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Alain Foucault
Professeur émérite du Muséum national d'histoire naturelle (Paris)
Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) a été créé en 1988 par l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE). Il a pour mission d’évaluer, sans parti pris et de façon méthodique, claire et objective, les informations d’ordre scientifique, technique et socio-économique qui nous sont nécessaires pour mieux comprendre les fondements scientifiques des risques liés au changement climatique d’origine humaine, et en cerner plus précisément les conséquences.
Il publie périodiquement des rapports concernant ce changement climatique. Depuis sa création, il a publié cinq rapports principaux, auxquels il convient d’ajouter quinze rapports spéciaux et une vingtaine de rapports divers sur des problèmes spéciaux ou méthodologiques. L’ensemble totalise des milliers de pages dont le contenu exige, pour être assimilé, des connaissances suffisantes. Même les résumés pour les décideurs, que le GIEC a annexés à ces rapports, ne sont pas de lecture aisée.
Pourtant le message qu’il nous transmet est simple : depuis le début de l’ère industrielle (disons 1850), la température moyenne au sol s’est élevée de près de 1°C. La cause de cette élévation est l’émission dans l’atmosphère, du fait de nos activités, de gaz à effet de serre, majoritairement dioxyde de carbone (CO2) et méthane (CH4). Si nous continuons ces émissions, la température continuera d’augmenter, avec des conséquences importantes sur notre environnement et nos conditions d’existence.
Voilà près de 30 ans que le GIEC a publié son premier rapport et, depuis, il ne cesse de préciser son message et d’en détailler les conséquences. Ces conséquences sont majoritairement néfastes, ce qui a ému l’opinion publique. De nombreuses réunions internationales ont été tenues pour examiner le problème et notamment celles que l’on désigne sous le sigle de COP, ce qui signifie « Conférence des parties à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques ». Elles se tiennent tous les ans depuis 1979.
La conférence qui a eu lieu en 2015, la COP 21, doit être spécialement retenue parce qu’elle s’est conclue par l’Accord de Paris prévoyant de limiter l’augmentation de la température par rapport à l’ère préindustrielle à 2°C, voire à 1,5°C. A la suite de cet accord, il a été demandé au GIEC de se pencher plus particulièrement sur une augmentation possible de 1,5°C, d’en envisager les modalités et les diverses conséquences. On peut s’interroger sur le fait que la demande n’ait pas été faite aussi pour une augmentation de 2°C, qui n’est pas irréaliste, peut-être pour ne pas affoler les populations, mais le GIEC a, de lui-même, dépassant sa mission, abordé cette possibilité.
Toujours est-il que le rapport spécial du GIEC qui répond à cette demande a été publié le 6 octobre 2018. On le trouvera sur Internet à l’adresse www.ipcc.ch. Il comprend 695 pages, auxquelles il y a lieu d’ajouter quelques annexes. Comme toutes les publications du GIEC, sa lecture est aride. Il est précédé d’un résumé pour les décideurs, dont on peut se demander s'ils auront le courage de le lire en détail.
Le rapport lui-même est divisé en cinq chapitres :
- 1 : cadre et contexte
- 2 : voies d’atténuation compatibles avec une température de 1,5°C dans le contexte d’un développement durable
- 3 : impact d’un réchauffement planétaire de 1,5°C sur les systèmes naturels et humains
- 4 : renforcement et mise en œuvre de la réponse mondiale
- 5 : développement durable, éradication de la pauvreté et réduction des inégalités
Dans l’ensemble, on ne peut pas dire qu’il apporte beaucoup de nouveautés par rapport à ce que le GIEC avait déjà publié. Mais l’exposé qui est fait, se concentrant surtout sur le réchauffement de 1,5°C, aide à mieux comprendre ce qui se passerait dans ce cas : une quantité de détails sont précisés. Il y est confirmé que les effets du réchauffement global se font déjà sentir sur les écosystèmes terrestres ou océaniques. Ces phénomènes seraient accentués si le réchauffement atteignait 1,5°C, et davantage s’il atteignait 2°C. A noter que les températures sur terre augmenteraient davantage que celles sur mer, dépassant alors les moyennes de 1,5°C ou 2°C.
Ces effets se manifestent très diversement selon les régions. Par exemple, si l’on prend en compte les saisons ayant localement subi les plus forts réchauffements, on voit que de vastes surfaces de l’Inde et de la Chine ont déjà largement dépassé 1,5°C et même parfois 2°C. Santé, moyens de subsistance, sécurité alimentaire, approvisionnement en eau nouveau, sécurité humaine seraient affectés par le changement climatique.
Quelles que soient les mesures prises pour contrer ce changement, il apparaît que les effets des émissions de gaz à effet de serre déjà réalisés persisteront pendant des siècles, voire des millénaires. Parmi eux, on peut noter un renforcement des précipitations ou des sécheresses dans certaines régions.
Il est envisagé des possibilités d’adaptation : restauration des écosystèmes, reforestation, gestion de la biodiversité, aquaculture durable, aménagement côtier, gestion des catastrophes, gestion de l’eau, etc. ; mais pour ne pas dépasser une augmentation de 1,5°C, il faudrait que les émissions de dioxyde de carbone anthropiques diminuent de 45% d’ici 2040 par rapport à 2010, pour atteindre zéro en 2050. Pour se limiter à 2°C, ces chiffres devraient être respectivement 20% et 2075. Celles imputables à l’industrie devraient être inférieures de 75% à 90% en 2050 par rapport à 2010.
Ces réductions nécessitent des transitions rapides et profondes en énergie, usage des terres, tissu urbain, infrastructures (dont transport et bâtiments) et systèmes industriels. C’est techniquement possible mais pas forcément socialement acceptable. Les systèmes urbains et les infrastructures sont susceptibles de quantités d’amélioration pour limiter le réchauffement si l’on s’affranchit de nombreuses barrières économiques, institutionnelles et culturelles.
Le GIEC met l’accent sur les rapports entre la lutte contre le réchauffement climatique et la réalisation d’un développement durable. Pour lui, ces deux préoccupations vont de pair, à condition d’éviter les conflits entre ces actions et de rechercher plutôt leurs synergies. Dans le même esprit, il souligne que les changements climatiques pourraient avoir un impact significatif sur l'extrême pauvreté, exacerbant les inégalités, en particulier pour les personnes défavorisées par le sexe, l'âge, la race, la classe sociale, la caste et les incapacités. Toutes leurs conséquences négatives affecteraient au premier chef les populations défavorisées, notamment celles des régions arctiques, des zones arides et des petits Etats insulaires.
