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Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
Un article paru dans The Lancet le 10 août 2022 rapporte l’observation en France d’un premier cas mondial de transmission du virus de la variole du singe de l’Homme au chien [1]. Le chien contaminé appartenait à deux hommes ayant consulté à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière le 10 juin et présentant les lésions classiques de la maladie signalées depuis début mai dans leur communauté homosexuelle : asthénie, céphalées, hyperthermie, ulcérations anales et, chez l’un d’eux, éruption vésiculo-pustuleuse sur le visage, les oreilles et les jambes. L’infection virale a été confirmée par PCR sur les prélèvements réalisés chez les deux patients (peau et oropharynx pour l’un, anus et oropharynx pour l’autre). Douze jours après l’apparition de ces symptômes, leur chien lévrier mâle âgé de quatre ans, sans antécédent de maladie, a présenté des lésions cutanéo-muqueuses (pustules sur l’abdomen et fine ulcération anale). Par PCR, le virus de la variole du chien a été identifié sur divers prélèvements (pustules cutanées, anus, cavité buccale). Il était identique à celui des propriétaires (et au clade hMPXV-1, lignée B.1 répandu depuis avril 2022 dans les régions non endémiques). Les propriétaires ont signalé qu’ils dormaient avec le chien dans leur chambre tout en ayant évité tout contact de ce chien avec d’autres animaux ou des personnes dès l’apparition de leurs premiers symptômes (soit 13 jours avant les troubles cutanés chez le chien).
Le risque lié à la présence d’un chien ou d’un chat dans la chambre de son maître n’est pas nouveau. Il peut même paraître surprenant de constater le nombre de personnes acceptant de laisser leur animal dormir dans leur lit. Une enquête publiée en 2011 et réalisée de 1974 à 2010 aux Etats-Unis, aux Pays-Bas, en France et au Royaume-Uni a permis de noter que 14 à 62% des propriétaires dorment avec leur chat ou leur chien (cf. tableau). On oublie combien cette habitude peut favoriser la transmission de diverses maladies (bartonellose ou maladie des griffes du chat ; Capnocytophaga canimorsus, bactérie présente dans la salive du chien et pouvant provoquer une septicémie mortelle ; pasteurellose ; staphylococcies ; parasitoses) [2]. Dans le cas de la Covid-19, une enquête canadienne a montré que le temps passé avec un contact entre le chien et son maître n’avait pas joué un rôle dans la contamination de l’animal mais qu’il n’en était pas de même pour les chats qui étaient plus à risque d’être contaminés s’ils dormaient dans le lit de leur maître [3].
Dans cette enquête, les poxvirus n’étaient pas cités. Alors que la variole a été la première maladie pouvant être prévenue par la vaccination et ainsi la première à être éradiquée, les autres infections à poxvirus ont souvent été sous-estimées alors que certaines sont zoonotiques. En premier lieu, il faut souligner que ces poxviroses zoonotiques sont souvent bénignes, sauf chez les personnes immunodéprimées. C’est pourquoi l’infection humaine reste une zoonose sous-estimée car peu fréquente et de ce fait rarement reconnue immédiatement par le clinicien (cela a pu être aussi le cas pour la variole du singe, qui a pu ainsi se propager pendant un certain temps sans être détectée avant mai 2022 en dehors de l’Afrique du fait de son mode particulier de propagation par des relations sexuelles dans la communauté homosexuelle masculine). Les poxvirus les plus souvent rencontrés chez l’Homme sont le cowpox (orthopoxvirus) et l’ecthyma contagieux (parapoxvirus), très connu chez les petits ruminants mais beaucoup moins des particuliers propriétaires de moutons ou de chèvres «tondeuses». Dans le cas du cowpox, des cas graves exceptionnels ont cependant pu être observés. Bien que l’infection par le cowpox soit sporadique, le virus est endémique en Europe du Nord, avec une augmentation du nombre de cas depuis une vingtaine d’années, peut-être du fait de l’arrêt de la vaccination contre la variole [4]. Le réservoir de ce poxvirus est constitué par des petits rongeurs sauvages, notamment le rat d’égout ou surmulot (Rattus norvegicus), espèce dont dérive le rat domestique d’élevage, facile à apprivoiser comme rat de laboratoire ou nouvel animal de compagnie (NAC). C’est ainsi qu’en Europe nous avons connu en 2009 une épidémie humaine avec des rats importés de Hongrie en tant que NAC [5]. Le rat peut infecter l’Homme et de nombreuses espèces animales, le plus souvent par morsure (chiens, chats, bovins, chevaux, singes, lamas, éléphants…). Si les cas sont rares chez le chien (infecté par morsure de la truffe), ils sont plus fréquents chez le chat du fait de son comportement de chasseur (le premier cas félin de cowpox a été décrit en 1978). Ce contact étroit du chat avec les rongeurs explique qu’il soit la source la plus importante des infections humaines.
Dans le cas de l’orthopoxvirus de la variole du singe, en dehors des singes utilisés dans des laboratoires à partir desquels le virus fut isolé pour la première fois en 1958 (d’où la dénomination de ce virus), on ne connaît pas l’espèce hôte réservoir de ce virus. On a souvent considéré en République démocratique du Congo (RDC), où la maladie est endémique, que l’infection humaine résultait d'un contact avec un animal sylvestre infecté, bien que l’espèce hôte réservoir soit actuellement inconnue. Diverses espèces sont suspectées, qu’il s’agisse d’animaux sauvages devenus familiers ou chassés pour leur consommation (viande de brousse) : le Cricetomys gambianus (rat de Gambie), le Cercopithecus ascanius (singe à queue rousse) et les écureuils africains, en particulier les genres Funisciurus et Heliosciurus rufobrachium (écureuil soleil à pattes rouges) [6,7]. Le seul MPXV isolé d'un mammifère sauvage a été obtenu à partir d'un écureuil à cordes moribond (Funisciurus anerythrus) collecté lors d'une enquête sur une épidémie en RDC [8,9].
L’exemple de l’épidémie de variole du singe observée en mai 2003 dans le Midwest américain est significatif pour plusieurs raisons :
- elle a confirmé l’origine zoonotique suspectée en Afrique de cette poxvirose par l’importation du Ghana de rats de Gambie (ou cricétomes des savanes) [10], ces rats africains d’origine sauvage apparemment sains étant vendus comme nouveaux animaux de compagnie (NAC) ;
- ces rats de Gambie ont joué le rôle de réservoir asymptomatique comme dans le cowpox avec le rat d’égout (ou de compagnie) en contaminant dans l’animalerie des chiens de prairie (Cynomys ludovicianus), autres rongeurs NAC autochtones de la famille des Sciuridae ;
- les chiens de prairie furent malades mais aussi les vecteurs secondaires d’une contamination humaine avec 71 cas, dont plusieurs enfants ;
- les huit premiers cas humains n’ont pas été reconnus (comme ce fut le cas pour les premiers patients atteints par la nouvelle épidémie de variole du singe qui présentaient des lésions génitales) et il a fallu plus d’une semaine pour que ces cas soient signalés aux autorités de santé publique [11] ;
- ce fut la seule importante épidémie de variole simienne observée dans un pays non africain et due à des animaux de compagnie.
La contamination d’un chien par ses propriétaires faisant partie de la communauté homosexuelle, contaminée dans plus de 95% des cas observés depuis mai 2022* dans la pandémie actuelle, ajoute une nouvelle espèce sensible au MPXV. Cet agent pathogène réémergent ne se limite plus aux régions endémiques africaines et présente le risque mondial d’occuper la niche écologique laissée vacante par la variole. Le problème sera de savoir si le MPXV s’établira plus dans un réservoir animal que dans la population humaine s’il continue à se propager.
Connaissant le grand nombre d’espèces animales sensibles à un autre orthopoxvirus zoonotique (cowpox), on ne peut exclure dans ce cas la possibilité d’autres espèces sensibles au MPXV, en particulier parmi les animaux de compagnie, et le risque de rongeurs porteurs asymptomatiques. C’est pourquoi nous soulignerons à nouveau la recommandation de l’Académie nationale de médecine, dans son communiqué du 8 juillet 2022, «d’éviter le contact entre les cas et les animaux pendant la maladie jusqu’à la chute des croûtes» [13]. Une épidémiosurveillance concernant le risque d’une contamination zoonotique par le MPXV de l’Homme vers l’animal ou de l’animal vers l’Homme et l’application stricte des mesures de biosécurité préconisées pendant la période d’isolement de 21 jours dans les cas humains s’avère nécessaire.
En conclusion, nous ne pouvons que reprendre celle de notre confrère Alexis Lécu, responsable du zoo de Vincennes, à propos du Sars-CoV-2 [14] : «Les tribulations de ce virus chez l’animal nous enseignent finalement la même leçon que son apparition en 2019 : nous devons rapidement remettre de la distance avec l’animal, pour notre bien à tous».
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[10] Centers for Disease Control and Prevention (CDC). Update: multistate outbreak of monkeypox--Illinois, Indiana, Kansas, Missouri, Ohio, and Wisconsin, 2003. MMWR Morb Mortal Wkly Rep. 11 juill 2003;52(27):642‑6.
[11] Reed KD, Melski JW, Graham MB, Regnery RL, Sotir MJ, Wegner MV, et al. The Detection of Monkeypox in Humans in the Western Hemisphere. N Engl J Med. 22 janv 2004;350(4):342‑50.
