Notes de lecture

Les membres de l’Afas publient régulièrement des notes de lectures. Elles sont à retrouver ici.

Gilles Dubertret

(Vuibert, 2015, 176 p. 19,90 €)

 
L'univers secret de la cryptographie (G. Dubertret, Vuibert, 2015)Le premier chapitre du livre brosse très rapidement l’histoire de la cryptographie de l’Antiquité à nos jours. Le second chapitre présente les différents acteurs qui entrent en jeu dans la chaîne de communication et donc de cryptographie. Le troisième décrit les objectifs de la cryptographie, ce qu’elle peut faire et ce qu’elle ne peut pas faire.
Le chapitre 4 présente les différents outils mathématiques à la disposition des cryptographes et le chapitre 5 les solutions retenues par les précurseurs : Kerckhoffs, Turing, Shannon et Vernam.
Les chapitres 6, 7, 8 et 9 traitent des attaques, des systèmes symétriques, des systèmes à clé publique, de l’authentification, de la signature et de l’identification.
Le chapitre 10 présente toute une série d’applications concrètes de la cryptographie de nos jours : le bitcoin, le recommandé avec accusé de réception électronique, la carte bancaire, le vote par Internet…
Le dernier chapitre attire l’attention du lecteur sur les illusions de sécurité procurées par les dispositifs technologiques ultra-sophistiqués s'ils ne sont pas accompagnés d’une prise de conscience des utilisateurs sur les risques réels souvent liés à des comportements trop confiants !
Cet ouvrage survole l’ensemble des problèmes liés à la cryptographie, c’est une bonne introduction pour le lecteur qui souhaite en savoir plus sur ce sujet complexe et qui lui permettra d’aborder des ouvrages plus difficiles d’accès.

Patrice Debré

(Odile Jacob, 2015, 300 p. 23,90 €)

 
L'Homme microbiotique (P. Debré, Odile Jacob, 2015)"Inter faeces et urinam nascimur" aurait dit saint Augustin, "c'est entre fèces et urine que nous naissons". La citation est souvent utilisée pour rappeler l'humilité qui sied à notre condition d'homme. Il semble en effet aller de soi que ce que notre organisme excrète ne mérite aucune espèce de considération. Cette certitude, comme souvent, est une fausse certitude. Le livre de Patrice Debré montre tout ce que nous devons à nos fèces, il décrit leur richesse, l'extraordinaire complexité de leur composition et de leur fonctionnement.
La vie n'est avare ni de mystères ni de merveilles. Plus on cherche, plus on pénètre dans la connaissance du vivant, plus on s'émerveille de ce qu'on trouve, plus le champ de la recherche s'élargit...
Notre organisme ne pourrait pas vivre sans son microbiote, cet ensemble de centaines de milliards de bactéries étrangères à lui, sans oublier virus et champignons. Ce microbiote couvre une surface développée de près de 400 m², pèse plusieurs kilogrammes, il constitue un organe en soi, un organe de plus dans notre organisme, un organe étranger et pourtant indispensable.
Présent dans les intestins, il l'est aussi sur la peau, dans le vagin, dans la bouche... Son influence se fait sentir dans tout le corps, sur tous les autres organes, jusqu'au cerveau.
Les exemples sont nombreux, dans le monde animal et végétal, de ces symbioses hôte-parasites qui voient non seulement des parasites incapables de vivre sans leur hôte mais aussi, et c'est plus surprenant, l'hôte incapable de vivre sans ses parasites. On s'interroge sur la façon dont l'évolution a pu mener à de telles situations. Le livre donne l'exemple parmi d'autres de cet acacia d'Afrique qui abrite des fourmis. Ces fourmis le protégent, par les phéromones qu'elles sécrètent, des herbivores qui mangeraient son feuillage. Mieux encore, l'acacia annihile chez les fourmis qu'il abrite l'enzyme leur permettant de digérer le sucre et il leur fournit lui-même cet indispensable enzyme avec le nectar dont il les nourrit, en somme il fait d'elles ses esclaves !
Dans notre organisme se passent des choses de cette nature et encore plus extraordinaires.
Un exemple les résume : l'hologénome. Les gènes ne se transmettent pas seulement verticalement, de parents à enfants, ils se transmettent aussi horizontalement, de cellules à cellules, au point que l'on parle désormais d'hologénome car force est d'admettre que notre génome est composé de l'addition de nos gènes propres et des gènes de certains des microbes commensaux de notre microbiote. Cela fait de l'homme une sorte de chimère, ce terme revient à plusieurs reprises, c'est-à-dire un être fait de plusieurs êtres assemblés.
Immunologue, Patrice Debré consacre de longs développements aux interactions entre microbiote et système immunitaire. On s'interrogeait sur la capacité des cellules immunitaires à distinguer "le soi du non-soi", il faut s'interroger aussi maintenant sur leur capacité à distinguer les microbes commensaux des microbes pathogènes.
Médecin, il décrit les nombreuses thérapies que ces nouvelles connaissances permettent, et certainement permettront, de mettre en œuvre.
Épidémiologue, il pose la question de l'hygiène, indispensable mais jusqu'à quel point ?, et celle des antibiotiques, qui sauvent tant de vies mais déséquilibrent le microbiote et suscitent des bactéries multirésistantes.
Et, pour être complet, il n'oublie pas de mentionner que si c'est à la naissance, inter faeces et urinam, que le nouveau-né sortant d'un placenta stérile fait les rencontres qui sont à l'origine de son microbiote, il est de multiples façons de l'enrichir au cours de la vie, par exemple le baiser...
On parlait de "flore intestinale", longtemps on ne s'y est pas assez intéressé, le microbiote était encore récemment terra incognita ; l'ouvrage montre la façon dont ce retard est en train d'être comblé. Il ouvre des domaines passionnants d'analyse et de réflexion.