Le rapport dit peu en matière de coût, soulignant seulement que plus on tarde à prendre des mesures, plus il sera élevé. Si l’on veut en savoir davantage, il faut se référer à un article publié récemment et que le rapport n’a pas pu prendre en compte (Country-level social cost of carbon. K. Ricke, L. Drouet, K. Caldeira & M. Tavoni. Nature Climate Change. Vol. 8, p. 895-900. 2018). Cet article évalue ce que coûte, comme dommages aux sociétés, l’émission de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère. Ainsi, il évalue leur coût total à 417 dollars par tonne de CO2 émise (avec de larges marges d’erreur). Il va plus loin en détaillant ce coût en fonction des pays, et ce coût est très variable. Pour l’Inde, il est de 86 dollars par tonne de CO2 (soit 21% du coût total), pour les Etats-Unis, de 48 dollars (11% du total), pour la Chine, de 24 dollars. En face de ces perdants, il y a des gagnants : le nord de l’Europe, le Canada et l’ancienne Union soviétique. Mais gagnant ne signifie pas qu’il faut émettre davantage de CO2. Même dans ces pays, les perturbations régionales ne feront pas que des heureux !
A noter que ces évaluations dépassent de beaucoup ce qui était admis jusqu’à présent. Sur ces bases, comme on émet chaque année de l’ordre de 40 milliards de tonnes de CO2, cela nous coûterait globalement quelque 15 000 milliards de dollars.
Le GIEC reconnaît que « les changements sociétaux et systémiques fondamentaux pour parvenir à un développement durable, éliminer la pauvreté, réduire les inégalités, tout en limitant le réchauffement à 1,5°C, nécessiteraient de remplir un ensemble de mesures institutionnelles, sociales, de conditions culturelles, économiques et technologiques ». C’est bien la moindre des choses car ce que n’a pas envisagé le GIEC, c’est la faisabilité politique des mesures anti-réchauffement. Chacun peut se rendre compte qu’il y a là bien des difficultés...
Alain Delacroix
Ancien professeur titulaire de la chaire "Chimie industrielle - Génie des procédés" du Conservatoire national des arts et métiers
La transition énergétique va voir les industries de l’énergie, liées aux hydrocarbures et au charbon, être remplacées progressivement et probablement par d’autres moins productrices d’effet de serre. De ce fait, de nouvelles matières premières vont être nécessaires, en particulier, les terres rares. Un récent rapport conjoint de l’Académies des sciences et de l’Académie des technologies [1] vise à conseiller les pouvoirs publics pour l’exploitation éventuelle de ressources françaises métropolitaines et ultramarines. Cela est d’autant plus stratégique que la Chine monopolise le marché et représente plus de 80% de la production mondiale, ce qui peut induire des fluctuations « politiques » des prix, voire des crises d’approvisionnement. On sait par exemple que la Chine a restreint pendant un certain temps ses exportations vers le Japon en raison de divergences territoriales et, en 2011, le prix du dysprosium a été multiplié par 6.
Les terres rares ont été découvertes, pour certaines, dès la fin du XVIIIe siècle, dans des minéraux rares à l’époque, que l’on appelait internationalement en français des terres. C’est un ensemble de métaux constitué par les lanthanides et les actinides, auxquels on rattache quelques éléments comme l’yttrium et le scandium. Les actinides sont relativement peu utilisés, sauf évidemment l’uranium et quelques autres. En revanche, beaucoup de lanthanides ont actuellement des applications importantes. Le cérium, l’europium, le gadolinium, le terbium et l’erbium sont utilisés dans le stockage de l’énergie. Le praséodyme, le néodyme, le samarium et le dysprosium entrent dans la fabrication des aimants permanents pour les véhicules électriques et les éoliennes. En fait, on trouve des terres rares dans tous les éléments modernes qui nous entourent : dans les disques durs d’ordinateurs, les haut-parleurs audio et vidéo et tous les moteurs électriques de notre cuisine et de nos voitures.
Malgré leur appellation, les terres rares sont relativement répandues dans l’écorce terrestre, où elles sont assez diluées. Le cérium est aussi abondant que le cuivre, et le lutécium plus présent que l’argent. En revanche, leur mélange naturel est assez difficile à séparer et c’est seulement avec le projet Manhattan, vers 1940, qu’elles ont été séparées industriellement. Les terres rares ont été exploitées aux Etats-Unis mais la France a été pionnière dans leur séparation car une partie était produite à l’usine de La Rochelle par le procédé Rhône-Poulenc. Ce procédé polluant a été arrêté car il générait de nombreux déchets, dont certains sont plus ou moins radioactifs. En Chine où, pour l’instant, les contraintes environnementales sont moins sévères, l’extraction des terres rares implique la manipulation de grandes quantités de matériaux et s’effectue à ciel ouvert. Mais la Chine commence à se préoccuper de l’environnement et souhaite maintenant limiter sa production pour la réserver peut-être à sa propre consommation. De ce fait, la plupart des pays cherchent désormais à trouver chez eux des gisements, par exemple le Canada, l’Australie et les Etats-Unis. Un projet européen en Suède pourrait produire d’importantes quantités de dysprosium. La France, deuxième pays en surface maritime, possèderait de grandes quantités de terres rares dans les encroûtements ferromagnétiques situés en Polynésie française. Les nodules polymétalliques contiendraient par ailleurs du cérium. Quant au Japon, il aurait découvert un gisement très important dans les eaux internationales du Pacifique.
Pour résoudre l’approvisionnement en terres rares, on dispose de trois solutions simultanées. La première, comme on l’a vu, est de découvrir de nouveaux gisements. La deuxième est le recyclage : Recylum récupère les déchets électriques et les lampes LED, dont on espère obtenir de l’europium, du terbium et du gadolinium. Pour l’instant, les quantités récupérées sont trop faibles pour alimenter une filière industrielle, mais de nombreuses recherches sont en cours et le BRGM, entre autres, dispose déjà de procédés pour réaliser cette opération. Solvay-Rhodia, héritière de Rhône-Poulenc dans ce domaine, a cessé récemment son activité de recyclage des terres rares aux usines de Saint-Fons et de La Rochelle par manque de rentabilité. La dernière solution est de se passer des terres rares ou d’en limiter l’utilisation. Certaines voitures électriques les plus récentes ont maintenant des moteurs électriques et des accumulateurs qui n’utilisent presque plus de terres rares, dont la ZOE de Renault.
La production et l’utilisation des terres rares sont en pleine évolution et il semble très difficile aujourd’hui de prévoir les évolutions de ce domaine.
