Les membres de l’Afas publient régulièrement des notes de lectures. Elles sont à retrouver ici.
Frédéric Thomas, Michel Raymond
(humenSciences, 2022, 264 p. 20,90€)
De nombreux phénomènes perdurent dans la nature alors qu'à priori ils semblent absurdes ou contreproductifs. Pourquoi la sélection naturelle les a-t-elle maintenus ? Ainsi peut on légitimement se demander pourquoi le suicide, la reproduction sexuée, la ménopause, les jumeaux, le mal-être, l'effet placebo, l'obésité... ?
Les auteurs nous expliquent que tous ces phénomènes à priori paradoxaux ont en fait des explications rationnelles et scientifiques qui permettent de plus de mieux appréhender la complexité du monde dans lequel nous vivons.
Un livre agréable à lire et rempli d'exemples concrets illustrant de façon pédagogique les différents raisonnements.
Jacques Tassin
(Belin, 2022, 228 p. 29€)
Récemment, les cinéphiles ont pu voir un superbe film, Le chêne, sorti en salle à la fin de février. Les amoureux de la nature et notamment des arbres peuvent aussi découvrir le livre, illustré de belles photos du film. Mais les images ne sont pas le seul intérêt de cet ouvrage. Il nous emmène à la découverte de l’histoire des chênes et de toutes leurs espèces, qui peuplent quarante pour cent de nos forêts françaises. Il aide à comprendre comment il a fallu 350 millions d'années, depuis son apparition au début de la période géologique du Carbonifère, pour que le chêne puisse se développer et embellir nos paysages et nos forêts. On y apprend qu'il a migré dix-sept fois depuis la période glaciaire. On comprend mieux aussi comment il vit en symbiose avec tout un peuple d'animaux, de champignons et de plantes. On y apprend que ses feuilles sont des interfaces poreuses avec le monde qui les entoure et comment l'activité ininterrompue d'amas de cellules embryonnaires présents à la pointe des bourgeons assure à l'arbre une croissance indéfinie, si aucun évènement extérieur ne vient en compromettre la croissance.
On y découvre son mode de reproduction, que chaque fleur contient un ovule qui, s’il est fécondé par le pollen, devient un gland – lequel, contrairement à ce que l'on croit souvent, n'est ni mâle ni femelle – et comment, sans lui, de nombreuses populations animales ne survivraient pas. Qu'il lui faut plus de quarante ans pour atteindre sa maturité sexuelle. Que ses différentes espèces sont monoïques, c'est-à-dire qu’elles portent sur le même arbre, mais pas forcément au même moment, des fleurs mâles et des fleurs femelles, tributaires du vent pour être fécondées.
Pour ceux qui ont pu suivre les conférences de Francis Martin et de Catherine Lenne, lors des cycles organisés par l'Afas avec ses partenaires et encore accessibles sur notre site [1], Jacques Tassin, chercheur au Cirad, apporte, par ce livre, une superbe illustration de leurs propos.
Mais surtout, à la lecture de cet ouvrage, et si l’on connaît, par exemple, la forêt de Tronçais plantée par Colbert, dont la beauté provoque pour qui s'y promène une émotion proche de celle qu'on peut ressentir dans une cathédrale, on comprend que la reconstruction de Notre-Dame justifiait de rechercher dans nos forêts, pour les sacrifier, certains de nos plus beaux spécimens de chênes séculaires.
- Francis Martin, Symbiose et coopération pour une forêt résiliente (27 février 2020).
- Catherine Lenne, Dans la peau d’un arbre (23 septembre 2021).
- Francis Martin, Champignons et arbres, la vie en commun (18 novembre 2021).
Jean-Baptiste Aubin, Antoine Rolland
(EDP Sciences, 2022, 264 p. 22€)
Les mathématiciens devraient-ils être conviés aux débats des soirées électorales ? Ils auraient beaucoup à dire, semble-t-il. «A défaut d’être invités à la télévision», les statisticiens Jean-Baptiste Aubin et Antoine Rolland ont écrit ce petit livre dévoilant le monde étonnant des modes de scrutin.
