Les membres de l’Afas publient régulièrement des notes de lectures. Elles sont à retrouver ici.
Frédéric Flamant
(Seuil, Collection "Science ouverte", 2016, 272 p. 21 €)
Ce livre passionnant est une enquête très documentée sur l'asymétrie constatée du vivant.
Partant du constat de l'existence d'un sens de rotation privilégié d'une ola dans un stade, l'auteur se pose la question de la raison de l'existence des gauchers, de l’asymétrie du cerveau et de son fonctionnement, en particulier au niveau de la vision. Cette asymétrie semble être une conséquence de l’asymétrie de notre anatomie.
Dans un deuxième temps, l'auteur essaie de comprendre d’où vient cette asymétrie anatomique : il semblerait que cette rupture de symétrie provienne d'un signal émis par le nœud embryonnaire au tout début du développement !
Après une analyse de ce phénomène au niveau moléculaire et atomique, l'auteur en vient à proposer une théorie attribuant cette asymétrie du vivant à "la violation de la parité des atomes par l'interaction faible", considérant qu'il existe une chiralité cachée au plus profond des noyaux atomiques.
L'auteur conclut lui-même à la fragilité se sa théorie, il nous permet cependant de nous poser de nombreuses questions et de découvrir de vastes espaces restant à explorer.
Nicolas Chevassus-au-Louis
(Seuil, Collection "Science ouverte", 2016, 208 p. 18 €)
Cet ouvrage ose aborder un sujet souvent tabou dans les milieux scientifiques, du moins dans notre pays : la fraude scientifique.
Les deux premiers chapitres présentent des cas de fraudes avérées un peu partout dans le monde, suivis d'une courte histoire de cette pratique finalement assez ancienne.
Les sept chapitres suivants traitent des moteurs de cette fraude : le conformisme, la volonté d'embellir la réalité, le refus de l'échec, la compétition internationale croissante, l'obligation de publier pour sa carrière, le besoin de plaire à la hiérarchie...
Les chapitres 10 et 11 mettent en évidence les conséquences dangereuses de cette pratique allant jusqu'à mettre en péril des vies !
Le chapitre 12 examine le rôle des éditeurs scientifiques et en particulier celui des revues prédatrices.
Les chapitres 13, 14 et 15 montrent qu'après une longue période de déni jusqu'en 1987, de nombreuses études se sont emparées du sujet et un grand nombre d'institutions ont été créés de par le monde pour tenter de lutter contre cette fraude. La France reste, semble-t-il, un peu frileuse sur le sujet.
En conclusion, l'auteur plaide pour une science lente et met en cause le facteur d'impact des revues scientifiques et la dictature des études bibliométriques.
Guy Caplat
(L'Harmattan, 2016, 1252 p. 90,25 €)
Guy Caplat est à la fois un ancien haut fonctionnaire du ministère de l’Education nationale, où il a été notamment inspecteur général de l’administration, et un chercheur spécialiste de l’histoire de l’éducation ayant notamment fondé et dirigé le Service d’histoire de l’éducation au sein de l’INRP. Il a publié plusieurs ouvrages dont un Dictionnaire biographique des inspecteurs généraux de l’instruction publique (1802-1939).
L’ouvrage s’organise en huit parties distribuées dans quatre forts volumes pour un total de plus de 1200 pages. Le premier tome « Origines et développement de la fonction d’inspection, 1806-1920 » regroupe les deux premières parties :
- Le lien privilégié entre les écoles d’arts et métiers et la fonction d’inspecteur général au XIXe siècle (1806-1880) ;
- Emergence d’un service d’inspection générale de l’enseignement technique (1880-1920).
Le deuxième tome « De l’autonomie à l’intégration, 1920-1980 » regroupe les quatre parties suivantes :
- L’inspection générale de l’enseignement technique organe de contrôle et de liaison dans des structures spécifiques (1920-1962) ;
- Les réformes des années 1960 et les incidences sur l’enseignement technique (1960 et au-delà) ;
- L’évolution statutaire et l’organisation de l’inspection générale de l’enseignement technique de 1920 à 1980-1989 ;
- Rétrospective chronologique et comparative de l’évolution des directions ministérielles, 1860-1960 (enseignement technique et autres enseignements).
