompé à l’Académie sur cette question !
L’auteur fait une large part à l’histoire du nombre d’Avogadro, au destin extraordinaire : conçu en 1811 par Avogadro, fixé en 1908 par Jean Perrin, consacré constante universelle en 2018 ! Gigantesque (il s’écrit avec 23 zéros), il représente le facteur d’échelle entre notre monde et le monde atomique. Quant à l’homme Amedeo Avogadro, Catherine Bréchignac lui consacre pas moins de cinq pages ; avec raison, car l’histoire de ce juriste turinois devenu savant, «pas beau mais qui plaît aux femmes», est peu connue en France.

Dans un chapitre dédié aux unités de mesure, elle évoque opportunément ce précurseur oublié qu’est le Lyonnais Gabriel Mouton : en 1670, il propose d’instaurer un étalon de longueur universel basé sur la longueur du méridien terrestre, plus d’un siècle avant l’instauration du système métrique qui reprendra cette idée.

L’auteur nous donne un petit cours sur les nanoparticules, dont elle est spécialiste. Elle n’en nie pas les dangers, en rappelant le smog de Londres de 1952 qui tua 4000 personnes. «L’étude de l’impact des nanoparticules sur la santé s’impose», affirme-t-elle. Mais elle s’inquiète de la part d’irrationalité qui entoure ces débats. Elle nous fait un exposé inattendu sur le mythe et souligne son rôle sociologique utile, mais elle s’inquiète de son irruption dans le monde des sciences.

Catherine Bréchignac raconte l’histoire extraordinaire du phonautographe et de son inventeur français, Scott de Martinville, qui, en 1860, enregistra la voix humaine, vingt ans avant Edison. En 2007, un retraité américain, passionné d’histoire des sons, tire le document de son sommeil à l’Académie des sciences et parvient à reproduire le son : Au clair de la lune chanté par Scott ! Il s’agit du son le plus vieux jamais enregistré (audible sur Internet).

Le livre est parsemé de réflexions diverses de Catherine Bréchignac sur le temps, la science du vivant, les motivations du chercheur, le rôle joué par les théories, le processus scientifique, le danger des pseudosciences, la nécessité de la réflexion : «Donnons-nous le temps de penser» est son mot de la fin.

En conclusion, voici un livre au style sobre et rigoureux, dont la lecture est plaisante et à la portée d’un large public. Il répond bien au souci de vulgarisation des sciences exprimé par Catherine Bréchignac.