«Pour décider, il faut un nombre impair de personnes, et trois c’est déjà trop». La boutade de Clemenceau évoque le «mode de scrutin» de loin le plus répandu dans l’histoire de l’humanité : l’absence totale de consultation du citoyen ! Pourtant, il y a 2500 ans, à Athènes, certains se disent que le meilleur moyen de garantir la paix sociale serait de faire accepter les règles par le plus grand nombre. Ainsi naît la démocratie. Le citoyen est convié à intervenir dans la vie de la cité : «Un homme ne se mêlant pas de politique mérite de passer, non pour un citoyen paisible, mais pour un citoyen inutile», juge Périclès. L’épisode démocratique grec ne dure qu’un siècle. S’ensuit une longue nuit sans vote ni élection jusqu’aux cités-Etats de Venise et Florence à la Renaissance, puis aux Révolutions américaine et française. Les premières réflexions théoriques sur les modes de scrutin émergent avec les savants français Borda (1770) et Condorcet (1785) dont les ouvrages sont encore des références. Ce livre en est un lointain descendant, enrichi par 250 ans d’expérience démocratique.
Quelles sont les propriétés souhaitables d’un mode de scrutin ? Les auteurs en recensent une dizaine. En particulier, celle dite du «vainqueur de Condorcet». On appelle ainsi le candidat qui gagnerait tous ses duels avec chacun de ses concurrents. On peut légitimement penser qu’un tel candidat, s’il existe, devrait être élu. A noter que, parfois, il n’existe pas, comme dans l’exemple suivant, appelé «paradoxe de Condorcet» : une majorité de votants préfère le candidat A au candidat B, mais aussi B à C, et C à A. Un ordre de préférence qui serait incohérent pour un individu, mais qui est possible et normal pour un groupe.
Les auteurs présentent une douzaine de modes de scrutin. Dans les scrutins majoritaires, l’électeur déclare le nom d’un candidat. Les députés britanniques, américains, canadiens sont ainsi élus sur un tour. Les députés français sont élus sur deux tours de même que les présidents de nombreux pays, dont la France.
L’électeur peut aussi déclarer non plus un nom, mais un classement, ou ordre de préférence de tous les candidats. C’est le cas de l’élection des députés australiens, choisis par éliminations successives automatisées. C’est aussi le cas du scrutin dit de Borda, qui régit entre autres l’élection annuelle du Ballon d’or de football, et de ses nombreuses variantes, dont l’une a été développée par Lewis Carroll.
Avec les scrutins «par évaluation», l’électeur attribue une note à chaque candidat. A Sparte, le candidat était choisi selon la force des cris de la foule ! L’élection des doges de Venise était basée sur des notes. Aujourd’hui, on élit ainsi le secrétaire général des Nations unies, le vainqueur d’une compétition de patinage artistique ou le meilleur restaurant sur Internet.
Les auteurs testent les modes de scrutin sur un même exemple concret, judicieusement choisi. Le résultat laisse le lecteur pantois. Chacun des cinq candidats gagne au moins une fois. «Choisissez votre mode de scrutin, et vous pouvez choisir votre vainqueur», plaisantent (à moitié) les auteurs.
Il n’y a pas de scrutin idéal. Les scrutins majoritaires engendrent des majorités nettes et favorisent les candidats clivants. Ils ne tiennent pas compte des ordres de préférence entre les candidats et donc n’élisent pas toujours le «vainqueur de Condorcet», tel Bayrou en 2007 : Sarkozy fut élu alors que les sondages indiquaient qu’une majorité lui préférait Bayrou. De la même façon, ni Jospin en 2002, ni Barre en 1988, tous deux «vainqueurs de Condorcet», ne furent élus.