Le troisième tome présente, dans une 7e partie, les biographies des individus ayant participé aux missions d’inspection tout au long de cette période.
Le quatrième tome rassemble, dans une 8e partie, un ensemble de textes et documents afférents à l’IGET.
Ce vaste panorama fait d’abord apparaître l’évolution de cette mission d’inspection générale jusqu’à son établissement en corps statutaire en 1908, en liaison avec le développement progressif de l’enseignement technique au long du XIXe siècle, à partir de la personnalité du duc de La Rochefoucauld-Liancourt, créateur de la première école des arts et métiers et premier inspecteur général, dés 1806, des écoles des arts et métiers puis, également, du Conservatoire des arts et métiers.
L’originalité de cette inspection générale tient notamment au fait qu’elle relève alors du département ministériel du commerce et de l’industrie - qui crée en son sein une direction de l’enseignement technique en 1900 - contrairement à l’Inspection générale de l’instruction publique (IGIP) qui dépend, elle, du ministère du même nom.
Malgré le rattachement de l’enseignement technique au ministère de l’Instruction publique en 1920, l’IGET continue à avoir une forte spécificité pendant tout le temps où elle est liée à une puissante direction de l’enseignement technique et, le plus souvent, à un sous-secrétariat d’Etat puis secrétariat d’Etat, c’est-à-dire jusqu’en 1962. Les réformes des années soixante amènent à une assimilation progressive de l’IGET et à la création d’une inspection générale de l’éducation nationale fusionnant l’ancienne IGIP et l’ancienne IGET (1980-1989).
Comme l’indique très justement Pierre Caspard dans sa préface, l’ouvrage est une contribution majeure, très fortement documentée, à l’histoire d‘une institution et, plus largement, de tout un ordre d’enseignement. A travers l’histoire de cette inspection générale et des individus qui l’ont incarnée, depuis le duc de La Rochefoucauld-Liancourt (1747-1823-1827) jusqu’à Lucien Géminard (1914-1980-2014), c’est, en effet, une vision de l’évolution de l’enseignement technique et de son administration au long de 174 années que Guy Caplat nous donne à découvrir. Cette évolution montre bien la manière dont les politiques conduites ont considéré la spécificité des formations techniques et professionnelles, qui sont en permanence confrontées à un double défi, celui de la position dans l’ensemble du processus éducatif et celui du rapport au monde économique et à l’entreprise. Ces questions sont toujours d’actualité.
Marianne Blanchard, Sophie Orange et Arnaud Pierrel
(Ed. ENS, Collection du CEPREMAP n°42, 2016, 152 p. 10 €)
Alors que les filles sont aujourd’hui quasiment à parité avec les garçons en terminale scientifique et majoritaires dans les études supérieures de médecine et de biologie, elles représentent moins d’un tiers des diplômés des grandes écoles d’ingénieurs, qui sont en France une des voies d’accès au pouvoir. Les premières analyses de cette situation datent des années quatre-vingt-dix (Christian Baudelot et Roger Establet, Huguette Delavault, Catherine Marry et collaboratrices).
L’ouvrage de Blanchard, Orange et Pierrel mobilise un large spectre de sources statistiques et présente une enquête originale, menée auprès d’élèves de classes préparatoires scientifiques à la demande de la direction de l’École normale supérieure. Il propose une approche nouvelle en considérant la faible présence des filles dans les filières scientifiques du supérieur (hors médecine et biologie) sous le prisme de l’origine sociale et géographique des élèves. Les chapitres « L’esprit scientifique, une qualité inégalement partagée » et « Verdicts scolaires et construction des aspirations » sont particulièrement éclairants sur le rôle du milieu familial et celui des appréciations des professeurs pour encourager ou décourager les élèves, en particulier les filles qui en général ont moins de confiance en elles.
Les analyses originales de cet ouvrage intéresseront de nombreux publics et permettront, nous l’espérons, d’améliorer la place des femmes dans les études supérieures scientifiques et techniques, passage obligé pour que notre pays puisse utiliser au mieux tous ses talents dans le futur.