Jean-François Clervoy et Frank Lehot

(Vuibert, 2015, 208 p. 27 €)

 
Histoire de la conquête spatiale (J.-F.  Clervoy, F Lehot, Vuibert, 2015)En 2015, année de parution de l’ouvrage, moins de 55 années se sont écoulées depuis le premier vol spatial humain, celui de Youri Gagarine, le 12 avril 1961. 55 années marquées par une exceptionnelle densité de missions, programmes et progrès dans la conquête spatiale. 55 années qui ont vu 541 astronautes différents (dont 59 femmes) effectuer 1221 voyages dans l’espace pour un cumul de durée de plus de 45000 jours. Astronautes de 36 nationalités différentes, avant tout russes et américains, mais comprenant également 9 Français et, depuis 2003, des Chinois, la Chine étant devenue la troisième nation capable d’envoyer un humain dans l’espace par ses propres moyens après la Russie et les Etats-Unis d’Amérique.
C’est toute l’épopée de cette conquête spatiale qui est présentée de manière très claire en 63 chapitres comprenant chacun un texte et des documents photographiques et 24 fiches sur des thèmes transversaux.
Après une introduction rappelant que depuis 4000 ans les hommes rêvent de conquête spatiale, 55 chapitres présentent les principaux moments de cette histoire, regroupés en trois grandes périodes :

  • 1961-1972 Du premier homme dans l’espace aux marcheurs lunaires,
  • 1973-1998 Les stations orbitales et la navette spatiale : l’homme s’installe en orbite terrestre,
  • 1998-2015 De l’ISS à l’accès privé à l’espace. L’humanité prépare l’exploration future du cosmos.

Permise par les travaux sur les fusées au cours de la première moitié du XXe siècle, cette conquête est d’abord marquée par la compétition américano-soviétique dans le contexte de la guerre froide, avec une course aux records et une multiplication de grands programmes : Saturne/Soyouz pour ce qui concerne les lanceurs, Gemini, Apollo, Saliout, Skylab, Mir, International spatial station (ISS), Navette... Conquête marquée par des moments exceptionnels et notamment le premier alunissage, le 20 juillet 1969, lors de la mission Apollo 11, les sorties dans l’espace, le développement de longs séjours (437 jours pour le plus long) mais aussi par des tragédies (Challenger, Columbia…).
Les 8 derniers chapitres regroupés sous le titre « Au-delà de 2015 : un bon de géant pour l’humanité », présentent les perspectives d’avenir, bases lunaires, tourisme spatial, stations spatiales, expéditions vers Mars….
Les 24 fiches thématiques complètent ce panorama historique en présentant les différentes facettes de la vie des spationautes et de ses contraintes, depuis "comment supporter les accélérations" jusqu’à "communiquer avec sa famille" en passant par "l’esprit d’équipe" et "les risques et dangers".
Au total, un livre très attrayant qui met en lumière l’exceptionnelle réussite scientifique et technique que constitue la conquête spatiale.