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[13] Académie nationale de médecine. Variole du singe: zoonose et infection sexuellement transmissible (IST) [Internet]. Communiqué; 2022. Disponible sur: https://www.academie-medecine.fr/variole-du-singe-zoonose-et-infection-sexuellement-transmissible-ist/.
[14] Lécu A. Covid : retour sur 30 mois de tribulations d’un virus humain chez l’animal [Internet]. The Conversation. [cité 27 juill 2022]. Disponible sur: http://theconversation.com/covid-retour-sur-30-mois-de-tribulations-dun-virus-humain-chez-lanimal-187552
Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
La situation évoluant rapidement, le présent article actualise le précédent, daté du 23 mai 2022.
Introduction
On assiste, depuis le 7 mai 2022, à une émergence inhabituelle de cas humains sporadiques de la variole du singe – maladie endémique jusqu’alors localisée à l’Afrique centrale et occidentale – dans plusieurs pays européens, en Amérique du Nord et en Australie. La particularité de ces cas est qu’ils concernent des personnes n’ayant pas voyagé en Afrique, à l’exception du premier malade au Royaume-Uni, qui revenait du Nigéria. Contrairement à la plupart des cas africains, pour lesquels on reconnaît une origine zoonotique, ces cas émergents sont liés à des contaminations interhumaines, souvent observées chez des hommes homosexuels ou bisexuels avec plusieurs partenaires.
Il s’agit aussi d’une zoonose et de nombreux réservoirs animaux sont suspectés en Afrique. C’est pourquoi l’apparition de cette maladie due à un virus très résistant dans le milieu extérieur en dehors de l’Afrique doit amener à une certaine prudence pour éviter tout risque d’instauration d’un réservoir animal autochtone dans ces nouveaux pays touchés par la variole du singe.
Historique
Le virus de la variole du singe a été découvert en 1958 dans un laboratoire de Copenhague chez des macaques (Macaca Fascularis) qui avaient été importés de Singapour [1]. Il y eut deux foyers à quatre mois d’intervalle. Les reins de ces singes servaient à la préparation de cultures cellulaires pour la production de vaccins contre la poliomyélite. C’est pourquoi ce nouveau virus fut dénommé Monkeypox virus (ou MPXV). D’autres laboratoires ont connu ce même problème aux Etats-Unis, aux Pays-Bas et en France [2, 3]. Il s’agissait toujours de singes captifs provenant de diverses régions tropicales (Inde, Malaisie, Philippines et Sierra Leone). Ces cas rapportés chez des singes n’ont jamais donné lieu à une contamination humaine.
Virus de la variole du singe
Il s’agit d’un Orthopoxvirus, gros virus à ADN de la famille des Poxviridae.
Il faut souligner la forte résistance dans le milieu extérieur de ce virus, en particulier à la fin de la maladie dans les croûtes cutanées.
Le terme de monkeypox pourrait changer selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), qui ne souhaite plus attribuer aux virus émergents un nom discriminatoire ou stigmatisant pouvant évoquer une région géographique ou un animal. D’ailleurs on peut noter une certaine confusion lorsque l’on parle de chickenpox qui est en fait la varicelle, de smallpox pour la variole ou de cowpox pour le virus de la vaccine.
Deux souches virales sont connues pour le MPXV : un clade présent en Afrique centrale (souche Congo), le plus virulent, pouvant provoquer une mortalité de 10,6%, et un clade d’Afrique occidentale, moins pathogène avec un taux de mortalité estimé de 3,6% [4].
Une analyse métagénomique réalisée au Portugal [5] sur des prélèvements réalisés dans plusieurs pays confirme que le virus appartient au clade de l’Afrique occidentale et qu’il semble reconnaître une origine unique qui serait une souche exportée du Nigéria en 2018 et 2019.
Variole du singe chez l’Homme
Au cours des années suivant la première identification d’un cas humain en Afrique – en 1970 en République démocratique du Congo (RDC) chez un enfant de 9 mois –, la variole du singe, qui n’était plus masquée par la variole ou la vaccination, a été régulièrement observée en Afrique centrale et occidentale. Elle est devenue l’infection à orthopoxvirus la plus répandue chez l’Homme [7].
L’âge médian des malades africains est passé de 4 ans dans les années soixante-dix à 21 ans depuis 2010 [4] du fait du déclin de l'immunité collective à la suite de l'arrêt de la vaccination contre la variole qui permettait d’offrir une protection croisée estimée à 85% [9].
Lors de l’épidémie de variole du singe en Afrique de l'Ouest qui a débuté en septembre 2017 au Nigéria, quatre personnes voyageant du Nigéria vers le Royaume-Uni [10], Israël [11] et Singapour [12] sont devenues les premiers cas humains exportés d'Afrique. Il y a eu aussi une transmission nosocomiale connexe au Royaume-Uni chez un aide-soignant [13].
La possibilité d’une transmission zoonotique du MPXV a été démontrée de façon spectaculaire en 2003 dans les Etats du Midwest américain [14] lors de l’importation de cricétomes des savanes (Cricetomys gambianus), communément appelés rats de Gambie. Importés du Ghana, ces rats africains d’origine sauvage apparemment sains étaient vendus comme nouveaux animaux de compagnie (NAC) dans des animaleries où ils ont pu contaminer des chiens de prairie (Cynomys ludovicianus), autres rongeurs NAC autochtones de la famille des Sciuridae, qui furent les vecteurs secondaires d’une contamination humaine avec 71 cas, dont plusieurs enfants. Ce fut la seule épidémie importante de variole simienne d’origine zoonotique observée dans un pays non africain.
Rappelons que des rats NAC importés de Hongrie ont causé en Europe en 2009 une autre épidémie, celle-ci due au cowpox, un orthopoxvirus moins pathogène [15].
Du 7 mai 2022 au 30 juin 2022, le nombre des cas humains hors Afrique n’a pas cessé d’augmenter puisque l’on recense 5311 cas dans cinquante-trois pays non africains. En France, 498 cas ont été rapportés, dont une femme et un enfant.
Aspects cliniques
Le tableau clinique de la variole simienne se distingue de celui de la variole humaine par une adénopathie, absente dans la variole. L’éruption cutanée concerne le visage, les mains et différentes parties du corps : papules se transformant en vésicules puis en pustules, qui évoluent vers la cicatrisation avec formation de croûtes et des cicatrices cutanées moins graves que dans la variole humaine.
La variole simienne présente aussi des similitudes avec la varicelle, cette dernière étant toutefois plus contagieuse et causée par un herpèsvirus.
La maladie est généralement bénigne et il n’y a pas eu de mortalité en dehors d’un cas au Nigéria.
Transmissions
Les voies d'exposition potentielles comprennent l'interaction avec des animaux sauvages et la proximité d'individus malades, ainsi que le contact avec l’environnement contaminé.
Transmission zoonotique
Dès 1970, la variole du singe a été considérée comme une maladie virale émergente tout d’abord en RDC où les infections primaires humaines résultent d'un contact avec un animal sylvestre infecté, bien que l’espèce hôte réservoir soit actuellement inconnue.
Il peut s’agir d’un contact avec un animal sauvage devenu familier (rats de Gambie) ou chassé pour être consommé (viande de brousse).
Le seul MPXV isolé d'un mammifère sauvage a été obtenu à partir d'un écureuil à cordes moribond (Funisciurus anerythrus) collecté lors d'une enquête sur une épidémie au RDC [18, 19]. Les animaux les plus fréquemment suspects sont le Cricetomys gambianus (rat de Gambie), le Cercopithecus ascanius (singe à queue rousse) et les écureuils africains, en particulier le genre Funisciurus et Heliosciurus rufobrachium (écureuil soleil à pattes rouges) [16, 20].
Transmission interhumaine
La transmission interhumaine peut être directe, en particulier par le contact cutané (peau à peau), les fluides corporels et les voies respiratoires (gouttelettes). En raison de la grande résistance du virus, tout matériel (vaisselle...) ou linge ayant été en contact avec les croûtes d’un malade est contaminant.
Transmission des cas hors Afrique
Pour les cas inhabituels observés actuellement hors Afrique, les rencontres sexuelles ont joué clairement un rôle dans la transmission [21]. La maladie a surtout été observée chez des homosexuels masculins qui avaient participé à des réunions de leur communauté (fête en Belgique, sauna en Espagne, voyages...).
Moyens de lutte
Il importe évidemment d’éviter tout contact avec la personne atteinte et avec tout ce qu’elle a pu toucher et contaminer.
Les mesures d’éradication ne pourront pas être aussi efficaces avec la variole simienne qu’avec la variole humaine du fait d’un réservoir viral dans plusieurs populations d’animaux sauvages en Afrique.
Conclusion
Agent pathogène réémergent, le virus de la variole du singe semble ne plus se circonscrire aux régions endémiques africaines et le risque est de le voir coloniser mondialement la niche écologique laissée vacante par la variole.
La découverte soudaine de cette maladie hors de l’Afrique chez plus de 5000 personnes depuis le 7 mai 2022, sous une forme très particulière dans près de cinquante pays qui semblaient indemnes, avec un mode de transmission particulier, doit nous amener à une certaine prudence sur l’interprétation de cette émergence.
