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Les membres de l’Afas publient régulièrement des articles. Ils sont à retrouver ici :

Christian Amatore

Membre de l'Académie des sciences
 

Gaïa en feu

Gaïa en feu

Il ne peut être contesté que nous vivions une période où les conséquences de ce qu’il est convenu de désigner par réchauffement climatique ne peuvent être réfutées. Cela encourage certains à marteler à l’envi des messages anxiogènes dignes de ceux qui avaient cours juste avant l’an mille... On nous annonçait ainsi en 2019 que plusieurs milliards de personnes allaient mourir si nous ne mettions pas urgemment en place une stricte décroissance économique afin de stopper les émissions de gaz à effet de serre. Comme si cela ne suffisait pas, en mai dernier en pleine pandémie Covid-19, Nicolas Hulot affirmait dans une interview péremptoire publiée par Le Monde que l’apparition de ce virus était liée au changement climatique et à la globalisation de nos économies (sic). L’occasion faisant le larron, d’autres «catastrophistes» ont emboîté le pas : après le VIH, l’Ebola, le Zika, etc., le virus Sars-CoV-2 ne serait qu’une nouvelle incarnation de l’arsenal d’armes biologiques lancées par notre planète sur notre espèce pour se protéger. On appréciera volontiers ce tour de force idéologique renouvelant et corrigeant le mythe de Gaïa et celui d’une nature idéalisée à la lumière d’un langage pseudoscientifique moderne afin de créer un climat anxiogène, comme savaient si bien le faire au XIe siècle les prêcheurs millénaristes qui voyaient dans l’apparition d’une comète ou d’une éclipse de Soleil l’annonce du déchaînement de Satan sur terre et de la fin de l’humanité.

Les signes de cette soi-disant apocalypse, révélés à l’envi sur les médias officiels et amplifiés sur les réseaux «sociaux» et «alternatifs», sont censés nous terrifier et nous exhorter à la pénitence et à l’auto-flagellation. En prêchant la peur tout en engendrant un sentiment de culpabilité sans rédemption, ce discours se propage d’autant plus facilement que la plupart de nos concitoyens sont de plus en plus ignorants des faits scientifiques de base et se laissent ainsi entraîner par leurs impulsions spirituelles naturelles. La science et les scientifiques ne sont pas plus audibles aujourd’hui que ne l’étaient au Moyen Age les théologiens qui essayaient de faire entendre raison aux fidèles terrorisés et culpabilisés par les «lanceurs d’alerte de l’époque» qui, comme le moine Raoul Galber, prévoyaient «que quelque lamentable plaie allait s'abattre sur le genre humain [... à moins que] le monde lui-même se fut secoué et, dépouillant sa vétusté, ait revêtu de toutes parts une blanche robe d’église». On croirait entendre le discours de Greta Thunberg et de ses partisans. Pourquoi changer les recettes qui ont fait leurs preuves !

Néanmoins, quoi qu’en disent ces nouveaux prédicateurs médiatiques, le contraire est bien visible pour ceux qui veulent bien regarder la réalité. Même dans les pays défavorisés, les décès dus aux conditions climatiques et aux évènements météorologiques extrêmes ont diminué de 80% au cours des quatre dernières décennies. Depuis plus d'une décennie, les flux d’émission de CO2 ont baissé dans la plupart des pays, y compris aux Etats-Unis (et cela même sous l’ère Trump, en particulier grâce aux gaz de schiste dont la teneur en carbone est bien plus faible que celle du charbon et même que celle du fioul), et en Chine (d’ailleurs surtout grâce au nucléaire). La France est comparativement très vertueuse, et cela même vis-à-vis de ses voisins de l’Union européenne que l’on met pourtant en exergue, même lorsque des visées électoralistes les ont amenés à remplacer leurs centrales nucléaires par des centrales à lignite dont le bilan CO2 est bien plus désastreux que celui des centrales à charbon. Etonnamment, nos prêcheurs «catastrophistes» sont les mêmes qui s'opposent simultanément aux solutions qui permettraient de diminuer notre empreinte carbone pour favoriser de fausses solutions qui, de fait, sont globalement plus génératrices de gaz à effet de serre que notre parc énergétique actuel et qui, de plus, placeraient la France dans une situation de dépendance technologique extrême vis-à-vis des Etats-Unis et de la Chine. Néanmoins, on continue à entretenir un malaise chez nos concitoyens, et on encourage le dépôt de plaintes en justice pour «inaction climatique» ou «crimes écocides» (sic) !

C’est dans ce contexte qu’il faut se féliciter de la parution de l’ouvrage Halte au catastrophisme ! [1] publié en octobre dernier par Marc Fontecave, membre de l’Académie des sciences et professeur au Collège de France, où ses recherches portent sur des approches bio-inspirées sur la réduction du CO2 par photosynthèse artificielle ou de l’eau en hydrogène. C’est un livre qui fait non seulement du bien en rectifiant de façon claire et précise ces messages anxiogènes mais offre simultanément une mine de données factuelles très récentes sur l’évolution présente et future de la transition énergétique en cours dans notre pays. On y apprend en particulier que les «empreintes carbone» des différentes solutions énergétiques ne sont pas celles que l’on nous vante continûment en passant sous silence leurs coûts énergétiques de construction et de fabrication, ou leur coût écologique souvent catastrophique : sans aimants hyperpuissants à terres rares, peu ou pas d’éoliennes de puissance ; sans lithium, pas de batteries ; sans hautes énergies, pas de silicium ; etc.

Cet ouvrage apporte un éclairage scientifique et technologique rigoureux sur les questions de l’énergie, en prenant simultanément en compte, sans en négliger aucun, tous les problèmes posés à nos sociétés (changement climatique, environnement, santé, indépendance économique, géopolitique, modèles de développement) afin de contribuer à installer les bases d’un débat rationnel. Marc Fontecave maîtrise parfaitement tous ces champs puisqu’au-delà de ses compétences acquises au sein de son laboratoire, il préside le Comité de prospective en énergie de l’Académie des sciences, où il développe avec ses confères une réflexion scientifique et technologique sur l'énergie en prenant la pleine mesure des défis à relever pour participer de la manière la plus rigoureuse possible à un débat fondamental sur l'énergie et la transition énergétique afin de rendre plus efficace la lutte contre le changement climatique, autrement que par des incantations vides de substance décidées lors de grands-messes mondiales. Des décisions politiques réellement efficaces et réalistes doivent nécessairement être prises afin de contenir les conséquences négatives du changement climatique. Cependant, elles ne pourront l’être en continuant à écarter les compétences scientifiques et technologiques et en négligeant les avis de l’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques pour ne se soucier que de ceux de nos «lanceurs d’alerte» ou d’arrêts de justice sur l'«inaction climatique» et les «crimes écocides», quand ce n’est pas en demandant à 150 Français-es tiré-e-s au sort de formuler leurs recommandations au sein d’une Convention citoyenne pour le climat...

Il eût été certainement bien plus efficace et beaucoup moins coûteux d’offrir à chaque membre du Gouvernement et du Parlement un exemplaire du livre de Marc Fontecave !
 
 

[1] Fontecave M. Halte au catastrophisme !, Ed. Flammarion, 2020, 224 p.
Patrice Debré

Professeur émérite d’immunologie à Sorbonne Université, membre de l’Académie nationale de médecine
 

Depuis des siècles, la vaccination nous a appris qu’on pouvait enrayer les épidémies en luttant contre les microbes (exemple : la poliomyélite) et/ou leurs conséquences pathologiques (exemples : tétanos, diphtérie). Le succès n’est cependant pas toujours au rendez-vous. Doit-on douter d’un vaccin possible contre la Covid-19?

Il est clair que l’obtention d’un vaccin sûr et efficace reste une des meilleures formes de lutte contre l’épidémie.

Le 9 novembre 2020, le laboratoire américain Pfizer et son partenaire allemand BioNTech revendiquaient une efficacité de 90% pour leur candidat. Deux jours plus tard, l’Institut de recherche russe Gamaleya déclarait un taux d’efficacité de 92% pour son vaccin Spoutnik V. Ces deux annonces ont eu un effet médiatique retentissant mais les données préliminaires n’ont pas encore été étayées par des données scientifiques publiées et contrôlables.

Face à une compétition internationale scientifique exacerbée entre les firmes dont les candidats vaccins sont en phase III de développement (test de l’efficacité), il est nécessaire d’avoir un temps de réflexion :

  • Le fait que la maladie puisse être contrôlée naturellement en parallèle à une réponse immunitaire fait penser que celle-ci est responsable d’un tel contrôle. La présence d’anticorps neutralisants est un message d’espoir pour penser que ce phénomène naturel peut être reproduit par un vaccin.
  • Différents vaccins de première génération ont été développés par des platesformes et des méthodes différentes (protéines recombinantes, vecteurs viraux replicatifs ou non, ADN ou ARN messager, virus inactivé). Mais la comparaison entre les différents candidats vaccins est difficile car les études d’efficacité ont été conduites séparément et selon des critères différents.
  • Un certain nombre de questions restent encore à clarifier :
    – l’efficacité clinique en termes de morbidité et de mortalité, notamment chez les personnes âgées et celles atteintes de comorbidité, qui pourraient être les premiers bénéficiaires ;
    – la durée de la protection induite par la vaccination et la nécessité d’un rappel ;
    – l’impact épidémique, sachant l’importance des anticorps de nature IgA pour éviter la transmission et le fait que ceux-ci ne sont pas produits par les vaccins actuels.
  • Les contraintes imposées par le stockage, la distribution et l’administration de ces vaccins.