Patrice Courvalin
Professeur émérite à l'Institut Pasteur, département de microbiologie
Depuis le début de l'ère antibiotique dans les années quarante, les bactéries pathogènes pour l'homme ont évolué vers la résistance et, dans de nombreux cas, vers la multi- voire la pan-résistance. A l'inverse de cette évolution constante, durant les deux dernières décennies, la recherche en matière de découverte et de développement de nouveaux agents antibactériens a considérablement diminué. Ces tendances inverses ont entraîné une diminution importante des possibilités de choix thérapeutique.
Les mécanismes de résistance
Il en existe deux grands types :
- la résistance intrinsèque (ou naturelle), qui est la présence d'un mécanisme de résistance chez tous les membres d'une espèce ou d'un genre bactérien et qui définit le spectre d'activité d'un antibiotique,
- la résistance acquise, qui est la présence du mécanisme chez seulement certains isolats de la même espèce ou du même genre.
Les antibiotiques sont regroupés en classes (ou familles) sur la base de leur structure chimique. Les membres d'une classe sont des molécules étroitement reliées qui, généralement, possèdent le même mode d'action. Ils sont donc soumis au risque de la résistance croisée, c'est-à-dire qu'une bactérie résistante à l'un des membres de la classe sera résistante également à tous les autres membres. Le raisonnement en matière de résistance doit donc se fonder sur la classe d'antibiotiques plutôt que sur une molécule isolée.
Les bactéries ont développé quatre mécanismes majeurs de résistance :
- modification de la cible, qui conduit à la perte ou à la diminution de l'affinité de l'antibiotique pour sa cible,
- production d'une enzyme capable de neutraliser le pouvoir toxique de l'antibiotique,
- imperméabilité à l'antibiotique,
- efflux (ré-export) de l'antibiotique à l'extérieur des bactéries par des pompes qui requièrent de l'énergie.
L'objectif commun de ces divers mécanismes est d'empêcher l'interaction de l'antibiotique avec sa cible. Les mécanismes de résistance intrinsèques ou acquis ne sont pas différents sur le plan biochimique.
Le génome de la bactérie est constitué d'un seul chromosome et d'éléments génétiques accessoires : plasmide et transposon. Le chromosome contient toute l'information génétique requise pour le cycle de vie de la cellule bactérienne alors que, comme leur nom l'indique, les éléments génétiques accessoires portent des gènes qui ne sont pas indispensables bien que, dans certaines instances, ils puissent fournir un avantage décisif pour la survie de la bactérie hôte, telle la résistance aux antibiotiques. Le chromosome est hérité verticalement par la descendance de la bactérie alors que les éléments génétiques accessoires peuvent également être transférés horizontalement à d'autres bactéries. En conséquence, la résistance peut être de deux types : endogène ou exogène. La résistance endogène est le résultat de mutations dans des gènes chromosomiques ; elle ne se transmet pas de bactérie en bactérie, mais seulement dans la descendance, le chromosome n'étant pas transférable. A l'inverse, la résistance exogène est due au transfert horizontal (latéral) d'information génétique entre les bactéries par acquisition d'éléments génétiques mobiles.
Résistance endogène
La survenue de mutations chromosomiques est une voie efficace de résistance. Les mutations sont classiquement considérées comme rares, car elles surviennent à une fréquence basse, de 10-7 à 10-10. Cependant, au cours des infections chez l'homme, les populations bactériennes sont souvent importantes et en phase de croissance active, ce qui rend probable la survenue de ces mutations qui sont des erreurs lors de la réplication de l'ADN du chromosome. Ce type de résistance peut être secondaire à des modifications de la protéine cible de la bactérie (mutation qualitative) ou des mécanismes de régulation (mutation quantitative).
Les mutations qualitatives se produisent dans les gènes de structure qui dirigent la production des protéines qui sont les cibles des antibiotiques. Les mutations ainsi sélectionnées dépendent du mécanisme d'action de l'antibiotique et confèrent donc une résistance croisée à l'ensemble des membres de la classe.
Comme déjà mentionné, la résistance est utile seulement transitoirement et il est donc logique que l'expression des gènes responsables puisse être modulée dans le temps, c'est-à-dire ne s'opère que lorsque l'antibiotique contre lequel ils confèrent la résistance est présent dans l'environnement. C'est ainsi que les bactéries ont développé diverses façons d'exprimer la résistance de façon réversible. La régulation de l'expression des gènes de résistance est donc fréquente et représente un ajustement efficace entre l'économie d'énergie (nécessaire pour la résistance) et l'adaptation à un environnement aux changements rapides. Il existe divers mécanismes de survenue de ces mutations qualitatives et, de fait, la surexpression de nombreux gènes chromosomiques peut conférer la résistance aux antibiotiques.
Résistance exogène
Il y a trois niveaux de dissémination de la résistance selon le vecteur : bactéries (dissémination clonale), plasmides ou gènes. Ces divers niveaux de résistance, qui coexistent dans la nature et expliquent l'extraordinaire augmentation de la résistance chez les bactéries, sont non seulement infectieux (de mammifère en mammifère pour les bactéries, de bactérie en bactérie pour les plasmides, de réplicon en réplicon pour les transposons) mais également exponentiels dans la mesure où chacun est associé à la duplication de l'ADN.
La dissémination clonale est associée à la réplication du chromosome, la conjugaison plasmatique à un transfert réplicatif et la migration de gène avec la transposition réplicative.
L'évolution des bactéries vers la résistance est la résultante de deux événements indépendants, l'émergence et la dissémination. On ne peut rien faire contre l'émergence de la résistance, un événement qui survient par hasard, mutation ou transfert, et qui représente un aspect particulier de l'évolution bactérienne. La résistance existe donc potentiellement dans la nature, non seulement avant l'utilisation en clinique d'un antibiotique, mais également avant la découverte ou même la conception d'un nouvel antibiotique. La survenue de la résistance peut être un événement rare, même transitoire, s'il ne procure pas un avantage sélectif contre une molécule présente dans l'environnement.
Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
La fièvre charbonneuse ou charbon bactéridien (anthrax pour les Anglo-Saxons), due à Bacillus anthracis, est une zoonose qui affecte de nombreuses espèces animales, principalement les herbivores, et l’Homme. Les foyers sont généralement sporadiques en France (0 à 5 par an) mais parfois, il peut s’agir de véritables épidémies comme ce fut le cas en 2008 dans le Doubs et en 2016 en Moselle [1].