Cette maladie s'est-elle propagée pendant un certain temps sans être détectée du fait de son évolution bénigne ? Le 25 juin 2022, l’OMS n’envisage pas de déclarer la variole du singe en tant qu’urgence sanitaire mondiale. Mais plus ce virus se propagera longtemps et loin, plus il risque d’être endémique dans de nouvelles régions. Le problème sera de savoir si le MPXV s’établira plus dans un réservoir animal que dans la population humaine s’il continue à se propager.
L’important est de savoir diagnostiquer la variole du singe, d’avertir le public sur le risque de contagiosité de ce virus très résistant dans le milieu extérieur, de la possibilité de zoonose, de surveiller les cas contacts et de prévenir les contaminations des animaux sensibles (NAC exotiques). On peut espérer que la mise en place de ces mesures de biosécurité, associées ou non à une vaccination, limitera toute progression du MPXV en dehors de l’Afrique.
Ce schéma peut s’appliquer aussi à tous les cas d’infection par le MPXV.
(Modifié de www.thelancet.com. Publi. online June 21, 2022)
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Christian Marchal
Astronome
«Suspendez votre cours :
«Laissez-nous savourer les rapides délices
«Des plus beaux de nos jours !»
En quelques lignes tout est dit, mais les regrets du poète ne trompent personne, pas même lui. Le temps se rit de nous et nous échappe perpétuellement ; ses rapports avec l’humanité sont les plus complexes et les plus élaborés qui soient. L’invention de l’heure est la première tentative pour dompter le temps, mais ce n’est pas un absolu, c’est une convention nécessaire à l’organisation de la vie en société. Les multiples modifications historiques de la définition de l’heure prouvent son caractère artificiel...
Heure d’été, heure d’hiver, alternance ou pas ? La question est largement débattue. L’heure d’été gardée toute l’année aurait la préférence, dit-on, mais les inconvénients de l’heure d’été en hiver sont beaucoup plus graves que ceux de l’heure d’hiver en été : levez-vous par la nuit noire et allez au travail à l’heure la plus froide sur des routes verglacées... Le plus étonnant est que cette mésaventure nous est déjà arrivée dans les années qui ont suivi la Libération, mais nous avons oublié...
Le temps solaire «vrai» et le temps solaire moyen
Plantez un bâton verticalement un jour ensoleillé, son ombre tournera peu à peu. Vous pouvez marquer sur le sol la position de l’ombre pour les heures successives et vous constaterez le lendemain que l’ombre revient presque exactement aux mêmes places à chaque heure.
Le bâton vertical et son ombre sont la première esquisse des cadrans solaires mais pour obtenir une excellente régularité, il convient d’utiliser une tige parallèle à l’axe de rotation de la Terre (donc inclinée en direction de l’étoile polaire) ; cet élément essentiel a été découvert, de manière le plus souvent pragmatique, par toutes les civilisations de l’Antiquité. La tradition est de mettre «midi» (en latin le milieu du jour) dans le plan vertical de la tige : il est midi quand le soleil est au plus haut et pour éviter toute confusion, les astronomes appellent cet instant «midi vrai» ; le temps correspondant est le «temps vrai».
La construction d’horloges précises a révélé que le «temps vrai» n’est pas rigoureusement régulier, car l’orbite de la Terre n’est pas tout à fait circulaire et son axe est incliné ; le temps moyen correspondant s’appelle «temps solaire moyen». La différence temps moyen moins temps vrai est fonction des saisons mais reste toujours petite ; elle est maximale le 4 février (14mn 18s) et minimale le 3 novembre (retard de 16mn 24s).
A partir de 1816, toutes les horloges publiques de France sont réglées sur le temps solaire moyen local et chacun «voit midi à sa porte», mais le développement des chemins de fer fait prendre conscience que tous ces temps sont différents : Strasbourg est en avance de 21mn 40s sur Paris et Brest en retard de 27mn 20s. La confusion générée par cette situation est telle que les différents réseaux de chemin de fer se mettent à utiliser partout l’heure de Paris et, pendant près de vingt ans, il y aura dans chaque province «l’heure de la ville et l’heure de la gare». Enfin, en mars 1891, toute la France métropolitaine se met à l’heure de la capitale. La plupart des pays font de même et il vous faut changer d’heure chaque fois que vous traversez une frontière : il faut retarder votre montre de 9mn 21s si vous traversez la Manche. La clarté y a gagné, mais c’est encore bien compliqué et le vrai progrès sera l’adoption du système des fuseaux horaires. Les Français rechigneront longtemps à adopter ce système basé sur le méridien de Greenwich et sur le «temps moyen de Greenwich» appelé GMT ou TU (temps universel) et ce n’est qu’en mars 1911 que l’heure légale en France sera définie comme étant «l’heure du temps moyen de Paris, diminuée de 9mn 21s». La perfide Albion n’est pas mentionnée, l’honneur national est sauf !
L’heure d’été
«De vent, de froidure et de pluie,
«Et s’est vêtu de broderie,
«De soleil luisant, clair et beau.»
Les Scandinaves en conviennent volontiers : «Nous vivons au nord, mais nous portons l’été dans nos cœurs !». Tous les peuples qui vivent loin de l’équateur sont conditionnés par l’alternance des saisons : la belle saison chaude aux longues journées et la saison froide aux nuits interminables. Certes les différences ne sont pas partout aussi marquées qu’en Scandinavie, mais déjà à 30° de latitude (Le Caire, la Floride), une journée moyenne des quatre mois de mai à août est trois heures plus longue qu’une journée moyenne des quatre mois de novembre à février ; la différence atteint quatre heures à Alger et cinq heures à Rome, elle dépasse six heures à Paris... Les deux saisons opposées sont vraiment différentes !
L’idée d’avancer les horloges en été, à la fois pour économiser la lumière et nous rapprocher de nos rythmes naturels – nos ancêtres se levaient comme le soleil – fut exprimée par William Willet, qui mourut en 1915, un an à peine avant qu'elle soit appliquée.
1914. Une fois encore, la vieille Europe est ensanglantée. Mais cette fois-ci, les peuples entiers sont au combat, on ne se contente plus d’armées de 30 000 hommes comme au XVIIIe siècle. Les armées mobilisent des millions d’hommes et dévorent en quelques mois des ressources que l’on avait mis des décennies à accumuler. Dans ces conditions, André Honorat, député des Basses-Alpes, n’a pas trop de peine à convaincre ses collègues de l’intérêt de l’idée de William Willet et la France adopte l’heure d’été le 14 juin 1916, un mois à peine après la Grande-Bretagne.
L’alternance TU en hiver et TU + 1h en été va être jugée très intéressante et conservée une fois la paix revenue. Les changements auront toujours lieu dans la nuit de samedi à dimanche, en général à la fin de mars et à la fin de septembre.
1940. L’invasion, l’occupation. La situation va être chaotique, elle dépendra des zones d’occupation et des flux et reflux des armées.
1945. La guerre est finie. Va-t-on reprendre l’alternance de l’avant-guerre ? La question soulève des discussions passionnées. Finalement l’alternance est abandonnée en 1946 et l’on garde toute l’année l’heure d’été de l’avant-guerre (TU + 1h) au motif que cette heure permettra les économies d’énergie associées à l’heure d’été, tout en évitant le changement d’heure tous les six mois. Mais bien vite cela se révèle une illusion, c’est l’alternance et les horaires qui y sont adaptés qui entraîne les économies, d’autre part l’heure d’été utilisée en hiver a de graves inconvénients : levez-vous par la nuit noire des petits matins de décembre ou janvier et allez au travail à l’heure la plus froide sur des routes verglacées... Très vite, tous ceux qui le peuvent retardent leurs horaires et au bout de quelques années, pratiquement tous les horaires ont été retardés d’une heure. La France métropolitaine gardera cette heure, TU + 1h (modernisée en UTC + 1h) jusqu’en 1975.
1973. Le premier choc pétrolier. Le prix du baril passe de 4 à 16 dollars en quelques semaines. Chacun cherche à faire des économies et l’on finit par se rappeler que l’alternance heure d’été heure d’hiver est un bon moyen d’en faire pour pratiquement aucun investissement. Pour la France, l’économie correspond à la consommation énergétique d’une ville de 800 000 habitants. Oui mais quelle heure choisir ? Va-t-on reprendre les rythmes d’avant-guerre alors que la plupart des horaires ont été retardés d’une heure ? La solution de sagesse sera de ne pas modifier les horaires et de prendre UTC + 1h en hiver et UTC + 2h en été, ce qui a d’autre part l’avantage d’unifier dans ce domaine le continent européen : une heure identique de l’Espagne à la Pologne et de la Norvège à l’Italie et la Yougoslavie.
Cette situation laborieusement obtenue sera-t-elle pérenne ? Pas si sûr, plusieurs professions soulignent les inconvénients des changements d’heure : ainsi les vaches laitières habituées à la traite de 19h supportent très mal de devoir attendre une heure de plus et les éleveurs sont contraints d’étaler le changement...
Projet d’heure naturelle
Soulignons d'entrée que le projet qui va suivre n'est pas actuellement applicable ; il le sera cependant le jour où les horloges seront numériques et réglées automatiquement comme celles des ordinateurs. Ainsi la sophistication numérique extrême rejoindrait-elle la nature. Compte-tenu des diverses contraintes, simplicité, économie, proximité des rythmes naturels (nos ancêtres se levaient bien plus tôt en été qu’en hiver), absence de décalages brutaux, on peut envisager le système suivant que l’on peut appeler «heure naturelle» :
- A. Du 31 octobre au 31 mars, on utilise l’heure d’hiver habituelle.
