Fièvre hémorragique de Crimée-Congo : alerte en Turquie et en Espagne

Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
 

Hyalomma marginatum

Hyalomma marginatum, fièvre hémorragique de Crimée-Congo

En septembre dernier, nous avions signalé l’alerte du site Internet consacré aux maladies émergentes (ProMed) concernant l’installation de la tique Hyalomma marginatum en Europe du Nord [1] pendant l’été dernier. Ce même site rapporte, le 17 juin 2020, l’émergence dans les zones rurales de Turquie de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo (FHCC) avec quinze cas mortels. Cette maladie est transmise par cette tique dure reconnaissable à son long rostre et à ses pattes bicolores (anneaux blanchâtres aux articulations). Elle est deux fois plus grosse que Ixodes ricinus. La particularité de cette tique est d’être chasseuse. Contrairement à Ixodes ricinus qui se positionne sur des végétaux pour tomber sur l’hôte pour se fixer, H. marginatum se cache dans le sol, repère sa proie et se dirige vers celle-ci. Cette tique géante peut poursuivre sa cible pendant dix minutes, voire plus, sur une distance jusqu’à cent mètres.

La FHCC a été découverte en Turquie en 2002. Les autorités turques [2] ont annoncé que le nombre de cas était plus élevé qu’en 2019 avec, au 10 juin 2020, 480 infections signalées (le plus grand nombre de cas signalés en Turquie était de 1300 en 2008). Le taux de mortalité par FHCC est généralement autour de 4% mais il peut atteindre 80% dans certains pays.

En Espagne, le 11 juin 2020, les autorités de santé publique de la communauté autonome de Castille et León ont notifié un cas de FHCC [3], confirmé par PCR au Centre national de microbiologie. Le patient a été piqué par une tique à la fin du mois de mai dans la province de Salamanque et a développé des symptômes compatibles dans les jours suivants. Il s’agit de la troisième détection de FHCC en Espagne depuis quatre ans (deux cas en 2016, dont une contamination interhumaine pour un personnel de santé en milieu hospitalier, un cas mortel en 2018).
H. marginatum est largement présente en Espagne, comme le montre la carte de répartition publiée par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (CEPCM) en mai 2020. Ces tiques ne sont pas nouvelles pour la France car elles sont connues depuis plusieurs décennies en Corse mais elles se sont aussi installées plus récemment en France continentale, en région méditerranéenne principalement [4]. Elles sont aussi présentes au Maghreb, dans la péninsule Ibérique, de l’Italie à la Turquie, autour de la mer Noire, dans le Caucase, au sud de la Russie. Le CEPCM souligne cependant que certains signalements ponctuels ne signifient pas une installation pérenne de ces tiques, en particulier au nord de l’Europe. L’introduction de ces tiques pourrait être soit le fait d’un transport par des oiseaux migrateurs (hypothèse retenue pour les tiques découvertes en Allemagne), soit la conséquence de l’importation de chevaux ou de bovins infestés par des tiques adultes.
 

Répartition actuelle connue de Hyalomma marginatum en Europe en mai 2020 (370 nouveaux rapports ont été soumis depuis la dernière mise à jour de juillet 2019) [5]

European Centre for Disease Prevention and Control and European Food Safety Authority. Tick maps [internet]. Stockholm: ECDC; 2020

Un autre danger représenté par ces tiques est la transmission de la fièvre boutonneuse, due à Rickettsia aeschlimannii. Ce danger est d’autant plus sérieux que le site Promed a signalé, le 19 août dernier [6], un cas humain de fièvre boutonneuse en Allemagne chez un propriétaire de chevaux. Ce dernier avait envoyé la tique qui l’avait mordu à l’université de Hohenheim pour identification avant d’être hospitalisé quelques jours plus tard avec les symptômes alarmants d’une fièvre boutonneuse rapidement jugulée par une antibiothérapie. R. aeschlimannii avait été isolée de la tique. Ce cas autochtone est d’autant plus inquiétant que, dans une étude épidémiologique sur H. marginatum et Hyalomma rufipes en Allemagne, la moitié des dix-huit tiques identifiées étaient porteuses de R. aeschlimannii [7].

L’émergence de ces tiques géantes ajoute de nouveaux risques infectieux liés aux tiques dans plusieurs territoires jusque-là indemnes. L’apparition récente d’un foyer d’encéphalite à tiques en France démontre l’importance d’une prévention constante contre les morsures de tiques en général dans le contexte actuel d’une augmentation d’activité des tiques en Europe.

 

[1] Brugère-Picoux J. Installation de Hyalomma marginatum en Europe du Nord. Afas, 27 septembre 2019.
[2] https://www.dailysabah.com/turkey/turkish-authorities-scramble-for-measures-as-another-deadly-disease-emerges/news
[3] https://www.mesvaccins.net/web/news/15739-cas-de-fievre-hemorragique-de-crimee-congo-en-espagne
[4] Stachurski F, Vial L. Installation de la tique Hyalomma marginatum, vectrice de la fièvre de Crimée-Congo, en France continentale. Bull.épidémiologique, santé animale et alimentation, 2018, 84(8).
[5] European Centre for Disease Prevention and Control and European Food Safety Authority. Tick maps [internet]. Stockholm: ECDC; 2020. https://ecdc.europa.eu/en/disease-vectors/surveillance-and-disease-data/tick-maps
[6] PRO/AH/EDR> Spotted fever – Germany: Rickettsia aeschlimannii via hyalomma tick- 19 août 2019
[7] Chitimia-Dobler L et al. Imported Hyalimma ticks in Germany in 2018. Parasites vectors, 2019, 12, 134.