Depuis le 28 juin 2018, le département des Hautes-Alpes doit faire face à de nouveaux foyers (23 dénombrés au 25 août concernant 54 cas mortels ayant touché surtout des bovins mais aussi des ovins et trois équidés). L’origine des foyers est vraisemblablement la conséquence des circonstances météorologiques : automne 2017 très sec avec des sols fissurés puis premiers mois de l’année 2018 très pluvieux suivis par un été très chaud. Mais l’importance de cette anazootie [2] pourrait aussi avoir pour origine d’importants travaux réalisés pour l’installation d’une ligne haute tension [3] si beaucoup de terre a été déplacée. Les spores de B. anthracis peuvent persister longtemps dans un sol contaminé [4] mais, à l’occasion d’une modification de l’environnement, ces spores peuvent se retrouver à l’air et contaminer les pâtures et le foin (champs maudits) ou l’eau d’abreuvement. C’est pourquoi les herbivores sont les principaux animaux atteints. La viande, les farines d’os ou de sang ainsi que le lait provenant d’animaux malades peuvent être également contaminants. La pasteurisation du lait suffit pour éliminer tout risque de contamination à condition que le lait ait été réfrigéré tout de suite après la traite.
(© Ministère de l’Agriculture, Point de situation du 25/8/2018)
Chez l'Homme, une maladie peu fréquente mais une potentielle arme bactériologique
Chez l’Homme, 100 000 à 200 000 cas sont recensés par an par l’Organisation mondiale de la santé. En France, cette zoonose grave est peu fréquente et touche surtout certaines professions (éleveurs, vétérinaires, équarrisseur, etc.). L’Homme peut être contaminé accidentellement par voie cutanée lors du contact d’une plaie cutanée avec des produits provenant d’animaux infectés (laine, cuir, os, viande, sang). Outre ce charbon cutané (forme la plus fréquente avec plus de 90% des cas), il existe des formes plus graves comme un charbon pulmonaire suite à l’inhalation de spores, et un charbon digestif, conséquence de l’ingestion de produits animaux contaminés. Il a été aussi décrit un charbon par injection chez des sujets drogués. Le charbon pulmonaire est une forme rare et grave, rencontrée principalement chez les trieurs de laine et les tanneurs (maladie des chiffonniers et des cardeurs de laine).
Depuis que B. anthracis est classé dans les agents pouvant être utilisés dans le cadre du bioterrorisme, notamment par son utilisation sous forme de poudre pouvant être inhalée, le charbon humain est à déclaration obligatoire (depuis 2001) afin d’identifier la source d’exposition.
Enfin, si le charbon est transmissible à l’Homme, avec un taux de mortalité élevé en l’absence d’une antibiothérapie précoce qui permet d’éviter la formation de la toxine mortelle par la bactéridie, il ne s’agit pas d’une maladie contagieuse pouvant se transmettre d’une personne à une autre.
Chez les ruminants, une septicémie rapidement mortelle qui impose des mesures d'urgence
La fièvre charbonneuse, anciennement maladie réputée légalement contagieuse (MRLC) soumise à une déclaration obligatoire, est inscrite depuis 2011 sur la liste des dangers de première catégorie pour les espèces animales. Chez les ruminants, elle provoque généralement une septicémie rapidement mortelle. Parfois, elle peut être précédée par des troubles digestifs, avec présence de sang noir dans les selles, ou des troubles pulmonaires, avec un jetage mousseux de couleur rouille.
Il importe de ne pas autopsier un animal suspecté de charbon sur le terrain. Cette précaution élémentaire limite la dissémination de spores à partir de la carcasse et surtout, permet d’éviter une contamination humaine. L’autopsie pratiquée dans un laboratoire spécialisé ou à l’équarrissage permet de noter des lésions de septicémie, et surtout une hypertrophie de la rate, gorgée d’un sang noirâtre non coagulable (d’où le nom de « sang de rate » donné à la maladie). Le diagnostic différentiel concerne toutes les causes de mort subite au pré mais aussi le charbon symptomatique d’origine clostridienne. Des prélèvements de sang sur un animal agonisant permet de faire le diagnostic et d’éviter une autopsie [5].
Lors de l’apparition de la maladie dans un troupeau, il importe d’instaurer une vaccination d’urgence chez les ovins et les bovins pour éviter la survenue de nouveaux cas dans le foyer et les élevages voisins. Malheureusement, la quantité de vaccins disponibles (200 flacons permettant de vacciner 5000 bovins ou 10 000 ovins) fut insuffisante dès les premiers cas de mortalité observés dans les Hautes-Alpes, du fait de la fermeture au mois d’août du laboratoire espagnol distribuant ce vaccin. Cette vaccination est pourtant obligatoire et prise en charge par le ministère. Face à cette pénurie temporaire, le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation a dû solliciter les autres pays européens pour obtenir 21 000 doses bovines de vaccins supplémentaires. Un traitement (bêta-lactamines principalement) a été aussi mis en place. Il doit être très précoce (dès l’observation d’une hyperthermie) pour obtenir une diminution de la mortalité dans un troupeau où la maladie a été diagnostiquée.
Il est plus difficile de savoir si des ruminants sauvages ont pu être atteints dans ces foyers de charbon mais il faut souligner une absence de cas rapportés par le réseau SAGIR (Réseau de surveillance épidémiologique des oiseaux et des mammifères sauvages terrestres en France).
Dans le cas d’un risque de contamination humaine lors de l’apparition de foyers (notamment les éleveurs et les vétérinaires ayant été en contact avec des animaux malades ou des cadavres), il importe d’instaurer des mesures particulières de prévention (antibiothérapie).
Pour éviter à l’avenir d’autres cas de charbon dans les élevages, la vaccination préventive est efficace dans les zones contaminées et ce, pendant plusieurs années mais il est difficile de la préconiser systématiquement lorsque le risque n’est pas avéré, en raison de son coût. Ce risque est difficile à évaluer du fait de l’enterrement très ancien des carcasses charbonneuses et de la longue survie des spores dans le sol. C’est pourquoi l’avis de l’Anses du 7 juillet 2018 souligne l’intérêt d’un recensement officiel rétrospectif des champs maudits permettant d’évaluer ce risque.
(© Anses, Avis du 7 juillet 2018)
Dans ce contexte, on peut regretter que l’avis de l’Anses n’ait pas présenté dans son rapport de 54 pages les travaux publiés dès 1996 sur ce sujet par notre consœur Josée Vaissaire, sur les cas de charbon répertoriés en France entre 1980 et 1995 [6]. En effet, ce travail réalisé avec la collaboration des laboratoires vétérinaires départementaux soulignait déjà les difficultés rencontrées pour cette étude épidémiologique rétrospective car «les archives ne sont pas gardées plus de cinq ans, à l'heure actuelle, et il a fallu faire appel aux mémoires des scientifiques de laboratoire et du terrain ». Responsable du laboratoire national de référence (LNR) sur le charbon depuis plusieurs années [7], Josée Vaissaire devint la responsable du laboratoire associé au centre national de référence (CNR) du charbon de l’Institut Pasteur à partir de 2001. D’autres études lui ont d’ailleurs permis d’établir en 2001 [8] une carte des zones à risque en France répertoriant les cas humains et animaux observés entre 1980 et 2000. On pouvait y remarquer que le département des Hautes-Alpes était déjà répertorié, des cas étant apparus à l'été 1984 à la suite de travaux de creusement pour une adduction d’eau dans la commune d’Aspremont, à 23 km du foyer observé cet été à La Roche des Arnauds.