- B. En avril, on passe en douceur à l’heure d’été en ne mettant que 58mn chaque matin, entre 2h et 3h.
- C. De mai à septembre, on utilise l’heure d’été habituelle.
- D. Enfin, on repasse à l’heure d’hiver en mettant 62mn entre 2h et 3h chaque matin, du 1er au 30 octobre. On pourra ainsi se donner rendez-vous à 2h61...
Le caractère naturel de ce projet peut être souligné par le fait suivant : aux latitudes moyennes de l’hémisphère nord, entre 45° et 50°, le soleil se lève pratiquement à la même heure tout au long du mois d’avril (à Paris entre 6h33 et 6h35 avec les heures d’été et d’hiver de ce début de XXIe siècle. Pour octobre, la zone d’équilibre est un peu plus au nord.
Conclusion
L’homme est mortel, le temps finit toujours par gagner. L’heure et le calendrier sont des moyens inventés par l’humanité pour tenter de dompter et de s’approprier cet insaisissable que nous appelons le temps et les complications extrêmes de ces tentatives démontrent à l’envie leur importance. Pensez aux avatars du 29 février, pensez que tant de peuples se sont construit un calendrier et l’ont peu à peu affiné au fil des siècles... Le mètre et le kilomètre sont la simplicité même à côté du jour, de la semaine, du mois, de l’année, de l’heure, de la minute, de la seconde !
Dans ces conditions, il est logique que nos systèmes de mesure du temps aient profondément varié au cours des siècles, tiraillés entre la régularité absolue – mais contraire à nos rythmes naturels – et une adaptation brutale – une heure de plus ou de moins d’un coup –, coincés entre les habitudes locales et les nécessités de liaisons globales... On peut espérer que l’heure naturelle permettra de concilier tous ces extrêmes.
GMT : temps moyen de Greenwich (Greenwich Mean Time)
TU : temps universel, autre nom du GMT
UTC : temps universel coordonné : toujours très voisin du TU (écart < 0,9s) mais défini à l’aide du temps atomique international, temps bien plus régulier que la rotation de la Terre.
Claude Monneret* et Caroline Victorri-Vigneau**
*Directeur de recherche honoraire au CNRS, ancien président de l’Académie nationale de pharmacie
** Professeure des Universités – praticienne hospitalière au CHU de Nantes, Inserm, UMR 1246 «SPHERE» (MethodS in Patients-centered outcomes and HEalth REsearch)
Article issu de la conférence du 8 mars 2022 à l'Institut Curie (Partenariat AFAS / Chercheurs Toujours), paru dans la Lettre de Chercheurs Toujours, N° 38, mai 2022.
Le protoxyde d’azote est un gaz incolore, utilisé comme gaz propulseur (E942) notamment dans les cartouches destinées aux siphons alimentaires. Mais c’est aussi un gaz à usage médical, utilisé principalement pour ses propriétés analgésiques. Il est utilisé comme anesthésique de courte durée, en unité de chirurgie et d'urgence et surtout en pédiatrie, associé à l’oxygène (mélange 50/50) sous le nom de MEOPA. De façon beaucoup plus récente, il a maintenant des indications en cardiologie pour ses propriétés analgésique et anxiolytiques.
De l’attraction dans les foires à l’usage médical : la sérendipité
Découvert en 1772 par le chimiste anglais Joseph Priestley, ses propriétés euphorisantes ne seront découvertes que vingt-cinq ans plus tard par un autre chimiste anglais, Humphry Davy. Celui-ci, vers 1800, l’étudie de manière détaillée, tant au niveau de ses propriétés physiques et chimiques que de ses effets lorsqu’il est inhalé. Davy découvre ainsi les propriétés euphorisantes du gaz, mais également ses vertus anesthésiantes, qu’il résume ainsi : «As nitrous oxide in its extensive operation appears capable of destroying physical pain, it may probably be used with advantage during surgical operations in which no great effusion of blood takes place»
Les conclusions de Davy concernant les effets analgésiques de l’oxyde nitreux furent laissées de côté. Il n’y eut que Stodart (1802) et Barton (1808) qui constatèrent aussi les effets analgésiques du protoxyde d’azote mais sans proposer son usage dans un cadre chirurgical.
Rapidement, l’intérêt de ce gaz s’échappe des seuls cercles scientifiques et littéraires pour gagner les salons et les foires britanniques, où il devient le divertissement à la mode. L'engouement est tel que la pratique menace bientôt de se muer en problème de santé publique et doit être réglementée. Si la «gazomanie» touche l’Angleterre de plein fouet, elle ne semble atteindre la France que dans une moindre mesure. Tel est l’engouement que le cinéma s’en emparera, dont Charlie Chaplin.
Thomas McLean, Public domain, via Wikimedia Commons
Le protoxyde d'azote est alors utilisé en cette fin du XVIIIe siècle comme «gaz hilarant» dans les foires. Alors qu’il assiste à une démonstration, un des spectateurs, invité à monter sur l’estrade pour expérimenter le gaz, fait une chute en redescendant de l’estrade, se blessant profondément. A la grande surprise, il n’éprouve aucune douleur. Le dentiste Horace Wells, qui assiste à la démonstration, comprend aussitôt que le protoxyde d’azote est la raison de cette absence de réaction à la douleur. Pour vérifier cette hypothèse, il se fait extraire, dès le lendemain, une molaire en train de se gâter tandis qu’on lui administre le gaz. Le résultat est probant. Il renouvelle cette expérience avec succès auprès de quinze de ses patients au cours des mois suivants.
A Boston, Wells rencontre le Pr. Warren, chirurgien du Massachusetts General Hospital et tout un auditoire pour convaincre ses confrères dentistes mais également les médecins présents, des vertus anesthésiques du protoxyde d’azote. La séance se déroule le 20 janvier 1845 et Wells demande à son auditoire si quelqu'un a besoin de se faire extraire une dent, Wells commence sa démonstration avec l’assistance de son collègue Morton, mais suite à une mauvaise administration du gaz, l'étudiant volontaire se plaint d'avoir très mal.
Suicide d’Horace Wells
Cette expérience désastreuse marqua un sérieux coup d'arrêt dans l'utilisation du protoxyde d'azote en anesthésie et discrédita Wells aux yeux de la communauté médicale, allant le qualifier même de charlatan. Rentré dépressif à Hartford, Horace Wells ne rouvrit pas son cabinet, vivant chichement du produit de ses conférences sur l’ornithologie. Par la suite, devenu addict au chloroforme, Horace Wells, en plein délire, attaque le 21 janvier 1848 deux prostituées sur lesquelles il jette de l’acide sulfurique. Arrêté, il met fin à ses jours le 24 janvier 1848 en se tranchant l’artère fémorale, laissant une lettre pour expliquer son geste.
Protoxyde d‘azote, éther ou chloroforme ?
Parallèlement aux essais de Wells, d’autres vont préconiser l’utilisation de l’éther et c’est ainsi qu’il faudra attendre les recherches et démonstrations réussies avec l'éther de William Thomas Green Morton, un élève de Wells en collaboration avec le Dr John Warren (octobre et novembre 1846 à Boston) pour que l'anesthésie soit enfin utilisée par les chirurgiens. En France, c’est le chirurgien Antoine-Joseph de Lamballe qui opérera à l’hôpital Saint-Louis le premier patient sous anesthésie à l’éther, le 22 décembre 1846. Toutefois, plus simple à manipuler, le chloroforme sera préféré durant la guerre de 1871.
En 1864, le dentiste John W. Crane introduit le protoxyde d’azote en France. Deux ans plus tard, Apolloni-Pierre Préterre, un chirurgien-dentiste apporte quelques perfectionnements importants au gazomètre et au masque d’inhalation. Crane et Préterre seront donc les premiers utilisateurs du N2O tout en rappelant que les anesthésies à l’éther ou au chloroforme sont responsables de mortalités et qu’un nouvel anesthésique est à rechercher, ajoutant... «nous l’avons trouvé, c’est le protoxyde d’azote».
Tout fut alors question d’antériorité concernant le «découvreur de l’anesthésie chirurgicale» entre Wells et Morton. Bien plus tard, la France honora Wells en reconnaissant son antériorité dans la découverte de l’anesthésie chirurgicale et une statue fut érigée au 1 square des Etats-Unis à Paris. Sur le socle, on peut lire : «Au dentiste Horace Wells, novateur de l’anesthésie chirurgicale».
Luca Borghi, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons
Euphorie, analgésie : une pharmacologie complexe
Au niveau du cerveau, le protoxyde d’azote agit sur de nombreux circuits impliqués dans la nociception, l’anxiolyse et entraîne une libération accrue de dopamine, le neurotransmetteur du circuit de récompense, ce qui explique ses multiples effets, notamment anxiolytiques, analgésiques et euphorisants à l’origine de son appellation de «gaz hilarant». Le protoxyde d’azote est utilisé comme anesthésique de courte durée, en unité de chirurgie et d'urgence et, surtout en pédiatrie, associé à l’oxygène (mélange 50/50) sous le nom de MEOPA. De façon beaucoup plus récente, il a maintenant des indications en cardiologie pour ses propriétés analgésique et anxiolytique. Toutefois, selon le dictionnaire de l’Académie nationale de médecine, le rire inextinguible et l'amnésie consécutifs à l'inhalation de N2O sont dûs à l'hypoxie aigüe transitoire produite par l'administration de N2O pur et non à l'anesthésie.