Le scrutin de Borda favorise les candidats de compromis. Les variantes de Borda élisent toujours le «vainqueur de Condorcet» et auraient donc élu Barre, Jospin et Bayrou.
Avec le vote par évaluation, les élus sont consensuels ; on peut choisir plusieurs candidats («choisir sans renoncer») ou les refuser en partie ou en totalité. L’intérêt d’aller voter s’en trouve vivifié. C’est le mode favori des auteurs.
Un dernier chapitre est consacré aux élections d’assemblées, avec leurs multiples variantes : circonscriptions géographiques, proportionnelle simple ou double et panachages.
La lecture de cet ouvrage ne nécessite aucun bagage mathématique, juste un peu de concentration. Les explications sont limpides et s’appuient toujours sur des exemples. Le lecteur peut se faire une opinion éclairée sur le mode de scrutin qu’il souhaiterait voir s’établir. Comme l’écrit Etienne Ghys dans sa préface, « ce livre résolument élémentaire fera le plus grand bien à la démocratie».
Jean-Gabriel Ganascia
(Seuil, 2022, 320 p. 21€)
Ce livre est un cri d’alarme. L’auteur, Jean-Gabriel Ganascia, est un scientifique, expert en intelligence artificielle. Il est également philosophe et il a présidé le Comité d’éthique du CNRS. Il s’indigne de l’évolution incontrôlée des techniques numériques qui nous envahissent et nous asservissent peu à peu.
Quelques exemples :
Elon Musk a créé en 2017 la société Neuralink dans le but d’établir une connexion directe entre le cerveau et l’ordinateur. L’idée est de fusionner les intelligences biologique et numérique, et d’éviter ainsi «les lenteurs du langage».
Mark Zuckerberg investit dans ce même lien cerveau-ordinateur, pour y lire en direct les désirs de ses clients (qui accepteraient de porter son casque!).
En Chine, un logiciel de reconnaissance faciale permet de suivre un individu et de noter ses incivilités et bonnes actions.
A Stanford, on cherche à déterminer l’orientation sexuelle d’un individu par la simple analyse de son visage.
L’auteur condamne fermement ces projets qui portent tous atteinte à la dignité de l’homme. Il blâme le silence coupable des innombrables comités d’éthique, dont les recommandations (au nombre cumulé de 84 en 2019) ne sont que «des enchevêtrements d’abstractions convenues et vaines».
Jean-Gabriel Ganascia parcourt avec nous le vaste monde numérique et l’analyse en détails. Son constat est peu reluisant. Un aperçu :
Certes, il est improbable que les machines s’emparent elles-mêmes du pouvoir. Mais l’homme leur cédera peu à peu sa place devant leurs performances qui ne cessent de s’améliorer.
Les algorithmes d’intelligence artificielle sont souvent construits à partir de masses de données statistiques. En cas de biais dans ces données, celui-ci sera perpétué par l’algorithme. Ainsi, les systèmes de reconnaissance faciale américains sont beaucoup plus performants pour la catégorie «homme blanc».
Les sociétés numériques nous imposent un troc entre la gratuité de certains services et nos données personnelles. Elles nous assaillent de leur publicité ciblée. Les prix proposés pour nos achats sont fixés «à la tête du client» en fonction de nos traces laissées sur la Toile. Ces nouveaux pouvoirs «nous asservissent gentiment, sans cachot, ni chaînes, ni menottes, par la simple faculté de persuasion et de tromperie qu’ils exercent sur nous». L’auteur est féroce avec les nouveaux agents conversationnels intelligents (type Google Assistant) qu’il considère comme de véritables espions que l’on accepte servilement : «Napoléon Bonaparte, Joseph Staline, Nicolae Ceausescu et Mao Tsé-toung en auraient rêvé ; George Orwell les a imaginés dans son roman 1984 ; Amazon, Google, Apple et les autres géants de la Toile les ont fabriqués!».