François Rodhain

(Docis, 2015, 448 p. 39 €)

 
Le parasite, le moustique, l'homme et les autres... (F. Rodhain, Docis, 2015)Voilà un livre de 450 pages qui se présente bien modestement comme un « essai », et sous un titre qui ne fait appel qu’à des mots bien banaux : le parasite, le moustique, l’homme, et même… les autres ! Il y a de toute évidence un mystère sous cette présentation qui ressemble à une fable de La Fontaine, mais celui-ci s’éclaircit bien vite à la lecture : même si l’ouvrage est à la base un précis d’éco-épidémiologie des maladies à vecteurs (le terme de traité est récusé !), donc une somme scientifique très pointue, il est d’un bout à l’autre de lecture facile, tant tout ce qui pourrait relever d’un jargon a été évité ou soigneusement expliqué. Ce n’est pas là un mince mérite de l’auteur qui, évidemment, maîtrise parfaitement non pas un mais plusieurs jargons (médical, épidémiologique, entomologique, microbiologique… entre autres), mais a voulu que tout un chacun puisse en le lisant comprendre l’importance du sujet malgré son extrême complexité. Si le titre avait fait appel à des mots scientifiques, il aurait dévoilé un objectif pédagogique, au risque de paraître pédant. Grâce à ce document, personne n’aura plus d’excuse pour ignorer comment circulent les maladies vectorisées.

Traduisons donc ce titre pour entrer dans le contenu de l’ouvrage : c’est ce qui est fait dans les deux premières parties, qui situent les protagonistes de l’aventure. On comprend très vite que « le parasite » est pris dans un sens littéral, très large. Il est aussi qualifié de « microbe », mais comporte en fait tous les agents infectieux. Plus de 60 pages lui sont consacrées, ce qui atteste du soin pris à définir ces organismes très divers, que ne rapproche que leur capacité à infecter des hôtes vertébrés après une transmission par un vecteur. Quant au « moustique », il a l’honneur d’être le porte-parole de l’ensemble des vecteurs : significativement, c’est à peu près le même nombre de pages qui est consacré à cette seconde base des systèmes vectoriels, au moins aussi complexe que la première. Notons qu’à ce stade, des notions détaillées (et non un survol) de virologie, de bactériologie, de parasitologie, d’entomologie ont été données. Il s’y ajoute des données sur l’importance des maladies vectorisées en médecine humaine et vétérinaire. Ce rappel est loin d’être inutile, tant les maladies infectieuses sont aujourd’hui sous-estimées, du moins dans les pays développés, comme en témoigne par exemple le refus croissant et inquiétant de toute vaccination. Pourtant il n’est nul besoin de réchauffement climatique pour qu’elles continuent à constituer, malgré tous les progrès réalisés, un risque majeur pour l’homme et bien sûr aussi pour « les autres ». Tout cela n’est pourtant encore que la présentation des acteurs : il va falloir les mettre en mouvement, non sans avoir au préalable défini ce qu’est un vecteur. Il s’agit évidemment ici d’une notion centrale parfaitement précisée.

Trois chapitres exposent les relations au sein de chacun des compartiments : vertébrés/vecteurs ; parasites/vecteurs ; parasites/vertébrés. Ils ne peuvent être détaillés ici, mais ils donnent toutes les clefs pour comprendre le quatrième chapitre, qui fait « tourner » les systèmes vectoriels. Les outils les plus modernes (notamment issus de la biologie moléculaire) y côtoient des données classiques ou beaucoup moins traditionnelles, mais devenues incontournables telles que les transmissions trans-stadiales, la compétence vectorielle, l’incubation extrinsèque, les complexes d’espèces jumelles, l’impact de la génétique des vecteurs ou des hôtes vertébrés, la spécificité et les barrières d’espèces… Ces données, et bien d’autres, sont exposées clairement, encore une fois en termes accessibles à tous. Cette partie constitue le cœur de l’ouvrage, indispensable à la compréhension du fonctionnement de l’ensemble. Elle intègre les connaissances les plus récentes, dans des domaines très divers, mais tous contributifs. Peut alors venir le chapitre synthétique, qui décrit la structure et le fonctionnement des systèmes vectoriels. C’est seulement là qu’entrent en scène la bio-écologie des protagonistes, les définitions épidémiologiques, la biogéographie, la circulation des agents et des maladies induites. Là encore, la somme des connaissances nécessaires à la compréhension du fonctionnement est impressionnante, relevant de plusieurs disciplines qu’il est peu habituel de voir maîtriser ensemble. Tout cela est présenté de manière détaillée, mais toujours accessible (notons au passage que 33 annexes individualisent certaines données ou des exemples particulièrement démonstratifs). Il ne reste plus, dans un ultime chapitre, qu’à tirer les conséquences médicales de ces connaissances, en exposant les possibilités de prévention des maladies, notamment par la lutte anti-vectorielle.