Cette prudence, ce doute méthodologique, doivent appeler à l’espoir. L’énorme mobilisation a conduit à des résultats prometteurs.

Pourtant la population continue de douter, non seulement de l’efficacité d’un vaccin, mais de son intérêt. Interrogée, près de 40% de la population n’accepterait pas de se faire vacciner même si les vaccins étaient disponibles.

Cela renvoie à l’Afas et à la nécessité de vulgariser la science, dont ici la science des vaccins.
Et renvoie aussi à la distinction entre le doute qui n’est que pur scepticisme et le doute raisonné qui, par la mise en œuvre de méthodes rigoureuses et l’obtention de résultats démontrés, construit pierre à pierre la connaissance et fait ainsi avancer la science.
La mise en évidence de cette distinction entre doute et doute est, elle aussi, au cœur de la mission de l’Afas.

Juliette Mattioli

Senior expert en intelligence artificielle, Thales
 
intelligence artificielle

Un peu d’histoire

L'intelligence artificielle (IA) est un champ extraordinairement vaste, mais difficile à définir. Cette expression intelligence artificielle fut adoptée au Congrès de Dartmouth en 1956 pour désigner le domaine de recherche qui s'ouvrait alors.

La définition la plus simple de l'IA est celle que donne la mission Villani [1] :

«Une intelligence artificielle est un programme informatique visant à effectuer, au moins aussi bien que des humains, des tâches nécessitant un certain niveau d’intelligence.»

 
Grâce aux progrès considérables de la microélectronique, à la puissance de calcul et à l'accès à des quantités massives de données, l’IA vit aujourd'hui un renouveau (fig. 1). Cette discipline est redevenue visible ces dernières années, sous la double impulsion de résultats très médiatisés – depuis la victoire de Deep Blue sur Gary Kasparov aux échecs en 1997 à celle d'Alpha Go sur le grand maître Lee Seedol au jeu de go en 2016, en passant par la victoire de Watson à Jeopardy en 2011 ou la victoire de Psibernetix en simulation de combats aériens contre les meilleurs pilotes américains en 2016 – et d’avancées significatives sur des problèmes jugés difficiles comme la reconnaissance d’image, la reconnaissance de la parole, la traduction automatique ou l’analyse prédictive à partir de données massives.
 

Fig. 1 : un bref historique de l'intelligence artificielle

 
Historique de l'IA

Les deux approches : IA connexionniste et IA symbolique

Ces dernières années, l’IA connexionniste via les techniques d’apprentissage (machine learning) et les réseaux de neurones est à l’honneur, relayant l’IA symbolique au second plan (fig. 2).
 

Fig. 2 : les deux grandes approches de l'IA, IA connexionniste et IA symbolique

 

 
Revenons cependant à la définition originelle de l’IA : «ensemble de théories et techniques permettant à un système artificiel de simuler l'intelligence». On parle de capacités cognitives telles que percevoir, apprendre, raisonner, décider, dialoguer et agir. Dans ce cadre, l’IA connexionniste repose sur l’idée que le monde est compositionnel et cherche donc, en s’inspirant du modèle du cerveau humain, à retrouver ce monde à partir d’exemples d’informations, et est bien adaptée à la perception mais peu ou pas à la résolution de problèmes complexes. L’IA symbolique comme la définit Nicholas Asher, chercheur CNRS basé à l’Institut de recherche en informatique de Toulouse (IRIT) et directeur scientifique du projet ANITI, «utilise le raisonnement formel et la logique ; c’est une approche cartésienne de l’intelligence, où les connaissances sont encodées à partir d'axiomes desquels on déduit des conséquences. La prédiction doit être juste même si l’on ne dispose pas de données exhaustives». L’IA symbolique, quant à elle, reste pertinente pour la résolution de problème complexe comme la décision sous contraintes dans un contexte d’incertitude.

Ainsi, David Sadek, VP recherche technologies et innovation de Thales explique que «l’IA connexioniste est l’IA des sens, et l’IA symbolique est celle du sens». C’est pourquoi, pour couvrir l’ensemble des capacités cognitives, l’avenir est dans l’hybridation des deux approches.

Quelques exemples d’applications à base d’IA

 
Applications IALe contexte technologique est favorable et repose sur l’augmentation des volumes de données disponibles, la disponibilité d’algorithmes de plus en plus sophistiqués, l’accélération des échanges et la puissance de calcul et de stockage. Ainsi, le champ des possibles de l’IA est alors immense et ne cesse de s’étendre. En effet, ces dernières d’années, les progrès en IA se sont accélérés et des nouveaux champs d’application et usages ont vu le jour dans de nombreux secteurs comme les assistants personnels, la santé, le commerce et le marketing, les transports et la mobilité, l’environnement, l’industrie, la finance, ou encore la défense et la sécurité.

Le commerce et le marketing sont des domaines où l’IA s’est démocratisée très rapidement. Depuis plus de 20 ans, TF1 utilise l’IA symbolique pour le placement optimisé des publicités en fonction de l’horaire et de l’audience. Le commerce en ligne a très vite adopté les systèmes de recommandation, dont les plus célèbres sont ceux de Netflix, Amazon ou eBay, ou déployé des assistants virtuels comme pour Sephora ou H&M. La communication digitale n’est pas non plus en reste et utilise l’IA pour la création de contenu. Enfin, la grande distribution optimise depuis longtemps sa logistique et sa gestion des stocks par le biais d’algorithmes venant du domaine de la recherche opérationnelle et/ou de l’IA symbolique.

Dans le cadre des assistants personnels, citons l’usage de l’apprentissage dans les correcteurs orthographiques, les filtres anti-spam et la catégorisation des mails mais aussi pour la reconnaissance automatique de personnes pour les réseaux sociaux, de plantes dans les applications telle que Pl@ntNet ou de musiques comme Shazam©. Le speech to text (Siri, Alexa, Cortana), les traducteurs automatiques, la recherche de contenu (Google Search, Qwant) ou les valets digitaux (Amazon Echo, Google Home) reposent sur de l’IA hybride.

Les techniques d’apprentissage appliquées aux traitements d’images ont de nombreuses applications dans le domaine de la santé, comme par exemple l’aide au diagnostic pour le cancer des poumons ou les mélanomes. Citons aussi un projet de recherche de l’université de Montréal au Canada qui combine l’IA symbolique à l’IA des données pour mieux comprendre et expliquer l’autisme.

Le secteur agricole investit dans des systèmes intelligents pour optimiser par exemple l’utilisation d’herbicides ou la gestion de l’eau.

Dans l’industrie financière, la technologie CEP (Complex Event Processing) à base de règles spatio-temporelles est embarquée dans les systèmes de trading. Les banques en ligne déploient des robots conseillers pour optimiser les portefeuilles d’actions.

Les nouveaux enjeux

Qu’elle soit symbolique, connexionniste ou statistique, et/ou combinée à la science des données, l’IA semble promise à un fort développement. Il n’en demeure pas moins qu’un certain nombre de verrous freinent son déploiement, en particulier dans les systèmes critiques, systèmes qui doivent, par construction, garantir des propriétés de sécurité et de sûreté mais aussi suivre des principes de confiance et de responsabilité. Mais la conception de ces systèmes critiques n’est pas neutre. Elle doit reposer sur une IA de confiance et des ingénieries algorithmique et système adaptées et rigoureuses. Pour aller au-delà du PoC (Proof of Concept), il devient donc nécessaire de garantir des propriétés telles que l’explicabilité, la validité, l’intégrité... et la responsabilité, questions encore aujourd’hui ouvertes, mais pour lesquelles les réponses seront sans doute apportées par l’IA hybride. Ainsi Thales travaille aujourd’hui sur un cadre de développement que nous avons nommé Thales TrUE AI qui prône le développement d’une IA transparente, explicable et éthique.
 
 

[1] Villani, C. et coll. (2018), Donner un sens à l’intelligence artificielle : pour une stratégie nationale et européenne, téléchargeable sur http://aiforhumanity.fr

Juliette Mattioli est intervenue, avec Jean-Gabriel Ganascia, lors de la conférence-débat du 3 octobre 2019, Où va l'intelligence artificielle ?, co-organisée par ADELI Explorateur des espaces numériques, l'AFAS, Chercheurs Toujours, le MURS et la Société d'encouragement pour l'industrie nationale.

Alain Delacroix

Professeur honoraire, chaire "Chimie industrielle - Génie des procédés" du Conservatoire national des arts et métiers
 

ARIA Damage Map: Beirut Explosion Aftermath (NASA/JPL-Caltech/Earth Observatory of Singapore/ESA)
NASA/JPL-Caltech/Earth Observatory of Singapore/ESA

Il existe trois principaux éléments indispensables aux plantes : l’azote, le phosphore et le potassium (NPK Azote, Phosphore et Potassium). On trouve ces deux derniers dans la nature : le phosphore sous forme de phosphates dans des gisements naturels, en particulier au Maroc (on le traite par l’acide sulfurique pour le rendre soluble) et le potassium sous forme de sylvinite, que l’on trouve en Alsace. Quant à l’azote, bien qu’il soit le constituant principal de l’atmosphère, les plantes n’arrivent pas à l’assimiler car la molécule de diazote, où les deux atomes sont reliés par une triple liaison, est extrêmement stable. Seuls quelques plantes et les éclairs d’orages arrivent à la scinder. Depuis la nuit des temps, on utilise pour ce faire l’urine animale contenue dans les fumiers contenant de l’urée (NH2-CO-NH2). Ce procédé étant d’une efficacité médiocre, on a recours à l’ammoniac obtenu, entre autres, lors de la distillation de la houille. Avec le développement de l’agriculture intensive, les sources d’azote sont devenues insuffisantes et on a utilisé les gisements de guano et ceux de caliche du Chili, qui sont des nitrates impurs. A la fin du XIXe siècle, des milliers de grands bateaux à voile passaient le cap Horn pour récupérer ce précieux engrais.