Détournement d’usages et conséquences physiologiques
L’inhalation du gaz contenu dans les cartouches est une pratique en vogue chez les jeunes. Au début, le protoxyde d’azote était cantonné à l’espace festif, mais depuis 2018, la consommation de protoxyde d’azote a explosé. C’est ainsi qu’aujourd’hui on observe des consommations répétées, voire quotidiennes, de très grande quantités qui sortent totalement du milieu festif. Les effets recherchés par les usagers de ce gaz sont principalement l’euphorie, mais aussi la distorsion des perceptions auditives ou visuelles, les sensations de dissociation, désinhibition, «flottement» et également des recherches de sensation de bien-être. La durée de ces effets est très courte. Elle ne dépasse pas quelques minutes. Ce qui peut conduire à des prises répétées du produit, d’où une réelle addiction avec les signes de dépendance conduisant à une augmentation des doses pour obtenir l’effet recherché et a priori, en cas d’arrêt de consommation, un sevrage.
Au passage, Caroline Vigneau souligne que la pharmacodépendance est un problème de santé publique, car les Français se situent parmi les champions des consommateurs de psychotropes, de benzodiazépines et de cannabis, De là, le rôle essentiel des centres d’addictovigilance qui est d’évaluer le risque pour le consommateur et comment le prévenir en santé publique. Ces centres scrutent également l’émergence de nouvelles tendances en la matière. Celui des Pays de la Loire est plus spécifiquement responsable de la surveillance du protoxyde d’azote qui, paradoxalement, fait l’objet d’une surveillance étroite sous sa forme pure (classé en liste 1 des substances vénéneuse). Utilisé dans les blocs opératoires sous forme de MEOPA, il permet la prise en charge de patients. En odontologie pédiatrique, il permet de soigner les patients handicapés ou anxieux. Il répond à la classification des stupéfiants alors qu’en tant qu’additif alimentaire E942, il est librement distribué. Ce paradoxe vient du fait que la version médicamenteuse est gérée par l’Agence du médicament, qui assume son suivi et sa sécurité, alors que le E942 dépend de l’Anses (Agence nationale de sécurité de l’alimentation, de l’environnement et du travail).
Des risques sur la santé
Cette évolution des consommations a été accompagnée d’une augmentation du nombre de signalements d’effets sanitaires graves. Le premier risque est l’asphyxie par manque d’oxygène. Sont aussi décrits notamment des brûlures par le froid du gaz lorsqu’il est expulsé de la cartouche, des pertes de connaissance, des vertiges, un risque de chute important, de désorientation et d’accidentologie. Tous ces effets peuvent apparaître juste après l’inhalation.
En cas d’utilisation répétée ou de prise de fortes doses, des atteintes neurologiques peuvent survenir, dont des cas graves avec atteintes du système nerveux central et de la moelle épinière pouvant entraîner des conséquences irréversibles. L’arrêt des consommations et un diagnostic immédiat, avec une prise en charge thérapeutique en neurologie, peuvent limiter les risques. Tout signe neurologique après une inhalation doit conduire à une consultation la plus rapide possible. D’autres conséquences cliniques, notamment psychiatriques et cardiaques, ont été rapportées à la suite d'une consommation de protoxyde d’azote.
Enfin, il existe des cas de troubles de l’usage et de dépendance. Les fréquences et les quantités consommées demeurent variables mais aujourd’hui certains sujets consomment jusqu’à plusieurs centaines de cartouches par jour.
Une surveillance d’addictovigilance rapprochée
Les centres d’addictovigilance, au sein desquels travaillent des pharmacologues médicaux, dont les missions sont coordonnées par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ont pour mission de recueillir les cas et d’évaluer le potentiel d’abus et de dépendance des substances, afin de prévenir le risque en santé publique. Ils alertent depuis plusieurs années sur détournement du protoxyde d’azote.
La loi n°2021-695 du 1er juin 2021 tendant à prévenir les usages dangereux du protoxyde d'azote établit un cadre protecteur en prévoyant «l’interdiction de vendre ou d'offrir du protoxyde d'azote aux mineurs, quel que soit le conditionnement, dans tous les commerces, les lieux publics et sur Internet». Il reste toutefois important de sensibiliser tous les professionnels de santé concernés par ce phénomène ainsi que les associations d’usagers afin d’optimiser l’information, la prévention, le repérage et la prise en charge des sujets.
Devançant la loi, un certain nombre de municipalités ont pris des arrêtés, comme celui du 12 octobre 2020 à Limeil-Brévannes, pour interdire la vente du protoxyde d’azote aux mineurs et sa détention ou consommation sur l’espace public.
Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
Depuis le 6 mai 2022, nous assistons à une émergence inhabituelle de cas humains sporadiques de la variole du singe dans plusieurs pays européens, en Amérique du Nord et en Australie alors qu’il s’agissait d’une maladie localisée à l’Afrique centrale et occidentale. La particularité de ces cas est que, en dehors du premier malade au Royaume-Uni de retour du Nigéria, il s’agit de cas autochtones n’ayant pas voyagé en Afrique. Alors que l’on reconnaît une origine zoonotique dans la plupart des cas africains, ces cas émergents sont liés à des contaminations interhumaines, souvent observées chez des hommes homosexuels ou bisexuels présentant des lésions cutanées génitales et au niveau du visage. C’est pourquoi une transmission sexuelle peut être suspectée. La transmission interhumaine est possible par le contact avec les fluides corporels, les lésions cutanées (dont les croûtes), l'environnement ou les objets contaminés par le malade. Il peut aussi s’agir d’une contamination d’origine nosocomiale.
Le nombre de ces cas autochtones émergents détectés depuis deux semaines a dépassé largement l’ensemble des cas importés par des voyageurs revenant du continent africain depuis 1970 puisque près d’une centaine de cas sont répertoriés au 22 mai 2022 (cf. encart). De nombreuses autorités sanitaires et l’OMS craignent une augmentation des cas rapportés pendant la période estivale (où les gens se rassemblent pour des festivals et des fêtes). en raison de la propagation silencieuse de ce virus variolique, apparu simultanément dans des régions géographiquement éloignées, chez des personnes sans lien apparent.
Seule une enquête épidémiologique complète nous permettra d’évaluer le risque lié à ce virus émergent hors de sa région géographique habituelle. Ce nouveau comportement viral peut être inquiétant, notamment si un risque zoonotique, non démontré à ce jour dans ces cas récents, ne peut être formellement exclu chez une espèce animale non africaine.
Au 23 mai 2022, la variole du singe a été identifiée sous une forme bénigne sans mortalité dans 15 pays avec près de 100 cas confirmés, et d’autres cas sont suspectés [1, 2, 3].
Europe :
- Espagne : 30 cas ; les autorités ont fermé un sauna dans la région de Madrid qui semble lié à plusieurs contaminations chez des hommes homosexuels ;
- France : un cas annoncé le 20 mai 2022 (homme de la région Ile-de-France n’ayant pas voyagé récemment) ;
- Belgique : 2 cas confirmés ayant participé à une même fête ;
- Allemagne : 1 cas rapporté ;
- Italie : 3 cas annoncés le 20 mai 2022 ;
- Pays-Bas : 1 cas ;
- Suède : 1 cas annoncé le 19 mai 2022 dans la région de Stockholm ;
- Portugal : 14 cas et 20 autres sous surveillance ;
- Royaume-Uni : d’abord 9 cas signalés depuis le 6 mai 2022 ; les autorités sanitaires anglaises ont annoncé 11 cas supplémentaires le 20 mai 2022 et craignent l’apparition de nouveaux cas et signalent que pour certains, il s’agit de contaminations chez des hommes homosexuels ou bisexuels ;
- Suisse : 1 cas observé le 22 mai 2022 chez une personne ayant été contaminée à l’étranger ;
- Grèce : un cas annoncé le 22 mai 2022 chez un touriste anglais.
Moyen-Orient :
- Israël : 1 cas a été annoncé le 22 mai 2022 chez un homme de 30 ans ayant eu un contact avec un malade à l’étranger.
Amérique du Nord :
- Canada : 2 cas signalés et 17 autres cas suspects à Montréal ;
- Etats-Unis : 1 cas dans l'Etat du Massachusetts signalé chez un homme qui avait récemment voyagé au Canada.
Pacifique :
- Australie : 2 cas probables chez des voyageurs en provenance d’Europe, à Melbourne (30 ans) et à Sydney (40 ans).
Découverte du virus de la variole du singe en 1958 puis de la variole simienne chez l’Homme en 1970 en Afrique
Le virus de la variole du singe a été découvert en 1958 chez des singes de laboratoire à Copenhague mais ce n’est qu’en 1970 qu’un premier cas humain a été décrit en République démocratique du Congo (RDC) chez un enfant âgé de 9 mois qui n’avait pas eu de contact démontré avec des singes [4]. Il est possible que cette infection ait été masquée avant 1970 dans ce pays africain du fait d’une confusion possible avec la variole humaine qui était encore endémique en Afrique. L’éradication de la variole humaine dans le monde avait été annoncée en 1977, ce qui a permis l’arrêt de la vaccination contre cette maladie.
Cette variole simienne ou monkeypox est différente de la variole humaine dans son tableau clinique observé après 6 à 13 jours d’incubation : une phase initiale non spécifique avec hyperthermie, adénopathie (absente dans la variole), myalgie, suivie d’une phase d’éruption cutanée (papules se transformant en vésicules puis en pustules évoluant vers une cicatrisation avec la formation de croûtes) sur le visage, les mains et différentes parties du corps.