Ultime chapitre ? Non : in cauda venenum, l’auteur est un entomologiste, il le revendique avec force même s’il a, nous l’avons vu, bien d’autres cordes à son arc. Il ne peut donc conclure un tel ouvrage sans attirer l’attention sur la situation inquiétante de cette spécialité : de jeunes talents sont attirés par une matière qui a évolué de façon spectaculaire au cours des 20 dernières années, et dont ce livre illustre magnifiquement la richesse, mais rares sont les cas où il est possible de leur proposer une carrière. Le manque de compétences, déjà patent, ne fera que s’aggraver dans l’avenir alors que tout laisse à penser que les besoins ne feront que croître.

Tout au long du livre, François Rodhain illustre ensuite d’une manière particulièrement éclatante le concept « un monde une santé », en consacrant évidemment un chapitre aux zoonoses, mais en n’oubliant pas non plus les maladies qui ne frappent que les animaux, qu’ils soient domestiques ou sauvages. L’une d’entre elles, la fièvre catarrhale ovine, a récemment illustré le déficit dramatique en entomologistes, puisqu’il n’en restait qu’un seul en France qui connaisse les Culicoides vecteurs de cette virose : il a fallu lui en faire former d’autres en urgence. Jugulée par une vaccination très efficace, la maladie est réapparue cette année, et il n’est pas exclu que d’autres outils s’avèrent nécessaires, pourquoi pas la lutte anti-vectorielle ?

 

(Analyse présentée lors de la séance de l’Académie vétérinaire de France du 17 décembre 2015, avec l’aimable autorisation de l'auteur)
Léo Grasset

(Seuil, 2015, 144 p. 15 €)

 
Le coup de la girafe. Des savants dans la savane (L. Grasset, Seuil, 2015)Il s’agit d’un livre d’histoires naturelles racontées avec humour par un jeune chercheur ayant passé six mois, à partir d’avril 2013, au Zimbabwe pour étudier une population de zèbres dans le parc national du Hwange. Cependant son expérience ne se limita pas aux zèbres.
Ce petit livre montre que l’auteur se pose bien des questions, en commençant par l’évolution anatomique de certaines espèces comme le clitoris en forme de pénis des hyènes et les cornes des femelles buffles. Puis il essaie de comprendre, comme de nombreux biologistes l’ont fait, pourquoi les girafes avaient un si long cou : s’agit-il d’une adaptation à la recherche de leur nourriture dans les arbres ? d’une arme utilisée par les mâles ? ou encore d'un moyen de détection des prédateurs ? Les questions sont nombreuses et toutes aussi curieuses. Pourquoi les gazelles fuient-elles devant le guépard en changeant brusquement de direction ? Pourquoi les zèbres ont-il des rayures ? différentes hypothèses sont émises dont celle de l’anti-mouches !
Puis l’auteur s’attache à nous présenter la grande variété des comportements originaux que certaines espèces de la savane peuvent avoir : le mystère de la ventilation des termitières, le comportement de groupe des antilopes, des bancs de poissons ou des oiseaux pour se protéger des prédateurs, la hiérarchie au sein d’un groupe d’éléphants ou la manipulation des mâles Topi pour garder auprès d’eux les femelles.
Une troisième partie nous apporte des exemples surprenants : les bousiers s’orientant avec la voie lactée, la possibilité des éléphants de distinguer la voix des femmes de celles des hommes, l’agressivité du ratel (mustélidé africain) et les erreurs du dessin animé « Le roi lion ».
Enfin, l’auteur replace l’Homme dans l’univers de la savane avec un grand nombre d’exemples où les animaux sauvages se sont adaptés à la présence humaine, avec des côtés positifs mais d’autres négatifs, comme l’infanticide des lionceaux et la chasse sportive (la mort d’un lion mâle pouvant mener à l’arrivée d’un autre mâle éliminant les petits pour que la femelle devienne réceptive), les changements climatiques pouvant conduire à la désertification et finalement l’évolution de l’Homme dans la savane.
Ce petit livre fourmille de questions qui n’ont d’ailleurs pas toujours de réponse. De nombreux schémas dessinés par l’auteur ou des photos illustrent cet essai reposant aussi sur des références bibliographiques.
On pourrait penser au départ que c’est un livre pour de très jeunes enfants mais ce n’est pas tout à fait le cas.