Ce nitrate était devenu aussi la source d’acide nitrique en amont de tous les explosifs. Il remplaçait avantageusement le salpêtre, long à récupérer ou à fabriquer, avec de mauvais rendements. Par ailleurs, la poudre noire dont il était le constituant principal avait fait son temps.

Avant la guerre de 14-18, les Allemands, qui pressentaient que leur approvisionnement stratégique en nitrate serait bloqué par la marine anglaise, ont cherché et réussi à réaliser la synthèse de l’ammoniac à partir de l’azote de l’air et de l’hydrogène. Ce sont Haber et Bosch qui ont pu aboutir à cette extraordinaire synthèse industrielle en 1913. C’est une magnifique performance sur le plan chimique, physicochimique, thermodynamique et de génie chimique. Les conditions impliquaient alors des pressions de plusieurs centaines de bars nécessitant une structure et une métallurgie pour le réacteur très particulière. C’est, entre autres, avec ce procédé que les Allemands ont produit les millions de tonnes de trinitrotoluène, leur explosif de base lors de la première guerre mondiale (les Français utilisaient plutôt l’acide picrique : le trinitrophénol).

A Oppau, après la guerre, BASF possédait une usine d’ammoniac qu’elle avait modifiée pour fabriquer des engrais, dont le nitrate d’ammonium mélangé à du sulfate d’ammonium. Ce mélange étant plus ou moins hygroscopique, il se compactait et les ouvriers utilisaient un explosif pour fragmenter cette énorme masse de 4000 tonnes. Cette opération fut réalisée des milliers de fois jusqu’au 21 septembre 1921 où une énorme explosion se produisit. On dénombra alors plus de 500 morts, 2000 blessés, et la ville fut pratiquement détruite. La cause réelle de l’explosion ne semble pas avoir été découverte. On en a déduit toutefois qu’il fallait éviter de tirer à l’explosif dans des tas de nitrate d’ammonium !

En avril 1947, le Liberty ship français Grandcamp est en cours de chargement à Texas City et contient plus de 2000 tonnes de sacs de nitrate d’ammonium et divers produits combustibles, dont des balles de ficelle de sisal. Ce nitrate d’ammonium provient de surplus de guerre et est peut-être impur. Il prend feu vers 8 h du matin. Le capitaine, logiquement, ferme tous les panneaux et envoie de la vapeur dans la cale. Malheureusement, le nitrate d’ammonium contient beaucoup d’oxygène et peut brûler en atmosphère confinée. A 8h30 on évacue le navire et on tente de le remorquer au loin mais à 9h12 le bateau explose. L’explosion provoque un gigantesque incendie du site industriel et continue par la combustion du cargo High Flyer, qui contient 1000 tonnes de soufre et près de 1000 tonnes de nitrate d’ammonium. Il explose à son tour le lendemain et met le feu à un stock de nitrate d’ammonium, qui brûle sans exploser. On déplore plus de 500 morts et près de 3000 blessés. C’est une des premières catastrophes à effet domino, qui servira d’exemple pour éviter les accidents industriels en chaîne.

Le 23 juillet 1947, un autre Liberty ship, l'Ocean Liberty, accoste à Brest avec à son bord 3300 tonnes de nitrate d’ammonium et de nombreux produits combustibles, dont de la peinture et de la paraffine. Vers 12h30, de la fumée sort de la cale qui contient le nitrate. Comme on est au courant de la catastrophe de Texas City, on tente de remorquer le bateau hors du port. Malheureusement, il s’échoue sur un banc de sable. On tente alors de le saborder mais à 17h24, le cargo explose. Des débris du navire et de sa cargaison en flamme mettent le feu à la ville, déjà bien frappée par la guerre. On déplore 26 morts et près de 500 blessés. Plus de 4000 maisons sont détruites.

De ces deux dernières catastrophes, on a déduit qu’il ne fallait pas stocker du nitrate d’ammonium en milieu confiné avec des matières combustibles, règle qui a été respectée. Et pourtant, quatre-vingts ans jour pour jour après Oppau, l’usine AZF de Toulouse a explosé, et, probablement pour une raison encore différente, on vient de déplorer la catastrophe de Beyrouth.

Alain Delacroix

Professeur honoraire, chaire "Chimie industrielle - Génie des procédés" du Conservatoire national des arts et métiers
 
gants jetables

Les gants jetables sont nécessaires en milieu professionnel, comme le milieu médical, les laboratoires et l’industrie, mais ont aussi un usage domestique important. Ils sont particulièrement utilisés en ce moment du fait de la pandémie et leur grand nombre commence à poser des problèmes de pollution – tout comme les masques –, car ils ne sont, pour la plupart, pas biodégradables. Ils sont fabriqués avec des polymères très différents sur le plan chimique et leur élimination peut poser problème car certains peuvent rejeter de l’acide cyanhydrique ou de l’acide chlorhydrique lors de leur combustion. Cela n’est pas gênant pour les incinérateurs modernes... à la condition que les gants arrivent jusqu’à eux.

Soit comme dispositif médical, soit comme équipement de protection individuelle (EPI), les gants pour les métiers de la santé doivent protéger le patient mais aussi le personnel soignant. Ceux utilisés dans l’industrie doivent correspondre aux différents dangers d’origine physique, chimique ou biologique. Comme pour les masques, on distingue les gants médicaux et les gants de protection pour les autres usages. Le cadre réglementaire et normatif qui les concernent n'est pas le même. Les gants médicaux sont des dispositifs médicaux qui dépendent du règlement européen 2017/745 du 7 avril 2017 et applicable à partir du 26 mai 2020, et les gants de protection sont des EPI qui relèvent du reglement européen 2016/425 du 9 mars 2016, qui s’applique depuis le 21 avril 2018. A ce cadre juridique s'ajoutent plusieurs normes ou parties de norme (exemple pour la EN 374) qui dépendent de la famille de risque. On distingue les risques biologiques (norme EN 374-1, 2, 4), les risques chimiques (norme EN 374-1, 2, 4), la protection contre les rayonnements ionisants et les produits radioactifs (norme EN 421), les risques mécaniques (norme EN 388) et les risques thermiques (norme EN 407). Mais il existe aussi des règles spécifiques pour les produits, dont les gants, en contact avec les aliments (CE 1935/2004), plus précisément pour le vinyle (UE 10/2011) et pour le latex et le nitrile en France (arrêté du 9 novembre 1994).

La majorité des gants jetables sont en latex, en nitrile ou en vinyle, ce qui correspond à deux grands types de produits sur le plan chimique : les caoutchoucs naturels ou synthétiques et les polymères thermoplastiques. Dans tous les cas, ils contiennent des molécules susceptibles de provoquer des allergies : plastifiants, accélérateurs de vulcanisation, antioxydants, colorants... et protéines dans le cas du caoutchouc naturel.

Gants en caoutchouc

Les caoutchoucs ou élastomères peuvent être composés, entre autres, de latex naturel ou artificiel, de nitrile, de chloroprène, de SBR...

Gants en latex

Les caoutchoucs ou «latex» naturels ou artificiels sont à base de polyisoprène. Ils sont obtenus à partir du latex naturel provenant de l’hévéa ou de l’isoprène produit à partir du craquage de naphta. Le monomère, l’isoprène, est une molécule présente dans la nature car rejetée par les arbres dans l’atmosphère. Il est soupçonné d’être cancérogène pour l’homme. On produit dans le monde largement plus de dix millions de tonnes de caoutchouc naturel et quinze millions de tonnes de caoutchouc artificiel. Peu recyclables, on les retrouve dans les revêtements de sol, les bitumes, ou comme combustible dans les cimenteries. Outre les gants chirurgicaux et autres, le caoutchouc sert en grande majorité à produire des pneumatiques.
Les gants en latex sont les plus confortables et élastiques, permettant bonne préhension et dextérité, mais ils résistent peu aux produits chimiques. Ils ne contiennent pas de plastifiants mais pour les naturels, ils comportent des protéines de latex allergisantes.

Gants en nitrile

Les gants en nitrile sont réalisés en copolymère butadiène-acrylonitrile (appelé en anglais NBR, Nitrile Butadiene Rubber). Ce copolymère donne des élastomères possédant un grand nombre d’usages : gants nitrile pour la médecine et la chimie, gainage de câbles, tuyaux, courroies, cuir synthétique...
Les deux monomères à l’origine de ce copolymère sont de grands produits industriels. Le butadiène est produit par craquage, entre autres, d’essence légère mais aussi possiblement à partir de biomasse par l’intermédiaire du tétrahydrofurane. Il est impliqué dans la fabrication de caoutchouc synthétique, de vernis, peintures et est un intermédiaire de la production du nylon. Sur le plan de la sécurité, outre son inflammabilité, il peut provoquer le cancer et des anomalies génétiques.
L’acrylonitrile est produit par ammoxydation du propène. On fait réagir ce dernier avec de l’ammoniac et de l’oxygène à température élevée avec des catalyseurs à base d’antimoine et d’uranium. La synthèse produit comme impureté de l’acide cyanhydrique. L’acrylonitrile est très toxique et il lui correspond de nombreuses phrases de risques : H301, 311, 315, 317, 318, 331, 350 (peut provoquer le cancer), 411. Sa combustion ainsi que celle de ses polymères peut conduire à de l’acide cyanhydrique. L’acrylonitrile a de nombreuses applications :

  • le NBR, vu plus haut ;
  • les fibres acryliques : le polyacrylonitrile peut être mélangé avec la laine, le coton ou la soie ;
  • le copolymère styrène-acrylonitrile (SAN) permet de faire des emballages alimentaires, pharmaceutiques, cosmétiques, des pièces pour l’automobile, des boîtiers pour l’électronique, les batteries ;
  • le copolymère acrylonitrile-butadiène-styrène (ABS) pour les produits solides, rigides, légers, moulables. Ce sont les matériaux de l’électroménager, des Lego®, ou d’objets plus gros : voitures (Méhari), petites embarcations, voitures sans permis...

