Alerte à la peste porcine africaine : deux sangliers infectés en Belgique à près d’un kilomètre de la France

Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
 
Alerte à la peste porcine africaine
 
Alors que l’épizootie de peste porcine africaine (PPA) s’étendait dangereusement vers l’Ouest de l’Europe du fait de l’atteinte de la Pologne aux portes de l’Allemagne, cette maladie redoutable pour les élevages porcins est apparue dans la faune sauvage en Belgique, à plus de 1000 km de distance des derniers foyers européens. Début septembre 2018, 5 sangliers infectés ont été découverts (4 morts, 1 malade et abattu) à une dizaine de kilomètres de la France. Dès cette découverte, le ministre wallon de l’Agriculture, René Collin, a annoncé que le nombre de sangliers infectés pourrait augmenter rapidement car « beaucoup d’autres sont à l’analyse. On va arriver à des dizaines, voire 400 sangliers, selon ce que les experts nous annoncent » et ajoutant « La peste porcine africaine est là, et elle est là pour longtemps ! ». Il avait malheureusement raison car 299 cas de PPA ont été détectés chez des sangliers trouvés morts dans la région d’Etalle, dans la zone tampon belge considérée comme infectée. Le fait que les sangliers prélevés hors de cette zone infectée (ZI) ont été longtemps négatifs pouvait permettre d’espérer que les mesures de biosécurité mises en place par la Belgique se révéleraient assez efficaces pour éviter la propagation de la PPA vers la France.
Mais la découverte de 2 sangliers infectés à 1,6 km de la frontière française, en dehors de la zone tampon belge, au début du mois de janvier 2019, a alerté le ministère de l’Agriculture français [1].

La peste porcine africaine (PPA)

La PPA est due à un Asfivirus de la famille des Asfarviridae. Ce virus est particulièrement résistant dans le milieu extérieur comme dans les viandes non cuites réfrigérées ou dans les salaisons (principal risque connu pour cette affection). La maladie se transmet par contact soit avec un autre animal, soit par un aliment (eaux grasses [2], charcuterie…) ou un environnement contaminé (matériel d’élevage, moyens de transport, bottes, etc.). Les tiques du genre Ornithodoros [3] peuvent aussi transmettre la maladie.
Comme la peste porcine classique (PPC), due à un pestivirus proche des pestivirus des ruminants, il s’agit d’un fléau majeur pour l’élevage porcin justifiant leur classement comme danger sanitaire de première catégorie à déclaration obligatoire. Ces deux maladies épizootiques majeures, non transmissibles à l’Homme, figurent également dans la liste des maladies notifiées à l’OIE (Organisation mondiale de la santé animale). Cependant, la PPA ne peut être éradiquée que par des mesures de biosécurité car il n’existe pas de vaccin pour lutter contre cette maladie comme dans les épizooties de PPC [4].

Cliniquement, la PPA est une septicémie qui ressemble à la PPC : hyperthermie, vomissements, diarrhée parfois sanguinolente, détresse respiratoire, avortements, lésions hémorragiques plus importantes que dans la PPC (nœuds lymphatiques, peau, en particulier au niveau des oreilles, reins, rate…). La mort survient en une dizaine de jours avec un taux de 100% dans la forme aiguë. Il peut exister des formes plus atténuées dans certaines formes chroniques où les troubles respiratoires prédominent.