L’Etat est incapable de poursuivre les auteurs de fausses informations et s’en remet à des acteurs privés. Facebook et Twitter ont censuré Trump, ce qui choque l’auteur. Les grandes sociétés numériques (dont aucune n’est européenne) sont en train de vider les Etats de leur souveraineté. Elles sont déjà très présentes dans les fonctions régaliennes : la collecte d’impôts, la sécurité, la justice. Facebook veut créer sa propre cryptomonnaie. Apple refuse de donner au FBI les clés de décryptage de son téléphone. Dans l’affaire dite des «perroquets stochastiques» (2021), deux membres du Comité d’éthique de Google soupçonnent un biais dans l’algorithme de traitement du langage et doivent quitter la société pour publier leur article, montrant ainsi les limites des comités privés.
Dans ce panorama assez pessimiste, on devine que l’auteur force parfois un peu le trait et l’on pourrait aussi évidemment discuter sur telle ou telle argumentation. Mais Jean-Gabriel Ganascia est convaincant sur sa recommandation essentielle : les organes législatifs élus, aux niveaux national et européen, doivent prendre le contrôle des évolutions du numérique. Il s’agit, ni plus ni moins, de préserver certains fondements de notre démocratie : respect de la personne, équité, transparence.
L’auteur enrichit son exposé de développements historiques, philosophiques et sociologiques très pertinents sur des notions telles que la vie privée, l’amitié, le partage, la censure, la confiance, la réputation, l’équité, la dignité humaine, la transparence, la servitude. Nous croisons ainsi Aristote, Montaigne, La Boétie, Pascal, Swift, Rousseau, Kant, Tocqueville, Nietzche, Marx, Hegel, Arendt, Ricœur, Levinas, Sartre, Ariès, Harari, Assange. L’auteur puise également avec bonheur dans la littérature nombre d’illustrations de ses idées, avec Virgile, Goethe, Carroll, Sue, Zola, Proust, Valéry, Gide, Breton, Borges, Sarraute, Kundera, Eco et même Bob Dylan! Dans une conclusion émouvante, Jean-Gabriel Ganascia propose un guide pour lutter contre l’asservissement de la pensée en s’inspirant d’un texte, écrit en septembre 1939 par un jeune journaliste, dont il ne dévoilera le nom qu’à la toute dernière phrase de son livre.
Emma Young
(Dunod, 2022, 408 p. 24,90€)
Daniel Tammet est capable de retenir jusqu'à 22 000 décimales du nombre π, Daniel Kish, aveugle de naissance, se faufile entre les voitures à vélo, Joy Milne détecte la maladie de Parkinson juste avec son odorat, les derviches tourneurs peuvent tournoyer sur eux-mêmes pendant une heure, l'explorateur David Livingstone a été mordu par un lion sans aucune souffrance, les joueurs de rugby néo-zélandais utilisent le haka comme échauffement... En se basant sur des recherches récentes, Emma Young, journaliste scientifique, nous montre que contrairement à ce que nous pensons depuis l'Antiquité, ce ne sont pas cinq sens dont nous disposons mais trente-deux. Elle illustre son propos avec de nombreux exemples qui permettent de comprendre comment fonctionnent ces sens, ce qui se passerait si on ne les avait pas et ce qui se passe lorsqu'ils sont décuplés.
Ce livre permet de comprendre comment nous interagissons avec le monde qui nous entoure : à lire absolument !
James Lequeux, Thérèse Encrenaz
(EDP Sciences, 2022, 152 p. 17€)
Existe-t-il une vie en dehors de notre Terre ? A cette question fascinante, l’homme cherche une réponse depuis plus de deux mille ans et ce livre raconte l’histoire de cette quête. Les deux auteurs, astronomes chevronnés, déroulent le film de cette aventure humaine, depuis les débats philosophiques de l’Antiquité jusqu’à l’exploration spatiale d’aujourd’hui.