Les gants en nitrile ne sont pas aussi confortables que ceux en latex. Ils sont moins élastiques mais résistent mieux aux produits chimiques. Ils sont utiles pour ceux qui ont des allergies aux protéines du latex naturel.

Gants en chloroprène

On peut obtenir un autre type de caoutchouc en remplaçant le groupement méthyle de l’isoprène par du chlore. Le monomère correspondant, le chloroprène, est fabriqué à partir du butadiène et du chlore avec comme intermédiaire le 3,4-dichloro-1-butène. Sa polymérisation donne le polychloroprène, popularisé sous le nom de Néoprène par la société DuPont de Nemours. Ce polymère résiste bien aux hydrocarbures et à l’eau de mer. On produit donc des gants, des joints et des combinaisons pour le surf et la plongée. Le monomère est toxique et il lui correspond de nombreuses phrases de risques, dont H350 (peut provoquer le cancer). Le polychloroprène ne représente que quelques pourcent de l’ensemble des caoutchoucs naturels.

Gants en polymères thermoplastiques

On peut produire des gants avec des polymères thermoplastiques, dont le polychlorure de vinyle ou vinyle, ou en polyéthylène.

Gants en vinyle

Le polychlorure de vinyle (PVC) est un produit fabriqué en quantités énormes dans le monde (plusieurs millions de tonnes) à partir du chlorure de vinyle. Celui-ci est produit à partir de la chloration de l’éthylène avec comme intermédiaire du dichloroéthane. Le monomère a une toxicité aiguë faible mais est très toxique de façon chronique et peut provoquer le cancer. Sa libération à partir du polymère est très contrôlée. La polymérisation radicalaire est effectuée le plus souvent en suspension et conduit à un très grand nombre de produits :

  • tuyaux, fenêtres, volets, revêtements muraux ;
  • matériels hospitaliers, poches de sang, alèses, gants ;
  • articles de bureaux, papeterie, jouets ;
  • électricité : câbles, gaines, boîtiers ;
  • automobile : garnitures intérieures, tableaux de bord ;
  • textiles, similicuir, chaussures, bottes.

Les gants en vinyle sont moins élastiques et confortables que ceux en latex, se détériorent plus vite et ne sont pas utilisables pour le risque chimique. En revanche, ils sont utiles pour les personnes souffrant d’allergies au latex. Ils contiennent des plastifiants et, de ce fait, ne sont pas recommandés pour la manipulation des viandes, des graisses et des poissons car les plastifiants sont solubles dans les graisses.

Gants en polyéthylène

Enfin, il existe des gants jetables en polyéthylène qui sont très utilisés pour leur résistance à la déchirure et à l’abrasion. Ils ne sont pas aussi élastiques que les gants en latex et sont réservés, en milieu médical, aux petits nettoyages et aux usages courants.
L’éthylène est fabriqué par vapocraquage, entre autres de naphta, et a l’avantage de ne pas être toxique. C’est d’ailleurs une hormone de mûrissement des fruits. Le polyéthylène haute densité est obtenu par polymérisation de l’éthylène avec des catalyseurs Ziegler-Natta, qui lui confère des propriétés d’un corps semi-cristallin. On l’utilise pour fabriquer des caisses, des bateaux, des bidons et bouteilles pour les détergents, huile, lait, des tubes et des géomembranes. Le polyéthylène haute densité est recyclable et plus ou moins biodégradable.

 
La diversité chimique des constituants des gants permet de se protéger contre l’ensemble des dangers rencontrés mais ne facilite pas leur recyclage ou leur élimination. C’est une pollution potentielle à la fois diffuse et concentrée. Dans les hôpitaux ou l’industrie agroalimentaire par exemple, on peut les trier et les collecter. Dans ce cas, on peut les nettoyer et les réutiliser en les transformant en mobilier, poubelles, arrosoirs, ou les incinérer. En revanche, dans les petites entreprises ou pour les particuliers, ils sont très dispersés et leur recyclage est difficile. Le traitement par incinération est alors convenable. Il faut noter que des milliards de gants sont utilisés annuellement en France, ce qui représente des dizaines de milliers de tonnes de déchets.

Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
 

Hyalomma marginatum

Hyalomma marginatum, fièvre hémorragique de Crimée-Congo

En septembre dernier, nous avions signalé l’alerte du site Internet consacré aux maladies émergentes (ProMed) concernant l’installation de la tique Hyalomma marginatum en Europe du Nord [1] pendant l’été dernier. Ce même site rapporte, le 17 juin 2020, l’émergence dans les zones rurales de Turquie de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo (FHCC) avec quinze cas mortels. Cette maladie est transmise par cette tique dure reconnaissable à son long rostre et à ses pattes bicolores (anneaux blanchâtres aux articulations). Elle est deux fois plus grosse que Ixodes ricinus. La particularité de cette tique est d’être chasseuse. Contrairement à Ixodes ricinus qui se positionne sur des végétaux pour tomber sur l’hôte pour se fixer, H. marginatum se cache dans le sol, repère sa proie et se dirige vers celle-ci. Cette tique géante peut poursuivre sa cible pendant dix minutes, voire plus, sur une distance jusqu’à cent mètres.

La FHCC a été découverte en Turquie en 2002. Les autorités turques [2] ont annoncé que le nombre de cas était plus élevé qu'en 2019 avec, au 10 juin 2020, 480 infections signalées (le plus grand nombre de cas signalés en Turquie était de 1300 en 2008). Le taux de mortalité par FHCC est généralement autour de 4% mais il peut atteindre 80% dans certains pays.

En Espagne, le 11 juin 2020, les autorités de santé publique de la communauté autonome de Castille et León ont notifié un cas de FHCC [3], confirmé par PCR au Centre national de microbiologie. Le patient a été piqué par une tique à la fin du mois de mai dans la province de Salamanque et a développé des symptômes compatibles dans les jours suivants. Il s’agit de la troisième détection de FHCC en Espagne depuis quatre ans (deux cas en 2016, dont une contamination interhumaine pour un personnel de santé en milieu hospitalier, un cas mortel en 2018).
H. marginatum est largement présente en Espagne, comme le montre la carte de répartition publiée par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (CEPCM) en mai 2020. Ces tiques ne sont pas nouvelles pour la France car elles sont connues depuis plusieurs décennies en Corse mais elles se sont aussi installées plus récemment en France continentale, en région méditerranéenne principalement [4]. Elles sont aussi présentes au Maghreb, dans la péninsule Ibérique, de l’Italie à la Turquie, autour de la mer Noire, dans le Caucase, au sud de la Russie. Le CEPCM souligne cependant que certains signalements ponctuels ne signifient pas une installation pérenne de ces tiques, en particulier au nord de l’Europe. L’introduction de ces tiques pourrait être soit le fait d’un transport par des oiseaux migrateurs (hypothèse retenue pour les tiques découvertes en Allemagne), soit la conséquence de l’importation de chevaux ou de bovins infestés par des tiques adultes.
 

Répartition actuelle connue de Hyalomma marginatum en Europe en mai 2020 (370 nouveaux rapports ont été soumis depuis la dernière mise à jour de juillet 2019) [5]

European Centre for Disease Prevention and Control and European Food Safety Authority. Tick maps [internet]. Stockholm: ECDC; 2020

Un autre danger représenté par ces tiques est la transmission de la fièvre boutonneuse, due à Rickettsia aeschlimannii. Ce danger est d’autant plus sérieux que le site Promed a signalé, le 19 août dernier [6], un cas humain de fièvre boutonneuse en Allemagne chez un propriétaire de chevaux. Ce dernier avait envoyé la tique qui l’avait mordu à l’université de Hohenheim pour identification avant d’être hospitalisé quelques jours plus tard avec les symptômes alarmants d’une fièvre boutonneuse rapidement jugulée par une antibiothérapie. R. aeschlimannii avait été isolée de la tique. Ce cas autochtone est d’autant plus inquiétant que, dans une étude épidémiologique sur H. marginatum et Hyalomma rufipes en Allemagne, la moitié des dix-huit tiques identifiées étaient porteuses de R. aeschlimannii [7].

L’émergence de ces tiques géantes ajoute de nouveaux risques infectieux liés aux tiques dans plusieurs territoires jusque-là indemnes. L’apparition récente d’un foyer d’encéphalite à tiques en France démontre l’importance d’une prévention constante contre les morsures de tiques en général dans le contexte actuel d’une augmentation d’activité des tiques en Europe.