Carlo Rovelli

(Dunod, 2015, 196 p. 19,50 €)

 
Anaximandre de Milet ou la naissance de la pensée scientifique (C. Rovelli, Dunod, 2015)Le livre peut être décomposé en trois parties. La première est un éloge d'Anaximandre et de son héritage scientifique et intellectuel. Anaximandre, qu'on ne connaît qu'indirectement, par des écrits postérieurs, et dont on sait pas avec certitude s'il s'agit d'un homme seul ou d'un groupe de penseurs dont il aurait été le plus célèbre, vécut au VIe siècle avant J.-C., à Milet, sur la côte ouest de l'actuelle Turquie, prospère ville grecque où régnait une grande liberté intellectuelle, politique, sociale, religieuse.
Il émit, parmi d'autres, l'hypothèse que la pluie n'était pas le résultat d'une décision divine mais de l'évaporation de l'eau des fleuves et des mers par l’effet de la chaleur du soleil, l'hypothèse que la foudre n'était pas l'effet de la colère de Zeus mais de la rencontre du vent et des nuages, et surtout l'hypothèse que la Terre n'était pas plate mais ronde, soutenue par rien, ne tombant pas car aucune direction ne l'attirait plus qu'une autre. Héritage remarquable comme on voit. Et il laissa un principe : douter toujours, et une méthode : respecter l'héritage reçu mais pour mieux le contester et ainsi être à même de faire un pas de plus vers la connaissance du monde. Nous vivons, encore aujourd'hui, sur ce principe et sur cette méthode, le doute et la remise en question des vérités établies.
La deuxième partie du livre est moins scientifique et plus militante. Bien sûr, on suit Carlo Rovelli quand il dénonce les méfaits de l'obscurantisme religieux et vante le bien-fondé de la pensée scientifique. Et aussi quand il regrette que, à bien des égards, côté superstitions et fausses certitudes, nous n'ayons guère progressé depuis Anaximandre. Mais ne jette-t-il pas le bébé avec l'eau du bain ? Les hommes ont besoin de croire. D'ailleurs, d’une certaine façon, il se coupe. Page 134, il écrit : « Les cultures se parlent, s'influencent, échangent sans cesse non seulement des flèches et des boulets de canon, mais aussi, grâce au ciel, valeurs, idées et connaissances, exactement comme le font les individus et les groupes au sein de chaque culture. » Je ne sais comment est venu sous sa plume ce « grâce au ciel » mais il y est, bel et bien. N’est-il pas un signe ?
Et d'ailleurs, en bon scientifique, l’auteur s'interroge. En quoi consistait « la pensée pré-scientifique » ? C'est le dernier chapitre du livre, et sa troisième partie dans la décomposition proposée ici.
« Qu'est-ce donc en définitive que la pensée mystico-religieuse dont il fut si difficile de s'éloigner ? Que sont les dieux ? », se demande-t-il. Il passe en revue, rapidement bien sûr, trop rapidement comme il l’écrit, les différentes conceptions du monde ayant précédé notre conception moderne et scientifique. Tentant d'une certaine façon une théorie du religieux. Il est dommage sur ce point que, parmi les auteurs cités, il manque René Girard. Le livre se termine par une très belle citation, venant de l'Inde antique, extraite d'un texte, le Rig Veda, datant de 1500 av. J.-C. :

« D'où est née et d'où vient cette création ?
Même les Dieux sont nés après la création du monde,
et alors qui connaît d'où il est venu à l'existence ?
Personne ne peut savoir d'où est venue la création,
et s'Il l'a créée ou s'Il ne l'a pas créée.
Lui seul la surveille du plus haut des cieux, Lui seul le sait,
ou peut-être ne le sait pas. »

Elle montre à quel point la pensée mystico-religieuse savait déjà douter. C’est en s’appuyant sur cet héritage, tout en le réfutant, que la pensée scientifique a éclos. Anaximandre fut une étape essentielle dans cette éclosion. Eclosion jamais achevée sans doute. Ce livre en est un très précieux rappel.