Le premier héros de cette saga est le philosophe Anaxagore, qui suggère que la Lune est habitée (ca 450 av. J.-C.). Cette pensée hérétique lui vaut un procès et le bannissement d’Athènes. A sa suite, les philosophes atomistes, Démocrite, Epicure, Lucrèce, défendent tour à tour la pluralité des mondes. Dans le camp opposé, les Pythagoriciens, puis Platon et enfin Aristote, enseignent que seule la Terre est habitée : tout ce qui est au-dessus de la Lune est figé dans la perfection.
Les chrétiens, pour qui la Terre, création de Dieu, est l’unique monde habité, adoptent le modèle d’Aristote. Mais il y a quelques exceptions surprenantes : l’évêque de Paris condamne «ceux qui croient que Dieu ne pourrait pas créer une pluralité de mondes» ! (1277). Le cardinal allemand Nicolas de Cues déclare en 1440 : «Aucune des étoiles, croyons-nous, n’est privée d’habitants», puis cette réflexion extraordinairement lucide et visionnaire : «Partout où il y a un homme, il pense qu’il est au centre de l’Univers». Le dominicain Giordano Bruno défendra des idées similaires mais terminera sur le bûcher (1600). Le dogme est de retour.
Durant la seule année 1610, Galilée découvre des montagnes sur la Lune, des taches dans le Soleil, des phases sur Vénus et des satellites de Jupiter. La perfection du monde supralunaire d’Aristote est soudain mise à mal. Des scientifiques comme Kepler et Huygens pensent que les planètes sont habitées. Le livre de Fontenelle Entretiens sur la pluralité des mondes (1686) est réédité trente-trois fois de son vivant !
Aussi étrange que cela puisse paraître, le Soleil devient, au XVIIIe siècle, un cadre de vie extraterrestre très populaire ! Pour l’astronome William Herschel, par ailleurs découvreur d’Uranus, les habitants du Soleil vivent dans une caverne, protégée du feu externe par une couche d’atmosphère (1795). A cette époque, la structure interne du Soleil était encore totalement inconnue.
Coup de théâtre en 1877 : avec sa nouvelle lunette astronomique, l’Italien Giovanni Schiaparelli observe sur Mars des «canaux», que l’on imagine construits par des êtres intelligents. La communauté scientifique s’emballe, tout comme le marché des lunettes astronomiques ! Mais un groupe de sceptiques parle d’illusion optique. La controverse s’installe et dure un siècle. Les photos de la sonde spatiale Mariner 4 mettent fin aux canaux ainsi qu’au mythe des Martiens (1965).
C’est alors vers les microbes, martiens ou autres, que les scientifiques se tournent ! Les annonces à sensation se succèdent, qui restent aujourd’hui sujettes à controverse : des matières organiques dans une météorite martienne ? Du méthane d’origine biologique sur Mars ? De la phosphine d’origine microbienne sur Vénus ? Les auteurs nous expliquent les techniques d’observation spectrographiques utilisées. Ils montrent la complexité de l’interprétation des résultats, qui exige la prudence, peu compatible avec la pression médiatique ambiante.
Un chapitre est consacré à la panspermie, théorie selon laquelle la semence de vie est éternelle et se transmet de planète en planète. Elle connut de nombreux adeptes, de Lord Kelvin (1871) à Francis Crick (1973). Son point faible : les organismes vivants ne résistent pas aux rayonnements de l’espace. Néanmoins, des molécules «prébiotiques» (possédant tous les éléments de base de la vie) nous proviennent régulièrement de l’espace, et un acide aminé a été détecté dans une comète (2016).
L’exploration de la vie extraterrestre se poursuit aujourd’hui au-delà du Système solaire. On a développé des techniques sophistiquées pour évaluer les paramètres importants de ces exoplanètes : taille, température, atmosphère, présence d’eau liquide. Des dizaines de planètes, candidates prometteuses, ont déjà été identifiées.