 

[1] Brugère-Picoux J. Installation de Hyalomma marginatum en Europe du Nord. Afas, 27 septembre 2019.
[2] https://www.dailysabah.com/turkey/turkish-authorities-scramble-for-measures-as-another-deadly-disease-emerges/news
[3] https://www.mesvaccins.net/web/news/15739-cas-de-fievre-hemorragique-de-crimee-congo-en-espagne
[4] Stachurski F, Vial L. Installation de la tique Hyalomma marginatum, vectrice de la fièvre de Crimée-Congo, en France continentale. Bull.épidémiologique, santé animale et alimentation, 2018, 84(8).
[5] European Centre for Disease Prevention and Control and European Food Safety Authority. Tick maps [internet]. Stockholm: ECDC; 2020. https://ecdc.europa.eu/en/disease-vectors/surveillance-and-disease-data/tick-maps
[6] PRO/AH/EDR> Spotted fever - Germany: Rickettsia aeschlimannii via hyalomma tick- 19 août 2019
[7] Chitimia-Dobler L et al. Imported Hyalimma ticks in Germany in 2018. Parasites vectors, 2019, 12, 134.

Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
 
abattoirs

Après les clusters notifiés dans des abattoirs en France, aux Etats-Unis ou en Allemagne (où le plus gros abattoir d’Europe vient d’être touché avec plus de 700 cas) et le marché alimentaire de Pékin, les Britanniques s’inquiètent de nouveaux foyers dans des abattoirs au Pays de Galles et en Angleterre (https://www.telegraph.co.uk/global-health/science-and-disease/revealed-meat-processing-plants-ideal-incubator-coronavirus/).

Comme dans les cas précédents, l’apparition de ces cas de Covid-19 est favorisée par :

  • l’environnement de ces abattoirs (bâtiments froids et humides, sans lumière naturelle, sans soleil, difficultés pour les employés de maintenir une distance physique aux vestiaires, pendant le travail à la chaîne, en salles de repos) ;
  • il est également difficile pour les employés de porter des masques en permanence, les travailleurs ayant tendance à ne couvrir que leur bouche, pas leur nez, et réajustant fréquemment leurs masques ;
  • le bruit dans l’abattoir oblige les travailleurs à se rapprocher les uns des autres lorsqu'ils parlent ou crient, ce qui peut augmenter la projection de particules virales.

Les facteurs socio-économiques sont également importants : dans une usine, de nombreuses langues différentes peuvent être parlées, rendant difficiles une distance physique et la mise en place des mesures de biosécurité ; le personnel arrive souvent après avoir voyagé en groupe (bus, covoiturage), permettant une diffusion du virus à l’extérieur ; il peut s’agir aussi de personnes vivant des conditions précaires (logements avec une forte densité humaine, familles nombreuses avec présence de personnes âgées vulnérables, étrangers recrutés en sous-traitance...).

Pierre Potier

Ingénieur
 

Delambre et Méchain
Jean-Baptiste Delambre (à gauche) et Pierre Méchain (à droite)

Du chaos à l’universel

Le système de mesure des longueurs en Europe au XVIIIe siècle est un véritable chaos. Non seulement les unités prolifèrent (la lieue, la toise, le pied, l’aune, la perche, la verge, la palme, la canne, le pouce, la ligne), mais chacune varie selon les villes, les régions, les corporations et même l’objet mesuré! Le pied de Besançon diffère du pied de Dijon ; l’aune de Paris vaut deux fois celle de Strasbourg ; la toise des charpentiers n’est pas celle des arpenteurs. En France, on dénombre treize lieues, sept toises, dix pieds, onze aunes. Les fraudes, les querelles, les procès sont fréquents. De Philippe Le Bel à Louis XIV, toutes les tentatives de simplification ont échoué.

Il semble admis que la nouvelle unité de longueur devra être unique, basée sur une référence universelle, accessible à tous. Beaucoup proposent la longueur d’un pendule battant la seconde, à l’image de l’Italien Buratti avec son metro cattolico (1675). Mais on découvre bientôt que la période du pendule dépend de sa latitude, ce qui le rend un peu moins universel.

Gabriel Mouton, vicaire à Lyon, propose en 1670 un système innovant à double titre : il est décimal (et non duodécimal) et il se réfère au méridien (et non le pendule). C’est, avec plus d’un siècle d’avance, l’ossature du futur système métrique. Une solution semblable est proposée en 1720 par Jacques Cassini, dit Cassini II (de l’exceptionnelle dynastie qui a régné 125 ans sur l’Observatoire de Paris).

La longueur du méridien serait-elle donc la référence universelle idéale ? Encore faudrait-il s’entendre sur sa forme! Selon Newton, la Terre est aplatie aux pôles, comme une pomme. Les fidèles à Descartes, dont Cassini II, pensent qu’elle est élancée, comme un citron. Pour trancher la question, deux expéditions sont lancées en 1736, l’une en Laponie, dirigée par Maupertuis, l’autre au Pérou, dans le but d’y mesurer la longueur d’un degré de méridien. C’est la théorie de Newton qui est confirmée : Maupertuis «a aplati la Terre et les Cassini», raille Voltaire.

Un projet révolutionnaire

La Révolution s’empare de la réforme du système de mesures, dans l’esprit de rationalité et d’universalité hérité des Lumières et porté par Condorcet.
Lancée par Talleyrand, une tentative d’accord franco-anglais, basé sur le pendule, avorte vite, chacun voulant la référence chez lui!

Une commission de savants (Condorcet, Borda, Laplace, Lagrange, Monge) prône alors l’instauration du système métrique, où le mètre est la dix-millionième partie du quart du méridien, une référence universelle «qui puisse convenir à tous les peuples». Pour établir la longueur du méridien, on en mesurera la portion qui va de Dunkerque à Barcelone. L’Assemblée constituante vote le projet en mars 1791.

La veille de sa fuite à Varennes, Louis XVI, faisant preuve d’un sang-froid étonnant, interroge Cassini IV sur la nécessité de refaire ces mesures de méridien, déjà en partie réalisées par son père et son grand-père en 1740. Cassini IV explique que les nouvelles mesures seront quinze fois plus précises : un véritable saut technologique dû au nouvel instrument de visée, ou «cercle répétiteur», mis au point par Borda.
L’arc de méridien (1070 km) sera mesuré par triangulation, «maillé» par une centaine de triangles. Avec le cercle de Borda, on mesurera chaque angle en visant les sommets surélevés (clochers, tours, pics) ainsi que la latitude en cinq points de l’arc. De plus, on arpentera deux bases de 10 km.
 

Cercle répétiteur de Borda, Musée des arts et métiers (à gauche)
Triangulation de Dunkerque à Barcelone (à droite)

Cercle répétiteur de Borda    Les triangles de Dunkerque à Barcelone

L’opération sera réalisée par deux astronomes, expérimentateurs hors pair : Jean-Baptiste Delambre, 42 ans, assisté de l’ingénieur Bellet, réalisera les mesures de Dunkerque à Rodez, et Pierre Méchain, 47 ans, assisté de l’ingénieur Tranchot, de Barcelone à Rodez. On estime le temps de l’opération à un an. C’est sans compter les désordres de la révolution et quelques autres contrariétés!
  

L’aventure commence... et s’arrête

Le grand départ a lieu en juin 1792. Chaque équipe dispose de deux voitures et de deux cercles de Borda. Dès sa sortie au nord de Paris, Delambre est soumis à de fréquents contrôles. Ses interlocuteurs sont perplexes : en quoi la mesure de la Terre est une urgence nationale alors que les Prussiens menacent d’envahir le pays? Delambre doit improviser de véritables séminaires de cartographie devant un public sceptique. On le prend pour un espion, ou pire, un aristocrate en fuite. Un jour, Delambre et Bellet doivent affronter une foule menaçante et passer la nuit cachés à la mairie. Malgré ces conditions pénibles, ils parviennent à mesurer quelques triangles autour de Paris.

De son côté, Méchain arrive rapidement à Barcelone, repère les sites, installe les stations de mesures et effectue les visées. Le cercle de Borda fait merveille. Méchain enchaîne avec les mesures nocturnes de latitude de Montjouy, à l’extrémité sud de l’arc. Il découvre au passage une nouvelle comète. C’est sa spécialité!
Après neuf mois, Méchain a déjà accompli plus de la moitié de sa mission, et Delambre seulement un dixième!

Muni d’un nouvel ordre de mission, sans référence au roi, qui a été guillotiné, Delambre fonce vers le nord : il se retrouve dans le flot des milliers de volontaires qui partent faire barrage à la coalition anglo-prussienne (mai 1793). A Dunkerque, il amorce sa descente vers le sud, en mesurant ses triangles. Près d’Orléans, alors qu’il vient de construire une tour en bois de 20 m de haut (janvier 1794), la terrible nouvelle tombe : Paris a décidé mettre fin à l’opération. Delambre est démis de ses fonctions. Bien que sous le choc, il a le cran d’achever sa phase de travail avant de rentrer à Paris, où il subit des interrogatoires. Son sort est incertain. C’est le régime de la Terreur. Condorcet est mort en prison. Lavoisier est guillotiné : c’est la stupeur dans l’Europe scientifique.