En conclusion
Une très grande vigilance s’impose car si le charbon est une maladie très ancienne dont l’incidence des cas humains a diminué grâce au développement des vaccins vétérinaires et à la mise en place des mesures de biosécurité pour les produits animaux importés, il est impossible d’éradiquer les sources de contamination permanentes représentées par les sols contaminés par les spores provenant d’animaux malades ou de leurs cadavres, et des cas peuvent réapparaître des décennies après. C’est pourquoi le charbon doit toujours faire l’objet du diagnostic différentiel des morts subites observées chez les herbivores, qu’ils soient domestiques ou sauvages.
Claudine Hermann
Présidente d'honneur de l'association Femmes & Sciences, présidente de la Plateforme européenne des femmes scientifiques (EPWS)
La délégation aux Droits des femmes de l’Assemblée nationale a publié en juin 2018 un rapport d’information Femmes et Sciences : l’urgence d’actions pour l’égalité réelle, dont les rapporteurs sont les députés Céline Calvez (La République en Marche) et Stéphane Viry (Les Républicains). Le document, très détaillé, est focalisé sur les sciences dites « dures », les travaux ayant montré des difficultés plus fortes dans ce secteur. Entre novembre 2017 et mai 2018, 32 personnes ont été auditionnées, de Françoise Barré-Sinoussi, prix Nobel, et Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, aux représentantes d’associations de femmes scientifiques, ainsi que des responsables de structures institutionnelles sur ce sujet, des créatrices de start-ups et des chercheuses sur le genre. Par ailleurs une consultation citoyenne sur le thème des femmes et des sciences a été ouverte.
Le rapport propose des recommandations dans les domaines suivants :
- Lutter contre les stéréotypes de genre, au niveau de l’enseignement et de l’éducation ;
- Agir prioritairement à l’école et dans l’enseignement supérieur, au niveau de l’égalité entre filles et garçons, entre les femmes et les hommes, et à celui de l’orientation ;
- Renforcer les règles applicables au monde du travail, en particulier à travers la responsabilité sociale des entreprises, et développer le mentorat ;
- Promouvoir l’égalité et impliquer les hommes.
D’autre part, Cédric Villani, mathématicien et député, a réalisé un rapport au Premier ministre, Donner un sens à l’intelligence artificielle, dans lequel un chapitre est consacré à la diversité et en particulier à la place des femmes dans ce domaine car « pour relever les défis de l’intelligence artificielle, il nous faut nous appuyer sur l’ensemble de nos talents ». Or actuellement les femmes sont moins de 10% des élèves des écoles d’ingénieurs en informatique et des progrès sont à faire dans le secteur du numérique sur les conditions des carrières des femmes.
Le rapport sur les femmes et les sciences et celui sur l’intelligence artificielle ont été présentés le 28 juin 2018 lors d’une réunion conjointe avec les deux délégations aux Droits des femmes de l’Assemblée nationale et du Sénat, organisée par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST).
A cette occasion, six femmes scientifiques ont commenté ces deux rapports, présenté leur point de vue sur la question Femmes et Sciences et suggéré des mesures pour améliorer la situation :
- Nathalie Carrasco, chimiste, enseignante-chercheuse au laboratoire Atmosphères, milieux, observations spatiales (LATMOS), prix Irène Joliot-Curie 2016 catégorie « Jeune femme scientifique » ;
- Christine Clerici, présidente de l’université Paris-Diderot, professeure en physiologie, membre du conseil scientifique de l’Office ;
- Maria J. Esteban, mathématicienne, directrice de recherche au CNRS, présidente de l’International Council for Industrial and Applied Mathematics (ICIAM) ;
- Claudine Hermann, présidente de la Plateforme européenne des femmes scientifiques (EPWS) et membre du Conseil d’administration de l’AFAS ;
- Hélène Morlon, mathématicienne du vivant, directrice de recherche au CNRS, prix Irène Joliot-Curie 2017 catégorie « Jeune femme scientifique » ;
- Anne-Lucie Wack, présidente de la Conférence des grandes écoles (CGE), directrice générale de Montpellier SupAgro (Institut national d'études supérieures agronomiques), membre de l’Académie des technologies.
Les députés ont insisté sur l’importance au plan national d’impliquer les femmes dans la recherche. Rendez-vous a été pris par la députée Céline Calvez pour dans un an, afin de faire le point sur les progrès qui auront été réalisés.
La vidéo de la réunion est disponible sur le site de l'OPECST.
Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, ancienne présidente de l’Académie vétérinaire de France
Depuis sa première identification en Afrique du Sud en 1959, le virus Usutu [1] (USUV), flavivirus proche du virus du Nil occidental, a progressivement envahi l’Europe au cours de ces deux dernières décennies. L’émergence de ce virus pouvant provoquer de fortes mortalités chez les oiseaux et transmis par des moustiques principalement du genre Culex spp. a été surtout remarquée en 2001 lors d'un taux de mortalité très élevé observé chez des merles noirs (Turdus merula) à Vienne en Autriche [2]. En fait ce virus avait déjà sévi en Italie en 1996 mais cette mortalité anormale chez des oiseaux sauvages n’avait pas fait l’objet d’un intérêt particulier. Mais entretemps, en 1999, le virus du Nil occidental (VNO) est apparu pour la première fois dans l’Etat de New York en provoquant une surmortalité importante chez des corneilles. Cette surmortalité considérée comme un «problème uniquement vétérinaire» avait été négligée par le centre de surveillance des zoonoses d’Atlanta (CDC [3]) avant que l’on ne découvre qu’il s’agissait d’une zoonose. Celle-ci a progressivement envahi l’ensemble des Etats-Unis, avec 1339 cas d’encéphalites ou de méningites humaines au 9 janvier 2018. Cet exemple de la propagation du VNO aux États-Unis (et dans les pays voisins) démontre l’importance qu’il faut accorder aux «animaux sentinelles» qui, par un taux de mortalité anormale, peuvent annoncer une maladie émergente menaçant l’Homme.