Extension des foyers de PPA

Pendant longtemps, la PPA est restée limitée à l’Afrique. Elle été introduite pour la première fois en 1957 en Europe (au Portugal) à la suite de la distribution d’eaux grasses provenant d’un avion de ligne assurant la liaison Angola-Portugal et c’est ainsi que la maladie s’est étendue à toute la péninsule Ibérique. Quelques foyers erratiques ont pu être observés dans certains pays européens, dont la France considérée comme indemne depuis 1974 [5]. Il n’en est pas de même pour l’Italie du fait de la persistance de la PPA sous une forme enzootique en Sardaigne, infectée en 1978, probablement par l’importation de déchets de cuisine contaminés.
Plus récemment, elle a été introduite en Géorgie en 2007 [6], puis en Arménie, en Azebaïdjan et en Russie. Progressivement, à partir de 2013, elle s’est étendue aux pays voisins : Ukraine, Biélorussie, Lituanie, Lettonie, Estonie, Pologne et, plus récemment, Moldavie, République tchèque, Roumanie, Hongrie puis Bulgarie.
On a constaté une recrudescence du nombre de foyers en élevages porcins dans les pays où la maladie est désormais enzootique depuis plusieurs années, et ce principalement en Pologne.
Enfin, il faut noter l’augmentation progressive du nombre de déclarations de PPA dans la faune sauvage en Europe : 334 en 2014, 1715 en 2015, 2466 en 2016, 3994 en 2017 et 4111 au 27 juillet 2018, de même qu’une progression géographique vers l’Ouest et le Sud qui serait plus due à une contamination d’origine humaine (République tchèque, Pologne et Hongrie) [7].
Pour la première fois en Asie, la Chine, déjà confrontée à la PPC, vient aussi de déclarer la PPA sur son territoire, ce qui pourrait se révéler catastrophique dans ce pays possédant plus de la moitié de la population porcine mondiale.

Du 10 juin 2018 au 26 juillet 2018, la Roumanie a déclaré 473 foyers porcins correspondant surtout à des petits élevages familiaux (seuls deux élevages importants de 43 800 et 2750 porcs ont été touchés). L’atteinte de ces élevages non professionnels dans un site géographique particulier comme le delta du Danube semble plus lié à une faille dans les mesures de biosécurité qu’à une contamination par des sangliers sauvages.

C’est pourquoi la campagne spécifique d’information à destination des chauffeurs routiers et des voyageurs en provenance des pays de l’Est infectés par la PPA menée au premier semestre 2018 par le ministère de l’Agriculture (ondes radio de Sanef 107.7, aires d’autoroutes, stations de télépéages pour les poids lourds) était parfaitement justifiée. Mais cette communication n’a pas pu empêcher l’apparition de la PPA découverte dans la commune d’Etalle, peu éloignée d’une autoroute en Belgique !

Pour lutter contre la propagation de la PPA en Belgique, le ministre René Collin a annoncé plusieurs mesures concernant la zone de 63 000 hectares dans la province de Luxembourg touchée : mesure de confinement pour 60 élevages de porcs qui sont présents dans ou à proximité de la zone, arrêtés d’interdiction de circuler (interdiction de se promener dans ces forêts pendant un délai d’un mois minimum) s’ajoutant aux mesures déjà prises visant à interdire la chasse et le nourrissage dans cette zone. Il importe aussi de réduire le nombre de sangliers, et dans les zones où la chasse est autorisée, ce même ministre interdit les amendes habituellement prévues pour le tir des laies. Les chasseurs sont d’ailleurs associés à ces mesures de lutte dans le dépistage des animaux malades ou morts.

Origine de la peste porcine africaine en Belgique : une troisième hypothèse

Au 9 octobre 2018, parmi les 126 carcasses de sangliers ayant fait l’objet d’un prélèvement en Belgique pour une recherche de PPA, 70 ont été positives et ont été trouvées uniquement sur les 99 prélèvements réalisés dans la zone infectée (ZI) de 63 000 hectares. Ces 70 cas positifs étaient répartis dans un périmètre de 2500 hectares au sein de la ZI.

Une nouvelle hypothèse a été émise du fait que deux carcasses positives avaient été trouvées dans le camp militaire de Lagland, situé en province de Luxembourg. Or, l’état avancé de décomposition de l’une de ces carcasses découverte le 21 septembre permettait d’évaluer que la mort du sanglier était survenue deux à quatre semaines plus tôt. Il pourrait s’agir de l’un des premiers sangliers touchés par la PPA, voire le « cas index ». D’où une troisième hypothèse – après la première concernant l’importation par des camionneurs baltes de déchets alimentaires contaminés et la seconde rapportant une possible introduction de sangliers vivants contaminés par des chasseurs – de l’introduction de la maladie lors des déplacements des militaires étrangers provenant de République tchèque et de Pologne ou de militaires belges revenant de mission des Pays baltes. En conséquence, des mesures de biosécurité supplémentaires ont été mises en place dans le camp de Lagland où toutes les manœuvres militaires ont été arrêtées.