Le piège espagnol

Du côté de Méchain, les affaires ne vont guère mieux : l’Espagne et la France sont en guerre. Méchain se retrouve en résidence surveillée à Barcelone (début 1793). Lors d’une visite technique, il est frappé violemment par le levier d’une pompe. Il reste plusieurs jours dans le coma, entre la vie et la mort. Il souffre de fractures de la clavicule et des côtes.
En octobre, encore handicapé du bras droit, il s’attaque, avec Tranchot, aux triangles espagnols des Pyrénées, malgré les combats qui sévissent dans cette région frontalière. Ils louent guides et mules. Tranchot installe les stations et Méchain le suit de quelques jours pour les visées. Un jour, Tranchot est fait prisonnier par des troupes françaises et ce n’est qu’après plusieurs semaines qu’il rejoint Méchain, devenu soudain méfiant vis-à-vis de son collègue. Ils achèvent tous les triangles espagnols fin 1793.
Ils n’ont toujours pas le droit de quitter le pays. Méchain, qui est un perfectionniste, décide de mesurer la latitude de Barcelone, un supplément non prévu au programme, qui, incroyablement, va bouleverser sa vie!
Après trois mois de relevés d’étoiles, il compare les latitudes de Montjouy et de Barcelone, distantes de 1,5 km. Il est pétrifié : il constate une différence substantielle de trois secondes de degré avec l’écart théorique. Méchain vérifie ses calculs. Aurait-il fait une erreur de manipulation? Sa réputation est en jeu. Il préfère ne pas en parler. Funeste décision car il va devoir vivre seul avec le poids de son secret.
En juin, l’équipe est autorisée à quitter l’Espagne pour l’Italie, pays neutre. Ils se rendent par bateau à Gênes.

Reprise des travaux

Mai 1795 : convaincu de son intérêt militaire, le général Calon obtient que la campagne de mesures soit reprise. Delambre est réhabilité (avec désormais un salaire!). Avec Bellet, il retourne à ses chers triangles, après dix-sept mois d’arrêt. Autour de Bourges, les sans-culottes ont détruit la moitié des clochers et Delambre doit construire des tours en bois.
Il reçoit une lettre de neuf pages de Méchain, fébrile, en proie au doute, et déterminé à retourner à Barcelone pour y refaire des mesures (il ne mentionne pas l’écart de trois secondes). Delambre l’en dissuade et cherche à rassurer son collègue. Dans un beau geste d’amitié, Delambre, célibataire, transfère son récent avantage salarial à Méchain, dont la famille vit à Paris.

Revenus sur le sol français, Méchain et Tranchot sont dans les difficiles montagnes de Corbière : au Pech de Bugarach, le sommet est si étroit que l’on ne peut y installer la station de mesure et la tente, les obligeant à des ascensions journalières périlleuses. Méchain se montre abattu et sans ressort. Tranchot piaffe : il veut participer davantage aux mesures (il a déjà cartographié toute la Corse). Méchain refuse, sans raison. La relation entre les deux hommes se détériore.

Début 1797, Delambre est à Evaux : il mesure la latitude, installé pour trois mois dans une chambre d’où il observe une portion du ciel nocturne. Il apprécie ce confort : lors des mesures de triangles, ils sont souvent coincés dans des clochers encombrés de charpentes ou pris de vertige au sommet de tours instables ou exposés aux vents sur des cimes glaciales, sans parler des nuits à la belle étoile!
Delambre et Bellet amorcent ensuite la dernière ligne droite avant Rodez. A Bort-les-Orgues, un déversement naturel de boue dans les rues les rend suspects : on détruit leur station! A Salers, ils couchent dix nuits dans un abri à vaches et se nourrissent de lait et de fromages. Soudain, ils rencontrent... Tranchot! Il a quitté Méchain, après lui avoir préparé ses stations de mesure au nord de Carcassonne. Les trois compères arrivent à Rodez, terme de leur mission, le 26 août 1797. Dans son journal, Delambre cite un vers en latin de L’Enéide de Virgile : «Là cessent mes travaux ; j’atteins le terme de mes longues courses». Il va bientôt retrouver à Paris la jeune veuve qu’il a récemment rencontrée...

Fin de parcours compliquée

Méchain reste prostré tout l’été 1797 à Carcassonne, hébergé chez un ami. Il ne va pas voir sa famille à Paris, refuse de recevoir son épouse. Dans ses lettres, il se dénigre constamment et ne voit son salut que dans un mythique retour à Barcelone. Borda le secoue : «Comportez-vous en homme de science!». En novembre, Méchain est au pic de Nore, redoutable pour son froid. Le brouillard l’oblige à différer sans cesse ses mesures : il va y monter trente fois!

Faisant preuve d’un remarquable esprit d’ouverture, l’Académie invite les savants de dix pays européens à participer aux derniers calculs du mètre en septembre, à Paris. Ce sera la première conférence scientifique internationale de l’histoire.

Avril 1798 : Delambre est de retour à la tâche, à Melun, pour l’importante mesure de la base de 10 km qui va donner l’échelle à l’ensemble des calculs. Avec Bellet et Tranchot, il pose des règles de platine de deux toises (4 m), selon une procédure délicate, minutieusement préparée. Après 41 jours de mesures, a lieu la cérémonie de clôture, où Bougainville et Humboldt sont invités d’honneur, après quoi l’équipe part répéter l’opération à Perpignan.

Septembre : les savants étrangers arrivent à Paris. Leur hôte est Jérôme Lalande, 66 ans, le pape de l’astronomie et personnage haut en couleurs. Il est très nerveux devant l’incapacité de Méchain à boucler ses travaux : il est dans les montagnes Noires, une région de rebelles, qui requiert la protection de gardes armés. Lalande somme Delambre d’aller remplacer Méchain. Mais ce dernier refuse obstinément et ajoute même qu’il n’ira pas à Paris! Delambre attend à proximité, avec une patience admirable : dix jours, vingt, trente, quarante, cinquante jours!

Novembre : Delambre rencontre enfin Méchain à Carcassonne et le convainc en trois jours de l’accompagner à Paris. Lalande, qui n’y croyait plus, annonce leur arrivée aux congressistes. C’est par ce dénouement inespéré que s’achève l’extraordinaire odyssée de six ans de nos deux savants.

Les festivités passées, Méchain fait encore monter la pression... avant de livrer un résumé de ses mesures, le 22 mars. La commission (deux étrangers, deux Français) calcule tous les triangles et la longueur de l’arc selon trois méthodes différentes. Surprise de taille : la courbure de l’arc est irrégulière et moins excentrée que prévue. Le calcul du mètre doit en tenir compte. Le rapport de synthèse est rédigé par le Hollandais Van Swinden, fixant la longueur du mètre en toises de l’Académie. Les étalons sont fabriqués par l’artisan expert Lenoir : deux en platine, et dix en acier pour les délégués étrangers.
Le 10 décembre 1799, la base légale du mètre devient l’étalon de platine déposé aux Archives.

Epilogue

Nommé directeur de l’Observatoire (c’était une promesse), Méchain broie encore du noir. Toujours sous l’emprise de son obsession, il part pour les Baléares, en avril 1803, avec son fils de 17 ans, pour des mesures de méridien. Il y connaît une série de contretemps malheureux et meurt de la malaria près de Valence, le 8 octobre 1804. Il ne se sera jamais remis du choc de Barcelone.

Delambre (jeune marié!) récupère les milliers de pages de mesures de Méchain et découvre l’écart de Barcelone. Il écrit un rapport de 2400 pages sur les six années de mesures, un modèle de transparence et de rigueur (1807). Il n’élude pas l’anomalie de Barcelone et montre qu’elle n’affecte en rien le résultat final. Durant les quinze dernières années de sa vie, Delambre publiera deux gros ouvrages de référence en astronomie et jouira d’un prestige considérable dans le monde.

En 1828, Nicollet, élève de Laplace, revisite la fameuse mesure de Barcelone à la lumière des nouvelles théories de l’erreur de Legendre et de Gauss et il montre qu’il n’y a pas d’anomalie! Méchain avait bien mesuré selon les règles de l’art mais il ne disposait pas encore, pour son malheur, des outils mathématiques pertinents pour traiter un grand nombre d’observations.

Dernier épisode : Santa Barbara, Californie, XXe siècle : on découvre chez un collectionneur l’exemplaire du rapport de Delambre, avec ses notes manuscrites. Il s’avère que Méchain avait maquillé des résultats pour les faire paraître plus cohérents. Delambre a rétabli les données brutes dans le rapport publié. Mais il n’a pas dévoilé la fraude. Delambre est indulgent devant cette tentative naïve de sauver les apparences, venant d’un homme tourmenté. Il s’en veut de ne pas avoir su lire entre les lignes des lettres de son collègue.

L’impact de la dépression de Méchain sur le cours de l’expérimentation nous rappelle que la science se construit avec des êtres humains, de chair et d’os. Delambre s’est révélé exemplaire : son soutien a été permanent, mais jamais au détriment de la rigueur scientifique.

La campagne de mesures du mètre, inédite par l’ampleur et la précision des données recueillies, a permis de découvrir que le méridien terrestre n’est pas l’ellipse parfaite de Newton. Lorsqu’on la regarde dans le détail, la boule terrestre a une forme plutôt cabossée ! Les méridiens ne sont pas tous de longueur égale et ne sont donc pas une référence universelle.

Aujourd’hui, la mesure du même arc de méridien par satellites donnerait un mètre plus long de 0,02%, soit l’épaisseur de deux feuilles de papier. Ce résultat force l’admiration pour ces deux savants qui ont réussi une véritable prouesse technique malgré les rudes conditions physiques, les évènements tragiques et les aventures multiples qu’ils ont vécus.

Le mètre triomphe lentement

Après sa naissance laborieuse, le mètre, comme l’ensemble du système métrique, mal présenté, trop politisé, est boudé par la population française, déjà soumise à beaucoup d’autres changements. Napoléon en suspend l’application. C’est seulement en 1837 qu'après des débats passionnés, le mètre devient obligatoire en France, alors qu’il l’est déjà depuis vingt ans en Hollande et Belgique.