Laurent Vigroux
(CNRS Ed., 2016, 272 p. 23 €)
Quelle profession n’a pas été bouleversée par toutes les inventions modernes ? L’agriculture a vu arriver tout un parc de machines, des semences soigneusement sélectionnées, des herbicides efficaces ; elle voit maintenant arriver des OGM de toutes sortes aux propriétés quasi miraculeuses. Les rendements des agriculteurs ont été multipliés par plus de mille… et en conséquence leur nombre a baissé en proportion. De même il n’y a pas de comparaison possible entre les médecins de Molière, ou même ceux de 1950, et ceux d’aujourd’hui, équipés de toutes sortes d’instruments mystérieux et faisant des opérations chirurgicales sans laisser de traces…
On pourrait faire le tour de toutes les professions, et même celles qui relèvent de l’art ont largement bénéficié des facilités modernes, mais c’est sans doute celle d’astronome, l’une des plus anciennes, qui a été le plus transformée. Qu’y a-t-il de commun entre Tycho Brahe qui dressait la carte du ciel, fort précise, sans lunette ni télescope, Kepler qui faisait des montagnes de calcul à la main, Le Verrier qui bénéficiait tout de même des tables de logarithmes et l’astronome moderne installé devant son ordinateur et sa calculatrice électronique et qui, sans quitter son bureau, peut demander des heures d’observation à des observatoires construit au bout du monde, ou même installés dans l’espace, et qui valent des milliards de dollars ?
Bien sûr, ce qu’il y a de commun, c’est la passion du ciel nocturne et des découvertes. Cela est la raison majeure des progrès fulgurants de l’astronomie, qui utilise désormais les observations dans toutes les longueurs d’onde, découvre des milliers de planètes autour des étoiles voisines et s’allie avec la physique pour décrire l’évolution passée et l’évolution future de notre planète, du Soleil et de l’Univers entier. Et l’on sent aussi la passion de l’auteur pour ces mages ou prêtres de jadis qui établissaient des calendriers, pour ces astronomes aventuriers du XVIIIe siècle qui parcouraient le monde et affrontaient toutes les difficultés pour effectuer une observation exceptionnelle, pour ces nouveaux instruments comme les détecteurs d’ondes gravitationnelles qui ouvrent une nouvelle fenêtre sur l’inconnu…
Lars Öhrström
(EDP Sciences, 2016, 264 p. 19 €)
Tous ceux qui ont pris contact avec la classification périodique des éléments en apprenant par cœur quelques phrases mnémotechniques, dont par exemple « la cuisine en zinc de la gare de Genève a ses briques creuses (Cu, Zn, Ga, Ge, As, Se, Br, Cr) » vont grandement apprécier le livre de Lars Öhrström.
Les deux premiers chapitres concernent l’uranium et se lisent comme un roman d’espionnage des années cinquante ; ils narrent, en liaison avec une histoire d’amour interraciale, la découverte et l’exploitation du premier site d’extraction d’uranium en Afrique du Sud. Ensuite on passe à la guerre froide et à la performance des Russes qui font exploser leur bombe atomique en 1949. On étudie aussi le travail d’espionnage des Américains pour comprendre, au travers de l’industrie du calcium, comment les Russes avaient obtenu l’uranium à partir de ses oxydes.
Dans les chapitres suivants, on parle de l’hydrogène et des aventures du chien Ulla dans le dirigeable Hindenburg, ce qui permet de comparer l’hydrogène et l’hélium. Ensuite, on passe sans transition à la découverte de l’acier et des efforts de l’espion suédois Reinhold Angerstein pour percer les mystères de la qualité de l’acier anglais de Huntsman. Puis on explore les épices et la représentation spatiale des molécules, le cuivre, les pierres précieuses, ce qui nous entraîne dans le monde de la cristallographie.