Les cicatrices cutanées pouvant être observées sont moins graves que dans la variole humaine. La variole simienne ressemble aussi beaucoup à la varicelle, qui est plus contagieuse.
Le taux de létalité varie selon les deux souches virales connues : la souche Congo (ou souche d’Afrique centrale), la plus virulente, peut provoquer une mortalité de 10,6% alors que la souche d’Afrique occidentale est moins pathogène avec un taux de mortalité estimé de 3,6% [5]. La bonne nouvelle est que la souche isolée dans les cas actuels préoccupants serait la souche d’Afrique occidentale, ce qui explique les symptômes relativement bénins observés. Mais la mauvaise nouvelle est que ces cas bénins ne sont peut-être que la partie émergée d’un iceberg, pouvant faire craindre une sous-estimation du nombre de personnes infectées.
Maladie zoonotique virale émergente
Dès 1970, la variole du singe a été considérée comme une maladie virale émergente avec plusieurs épisodes en Afrique où, contrairement à la variole humaine, la contamination n’est pas uniquement interhumaine mais elle peut reconnaître une origine zoonotique (animal familier ou viande de brousse) du fait d’un portage souvent asymptomatique du virus variolique par de nombreux rongeurs, plus souvent en cause dans la transmission du virus à l’Homme que les primates non humains. Les espèces les plus souvent incriminées sont des écureuils africains, en particulier le genre Funisciurus, et le rat géant de Gambie (Cricetomys gambianus) [6, 7]. Ce poxvirus peut aussi contaminer de nombreuses espèces animales autres que des rongeurs ou des singes (hérisson, porc, éléphant, opossum...) [7]. Mais l’animal réservoir principal et définitif du virus n’a jamais été identifié en Afrique avec précision et l’on a jamais observé de transmission de l’Homme à l’animal [7].
Cette possibilité de transmission zoonotique a d’ailleurs été démontrée de façon spectaculaire en 2003 lors de l’importation de rats de Gambie dans les Etats du Midwest américain. Ces rats africains, apparemment sains, vendus comme nouveaux animaux de compagnie (NAC) ont pu contaminer dans l’animalerie des chiens de prairie, autres rongeurs NAC autochtones et qui furent les vecteurs secondaires d’une contamination humaine avec plus de 70 cas, dont plusieurs enfants. Ce fut la seule importante épidémie de variole simienne observée dans un pays non africain. Rappelons qu’en Europe nous avons connu en 2009 une autre épidémie due à un orthopoxvirus moins pathogène (le cowpox) avec des rats importés de Hongrie en tant que NAC.
Epidémiologie de la variole simienne
Au cours des années suivant sa première identification en Afrique, la variole du singe, qui n’était plus masquée par la variole (ou la vaccination), a été régulièrement observée en Afrique centrale et occidentale.
Identifiée au Nigéria dès 1971, la maladie a été très sporadique entre 1971 et 1978 (10 cas rapportés) puis on a pu noter une augmentation progressive du nombre des malades avec plusieurs milliers de cas confirmés dans 15 pays différents, dont 11 dans des pays africains (avec un taux de létalité d'environ 3 à 6%) et de rares cas sporadiques importés au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, en Israël et à Singapour [7]. Les augmentations les plus spectaculaires se sont produites en RDC où, par exemple, il y a eu 1238 cas de variole du singe (dont 57 décès) entre le 1er janvier et le 1er mai 2022 [2]. L’âge médian des malades est passé de 4 ans dans les années soixante-dix à 21 ans depuis 2010 [5]. Cette augmentation est due à plusieurs facteurs : déclin de l'immunité collective à la suite de l'arrêt de la vaccination contre la variole permettant l’augmentation des contaminations interhumaines, changement climatique et déforestation favorisant une urbanisation des zones où le virus est présent dans ses réservoirs animaux permettant une contamination de l’Homme par l’animal, consommation de viande de brousse.
Moyens de lutte
Il est évident que dans les cas de cette poxvirose, il importe d’éviter tout contact avec la personne atteinte ainsi que tout ce qu’elle a pu toucher.
Par comparaison avec la variole humaine, les mesures d’éradication ne pourront pas être aussi efficaces avec la variole simienne du fait d’un réservoir viral dans plusieurs populations d’animaux sauvages en Afrique.
La vaccination contre la variole permettait d’offrir une protection croisée contre les orthopoxvirus, dont le virus de la variole simienne qui est estimée à 85% [8]. Les cas humains identifiés de variole du singe étaient naïfs pour 90% car beaucoup sont nés après l’arrêt de la vaccination [8]. Lors de l’épidémie de 2003 aux Etats-Unis, le vaccin variolique avait été recommandé par le Center for Disease Control and Prevention (CDC) pour réduire la gravité des symptômes mais il n’a pas empêché la maladie [8]. Il existe maintenant des vaccins de troisième génération, plus atténués, pouvant être utilisés chez les sujets immunodéficients à risque en Afrique. Les autorités sanitaires du Royaume-Uni ont annoncé la possibilité d’une vaccination «en anneau» si le nombre de cas humains augmentait.
Conclusion
Le virus de la variole du singe est un agent pathogène réémergent, qui ne semble plus se limiter aux régions endémiques africaines et qui présente le risque mondial d’occuper la niche écologique laissée vacante par la variole.
Il faut espérer que :
- cette transmission restera interhumaine et limitée ;
- qu’il n’y aura pas de cas humains asymptomatiques permettant une persistance du virus et sa propagation, avec une augmentation des cas confirmés dans les pays déjà atteints ;
- que cette apparente plus grande contagiosité du virus hors d’Afrique n’est pas liée à un nouveau virus qui aurait muté en devenant plus contagieux ;
- qu’il n’y aura pas un relais avec un réservoir animal autochtone dans les pays touchés pour cet agent zoonotique, comme c’est le cas en Afrique.
[2] World Health Organization. Disease Outbreak News; Multi-country monkeypox outbreak in non-endemic countries [Internet]. 2022 [cité 22 mai 2022]. Disponible sur: https://www.who.int/emergencies/disease-outbreak-news/item/2022-DON385.
[3] Promed. Monkeypox: Health ministry confirms only one person contracted virus. Promed; 2022.
[4] Ladnyj ID, Ziegler P, Kima E. A human infection caused by monkeypox virus in Basankusu Territory, Democratic Republic of the Congo. BullOrg.mond Santé. 1972;46:593‑7.
[5] Bunge EM, Hoet B, Chen L, Lienert F, Weidenthaler H, Baer LR, et al. The changing epidemiology of human monkeypox—A potential threat? A systematic review. Gromowski G, éditeur. PLoS Negl Trop Dis 11 févr 2022;16(2):e0010141.
[6] Walker M. Monkeypox Virus Hosts and Transmission Routes: A Systematic Review of a Zoonotic Pathogen. Biological Sciences Undergraduate Honors Theses [Internet]. 1 mai 2022; Disponible sur: https://scholarworks.uark.edu/biscuht/69.
[7] Alakunle E, Moens U, Nchinda G, Okeke MI. Monkeypox Virus in Nigeria: Infection Biology, Epidemiology, and Evolution. Viruses. 5 nov 2020;12(11):1257.
[8] Brown K, Leggat P. Human Monkeypox: Current State of Knowledge and Implications for the Future. Tropical Med. 20 déc 2016;1(1):8.
Denis Monod-Broca
Ingénieur et architecte, secrétaire général de l'Afas
L’Afas a rendu compte du dernier rapport du GIEC sous la plume d’Alain Foucault, en août, mars et avril derniers lors de la sortie des différentes parties de ce sixième rapport.
Un mot mérite qu’on s’y arrête. Les scientifiques du GIEC, dans leurs recommandations - et c’est une nouveauté qui a été relevée - mentionnent la sobriété.
Ce simple mot de sobriété, dans sa sobriété même, toute descriptive, toute scientifique, en dit long. Ses implications sont multiples et considérables.
«Je suis sobre désormais», dit l’ex-alcoolique qui a su vaincre son assuétude. N’est-ce pas cet exemple-là que les rédacteurs du rapport nous invitent à suivre ? Pour limiter le réchauffement climatique et, aussi, pour préserver les ressources naturelles, y a-t-il une autre voie que celle qui consiste à vaincre notre addiction au «toujours plus» ?
Beaucoup de pays, beaucoup d’individus à la surface de la Terre ont à peine de quoi vivre, il ne s’agit pas de leur demander, à eux, d’être sobres, ils le sont, ils ne le sont que trop. Mais nous, nous pays riches, nous riches habitants des pays riches, nous avons trop et - comment en douter ? - nous devons nous désintoxiquer de ce trop. Quoi de plus difficile ? Inutile de se voiler la face.
Il revient à chacun de faire ses choix. Et il revient, aussi et surtout, à la collectivité de reconsidérer de fond en comble ses organisations et nos modes de vie.
La science constate, décrit, prévoit. Elle ne nous dit pas comment faire. À la politique, au sens le plus large et le plus noble du terme, de prendre le relai.
La science est tantôt glorifiée, tantôt décriée. Ne lui demandons pas ce qu’elle ne peut pas donner mais sachons tenir compte de ce qu’elle nous dit.