Actuellement, le virus Usutu sévit dans la majorité des pays européens, la France ayant signalé pour la première fois sa présence en 2015 [4]. Pendant l’été 2016, on a pu assister à une épizootie due à ce virus en Belgique, en Allemagne, en France et aux Pays-Bas (pays touché pour la première fois) [5]. Près de 62 espèces d’oiseaux africains ou européens peuvent être sensibles à ce virus, des oiseaux migrateurs comme le faucon crécerelle (Falco tinnunculus), la rousserolle effarante (Acrocephalus scirpaceus), la fauvette babillarde (Sylvia curruca), la fauvette grisette (Sylvia communes) ou le gobemouche noir (Ficedula hypoleuca)] étant suspectés d’avoir introduit le virus en Europe, alors que d’autres oiseaux comme la pie bavarde (Pica pica), le moineau domestique (Passer domestique), la poule (Gallus galas) et le merle noir seraient responsables de la dissémination du virus en Europe [6]. Mais il n’est pas exclu que certains réservoirs animaux jouent également un rôle dans l’épidémiologie de cette virose puisque le virus a été isolé chez la chauve-souris (Pipistrellus pipistrellus), le cheval, le chien, le cerf élaphe (Cervus elaphus) et, cette année, l’écureuil (Sciurus carolinensis) [7]. Une étude récente réalisée en Pologne a montré que sur 411 chevaux testés, 15% et 28% d’entre eux étaient porteurs d’anticorps sériques dirigés contre les virus VNO et USUV respectivement [8]. Dans cette étude polonaise réalisée aussi sur 14 oiseaux, 36% et 7% d’entre eux étaient porteurs d’anticorps sériques dirigés contre les virus VNO et USUV respectivement. Par ailleurs, la séroprévalence recherchée en Europe centrale chez les oiseaux de zoo s’est révélée très faible. Ce virus ne s’est pas révélé pathogène chez les volailles domestiques mais il l’est pour beaucoup d’autres espèces comme les merles, les passereaux, les chouettes, etc. Ainsi, on ne peut pas exclure que ce virus puisse être partiellement en cause dans la disparition actuelle de certaines espèces d’oiseaux sauvages en Europe. Chez les oiseaux malades, on peut noter une encéphalite, une dégénérescence du myocarde ainsi qu’une nécrose du foie et de la rate.
Risque zoologique
Alors que deux cas sporadiques avaient été signalés en Afrique en 1981 et en 2004, c’est surtout à partir de 2009 que l’on s’inquiète d’un risque de zoonose avec le virus Usutu du fait de sa présence dans quelques cas d’encéphalites ou de méningo-encéphalites humaines (12 cas en Italie suivis de 3 cas en Croatie en 2013). Des anticorps détectés chez des donneurs de sang (1,1% en Italie et 0,02% en Allemagne) montrent que l’infection peut aussi être asymptomatique. Le risque zoonotique en France a été suspecté en Camargue du fait de la présence du USUV chez 7% des moustiques Culex pipiens en 2016 [9]. C’est pourquoi le virus a été recherché, et trouvé, dans le liquide céphalorachidien (LCR) chez un malade atteint d’une paralysie faciale. Une étude réalisée sur des LCR stockés dans les hôpitaux de Nîmes et de Montpellier de mai à novembre 2016 a d’ailleurs démontré l’importance des arboviroses dans cette région du sud de la France (666 arboviroses, dont 277 méningites ou encéphalites et 233 troubles neurologiques). Ce rapport sur un cas aigu humain dû au virus Usutu en France et les données épidémiologiques montrent que l’affection peut être sous-estimée en Europe et qu’elle est peut-être plus importante que les infections dues au VNO.
En conclusion, le virus Usutu est devenu endémique en Europe en moins d’une vingtaine d’années. Il représente surtout un risque pour certains oiseaux sauvages mais le risque zoonotique est peut-être sous-estimé à l’heure actuelle car «on ne trouve que ce que l’on cherche».
Alain Delacroix
Ancien professeur titulaire de la chaire "Chimie industrielle - Génie des procédés" du Conservatoire national des arts et métiers
© Souvenir de Ferdinand de Lesseps et du Canal de Suez / Lebas Photographie Paris
L'isthme de Suez est depuis la nuit des temps un passage stratégique entre l'Asie, l'Egypte et les pays qui bordent la Méditerranée. Au temps des pharaons, un canal est déjà creusé et relie la mer Rouge avec un bras du Nil. Aristote cite un canal qui se déverse dans la mer Rouge et pense que ce serait Sésostris III, avant la guerre de Troie, qui aurait entrepris de creuser l'ouvrage. Hérodote, quant à lui, précise qu'il est alimenté par l'eau du Nil et que 120 000 Egyptiens périrent en le réalisant.
Ces informations ne sont pas confirmées par des textes ni des fouilles archéologiques. En revanche, on dispose de quatre stèles de granit érigées par le roi de Perse Darius Ier, qui montrent qu'il existe un canal entre le Nil et la mer Rouge 500 ans av. J.-C. Ce canal aurait duré jusqu'au VIIIe siècle et aurait disparu par manque d'entretien.
C'est Saïd Pacha et Ferdinand de Lesseps qui, poussés par les idées saint-simoniennes, vont relancer le projet de canal. Cependant, la Sublime Porte et l'Angleterre s'y opposent farouchement et, de plus, la différence de niveau potentielle entre la mer Rouge et la Méditerranée est une source d'inquiétude car la nécessité d'écluses plomberait l'entreprise. Malgré cela, Ferdinand de Lesseps, soutenu par l'empereur Napoléon III, va aller jusqu'au bout de son aventure humaine, financière et surtout technologique. En particulier pour ce dernier point, il fait l'hypothèse que la flotte internationale, constituée essentiellement de bateaux à voiles, va rapidement être remplacée par des bateaux modernes à vapeur, lesquels, en passant par le canal, vont gagner 8000 km sur la distance Londres-Bombay. Par ailleurs, pour le creusement, il va utiliser largement la nouvelle énergie qu'est la vapeur.
Napoléon III, ne voulant pas choquer les Anglais, donne son accord pour que l'entreprise soit une compagnie internationale sous l’autorité du Gouvernement égyptien. 21 000 souscripteurs, presque tous français, mettent la main à la poche, mais cela ne suffisant pas, l'Egypte va abonder 44% du capital.