Le chapitre 8 concernant, entre autres, le zirconium, est un peu confus mais le suivant sur le carbone et ses différentes structures me semble plus intéressant, d’autant plus qu’il parle des mines anglaises de graphite qui contrôlaient le marché du crayon jusqu’à l’invention de Nicolas Conté qui permit de se passer du graphite ! On explore ensuite l’aventure de la fabrication de l’aluminium à partir de bauxite et de cryolite.
Le chapitre 11 décrit de façon originale ce qu’on appelle en France la bataille de l’eau lourde.
Le suivant, intitulé « Le dernier alchimiste à Paris », fait le raccord avec le titre de l’ouvrage : on s’interroge sur qui est ce mystérieux personnage. Nicolas Flamel ? eh bien, pas du tout ! il s’agit du célèbre romancier Strindberg et de ses aventures ésotériques à Paris.
On passe ensuite au « crétin des Alpes » et sa relation avec Bernard Courtois, découvreur de l’iode, puis à l’utilisation du brome et de la strychnine en liaison avec une certaine Agatha Christie. On survole les explosifs liés à l’acétone et à la récolte du salpêtre, puis on passe à la maladie de l’étain et à l’explosion des boutons des soldats de Bonaparte en Russie.
Vitruve, au 1er siècle av. J.-C., avait déjà prévenu des dangers du plomb ; 2000 ans plus tard, on utilise toujours des composés de plomb dans l’essence, au grand dam des hygiénistes modernes. Quant au chrome, on prend contact avec lui grâce au film Erin Brokovich. On continue avec Elisabeth Taylor pour expliquer la résonance magnétique nucléaire et le fonctionnement de l’IRM. Sans transition on passe à l’empoisonnement à l’arsenic et au moyen de le doser. On termine par la maladie de Parkinson, ce qui permet à l’auteur de traiter de l’isomérie optique et des catalyseurs.
Le livre de Lars Öhrström est à la fois un mini-cours amusant et très pédagogique mais aussi et surtout une mine d’anecdotes. Il peut donc trouver un large public où les non chimistes auront des explications simples sur la réalité de la transformation de la matière, et les chimistes chevronnés liront avec intérêt les « petites histoires » reliant quelques éléments avec la « grande histoire », le cinéma, la médecine, etc. Juste un détail, le titre n’a pratiquement pas de rapport avec le contenu, l’alchimie n’apparaissant que très secondairement dans un chapitre sur les vingt-deux du livre ; le sous-titre est plus explicite. Quoi qu’il en soit, on prend beaucoup de plaisir à lire cet ouvrage.
Anna Alter et Hubert Reeves
(Le Pommier, 2016, 48 p. 13,90 €)
Pour distraire les enfants et occuper intelligemment leurs loisirs, des scientifiques acceptent parfois d'essayer de leur expliquer les mystères de l'Univers. C'est le cas du huitième ouvrage paru aux éditions Le Pommier dans la collection "Sur les épaules des savants" et consacré au Soleil.
Hubert Reeves allie sa compétence d'astrophysicien à celle de la journaliste Anna Alter, et à Benoît Perroud qui s'est chargé des illustrations pour séduire un jeune public à partir de 8 ans.
Le résultat est réussi et donne à découvrir, en sept chapitres, les mystères de l'étoile la plus proche de notre planète Terre.
Et les plus grands rafraîchiront agréablement leurs connaissances, redécouvrant qu'on sait beaucoup de choses sur cette énorme boule de gaz, plus grande que toutes les planètes réunies, mais qu'on n'en connaît pas encore tous les mystères.
Un joli cadeau à faire à l'occasion des fêtes de fin d'année.
Christophe Bonnal
(Belin, 2016, 240 p. 19,90 €)
"Les solutions d'une génération sont les problèmes de la génération suivante." Ce petit dicton a des applications dans tous les domaines ; c'est ainsi que l'abus des antibiotiques fait surgir des bactéries de plus en plus résistantes, la grande pêche toujours plus performante menace tout simplement de faire disparaître les baleines et les autres ressources halieutiques, la lutte contre la pauvreté et les progrès de la production entraînent l'apparition de pollutions et de montagnes de déchets... et la conquête spatiale qui nous rend tant de services de toutes sortes est menacée par nos mauvaises habitudes de laisser en orbite les derniers étages des lanceurs, les satellites en fin de vie et tous les équipements, panneaux solaires, enveloppes protectrices, etc. ayant joué leur rôle et rejetés.