Le GIEC, dans son sixième rapport - et les cinq précédents n’ayant pas eu les effets escomptés - recommande la sobriété. La porte est étroite, le chemin long et difficile, alors ouvrons le débat, relevons le défi.
Alain Foucault
Professeur émérite du Muséum national d'histoire naturelle (Paris)
Après avoir publié, pour son sixième rapport, les travaux de ses deux premiers groupes de travail (voir sur le site de l’Afas les articles «Changement climatique, le GIEC persiste et signe» et «Le GIEC publie le deuxième tiers de son sixième rapport»), le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) publie ceux de son troisième groupe de travail chargé de se pencher sur les actions pouvant être entreprises pour atténuer le réchauffement climatique.
Comme pour ses prédécesseurs, la lecture de ce rapport, gros en tout de 2913 pages, n’est pas chose aisée. Il est bien précédé d’un résumé pour les décideurs, mais qui ne peut rendre compte de la substance du texte complet, auquel il faut parfois se référer pour une bonne compréhension.
Une constatation donne le ton de ce rapport et sa leçon principale : nous avons déjà émis tellement de gaz à effet de serre qu’il ne nous en reste plus beaucoup à émettre si l’on veut rester dans les limites du raisonnable. Entre 2010 et 2019, les émissions cumulées de CO2 ont été de 410 Gt. Il ne faut pas ajouter plus du quart de cette quantité si l’on veut limiter le réchauffement à 1,5°C (500 Gt) et plus de deux fois cette valeur si l’on veut limiter le réchauffement à 2°C (1150 Gt).
Les auteurs ont examiné de très nombreux scénarios d’émission de gaz à effet de serre conduisant à des réchauffements plus ou moins rapides. Leurs conclusions sont inquiétantes : tous les scénarios qui limitent le réchauffement à 1,5°C et ceux qui le limitent à 2°C impliquent une réduction des émissions de gaz à effet de serre rapide et substantielle et, dans la plupart des cas, immédiate. Dans tous ces scénarios, les émissions mondiales doivent décroître au plus tard en 2025.
Les modélisations nous indiquent que ces réchauffements nous causeront des problèmes (voir sur le site de l’Afas l’article «Un nouveau rapport spécial du GIEC sur un réchauffement global possible de 1,5°C»). Mais si l’on se doute bien que ces problèmes intéresseront l’ensemble des activités humaines, les réactions de notre espèce sont bien difficiles à prévoir. Et cette absence de prévision sur ce qui va nous arriver explique peut-être notre manque d’empressement à prendre les mesures nécessaires.
Il est cependant urgent de prendre ces mesures pour limiter encore davantage et rapidement nos émissions de gaz à effet de serre. Pour cela, le rapport nous donne une quantité de solutions, touchant l’énergie, l’agriculture, les transports, les industries, etc.
Il ne reste plus qu’à les appliquer...
Alain Foucault
Professeur émérite du Muséum national d'histoire naturelle (Paris)
Comme annoncé en août 2021, le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) a publié ce 27 février 2022 la suite de son sixième rapport, préparée par son deuxième groupe de travail, qui se penche sur les impacts, les adaptations et la vulnérabilité.
Comme pour les précédents, on constate que ce rapport, gros de plus de 3500 pages, ne se lit pas comme un roman policier. Il est heureusement précédé par un résumé à l’intention des décideurs qui ne comprend que 37 pages. Si ce résumé facilite l’accès aux conclusions du groupe de travail, sa lecture exige cependant un gros effort, qu'il n’est pas certain que les décideurs se résignent à faire. Nous en donnons ci-dessous un aperçu, en suivant son plan.
Le rapport constate d’abord que le changement climatique induit par l'homme, y compris des événements extrêmes plus fréquents et plus intenses, a causé des pertes et des dommages à la nature et aux personnes plus importants que ce qu’aurait entraîné la variabilité naturelle du climat. Une augmentation des évènements extrêmes a pu produire des effets irréversibles en poussant les systèmes naturels et humains au-delà de leur capacité d'adaptation.
Mais la vulnérabilité des écosystèmes et des populations face au changement climatique diffère considérablement d'une région à l'autre en raison de modèles de développement socio-économique différents. Cette vulnérabilité est accusée par l’utilisation des modèles actuels de développement non durable. En fait, plus de 3 milliards de personnes vivent dans des contextes très vulnérables au changement climatique.
Si l’on se place à court terme, c’est-à-dire jusqu’à 2040, un réchauffement climatique atteignant 1,5°C entraînerait inévitablement une augmentation des risques climatiques et présenterait de multiples dangers pour les écosystèmes et les humains. Limiter ce réchauffement à moins de 1,5°C réduirait ces effets négatifs, sans toutefois les éliminer.
Au-delà de 2040, le changement climatique entraînera de nombreux risques pour les systèmes naturels et humains, plus ou moins importants selon le niveau du réchauffement. Les effets évalués, à moyen et à long terme, seront jusqu'à plusieurs fois plus intenses que ceux actuellement observés. Leur ampleur et leur rythme dépendront fortement des mesures d'atténuation et d'adaptation mises en œuvre.
En avançant dans le temps, les interactions et les compositions entre les différents effets du changement climatique seront de plus en plus difficiles à appréhender. De multiples phénomènes, climatiques et non climatiques, se produiront simultanément, ce qui aggravera le risque global et les risques en cascade.
Même dans le cas où le réchauffement global serait limité à 1,5°C, des dépassements occasionnels ajouteraient des effets négatifs, comme la libération de davantage de gaz à effet de serre. Certains de ces effets seraient irréversibles.
Pour lutter contre les effets du réchauffement climatique, des mesures doivent être prises, et certaines ont déjà été mises en œuvre. Celles-ci ont montré une certaine efficacité mais présentent des lacunes et sont inégalement réparties.
Mais il existe des perspectives d’adaptation qui peuvent réduire les risques, aussi bien pour les personnes que pour la nature. Leur réalisation devra tenir compte des conditions locales et sociologiques.
Pour aller plus loin dans les adaptations déjà constatées, il faudra notamment s’attaquer à une série de contraintes, financières, de gouvernance, institutionnelles et politiques. Mais avec le réchauffement, des systèmes humains et naturels atteindront leurs limites d'adaptation et certains les ont déjà atteintes.
Cependant, on a pu noter l’existence croissante de réponses mauvaises ou inadaptées. Ces erreurs entraînent des risques supplémentaires coûteux et difficiles à modifier. Ces mauvaises adaptations peuvent être évitées par une planification à long terme multisectorielle et inclusive.
Pour mettre en œuvre, accélérer et soutenir l'adaptation des systèmes humains et écosystémiques, des conditions favorables sont requises. Il s'agit notamment d’un engagement politique suivi et de l’existence de cadrages institutionnels avec des objectifs et des priorités clairs, sans compter l'accès à des ressources financières adéquates.
La lutte contre le réchauffement climatique doit aller de pair avec un développement durable. La mener semble de plus en plus urgent.
Un développement solide prenant en compte la lutte contre le réchauffement climatique est rendu possible lorsque les gouvernements, la société civile et le secteur privé font des choix qui donnent la priorité à la réduction des risques, à l'équité et à la justice, et lorsque les processus décisionnels, le financement et les actions sont intégrés à tous les niveaux de gouvernance. Il est facilité par la coopération internationale et par les gouvernements à tous les niveaux travaillant avec les communautés, la société civile, les organismes d'enseignement, les institutions scientifiques et autres, les médias, les investisseurs et les entreprises ; et en développant des partenariats avec des groupes traditionnellement marginalisés, notamment les femmes, les jeunes, les peuples autochtones, les communautés locales et les minorités ethniques.
Si une urbanisation croissante comporte des risques, elle peut aussi présenter des opportunités dans la prise de décision quotidienne concernant les infrastructures urbaines, y compris les infrastructures sociales, écologiques et physiques, pouvant augmenter considérablement la capacité d'adaptation des établissements urbains.
La sauvegarde de la biodiversité et des écosystèmes est fondamentale pour un développement durable dans un contexte de changement climatique.
Il est manifeste que le changement climatique a déjà perturbé les systèmes humains et naturels. Les tendances actuelles de développement n'ont pas produit d’avancée vers un climat mondial durable. Il est important de noter que les perspectives de développement climatique sont de plus en plus limitées si les émissions actuelles de gaz à effet de serre ne diminuent pas rapidement, en particulier si le réchauffement climatique de 1,5°C est dépassé à court terme.
Ce rapport, dans sa complexité, constitue une mine de renseignements dont l’exploitation se révèle ardue. Mais cette complexité reflète celle de son objet d’étude. La conclusion que l’on pourrait tirer en quelques mots est que si l’on veut que le réchauffement climatique ne nous échappe pas, il faut mettre en œuvre d’urgence des mesures où tous les acteurs de la société soient impliqués, utilisant tous les moyens à leur portée, intégrés dans des cadrages institutionnels avec des objectifs et des priorités clairs. Ces conclusions ne surprennent pas. Mais pour avoir des précisions sur les actions à entreprendre pour limiter les effets du changement climatique (mitigation, en anglais), il faudra attendre la dernière partie de ce rapport, rédigée par le groupe de travail III, prévue pour le mois d’avril.