Le canal, d'une longueur de 164 km, nécessite l'évacuation de 75 millions de mètres cubes de déblais. Au départ, les opérations se font de façon archaïque par 25 000 ouvriers égyptiens recrutés sous le régime de la corvée. Mais Saïd Pacha meurt en 1863 et son successeur Ismaël Pacha supprime la corvée, ce qui entraîne l'arrêt des travaux. François Philippe Voisin, le nouveau chef de chantier, va alors moderniser l'entreprise en employant les nouvelles méthodes du génie civil conduites en France. Des centaines de kilomètres de voies ferrées sont construites pour l'élimination des déblais et plusieurs machines sophistiquées pour l'époque sont employées. Alphonse Couvreux met en œuvre une excavatrice à godets brevetée en 1860, qui permet automatiquement de détacher des morceaux de roches et de les envoyer dans des wagonnets. Des dragues énormes sont imaginées par la société Borel Lavalley et Compagnie et réalisées par les constructeurs Goüin et les Forges et chantiers de la Méditerranée. L'ensemble de ces moyens est mû par la nouvelle énergie qu'est la vapeur. A l'Exposition universelle de 1867 à Paris, le pavillon de la Compagnie du canal de Suez présente ces machines innovantes.
© Archives nationales du monde du travail (Roubaix)
Après dix années de travaux et la mobilisation d’un million et demi de travailleurs égyptiens et internationaux, le canal est inauguré le 17 novembre 1869, en présence de l'impératrice Eugénie. Depuis, le canal a changé de main, après diverses vicissitudes politico-militaires, mais se développe toujours. En 2015, des travaux gigantesques doublent sa capacité. En 2016, 17 004 navires l'ont traversé alors qu'ils n'étaient que 486 en 1870.
L'exposition L'épopée du canal de Suez, des pharaons au XXIe siècle [1] à l'Institut du monde arabe, grâce, entre autres, aux archives du groupe Engie, héritier de la Compagnie de Suez, nous montre l'évolution de cette aventure passionnante qui a duré quatre mille ans.
Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, ancienne présidente de l’Académie vétérinaire de France
La revue du centre de contrôle (CDC) des maladies infectieuses d’Atlanta publie ce mois-ci [1] un article décrivant l’émergence d’une nouvelle espèce touchée par les maladies à prions : le dromadaire.
Depuis l’apparition de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), de nouvelles souches de prions ont pu être observées (souches ESB atypiques de type L et H différentes de l’ESB classique ou ESBc, souches de tremblante atypique chez des moutons « résistants » à la tremblante, découverte de la maladie du dépérissement chronique (MDC) des cervidés en Norvège et en Finlande). Pour la première fois, une équipe de scientifiques algériens et italiens signalent la possibilité d’une infection par des prions chez le dromadaire (Camelus dromedarius). Celle-ci a été détectée à l’abattoir de Ouargla en Algérie et dénommée camel prion disease ou CPD (maladie à prion du chameau ou MPC).
Les examens ante mortem à l’abattoir avaient permis d’observer une augmentation des troubles neurologiques chez les dromadaires adultes. Les animaux présentaient des troubles du comportement (agressivité) et des difficultés locomotrices (cf. les vidéos insérées dans l’article de la revue du CDC [1]). Dans les élevages atteints, la maladie semble être apparue à partir de 1980 et évoluait vers un décubitus et la mort en 3 à 8 mois.
Les prélèvements réalisés sur trois dromadaires suspects et un autre apparemment sain (cerveau, nœuds lymphatiques) ont été analysés (immunohistochimie, western blot, analyse du gène PrP). L’examen histologique et histochimique a confirmé les lésions d’une encéphalopathie spongiforme due à un prion chez les trois animaux suspects. La protéine prion a été également mise en évidence principalement dans les nœuds lymphatiques cervicaux et préscapulaires. La protéine prion infectieuse (PrPres) est différente de celle de la tremblante classique ou de l’ESB (poids moléculaire plus élevé).
Parallèlement à ces analyses de laboratoire, une étude rétrospective a été réalisée sur les dromadaires ayant présenté des signes neurologiques à l’abattoir de Ouargla en 2015 (20 sur 937) et 2016 (51 sur 1322), soit 3,1% des dromadaires amenés à l’abattoir. Tous les animaux étaient âgés de plus de 8 ans. Ce taux de 3,1% peut sembler important pour cette maladie émergente. Pour les auteurs, il peut être considéré comme fiable d’une part, du fait de la découverte de la maladie chez les trois dromadaires suspects, et d’autre part, de la présence de la protéine prion dans les nœuds lymphatiques comme dans le cas de la tremblante et de la MDC, qui sont considérées comme transmissibles par la voie horizontale par l’intermédiaire de l’environnement mais aussi par la voie verticale.
Si une contamination iatrogène peut être écartée car il n’y a pas eu de programme de vaccination chez ces dromadaires, un risque de contamination d’origine alimentaire n’est pas exclu.
Face à l’émergence de cette maladie touchant une espèce d’élevage importante en Afrique et au Moyen-Orient, il importe maintenant d’évaluer son incidence dans les différents pays ainsi que le risque qu’elle peut représenter pour l’Homme.
Alain Foucault
Professeur émérite du Muséum national d'histoire naturelle (Paris)
La Düssel est une petite rivière qui conflue avec le Rhin dans la ville à laquelle elle a donné son nom : Düsseldorf. Un pasteur allemand du XVIIe siècle, Joachim Neander, aussi poète et compositeur, venait chercher la paix dans sa verte vallée, à l’endroit que, pour cela, on a appelé Neanderthal (aujourd’hui Neandertal, thal, ou tal, signifiant vallée). C’est justement là qu’en 1856 des ouvriers travaillant dans une petite grotte dite Feldhofer ont mis à jour une quinzaine d’ossements dont l’âge ancien a été rapidement admis et que l’on a rapporté à une nouvelle espèce d’homme : Homo neanderthalensis.
Parmi ces ossements, se trouvait une calotte crânienne qui ressemblait à celle d’un homme, mais dont certaines particularités, notamment des bourrelets sus-orbitaux saillants s’écartaient notablement de tout ce que l’on connaissait sur les squelettes de l’homme moderne et rappelaient ceux des singes. De longues polémiques s'en sont ensuivies, où pour certains il s’agissait des os d’un malade, pour d’autres quelque chose comme un homme-singe. Mais cette trouvaille isolée ne pouvait que difficilement donner lieu à des généralisations. Il en fut bientôt autrement lorsque se multiplièrent les découvertes de restes osseux comportant des crânes aux mêmes caractéristiques et, au vu de squelettes complets ou presque, on n’eut plus de doute concernant le statut décidément humain de cet homme de Néandertal.
Homme sans doute, mais homme primitif et, pendant longtemps, on a insisté sur son aspect brutal, sur « la prédominance de ses fonctions purement végétatives ou bestiales sur ses fonctions cérébrales » et sur le fait qu’il « représentait un degré de l’échelle humaine morphologiquement inférieur à tous les échelons de l’Humanité actuelle » (Marcellin Boule). Bref une brute inintelligente.