Le plus étonnant est que la menace des météorites, et en particulier celle des innombrables micrométéorites, était redoutée des précurseurs, mais les premières années de la conquête spatiale montrent que cette menace avait été largement surestimée. Dès lors pourquoi se gêner ? L'espace n'est-il pas immense et vide ? Mais les déchets laissés en orbite sont très différents des météorites : ils ne font pas que passer, ils restent aux altitudes gênantes pendant des années voire des siècles et leur vitesse de plusieurs kilomètres par seconde les rend très dangereux. Mais il y a plus : les collisions mutuelles de débris les fragmentent et multiplient leur nombre. L'Agence spatiale européenne (ESA) estime ce nombre à plus de 5000 pour les débris métriques, 700 000 pour les débris centimétriques, des centaines de milliards pour les débris décimillimétriques, il devient impossible de les recenser tous, et si l'on peut encore éviter tel ou tel gros débris bien repéré, seul un blindage suffisant, et très lourd, peut protéger des petits débris. Le 12 février 2009, un satellite russe depuis longtemps abandonné heurte et détruit un satellite américain en service et le fragmente en plus de 700 débris...
Certes, il y a des nuances : sur les orbites basses, le freinage atmosphérique conduit à la chute en quelques années et le nettoyage est automatique, mais à partir de 800 km d'altitude, les durées de vie se comptent en siècles ou en millénaires ; il en résulte que les zones les plus dangereuses sont au voisinage de 1000 km d'altitude et aussi sur l'orbite géostationnaire... particulièrement encombrée.
Que faire ? Des précautions simples permettent d'éviter accidents et explosions : vidanger les réservoirs utilisés, prévoir la chute des satellites en fin de vie utile, etc. Mais il faudra sans doute en venir au nettoyage actif par des engins spécialisés capturant les plus gros débris et les désorbitant, comment cela ? En ce domaine, l'imagination des chercheurs est sans limite et le chapitre qui leur est consacré est du plus haut intérêt.
Jean-François Morot-Gaudry
(Quae, 2016, 160 p. 16 €)
Au fil du temps l’adjectif chimique est devenu péjoratif et les chimistes ont inventé le terme de chimie verte, voire blanche, pour se dédouaner de cette fâcheuse évolution. Parallèlement, la dépendance française vis-à-vis des produits carbonés fossiles naturels mais non renouvelables et surtout situés dans des zones à risque devient problématique. Le livre de Jean-François Morot-Gaudry présente les espoirs et les difficultés de l’évolution de l’industrie chimique vers d’autres sources d’approvisionnement en matières premières.
La France, riche de son agriculture, pourrait valoriser sa matière biologique végétale pour synthétiser un grand nombre de produits issus actuellement de la pétrochimie. Cela pose cependant de nombreux problèmes ; entre autres, la production en tonnage important (éthylène : plus d’un million de tonnes par an en France !) de produits biosourcés ne devrait pas accroître l’utilisation d’engrais car ceux-ci ne viennent pas de France, en particulier les phosphates et les engrais azotés, fabriqués à partir de méthane (voir filière de l’ammoniac). D’autre part, ce n’est pas la pétrochimie qui consomme le plus de pétrole, mais les carburants et le chauffage. Cela désole d’ailleurs les chimistes, qui regrettent toujours de voir cette précieuse matière première utilisée en combustible et non pas pour fabriquer des molécules utiles.
Cela dit, la France serait susceptible de produire 56 Mtep/an de biomasse, soit 1,4 fois notre consommation en produits pétroliers pour le transport. On en pressent alors l’intérêt. D’autre part, l’agriculture française est puissante et dispose de grandes entreprises internationales comme Roquette et Avril.