Michel Barel

(Quae, 2015, 136 p. 16 €)

 
Quel est le meilleur chocolat ? 90 clés pour comprendre le chocolat (M. Barel, Quae, 2015)En cette période de fêtes où la consommation de friandises va s'envoler, il est amusant de lire ou d'offrir, pour accompagner un ballottin, ce petit ouvrage publié aux éditions Quae, 90 clés pour comprendre le chocolat.
Michel Barel, scientifique et chercheur au Cirad, a consacré une grande partie de sa carrière à travailler dans un domaine alléchant, la filière du cacao, et à décrypter les innovations technologiques qui s'y rattachent.
Il nous fait partager sa passion, en nous relatant comme une aventure toutes les étapes de la production du cacao jusqu'aux tablettes de chocolat. Il en explore toute la complexité et décrit avec précision les enjeux qui entourent la culture et la transformation des cabosses des cacaoyers, une plante apparue sur la terre, en Haute Amazonie, bien avant que l'homme y existe et soit séduit par la saveur de la pulpe qui entoure les graines.
On y apprend les mystères de l'arôme, ou plutôt des divers arômes du chocolat, façonnés par la fermentation et la torréfaction des fèves. Mais aussi les secrets de sa saveur et les conséquences de sa consommation pour la santé. On y lit, entre autres choses et notamment, quelques conseils pratiques pour déguster et apprécier le chocolat, que les Allemands en sont les plus gros consommateurs avec 11 kg par an et par habitant, devant les Belges, les Suisses et les Anglais et que les Français se contentent d'une moyenne de 7,6 kg ! que la croissance de la consommation dans les pays émergents, si elles se poursuit au rythme actuel, risque de conduire un jour à une pénurie mondiale.
Bref, en lisant ce petit livre, on s'amuse à devenir un gourmand éclairé.

Jean Audouze, Georges Chapouthier, Denis Laming , Pierre-Yves Oudeyer

(CNRS Ed., 2015, 216 p. 23 €)

 
Mondes mosaïques. Astres, villes, vivant et robots (CNRS Ed., 2015Cet ouvrage tente une vaste réflexion sur les analogies que l’on peut trouver entre les astres, les villes, le vivant et les robots : tous tendent vers la simplicité, la symétrie, la cohérence, tous sont soumis à l’entropie et tous visent à une meilleure adaptation.
La thèse avancée est puissante et séduisante : le cerveau humain est construit sur les mêmes bases que l’Univers et c’est pour cela qu’il a créé les villes et les robots à l’image de ce modèle.
Les quatre auteurs, chacun dans leur spécialité, astrophysique, biologie, architecture et robotique, font apparaître un principe général d’évolution en mosaïque, d’abord par juxtaposition puis par intégration, le tout étant toujours supérieur à la partie.
La lecture de l’ouvrage est facile et ne nécessite aucune connaissance particulière dans les quatre disciplines évoquées plus haut.
Ce livre induit naturellement des réflexions fondamentales qui doivent permettre de mieux comprendre le monde ou nous vivons.

Sous la direction de Michel Petit

(Cherche midi Ed., 2015, 256 p. Prix : 16 €)