Depuis 1856, beaucoup de découvertes ont été faites qui ont montré que cet homme avait existé depuis 350 000 ans jusqu’à il y a quelque 35 000 ans, s’étant répandu sur toute l’Europe et au-delà jusqu’au Proche-Orient. Parallèlement, les idées le concernant ont évolué et l’on a été amené à réviser les mythes souvent négatifs qui s’y attachaient.
C’est à cette révision que se sont attachés les commissaires de l’exposition Néandertal L’Expo [1] qui se tient actuellement au Musée de l’Homme à Paris.
On apprend que Néandertal savait faire cuire ses aliments, pouvait se soigner avec des plantes, que, s’il habitait l’entrée des grottes, il savait aussi faire des constructions. On voit qu’il pouvait enterrer ses morts, qu’il fabriquait des outils variés, dont certains semblent faire penser à des préoccupations esthétiques.
Mais ce qui nous rapproche le plus de lui, c’est qu’il s’est métissé à notre espèce d’Homo sapiens. On a longtemps hésité à envisager cette possibilité, mais les progrès de la biologie moléculaire ont montré que l’ADN des hommes modernes, sauf en Afrique, pouvait comporter des restes de l’ADN de Néandertal. Pas beaucoup certes, mais quelques pourcents qui montrent qu’il peut compter parmi nos ancêtres. Ancêtre dont la disparition, il y a quelque 35 000 ans, a sa part de mystère.
Cette exposition tend ainsi à réhabiliter cet homme jadis décrié et nous fait sentir qu’en quelque sorte, il reste encore présent. Le parcours qu’elle propose est clair et aéré et des dispositifs interactifs ajoutent à son intérêt. Celui qui cherche l’authenticité appréciera la présence des originaux de fossiles rarement montrés au public, notamment la calotte crânienne découverte en 1856 et le crâne de l’homme de La Chapelle aux Saints.
En tout, une réussite qui mérite qu’on y consacre une visite.
Commissaires scientifiques : Marylène Patou-Mathis et Pascal Depaepe
L’AFAS a été membre fondateur du Collectif Innovation qui s’est créé avant les dernières élections présidentielles afin d’entendre les différents candidats sur la politique d’innovation qu’ils entendaient mettre en place s'ils étaient élus. L’objectif était alors de sensibiliser les candidats à la nécessité d’une politique nationale d’innovation ambitieuse !
Depuis l’élection, ce collectif a continué à se réunir pour évaluer les mesures prises et mettre en place un observatoire international des politiques nationales d’innovation.
Aujourd’hui, il se structure en un think tank indépendant, en signant un accord avec la Société d’encouragement pour l’industrie nationale afin de participer activement aux travaux en cours, en particulier pour le Grand plan d’investissement 2018-2022 en préparation par le Gouvernement.
Serge Chambaud
Président de l'AFAS
Création d’un think tank indépendant sur les politiques d’INNOVATION
1 - Débats et réflexions sur l’innovation s’intensifient et s’organisent pour se renforcer. C’est avec la volonté de créer une puissance de réflexion et de débat qu’Olivier Mousson, président de la SOCIETE D’ENCOURAGEMENT POUR L'INDUSTRIE NATIONALE, et Patrice Noailles-Siméon, délégué général du COLLECTIF INNOVATION ont signé ce jour un accord. L’objectif est d’organiser la fusion des activités des deux organismes dans le domaine de l’innovation pour constituer un pôle de réflexion et prendre part au débat du Grand plan d'investissement 2018-2022, mené par le Gouvernement, et participer à l’élaboration des futures réformes structurelles pour la compétitivité par l’innovation.
2 - Depuis 1801, la SOCIETE D’ENCOURAGEMENT œuvre au profit de l'industrie nationale et européenne. Elle encourage les bâtisseurs de l’industrie, transmet les savoir-faire, valorise le made in France et conserve la mémoire du patrimoine industriel. C’est ainsi qu’elle organise des débats, des réflexions, des formations et des opérations de valorisation dans son Hôtel de l’Industrie, site historique de la place Saint-Germain-des-Prés. Elle compte parmi ses membres de très nombreuses personnes morales et des personnalités du monde des affaires.
3 - Créé en 2016 par vingt associations impliquées dans le dispositif français d'innovation, le COLLECTIF INNOVATION développe un débat politique sur les voies et moyens qui feront de la France une société innovante de « niveau mondial ». C’est ainsi qu’il a organisé en 2017, l’audition de tous les candidats (ou leur représentant) dans les locaux et en partenariat avec la Société d'encouragement. Les associations membres du Collectif représentent plus d'un million de personnes actives dans les domaines de l’innovation et de la recherche.
4 - Olivier Mousson, président de la Société d'encouragement, et Patrice Noailles-Siméon, délégué général du Collectif, entendent constituer, ensemble, un pôle de réflexion indépendant d'envergure nationale, avec le programme suivant :
- Développer les Mercredis de l’innovation, des auditions mensuelles sur les politiques d'innovation en France, en Europe et dans le monde.
- Publier une Lettre hebdomadaire d'information sur l'actualité en matière de politique d'innovation et un fil d’informations sur les politiques d’innovation dans le monde.
- Organiser dès 2018 une rencontre annuelle sur les politiques d’innovation : les Assises de l’innovation, le 15 octobre 2018 à l’Hôtel de l’Industrie, avec l’ensemble des acteurs innovation européens, publics et privés, de l’écosystème des innovateurs français.
- Poursuivre l'activité de think tank des politiques publiques d'innovations, sur des grandes thématiques telles que les données personnelles ou les dynamiques d’une société innovante.
Olivier Mousson
HEC, docteur d’État en sciences économiques, Olivier Mousson a été membre de plusieurs cabinets ministériels, de Gérard Longuet au ministère de l’Industrie à Gilles de Robien au ministère de l’Équipement. Il est actuellement conseiller maître à la Cour des Comptes. Citoyen engagé, il est également secrétaire général du Mouvement européen France.
contact@industrienationale.fr - 06 10 78 63 37 - www.industrienationale.fr - @IndustrieFrance
Patrice Noailles-Siméon
Président de Seillans, Family Office (Investissement & Conseil). Fondateur et président de l’Institut Politiques & Technologies”, premier think tank français sur l’innovation (1985-1990). Ancien conseiller technique du ministre de la Recherche et de l’Enseignement supérieur (1986). Il est auteur de deux ouvrages sur l’innovation : De Gaulle et la technologie (1994 - préface de Stanley Hoffmann et avant-propos de Jacques Chirac) et L’innovation, valeur, économie, gestion (2008).
collectif.innovation2017@gmail.com - 07 82 23 32 65 - www.politiques-innovation.org - @ci2017.org