La photosynthèse produit des glucides dont la cellulose, des lignines, des lipides, des protéines mais aussi des centaines de milliers de molécules de toutes sortes. Ces composés organiques peuvent être transformés en synthons tels que l’acide acrylique ou même l’éthylène à partir d’éthanol et la plupart des molécules de base de l’industrie chimique. Il est donc concevable de voir construire des bioraffineries de la taille des raffineries de pétrole actuelles mais dont les matières premières seraient les bioressources. L’autre avantage serait qu’elles seraient construites en France et non sur les puits de pétrole comme actuellement. Cela dit, les outils industriels de cette taille ont une durée de vie largement au-dessus de 50 ans et les évolutions ne peuvent être que lentes compte tenu des investissements nécessaires.
Le livre de Jean-François Morot-Gaudry a le mérite de bien présenter les enjeux de cette nouvelle industrie chimique, sur le plan scientifique comme sur le plan économique. Il fait le point sur les espoirs mais aussi les difficultés sur les plans technique et industriel. J’en recommande la lecture à tous les chimistes et aux étudiants, qui seront forcément concernés dans l’avenir par cette évolution d’une grande industrie.
Eugenia Cheng
(Flammarion, 2016, 270 p. 19 €)
Comment cuire un 9 ? Que se cache-t-il derrière ce jeu de mots/chiffres subtil ? Le complément du titre, Et comprendre enfin les maths en 15 recettes de cuisine, a un côté inquiétant qui met le lecteur potentiel en haleine. On se précipite donc sur le premier chapitre intitulé "Qu’est-ce que les mathématiques ?". On y trouve un mélange de la recette des brownies au chocolat sans gluten et des phrases du genre : "Un nœud, en effet, peut alors se considérer comme un cercle plongé dans l’espace tridimensionnel". Ce mélange hétéroclite d’éléments simplistes et d’autres plus abstraits met l’eau à la bouche et on continue. Le deuxième chapitre commence par la recette de la sauce mayonnaise et, avec de nombreux exemples, montre ce qu’est l’abstraction. Avec un certain bagage mathématique, on commence à adhérer au mélange d’exemples triviaux et d’équations. On passe ensuite à la recette du pudding au chocolat, d’où l’on extrait, après moult méandres, la notion de principe, puis on rentre dans les processus avec la pâte feuilletée. La généralisation est abordée avec le cake aux prunes, une course en taxi et une notion de topologie, mélange de gâteau et de tores. Le pain perdu anglais permet de comprendre comment on peut avancer la recherche en mathématiques. L’axiomisation est ensuite présentée à partir de la recette des Pim’s, du gâteau au gingembre, et on rentre dans le dur avec quelques exemples qui mènent jusqu’à la notion de groupes. A partir de la crème anglaise, entre autres, on aborde la nature des mathématiques et c’est à ce stade un vrai plaisir de suivre les méandres de la pensée de notre mathématicienne primesautière.
Dans la seconde partie, l’auteur théorise davantage et on commence par les catégories, explicitées par l’utilisation des Legos. Le contexte utilise les lasagnes et nous promène dans les nombres complexes. Les relations démarrent au porridge, passent par le féminisme, le nombre d’Erdös et les arbres généalogiques, et nous font atteindre l’axiomatisation des catégories. A ce stade, il faut s’accrocher un peu pour suivre les associations d’idées parfois saugrenues, mais justes, dont l’auteur raffole. L’omelette norvégienne permet de digresser sur la notion de structures en s’aidant, entre autres, du gâteau de Battenberg. La similitude est invoquée à partir des cookies au chocolat et la fabrication de la crème. Les propriétés universelles sont explicitées par le crumble aux fruits, les aventures de Cendrillon, etc.
Le dernier chapitre intitulé "Ce qu’est la théorie des catégories" permet à l’auteur de philosopher sur les mathématiques. Je cite ces phrases qui m’ont bien plu : "Pourquoi pi est un nombre irrationnel ? Je ne connais aucune explication particulièrement convaincante de ce fait hormis ce vague sentiment que le cercle étant courbe et le diamètre droit, un rapport rationnel paraîtrait étrangement simple."
La lecture du livre d’Eugenia Cheng est un vrai plaisir intellectuel et recadre bien les mathématiques dans la réalité. A lire donc par tous ceux qui aiment la cuisine et les mathématiques, et tous les autres !