Quelle est la probabilité qu’«une vie ailleurs» se soit développée ? Selon les auteurs, «il est impossible de donner une réponse nette». Certes, sur une planète donnée, la vie est peu probable car nécessitant la conjonction de nombreux paramètres précis. Mais il y a des centaines de milliards de planètes dans notre galaxie ! Et il y a cent milliards de galaxies ! Le produit de zéro par l’infini donne... un nombre indéterminé !
Voici un excellent livre de vulgarisation. Les auteurs restent factuels et se concentrent sur l’essentiel. Les 150 pages sont illustrées de figures remarquablement documentées. Le style est clair et abordable pour tout lecteur qu’intéresse cette passionnante énigme de la «vie ailleurs».
Anja Røyne
(Dunod, 2022, 272 p. 19,90€)
Anja Røyne, physicienne, chercheuse à l'université d'Oslo, aborde le problème de la raréfaction des matières premières sur Terre de façon très originale : elle commence par dresser une vaste fresque de l'histoire de la création de l'Univers depuis le Big Bang, en mettant en évidence en particulier la façon dont se sont créées les diverses ressources terrestres ; elle énumère ensuite les principaux matériaux utilisés par les hommes depuis l'origine, en décrivant à chaque fois les méthodes d'extraction utilisées, les utilisations, les stocks initiaux, les stocks encore restants et les solutions éventuelles de remplacement. Elle fait une analyse particulière sur les sources d'énergie «sans lesquelles il ne se passe rien».
Ainsi, elle fait apparaître de façon concrète la nécessité pour l'humanité de changer de paradigme avant qu'il ne soit trop tard.
Brigitte Chamak
(Erès, 2021, 136 p. 16€)
Il n’est pas étonnant qu’un sujet aussi complexe et sensible que celui de l’autisme soit la source de diverses controverses et polémiques. Que ce soit sur les représentations de cette pathologie-maladie-handicap, sur les causes envisagées, les traitements proposés, le rôle des associations où interviennent les parents mais aussi les autistes eux-mêmes, tout est objet de questionnements, débats multiples, contestations, litiges.
Brigitte Chamak s’intéresse à ce sujet depuis près de vingt ans. Neurobiologiste et sociologue, elle étudie l’évolution des avancées aussi bien sur les origines et les traitements de l’autisme que sur les difficultés et inégalités de prises en charge ou le rôle des associations et leur représentativité. Au-delà de son étude sur l’autisme, son analyse vise plus largement celle de l’image de la science et de la difficulté de faire la distinction entre connaissances scientifiques établies et informations relevant du marketing ou d’intérêts particuliers.
Au cours de ces trois dernières décennies, les associations, s’appuyant sur les données des neurobiologistes et généticiens, ont modifié la définition de l’autisme. De plus en plus opposées aux interprétations psychanalytiques culpabilisantes, elles ont abandonné l’image de la maladie en faveur de celle du handicap. Les autistes Asperger revendiquant de leur côté et avec fierté une autre forme d’intelligence, une façon de penser différente, parfois médiatisée auprès du public.
La diversité des cas et l’élargissement des critères diagnostiques à ceux de TSA (troubles du spectre autistique) en ont augmenté le nombre et favorisé l’extension des marchés associés.
C’est à partir des années quatre-vingt-dix que se développe une génération d’associations plus revendicatives et orientées vers des méthodes éducatives et comportementales incluant la scolarité. Scolarité reconnue en 2005 comme un droit pour tout enfant présentant un handicap. Aidés par l’ampleur du mouvement associatif, le recours à la science, l’accès à Internet, les parents réclament des accompagnements et thérapies adaptées.
