Science, technique et puissance. La préparation de la guerre spatiale

Jean-François Cervel

Commission nationale française pour l’Unesco, IGAENR
 
Science, technique et puissance. La préparation de la guerre spatiale.
La compétition entre puissances à l’échelle mondiale va s’exaspérant. Le conflit entre la puissance dominante du XXe siècle – et qui souhaite évidemment le rester –, les Etats-Unis d’Amérique, et celle qui veut devenir la puissance dominante du XXIe siècle, la Chine, s’accélère. Par-delà la guerre commerciale et financière qui défraie quotidiennement la chronique, c’est le domaine des sciences et des techniques qui est le champ de bataille essentiel. En témoignent quelques évènements récents qui montrent bien l’ampleur du risque mondial que cette compétition fait naître.

Les Chinois poursuivent méthodiquement leur énorme programme d’investissement scientifique et technologique. Après la phase des investissements territoriaux qui ont permis la modernisation accélérée du pays à la suite des décisions de Deng Xiaoping, c’est l’objectif de l’innovation et de la rupture scientifico-technologique qui a été donné. Tous les champs scientifiques sont concernés, informatique et intelligence artificielle, biologie et génétique, physique quantique, espace… Dans tous ces domaines, la Chine veut atteindre la première place.

Ainsi, comme on le sait depuis de nombreuses années (même si la presse occidentale semble le découvrir aujourd’hui à l’occasion de l’alunissage d’un module chinois sur la face cachée de la Lune ce 3 janvier 2019), la Chine s’est donné comme objectif de devenir la première puissance spatiale. Quelques faits marquants ont jalonné ce processus au cours des dernières années : taïkonautes chinois dans l’espace, destruction par laser, depuis le sol, de satellites et projet d’installation d’une base chinoise sur la face cachée de la Lune. Nous y sommes aujourd’hui, avec l’objectif clairement affiché d’établir une base spatiale permanente, prélude à un programme de conquête et de militarisation de l’espace.

Les Etats-Unis ne s’y sont pas trompés avec la décision récemment prise par le président Trump de créer une armée spatiale spécifique, séparée de l’armée de l’air à laquelle ce domaine était jusqu’à présent rattaché et dotée de moyens importants, en accord, à la manière américaine, avec les grandes entreprises privées du domaine (cf. les déclarations d’Elon Musk ou de Jeff Bezos). C’est un signe qui ne trompe pas sur l’ampleur de la compétition spatiale qui est engagée dans un contexte global de relance de la course aux armements, dans lequel la Russie est également un acteur essentiel, comme en témoignent les annonces récentes du président Poutine sur les nouvelles armes russes.

L’espace est donc, clairement, désanctuarisé.

L’humanité se retrouve ainsi placée dans cette perspective aberrante de projeter dans l’espace son découpage territorial national terrestre. Nous sommes partis pour organiser des territoires, selon la carte nationale terrestre, demain sur la Lune, après-demain sur Mars et au-delà par la suite….

La conquête spatiale est un extraordinaire progrès pour l’humanité. Ce même 3 janvier 2019, la sonde spatiale américaine New Horizon, lancée il y a douze ans, nous envoie des photographies d’Ultima Thulé, qu’elle survole à quelque six milliards de kilomètres de la Terre, dans la ceinture de Kuiper, des sondes Voyager lancées dans les années soixante-dix du siècle dernier, sont en train de sortir du Système solaire et Rosetta a su atterrir sur la comète Tchourioumov-Guérassimenko après un exceptionnel parcours…

Le domaine spatial témoigne donc aujourd’hui de l’extraordinaire capacité de l’humanité et, en même temps, de ses plus traditionnelles faiblesses. Maîtrise scientifique et technologique permettant de réaliser des exploits impressionnants d’un côté, logique traditionnelle de puissance et de guerre de l’autre.
Comme en d’autres domaines et notamment dans le champ de l’environnement, il serait impératif que ce domaine soit géré collectivement à l’échelle de l’humanité. Les événements actuels, ici très brièvement évoqués, montrent, hélas, que nous n’en prenons pas le chemin.