 
Climat, le temps d’agir (Cherche midi Ed., 2015)Ce sont plus de 30 auteurs que Michel Petit, qui a été directeur de l’Institut national des sciences de l’Univers (INSU) et membre du bureau du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), a réunis pour écrire cet ouvrage. Il arrive à point nommé, le 15 octobre, alors que, un peu plus d’un mois plus tard, le 30 novembre, doit s’ouvrir, à Paris (en fait au Bourget), la réunion de ce que l’on désigne par l’abréviation de COP 21 (abréviation incompréhensible pour la plupart des gens, mise pour Conference of Parties, 21e Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, convention ratifiée par 196 Etats).
Cette Conférence est censée prendre des décisions pour lutter contre le changement climatique d’origine humaine. Parmi celles-ci, on retiendra particulièrement le Protocole de Kyoto (1997) destiné à réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Mais on n’a pas vraiment l’impression que les décisions prises jusque-là, et, surtout, leur application, soient suffisantes pour leur objectif et pour éviter à notre planète, et à ses habitants, les multiples problèmes que, selon toute apparence, vont leur poser ces changements climatiques.
Il est certainement grand temps d’agir et le titre de la publication dirigée par Michel Petit est pleinement justifié.
A sa base, il y a les publications du GIEC qui représentent les contributions fondamentales de centaines de scientifiques spécialistes des différentes disciplines intéressées par le climat. Cet impressionnant corpus (des milliers de pages diffusées en 15 ans au long de 5 rapports) a un gros inconvénient : malgré des résumés à l’intention des décideurs, il est pratiquement illisible, même pour un habitué.
C’est donc une œuvre salutaire d’en donner une traduction en un langage clair et simple. Les différents auteurs de l’ouvrage, qui sont des spécialistes éclairés, ont réussi à le faire, ce qui rend le texte, aidé par une excellente mise en page, très lisible. Sa lecture est donc tout à fait recommandée à celui qui veut, sans difficulté, faire le tour du problème.
Les constatations, les modélisations, les prévisions sont le fait de scientifiques auxquels on demande d’être objectifs, de laisser de côté, s’ils en ont, leurs préventions et leurs a priori pour s’en tenir aux faits. Mais peut-on leur demander de ne pas avoir une opinion sur ce que peuvent entraîner les phénomènes qu’ils ont mis au jour ? Nous ne développerons pas ici le problème de la responsabilité des scientifiques. Mais elle est assumée dans cet ouvrage, conformément à l’esprit du Club des Argonautes (http://www.clubdesargonautes.org), à la base de sa rédaction, qui, entre autres, veut faire connaître, et éventuellement contribuer à promouvoir, des solutions techniques aux problèmes posés par le réchauffement climatique. De fait, des solutions nous sont proposées à la fin de l’ouvrage et il nous est dit que certaines peuvent être mises en œuvre dès à présent et, ce que nous retiendrons en conclusion : « Si chaque citoyen est acteur à son niveau, il appartient aux politiques et acteurs économiques d’assumer leurs responsabilités et de prendre les décisions qui s’imposent. Il y a urgence : il est temps d’agir. »

Edward Frenkel

(Flammarion, 2015, 365 p. 23,90 €)

 
Amour et maths (E. Frenkel, Flammarion, 2015)Quelle est donc la vie d'un jeune mathématicien prodige ? Nous sommes bien loin de l'image traditionnelle de l'excentrique renfermé et constamment « dans la lune », qui ne pense qu'à ses équations et dont la distraction phénoménale lui procure dans la vie réelle quantité de déboires souvent cocasses, parfois tragiques...
Edward Frenkel est russe mais aussi juif, cela lui vaut de connaître l'une des meilleures écoles mathématiques du monde, mais aussi de subir l'antisémitisme de la Russie communiste des années quatre-vingt. Voilà dèjà un parcours mouvementé qui se heurte aux « apparatchiks » chargés de l'écarter de l'Université... mais qui reçoit aides et soutiens discrets et efficaces des plus grands mathématiciens russes, qui ont détecté son génie et l'orientent dans la bonne direction !
Mais plus que la vie d'Edward Frenkel, le sujet du livre est la vie des mathématiques : une fresque colorée où l'on apprend beaucoup et où se dégage l'essentiel : à travers tous leurs raisonnements, toutes leurs définitions et toutes leurs constructions, les mathématiciens recherchent la certitude absolue. Et c'est presque indépendamment de leur volonté qu'ils sont si utiles aux autres sciences, lesquelles se servent de ce qui pour les uns sont leurs « découvertes » et pour les autres leurs « inventions » selon que leurs opinions sont ou non platoniciennes... Mais il s'écoule souvent des dizaines d'années, et même parfois des siècles, avant qu'un concept mathématique, certes beau mais apparemment stérile, se révèle infiniment précieux pour comprendre les mystères de la Nature, en particulier ceux de la Physique quantique.
Invité à Harvard aux Etats-Unis, puis dans le monde entier, Edward Frenkel réalise enfin son rêve de communiquer au monde la beauté des mathématiques. Il s'associe à des artistes et des cinéastes pour créer le film bouleversant Rites d'amour et de maths.