Mais les positions défendues par les experts associatifs ne suivent pas forcément le vécu de certains patients. Une conséquence de ces controverses a été l’interdiction du traitement «packing» en 2016, obtenue par certaines associations en dépit de l’avis de parents, dont quelques témoignages sont publiés dans ce texte.
Peu à peu, l’influence d’une «élite associative» se manifeste auprès des pouvoirs publics et de la mobilisation des médias. Active dans le changement de la représentation de l’autisme et du financement de la recherche, elle favorise pour certains une forme de démocratie sanitaire et pour d’autres un lobbying associatif sans aucun «idéal pluraliste».
L’Etat exerce à distance un contrôle sur les contrats d’objectifs et de moyens en favorisant les associations les plus puissantes et les mieux structurées. Ces associations sont dès lors considérées comme des prestataires aidant à la mise en place d’une politique publique.
En final d’un état des lieux descriptif sur l’autisme en quête de ses causes et de sa prise en charge, l’auteur développe certains aspects de l’organisation générale actuelle de la santé mentale. De plus en plus, il est question d’objectifs de rentabilité à soutenir, une logique gestionnaire et financière prenant le pas sur une logique soignante.
Ce petit livre est un condensé de tout ce qui doit être actuellement connu sur l’autisme du point de vue sociétal. Les controverses exposées ici, rendues obligatoires par l’état des connaissances encore bien trop limitées sur le sujet, doivent continuer à être «décryptées pour dépasser les antagonismes».
Serge Berthier
(Flammarion, 2021, 304 p. 21,90€)
Serge Berthier, physicien à l’Institut des nanosciences de Paris, professeur émérite à l’université Paris-Diderot et spécialiste de la bio-inspiration, nous présente une réflexion sur les solutions naturelles qui pourraient permettre de «réparer» notre planète et continuer le développement d’une autre façon.
Il détaille les solutions trouvées par la nature pour fabriquer du verre à température ambiante, concevoir les ailes multifonctionnelles des papillons Morpho, piquer la peau sans douleur comme le font les moustiques, fabriquer des matériaux antireflets, synthétiser de la chitine, matériau au propriétés mécaniques extraordinaires... Il nous permet de comprendre que la nature est une excellente chimiste car à partir de seulement cinq éléments naturels – le carbone, l’hydrogène, l’oxygène, l’azote, le soufre et le phosphore –, elle a élaboré des solutions ingénieuses mais souvent très complexes, que nous commençons tout juste à comprendre, et arrive à obtenir des rendements que nous sommes loin d’atteindre !
Serge Berthier nous montre que les solutions pour ne plus piller les réserves de notre planète, pour être moins énergivores, pour assainir notre environnement, de fait pour mieux vivre, sont à notre portée.
Carlo Rovelli
(Flammarion, 2021, 270 p. 21,90€)
«C’est le cœur battant de la science d’aujourd’hui. Pourtant, elle reste profondément mystérieuse. Subtilement inquiétante.» En quelques mots, Carlo Rovelli capte l’essence de la mécanique quantique, objet de son dernier livre. Physicien, philosophe et auteur à succès, il est un des pères de la gravitation quantique à boucles (1988) et un des cent penseurs les plus influents du monde, selon le magazine Foreign Policy (2019).
Helgoland est une île battue par les vents de la mer du Nord où, en juin 1925, un jeune physicien allemand de 23 ans, Werner Heisenberg, est sur le point de résoudre le problème que lui a soumis Niels Bohr, son mentor de Copenhague. Douze ans auparavant, celui-ci a établi un modèle de l’atome dans lequel les électrons tournent autour du noyau sur des orbites bien précises. Lorsque l’électron «saute» d’une orbite à une autre plus basse, il émet de la lumière. Pourquoi ces orbites et pas d’autres ? Le trait de génie du jeune Heisenberg est d’ignorer l’électron et sa trajectoire, et de ne raisonner que sur l’observable, c’est-à-dire la lumière émise lors des sauts d’électron, qu’il représente par des tableaux ou matrices. Une nuit, il tient la solution : «J’étais profondément troublé. J’avais la sensation de regarder à travers la surface des phénomènes, vers un intérieur d’une étrange beauté». Puis il a cette idée vertigineuse, germe de la révolution à venir : «Il semble que les électrons ne se déplaceront plus sur des orbites». De retour à Göttingen, Heisenberg et ses collègues Wolfgang Pauli (25 ans) et Pascual Jordan (23 ans) développent une nouvelle théorie, en langage matriciel, guidés par Max Born (40 ans), «seul adulte dans la pièce» ! La «physique des gamins» triomphe. «Un vrai calcul de sorcellerie», écrit Einstein.