Les Italiens puis les Allemands l’adoptent, voyant en lui un ciment de leur unification.
En 1870, le mètre reçoit un appui décisif de l’Association européenne de géodésie, qui le choisit. Son président, le général prussien Baeyer, déclare : «En vérité, le mètre tire une bonne part de son prestige de l’idée, flatteuse pour la fierté humaine, que nos mesures quotidiennes sont tirées des dimensions du globe».
En 1889, le Bureau international des poids et mesures est créé. Un nouvel étalon est construit. La référence au méridien terrestre disparaît.
Le mètre est adopté par la Grande-Bretagne (1965) et le Canada (1970).

Aujourd’hui, le mètre, cette longueur résultant des mesures et des calculs réalisés de 1792 à 1799 par Delambre, Méchain et leurs collègues, ce même mètre est défini par la communauté scientifique internationale comme la distance parcourue dans le vide par la lumière en 1/299 792 458 de seconde. Le mètre a maintenant une vraie référence universelle. Et il est utilisé par 95% de la population mondiale. Après tout, le rêve de Condorcet et ses amis semble bien réalisé.

Alain Delacroix

Professeur honoraire, chaire "Chimie industrielle - Génie des procédés" du Conservatoire national des arts et métiers
 
polypropylène
 

La crise sanitaire que nous venons de vivre a bousculé un certain nombre d’idées reçues chères à notre «ancienne société». On a notamment (re)découvert que les objets en plastique jetables, dont certains seront bientôt interdits, sont très utiles dans les hôpitaux, et que les matières plastiques (adjectif ô combien péjoratif) sont nécessaires pour protéger nos denrées alimentaires, fabriquer les écrans de protection, les masques chirurgicaux et FFP, etc.

Dans le cadre de la pandémie actuelle, plusieurs types de masques sont utilisés. Certains sont des dispositifs médicaux (masques chirurgicaux), d’autres sont des équipements de protection individuelle EPI (masques FFP : filtering facepiece). Ils répondent à des normalisations différentes et n’ont pas les mêmes propriétés. Pour autant, ils sont constitués majoritairement de polypropylène non tissé. Les microparticules et les virus se fixent sur les filaments du polypropylène hydrophobes par des forces électrostatiques de type Van der Waals.

Ce polypropylène devient omniprésent car un masque pesant environ quatre grammes, un milliard de masques (il y en a probablement beaucoup plus !) représentent quatre mille tonnes, qui risquent d’être dispersés dans la nature par des utilisateurs inconscients. Du coup, il est accusé d’être polluant – et même d’être un perturbateur endocrinien alors que c’est le bisphénol A qui l’est. Pourtant le propylène et son polymère ne sont pas toxiques et ont un très grand nombre d’applications.

Le monomère, propène ou propylène, est produit par vapocraquage à haute température de produits pétroliers, dont le naphta qui est une essence lourde. En France, les vapocraqueurs transforment près de 9,5 millions de tonnes par an et produisent près de 1,6 millions de tonnes de propylène.

La polymérisation de ce monomère est complexe car le groupe méthyle rend l’opération différente de celle de son homologue plus simple, l’éthylène CH2=CH2. En effet, le groupe méthyle peut se situer du même côté de la chaîne carbonée et c’est le PP isotactique ; de part et d’autre alternativement et c’est le PP syndiotactique ; ou au hasard et c’est le PP atactique.

C’est au début des années cinquante que les chimistes Karl Ziegler et Giulio Natta mettent au point une polymérisation stéréorégulière du propylène, ce qui leur vaudra le prix Nobel en 1963. Les catalyseurs sont très sophistiqués et les premiers sont constitués par du tétrachlorure de titane associé à des composés organo-aluminiques. La structure du polypropylène obtenu est cristalline, ce qui confère au produit des qualités assez extraordinaires. En plus, il est facilement travaillable car on peut le mouler, l’extruder et le filer, d’où un nombre incalculable d’applications :

  • construction automobile : pare-chocs, tableaux de bord, habitacle, réservoirs d’essence et de liquide de freins,
  • emballage alimentaire,
  • tissus d’ameublement, tapis,
  • cordages, entre autres pour la Marine, ficelles agricoles,
  • vêtements professionnels jetables,
  • géotextiles, géomembranes,
  • adjuvants de bétons,
  • isolants : transformateurs, gaines...

Le polypropylène est donc paré de presque toutes les qualités. En revanche, il reste le grave problème, commun à tous les plastiques, de son élimination et de son recyclage après utilisation. Dans le cas du polypropylène, on a la chance qu’il soit recyclable plusieurs fois et que, lorsqu’il est trop dégradé, on puisse l’incinérer, ce qui ne fournit que du gaz carbonique et de l’eau.

Toutefois, une partie des 70 millions de tonnes produites par an dans le monde finissent dans les océans. Cela concerne particulièrement la France, qui est le pays ayant les deuxièmes plus grande zone économique maritime et plus grande surface sous-marine au monde. Il est ainsi très regrettable que l’atoll français Clipperton, complètement désert et situé à 1000 km de la terre la plus proche, soit couvert de déchets plastiques. Curieusement, les très nombreux oiseaux qui y habitent font leurs nids avec ces déchets. Peut-être trouveront-ils très confortables les masques chirurgicaux que les humains peu scrupuleux jettent n’importe où.

Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
 
encéphalite à tiques et fromages

Apparition d’un foyer d’encéphalite à tiques dans l’Ain

L’annonce, le 28 mai 2020, d’un foyer de cas d’encéphalite à tiques (EAT) confirmés (10 cas, dont un décès qui ne semble pas être directement lié à cette virose) ou probables chez 26 habitants dans l’Ain par l’Agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes et la préfecture de l'Ain a surtout surpris par le caractère exceptionnel de l’origine de l’infection : des fromages au lait cru de chèvre d'une exploitation agricole du bassin d'Oyonnax (ces produits auraient été consommés par au moins 50% des personnes malades). En effet, l’EAT est l'une des zoonoses virales les plus importantes transmises par la morsure d’une tique infectée. Elle est due à un flavivirus (Tick Borne Encephalitis virus ou TBEV). Il existe trois sous-types principaux de TBEV (européen, sibérien et extrême-oriental), le sous-type européen étant transmis principalement par la tique Ixodes ricinus (Ixodes persulcatus transmettant les autres sous-types). La transmission alimentaire par la consommation d’un lait ou d’un produit laitier non pasteurisé provenant d’un ruminant infecté, considérée comme rare, n’avait jamais été décrite en France [1] jusqu’à cette suspicion récente. Exceptionnellement, une contamination au laboratoire par piqûre ou par aérosols est également possible.

Aspects cliniques de l’encéphalite à tiques chez l’Homme

Comme dans le cas d’une autre flavivirose due à l’agent de l’encéphalomyélite ovine (ou louping ill), proche du TBEV, l’encéphalite à tiques est asymptomatique dans 75% des cas. Lorsqu’il y a des symptômes, on observe une évolution biphasique caractéristique. Après une période d’incubation d’environ 8 jours, la première phase clinique se traduit par des symptômes non spécifiques de type grippal pendant 2 à 4 jours (hyperthermie, fatigue et douleurs musculaires). Ces symptômes avaient amené les médecins à suspecter la Covid-19 dans l’Ain. Puis, après une semaine asymptomatique, des troubles nerveux peuvent apparaître chez le tiers des malades, variant d’une méningite modérée à une encéphalite sévère ou une méningo-encéphalo-myélo-radiculite. Le taux de mortalité varie de 1 à 2% avec la souche européenne de TBEV. Les séquelles neurologiques (troubles cognitifs) peuvent être observées chez près de 10% des malades.

Encéphalite à tiques : maladie en augmentation constante en Europe

De 1990 à 1994, on a pu observer une augmentation des cas d’EAT dans les pays de l'espace économique européen, peut-être du fait d’une surveillance accrue, puis de 1995 à 2009, une certaine stabilité avec 2000 à 4000 cas déclarés par an [2]. En 2012, la maladie accompagnée de troubles neurologiques est devenue à déclaration obligatoire dans l’Union européenne. Une enquête concernant l’EAT a été réalisée sur 2012 à 2016 en Europe [3] : 23 pays de l’Union européenne ont déclaré 12 500 cas d’EAT (l’Irlande et l’Espagne ne déclarant aucun cas), dont 93% ont été confirmés (11 623) et 7% probables (783). Les Pays-Bas ont déclaré des cas à partir de 2016. Deux pays (République tchèque et Lituanie) ont représenté 38,6% de tous les cas signalés, malgré un effectif ne représentant que 2,7% de la population sous surveillance. Le taux annuel de notification a fluctué entre 0,41 cas pour 100 000 habitants en 2015 et 0,65 en 2013 sans modification significative. La Lituanie, la Lettonie et l'Estonie avaient les taux de notification les plus élevés avec respectivement 15,6, 9,5 et 8,7 cas pour 100 000 habitants. Au niveau infranational, six régions avaient des taux de notification annuels moyens supérieurs à 15 cas pour 100 000 habitants, dont cinq dans les pays baltes. Environ 95% des cas ont été hospitalisés et le taux de mortalité global était de 0,5%. Sur les 11 663 cas signalés avec des informations sur le statut d'importation, 156 (1,3%) ont été déclarés importés. Moins de 2% des cas avaient reçu deux doses ou plus de vaccin contre l’EAT.