Mobilisation dans l’Hexagone

Le ministère de l’Agriculture est particulièrement inquiet face à cette PPA si proche de notre frontière car les enjeux économiques sont majeurs pour la filière porcine. Il a très rapidement mobilisé tous les acteurs concernés : Conseil national d’orientation de la politique sanitaire animale et végétale (CNOPSAV) et comité de pilotage (Copil) porcin.
Une première instruction technique concerne les départements frontaliers – Ardennes (08), Meuse (54), Moselle (55) et Meurthe-et-Moselle (57) – vis-à-vis de la PPA en élevage et dans la faune sauvage, où deux zones sont définies (fig. 1) :

  • une zone d’observation renforcée le long de la frontière avec la Belgique (allant de l’E46 au niveau de Sedan à Longwy sur environ 15 km de large soit les 133 communes les plus proches des cas en Belgique (la Moselle n’est pas concernée par cette zone d’observation renforcée) ;
  • une zone d’observation dans les quatre départements frontaliers.
Fig. 1 : Carte transfrontalière Belgique – départements français 08, 54, 55 (Source : Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation)

© Ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation
 
Un recensement des élevages porcins plein-air, hors-sol ou non professionnel (porcs charcutier, porcs de compagnie) est prévu en priorité dans la zone d’observation renforcée.

Les mesures de biosécurité sont obligatoires dans les quatre départements (entrées de personnes, circulation de véhicules, mesures de nettoyage et de dératisation, alimentation et abreuvement des animaux, prévention des contacts avec la faune sauvage, gestion de l’introduction des animaux et des cadavres). Les signes cliniques de suspicion chez les porcs seront une diminution de l’appétit, une hyperthermie, une surconsommation d’eau, un avortement et/ou des lésions hémorragiques externes. La mortalité d’au moins 5 animaux (ou de 5% de l’effectif) peut être retenue, sauf dans la zone de surveillance renforcée où 2 animaux morts par lot sur une semaine doivent donner l’alerte.

Les actions mises en œuvre pour la faune sauvage concernent la surveillance de la mortalité ou d’une diminution de la population chez des sangliers pouvant évoquer une peste porcine. Heureusement, contrairement aux mesures belges, l’agrainage de dissuasion habituel a été maintenu, évitant ainsi un déplacement de la faune sauvage.
Par ailleurs la mise en place de plusieurs clôtures à la frontière franco-belge ne permet pas d’être efficace à 100% car on ne peut pas barrer les routes [1].

Fallait-il interdire la chasse en France ? Non, au contraire

Dès septembre 2018, la chasse au gros gibier a été temporairement suspendue dans les quatre départements à risque (la chasse au petit gibier en dehors des forêts reste autorisée) afin de limiter les mouvements de sangliers induits par la chasse et aussi de limiter le risque de diffusion par les chasseurs et leur matériel. Les mesures de lutte contre la PPA étant habituellement celles préconisées pour lutter aussi contre la PPC, j’ai pu regretter cette interdiction de la chasse et espérer qu’elle serait rapidement levée [8]. En effet, en limitant la densité de la population de sangliers, on pourrait au contraire limiter un risque de propagation de la maladie sur notre territoire toujours officiellement indemne, d’autant plus que les mesures belges ont interdit l’agrainage, ce qui déplacera les sangliers vers d’autres zones, et la France n’est pas loin.
Si l’on se rappelle la lutte organisée lors de l’enzootie de PPC observée en 1992 dans l’Est de la France, le coordonnateur national dans cette lutte, le docteur vétérinaire Eric Fouquet [9], directeur des services vétérinaires en Moselle, avait plutôt préconisé une intensification des tirs de sangliers. Cela avait permis de stopper rapidement l’avancée de la peste porcine, ces mesures ayant impliqué plus particulièrement les chasseurs (chasse à l’affût, organisation de battues, enclos-pièges permettant de piéger et d’éliminer des sangliers, tirs de nuit). Le maintien de la chasse permet de baisser les densités de sangliers (leur population peut doubler en l’absence de chasse) et de disposer d’un grand nombre de prélèvements pouvant être analysés au laboratoire permettant ainsi une meilleure anticipation dans la surveillance de la maladie (plutôt que d’attendre la découverte de cadavres). Par ailleurs, les techniques de chasse en battues dans le Nord de la France sont peu dérangeantes pour le sanglier : chasse sur des traques de petite taille, utilisation de races de petits chiens qui ne coursent pas les animaux sur de longues distances. De plus, contrairement à ce qu’on pourrait penser, les sangliers ne se déplacent pas sur de très longues distances.