Janvier 1926 : le physicien autrichien Erwin Schrödinger est dans les Alpes suisses avec une de ses (nombreuses) maîtresses et, pour tout bagage, la thèse du physicien français Louis de Broglie, qui postule que toutes les particules sont aussi des ondes. Schrödinger formule l’équation de l’onde-électron de l’atome et retrouve brillamment les orbites de Bohr, quelques semaines après les gamins de Göttingen. Max Born établit que cette équation donne la probabilité d’observer la particule à un endroit donné. Les deux équations matricielle et ondulatoire donnent des résultats équivalents.
Dès lors, malgré sa dualité et ses multiples zones d’ombre inexpliquées, la mécanique quantique vogue de succès en succès. Elle explique des pans entiers de la physique et de la chimie. Elle a donné lieu à huit prix Nobel : Einstein, Bohr, de Broglie, Heisenberg, Schrödinger, Dirac, Pauli, Born.
Et pourtant, les mystères qui entourent cette théorie ne manquent pas : les quanta d’énergie, le rôle prédominant du hasard, le rôle ambigu de l’observateur, l’absence de trajectoire, l’impossibilité de connaître simultanément position et vitesse d’une particule, la superposition d’états quantiques (comme si une particule se trouvait à deux endroits à la fois), l’intrication (deux particules conservent un lien après leur séparation, même à 1000 km de distance).
Les débats sur «l’interprétation» de cette théorie incompréhensible perdurent depuis un siècle. Schrödinger s’est longtemps opposé aux quanta avant de se rallier (1948). Einstein et Bohr se sont affrontés, de 1927 à 1935, au cours d’échanges fameux, devenus des classiques du genre. Dans un «curieux bestiaire d’idées extrêmes», Rovelli présente et critique les principales interprétations de la théorie. Celle dite de Copenhague, qui est dans tous les manuels de physique du monde, est, à ses yeux, trop dépendante de l’observateur : «le monde existe, même si je ne l’observe pas !», objecte-t-il.
Rovelli en vient à décrire sa propre interprétation dite «relationnelle» et son credo philosophique : l’observateur fait partie de la nature. Le monde réel n’existe pas en dehors des interactions entre les objets. Un objet n’existe que dans sa relation avec un autre. Un objet peut être réel pour A et irréel pour B. Les évènements sont discontinus, probabilistes, relatifs. L’auteur montre comment ces hypothèses résolvent les paradoxes quantiques. Ses références philosophiques incluent Héraclite : «Tout s’écoule» ; Platon : «L’être n’est rien sinon action» ; Nagarjuna, un penseur indien du IIe siècle ; Ernst Mach, physicien et philosophe autrichien, qui prêcha le primat de l’observable sur les réalités cachées et influença Einstein, les philosophes du Cercle de Vienne, Bohr et les gamins de Göttingen.
Carlo Rovelli a «écrit ce livre à l’intention des débutants en mécanique quantique», et son art de la vulgarisation fait merveille. Mais une part importante de son essai est destinée à ses collègues scientifiques et philosophes. Ses prises de position et ses réflexions philosophiques apportent une forte touche personnelle et originale. Un livre marquant qui suscite la réflexion.