Le dernier rapport du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC, 2019) [4] annonce les premiers cas d’EAT décrits au Danemark et 3212 cas d’EAT en Europe en 2018, dont 96,3% ont été confirmés (25 en France). Une recherche du TBEV et du virus de l’encéphalomyélite ovine (Louping ill virus ou LIV) réalisée entre 2018 et 2019 sur 1309 cervidés en Angleterre et en Ecosse a permis de démontrer que le TBEV était aussi présent au Royaume-Uni [5].

Les pays les plus touchés ont été la Lituanie, la Slovénie et la République tchèque avec respectivement 13,6, 7,4 et 6,7 cas pour 100 000 habitants, alors que la moyenne européenne était de 0,6 pour 100 000 comme dans les trois années précédentes. En comparant avec les données de 2017, le nombre de cas déclarés a doublé en Slovaquie et a augmenté de 22,4% en Allemagne. Dans les régions endémiques, la vaccination a permis d’observer une diminution du nombre des cas (de 23,2% en Lituanie en 2018).

Plusieurs pays avaient signalé l’augmentation des cas d’EAT sur leur territoire, notamment la Suisse qui, de 100 cas annuels déclarés ces cinq dernières années a notifié 251 cas à la fin du mois d’octobre 2019 [6].

En France, depuis 1968 avec la description du premier cas humain, on a surtout observé une dizaine de cas par an en région alsacienne puis, à partir de 2003 un ou deux cas en Haute-Savoie et, en 2006, un premier cas dans le Sud-Ouest (soit 1 cas pour 100 000 habitants). Une augmentation marquée des cas d’EAT en France a été observée en 2016 [7] : 54 cas, dont 46 avec des troubles neurologiques (9 malades ont gardé des séquelles pendant les 15 jours à 8 mois suivants) et une enquête sérologique montrant 5,89% de séropositifs sur 1643 échantillons sanguins. La région alsacienne est ainsi passée de 0,5 cas à 1,33 cas pour 100 000 habitants.

Aspects épidémiologiques de l’encéphalite à tiques

Plusieurs facteurs interviennent pour favoriser l’apparition d’une EAT. Le plus souvent, il s’agit des mêmes risques connus pour la maladie de Lyme (morsure de tique) mais l’origine alimentaire d’une EAT a peut-être été sous-estimée ces dernières années.

Région géographique

La surveillance de l’EAT a permis de définir des régions fortement endémiques (plus de 5 cas pour 100 000 habitants par an). La République tchèque, l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie et la Slovénie ont des zones fortement endémiques (incidence supérieure à 10 pour 100 000 habitants). L’EAT est également un problème important en Pologne, en Slovaquie et en Hongrie. Les taux d'incidence de l'EAT varient considérablement, non seulement entre les pays mais aussi au sein des régions comme en Suède, en Finlande, en Autriche, dans le nord de la Suisse ou le sud de l’Allemagne.
 

Fig. 1 : Distribution des cas d’encéphalites à tiques déclarés par 100 000 habitants dans les pays européens ou de l'espace économique européen (ECDC, 2019).

encéphalite à tiques

Saison, régions, risque professionnel ou occasionnel

Les cas d’EAT apparaissent pendant la période d’activité des tiques à savoir la saison chaude à partir d’avril jusqu’en novembre, avec un pic d’activité en plaine (avril à juin) et en montagne (mai-juillet). Du fait de la présence des tiques dans les haies, les forêts et les jardins, le risque pour l’Homme peut être professionnel (forestiers, jardiniers...) ou être lié à des activités de loisirs en plein air (camping, parcs, randonnées...).

Age et genre des personnes infectées

La plupart des personnes infectées sont âgées de 45 à 64 ans (36%, soit 0,8 cas pour 100 000 personnes), les hommes étant plus souvent atteints que les femmes.
 

Fig. 2 : Distribution des cas d’encéphalites à tiques déclarés par 100 000 habitants par âge et genre dans les pays européens ou de l'espace économique européen européen (ECDC, 2019).

encéphalite à tiques

Cas importés

Parfois, les cas peuvent être importés : 65, soit 2,2% en 2018 en Europe.

Immunisation

Sur les 881 cas d’EAT observés en 2018 en Europe et pour lesquels on connaissait l’administration ou non d’un vaccin, 856 personnes (97%) n’avaient pas été vaccinées.

Consommation de lait ou d’un produit laitier non pasteurisé

Une étude en République tchèque (zone endémique d’EAT) a montré que près de 1% des cas d’EAT (où la personne non vaccinée n’avait pas le souvenir d’avoir été mordue par une tique) étaient d’origine alimentaire, essentiellement du lait de chèvre non pasteurisé, les enfants présentant un risque un risque 2,5 fois plus élevé d'infection que les adultes [8] Plus récemment, une enquête en Slovaquie [9] a confirmé le risque lié au lait de chèvre dans les zones endémiques.
La transmission de l’EAT par des produits laitiers non pasteurisés semble augmenter ces dernières années en Europe. Une étude norvégienne récente [10] concernant 112 prélèvements de lait de vache analysés par RT-PCR a permis de noter la présence du TBEV dans 5,4% des échantillons (des études ultérieures sont nécessaires pour vérifier si ces laits peuvent être infectants), les vaches correspondant à ces échantillons positifs étant négatives lors de la recherche d’anticorps sériques neutralisants alors que 15 vaches sur 17 testées dans la région d’Arendal ont été positives pour cette recherche d’anticorps (mais négatives pour leur lait). La région d’Arendal est aussi celle où les taux d’EAT notifiés sont les plus importants.
Ce risque lié au produits laitiers non pasteurisés dans les régions infestées par les tiques et où des cas d’EAT sont signalés démontrent qu’une évaluation du risque alimentaire est nécessaire pour définir éventuellement des mesures de prévention. Cela concerne en particulier les personnes atteintes d’EAT et n’ayant pas le souvenir d’avoir été mordues par une tique (alors qu’une morsure de tique a pu effectivement avoir lieu).

Moyens de lutte contre l’encéphalite à tiques

Vaccination

Celle-ci est recommandée pour tous à partir de l’âge d’un an dans les zones endémiques (au moins 5 cas pour 100 000 habitants), ce qui n’est pas le cas de la France. On ne peut recommander cette vaccination que pour les Français destinés à voyager dans les zones à risque important. Elle peut être aussi recommandée pour le personnel manipulant le TBEV en laboratoire.

Mesures de précautions dans les zones riches en tiques

Ces précautions sont celles habituellement recommandées pour prévenir les maladies transmises par les tiques, notamment la maladie de Lyme.

  • réduire la probabilité d’être mordu par des tiques ;
  • rester sur les sentiers et marcher au centre de ceux-ci ;
  • porter des vêtements de protection à manches longues et un pantalon rentré dans les chaussettes ;
  • porter des vêtements traités par insecticide. Le port de vêtements imprégnés pendant une courte durée (semaines ou mois) est sûr et est probablement sûr aussi en cas d’utilisation de longue durée ;
  • application de répulsifs à insectes sur la peau nue.

Si l’inspection du corps après des activités en plein air permet de retirer les tiques éventuelles à l’aide d’une pince, elle ne protège pas contre l’EAT. Mais cette mesure est importante si elle est précoce car les tiques peuvent héberger d’autres agents pathogènes.

Mesures de précaution supplémentaires dans les pays à risque endémique

Il faut éviter la consommation de lait et de produits laitiers non pasteurisés (provenant de chèvres, brebis ou vaches) dans les zones à risque.

 

Nous remercions La Dépêche vétérinaire de nous avoir autorisés à publier cet article (parution : samedi 13 juin 2020).
 
 
[1] Encéphalite à tiques. Note de Santé Publique France du 20 mai 2019.
[2] Deviatkin A A et al. Tick-borne Encephalitis Virus: an Emerging Ancient Zoonosis? Viruses, 2020, 12(2), 247. https://doi.org/10.3390/v12020247.
[3] Beauté J et al. Tick-borne Encephalitis in Europe, 2012 to 2016. Euro Surveill, 2018, 23(45):pii=1800201. https://www.eurosurveillance.org/content/10.2807/1560-7917.ES.2018.23.45.1800201.
[4] Tick-borne Encephalitis. Annual Epidemiological Report for 2018. European Centre for disease prevention and control (ECDC), décembre 2019.
[5] Holding M et al. Tick-borne Encephalitis Virus, United Kingdom. Emerging Infectious Diseases, 2020, 26, 90-96. DOI: https://doi.org/10.3201/eid2601.191085.
[6] http://www.medecinedesvoyages.net/medvoyages/news/14748-forte-incidence-des-cas-d-encephalite-a-tiques-en-2019-en-suisse.
[7] Aurélie Velay A. A New Hot Spot for Tick-borne Encephalitis (TBE): a Marked Increase of TBE Cases in France in 2016. Ticks and Tick-borne Diseases, 2018, 9, 120–125. http://dx.doi.org/10.1016/j.ttbdis.2017.09.015.
[8] Kritz B et al. Alimentary Transmission of Tick-borne Encephalitis in the Czech Republic (1997-2008). Epidemiologie, Mikrobiologie, 2009,58, 98-103.
[9] Kerlik J et al. Slovakia Reports Highest Occurrence of Alimentary Tick-borne Encephalitis in Europe: Analysis of Tick-borne Encephalitis Outbreaks in Slovakia during 2007-2016. Travel Medicine and Infectious Disease, 2018, 26, 37-42. https://doi.org/10.1016/j.tmaid.2018.07.001.
[10] Paulsen K et al. Tick-borne Encephalitis Virus in Cows and Unpasteurized Cow Milk in Norway. Zoonoses Public Health, 2019, 66, 216-222. DOI:10.1111/zph.12554.