Après un allègement des mesures de protection dans les Ardennes par la réduction de la zone d’observation renforcée permettant une réduction de la population de sangliers par la reprise de la chasse, le ministre de l’Agriculture vient de décider le 14 janvier 2019 de créer une zone blanche, vide de sanglier pour créer une sorte de vide sanitaire vis-à-vis de la PPA.

L’organisation de la surveillance des cadavres de sangliers doit être renforcée par le réseau de surveillance épidémiologique des oiseaux et des mammifères sauvages terrestres en France (SAGIR) avec l’aide de l’ Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) et des fédérations de chasse. Une recherche active de cadavres est prévue dans la zone de surveillance renforcée. Des panneaux seront aussi placés à l’entrée des forêts pour prévenir les promeneurs de signaler les cadavres de sangliers.

Le facteur humain, par la dispersion de déchets contaminés, permet aussi de diffuser le virus sur une longue distance (comme c’est le cas pour la PPA en Belgique où le virus a parcouru plus de 1000 km) et un plan d’action est prévu dans les mois à venir par le ministère de l’Agriculture pour compléter et adapter le plan connu depuis 2006 pour les pestes porcines.

Une fiche de mesures de biosécurité obligatoires destinée aux éleveurs a été aussi éditée par le ministère de l’Agriculture pour une application immédiate : entrées contrôlées dans les élevages, disposition d’un sas sanitaire à l’entrée des bâtiments, tenues à usage unique, interdiction d’entrée pendant 48 heures après avoir été en contact avec un sanglier, interdiction de distribuer des déchets de cuisine, nettoyage et désinfection du matériel, clôtures renforcées des élevages plein air, bacs d’équarrissage à l’extrémité de l’exploitation en bord de route, rigueur dans les mesures de désinfection et de dératisation des bâtiments entre deux bandes, litières ou paille entreposées à l’abri des sangliers et à distance de la zone de stockage des cadavres, nettoyage et désinfection du quai et des aires de stockage pour l’embarquement des porcs après chaque départ, circuit défini pour les véhicules entrant dans l’exploitation, après tournée en élevage, le véhicule doit être nettoyé et désinfecté.

Des mesures ont été aussi déployées au niveau national pour renforcer la surveillance événementielle des pestes porcines en France dans la faune sauvage. Elles sont renforcées par la création récente de la « zone blanche ».

Enfin, une bonne coordination entre les trois pays directement concernés par ces foyers de PPA en Belgique (Belgique, Luxembourg et France) est essentielle pour la mise en œuvre des mesures de biosécurité.

 

[2] Les eaux grasses sont interdites pour l’alimentation des porcs en Europe (Directive 80/217/CEE du Conseil, du 22 janvier 1980).
[3] Tiques molles présentes en Afrique, seule l’Espagne a signalé la présence de O. erraticus pouvant être un réservoir et un vecteur de la PPA en Europe.
[4] La PPC a pu être progressivement éliminée en France continentale par la mise en place d’une vaccination puis de mesures strictement sanitaires. Indemne depuis 1993, elle fut contaminée à nouveau en 2002 à partir de l’Allemagne avec d’importants foyers chez des sangliers en Moselle et dans le Bas-Rhin. Après la vaccination des sangliers dans le Bas-Rhin, la France a retrouvé son statut d’indemne chez les sangliers sauvages en 2011.
[5] Ces foyers erratiques, rapidement maîtrisés, ont été observés en France (1964, 1967, 1974), en Italie (1967, 1968, 1969), en Belgique (1985), en Hollande (1986)… (Polycopié Maladies contagieuses des écoles nationales vétérinaires françaises, 2018).
[6] La PPA est arrivée en Géorgie par le port de Poti sur la mer Noire, où des porcs ont consommé des déchets déchargés d’un navire provenant d’Afrique australe.
[8] Brugère-Picoux J. Peste porcine africaine : des sangliers infectés confirmés en Belgique à une dizaine de kilomètres de la France. La Dépêche vétérinaire, n°1450, 22-28 septembre 2018, p. 27-28.
[9] Communication personnelle.