Bernard Calvino
Professeur honoraire en neurosciences à la faculté des sciences de Créteil et à l’Ecole supérieure de physique et de chimie industrielles de la Ville de Paris
Résumé
Selon la définition élaborée par l’International Association for the Sudy of Pain (IASP), la douleur est une «expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à un dommage tissulaire réel ou potentiel, ou décrite en termes d’un tel dommage». La complexité de cette définition rend compte de la complexité de la notion de douleur. On distingue quatre mécanismes possibles de douleurs : une lésion périphérique (coupure, brûlure, fracture...), une inflammation chronique, une lésion du système nerveux ou une douleur en l’absence de toute cause objective (douleur idiopathique ou nociplastique). La durée d’évolution de la douleur est aussi fondamentale et l’on distingue une douleur aiguë, douleur de courte durée (post-chirurgicale, post-lésionnelle...), d’une douleur chronique (douleur qui excède trois à six mois).
D’un point de vue clinique, la douleur aiguë, douleur-symptôme, est un véritable «signal d’alarme». D’installation récente, elle est utile car elle permet au médecin d’établir son diagnostic : elle est la plupart du temps d’origine traumatique, mécanique et/ou inflammatoire, et met en jeu essentiellement une composante émotionnelle réactionnelle. Son traitement étiologique est primordial et l’évolution de cette douleur se fait généralement vers une guérison de la lésion initiale. Sa prise en charge se fait avec des antalgiques, selon les trois paliers de l’OMS (palier 1 : paracétamol, anti-inflammatoires non stéroïdiens ; palier 2 : association d’un antalgique de palier 1 avec un opioïde faible tel que tramadol ou codéïne ; palier 3 : opioïde fort, morphine ou un dérivé de synthèse), avec une bonne efficacité.
Les mécanismes générateurs des douleurs aiguës, douleurs par excès de nociception qui résultent de la lésion des tissus périphériques, mettent en jeu le passage de la nociception (mécanismes neurophysiologiques de genèse et transmission par les afférences sensorielles périphériques de l’influx nociceptif jusqu’au cerveau) à la douleur aiguë (mécanismes psychophysiologiques, sensation ressentie). D’un point de vue neurophysiologique, la cascade d’évènements conduisant à l’intégration des informations douloureuses met en jeu des récepteurs (nocicepteurs périphériques), des nerfs sensoriels périphériques (constitués par les fibres sensorielles primaires de fin diamètre, myélinisées – fibres Aδ – ou non myélinisées – fibres C) ; puis, après un relais synaptique dans la corne dorsale de la moelle épinière, des voies médullaires ascendantes constituées par les neurones spino-thalamiques et spino-réticulo-thalamiques ; des relais dans l’encéphale intégrant ces informations douloureuses (principalement au niveau du noyau thalamique ventro-postéro-latéral ; mais aussi de la substance réticulée et du système limbique) ; et enfin des sites de projection corticaux (cortex somesthésiques primaire et secondaire, mais aussi insulaire, cingulaire et préfrontal). Ainsi, des nocicepteurs périphériques au cortex somatosensoriel, les voies de la nociception sont caractérisées par un réseau ascendant de trois neurones. Il existe en parallèle à ce réseau des voies diffuses pour l’information codant la perception émotionnelle de la douleur, mises en évidence grâce aux techniques d’imagerie en IRM fonctionnelle, qui constituent ce que l’on a appelé la «matrice de la douleur» impliquant des régions corticales et sous-corticales hautement interconnectées entre elles. La complexité de la compréhension des bases neurophysiologiques de la douleur vient en grande partie de cette multiplicité des voies spinales ascendantes et des nombreuses structures de projection de l’encéphale qui contribuent toutes à la genèse de la douleur.
Selon la définition de l’IASP (International Association for the Study of Pain), la douleur aiguë est une expérience sensorielle et émotionnelle résultant des stimulations dites «nociceptives» (susceptibles de remettre en cause l’intégrité de l’organisme), c’est-à-dire de haute intensité, qui déclenchent une cascade d’évènements physiologiques conduisant à l’intégration des informations codant les différents aspects de la douleur. Le prolongement dans le temps de la douleur aiguë conduit au développement d’une douleur chronique lorsqu’elle se prolonge au-delà de trois mois. La douleur perd alors sa signification de signal d’alarme pour évoluer vers un syndrome chronique.
Les douleurs chroniques peuvent être en rapport avec plusieurs causes, soit des douleurs par excès de nociception prolongées (inflammation, sensibilisation des nocicepteurs...), soit des douleurs neuropathiques (neuropathies périphériques consécutives à une lésion de nerfs sensoriels périphériques, ou neuropathies centrales, lésions de structures relais du système nerveux central). Il y a aussi des douleurs mixtes, douleurs par excès de nociception et douleurs neuropathiques, par exemple dans le cas des douleurs cancéreuses. Enfin ont été considérées plus récemment par l’IASP (2018) les douleurs dites nociplastiques (autrefois répertoriées comme douleurs idiopathiques, sans lésion ni cause objective) qui résultent de la plasticité du système nerveux central susceptible de modifier les systèmes de contrôle de la douleur et d’engendrer ainsi des douleurs sans cause apparente (par exemple la fibromyalgie).
La douleur peut être modulée en fonction de la situation psychologique du sujet, mais aussi en fonction de son environnement (affectif, socio-culturel, ethnologique, religieux...). Cette modulation résulte de la mise en jeu de contrôles inhibiteurs exercés par des structures spinales et supra-spinales (corticales ou sous-corticales) par l’intermédiaire des voies inhibitrices descendantes.
D’un point de vue physiologique, la cascade d’évènements conduisant à la genèse et à l’intégration des informations douloureuses s’inscrit dans un chapitre de la neurophysiologie sensorielle, la somesthésie (qui regroupe la physiologie sensorielle de la sensibilité tactile cutanée mais aussi des muscles, des tendons, des articulations et des viscères) et répond au même schéma fonctionnel que toutes les autres fonctions sensorielles.
La douleur nociceptive aiguë résulte de la mise en jeu de la triade : lésion-inflammation-douleur. Les informations nociceptives à l’origine de la douleur aiguë sont générées à la périphérie par la lésion qui va être à l’origine d'une inflammation : de nombreuses molécules, constituant la «soupe inflammatoire», sont synthétisées et libérées par les cellules lésées des tissus périphériques, les terminaisons nerveuses et les cellules immunocompétentes activées qui migrent dans le foyer inflammatoire et sont à l’origine de la composante inflammatoire de la douleur. Ces molécules sont susceptibles d’activer et/ou de sensibiliser les nocicepteurs périphériques, du fait que leurs récepteurs sont exprimés par les terminaisons nerveuses des fibres périphériques nociceptives de petit diamètre (fibres Aδ, C) des nerfs sensoriels (dans lesquels on trouve aussi les fibres non nociceptives de la sensibilité tactile légère de gros diamètre, fibres Aβ), qui n’interviennent pas dans la transmission de l’information douloureuse.
Ces fibres Aδ et C sont les axones des neurones sensoriels primaires dont le corps cellulaire est localisé dans le ganglion de la racine dorsale (GRD). Elles génèrent et conduisent l’information sensorielle jusqu’à la corne dorsale de la moelle épinière (CDME). Ainsi, une stimulation nociceptive met ainsi en jeu les nocicepteurs périphériques. Les nocicepteurs ne répondent qu’à des stimulations nociceptives (mécanonocicepteurs ; thermonocicepteurs au chaud et au froid ; chémonocicepteurs, qui répondent aux molécules algogènes de la soupe inflammatoire ; nocicepteurs polymodaux, qui répondent à plusieurs modalités de stimulations). Dans la CDME, les neurones nociceptifs post-synaptiques (neurones de deuxième ordre) reçoivent les terminaisons centrales des neurones périphériques (neurones de premier ordre). Leurs axones sont à l’origine des voies médullaires appelées ascendantes parce qu’elles conduisent le message nerveux douloureux aux différents noyaux relais dans le cerveau, où sont intégrées ces informations douloureuses. Les axones des neurones nociceptifs de deuxième ordre de la CDME constituent les faisceaux médullaires ascendants qui projettent leur information à différents niveaux supraspinaux. On distingue quatre principaux sites supraspinaux de projection :
- les noyaux du thalamus ventro-postéro-latéral (VPL), noyaux spécifiques de la sensibilité tactile et de la nociception, à l’origine de la composante sensori-discriminative de la douleur ;
- des sites de projection bulbaires (noyau gigantocellulaire) et mésencéphaliques (substance grise périaqueducale et noyau cunéiforme), structures relais pour l’information nociceptive véhiculée par le faisceau spino-réticulo-thalamique jusqu’au thalamus médian non spécifique ;
- l’hypothalamus intervient dans le contrôle des réactions végétatives de la douleur mais aussi dans la libération d’hormones intervenant dans le contrôle du stress (axe hypothalamo-hypophysaire corticotrope, dont la stimulation aboutit à la libération plasmatique des hormones glucocorticoïdes) ;
- le complexe amygdalien, structure du système limbique, intervient dans les réactions affectives et émotionnelles de la douleur.
Ces sites de projection sont constitués de neurones de troisième ordre, d’où partent des projections vers différentes aires corticales et les interactions entre ces aires sont nombreuses :
- les neurones du thalamus VPL projettent leurs axones vers les aires des cortex somesthésiques primaire S1 et secondaire S2 (cortex spécifiques de la somesthésie et de la nociception) : les caractéristiques du message nociceptif y sont décodées, permettant la genèse de la perception de la sensation douloureuse (qualité, localisation, intensité, durée) ;
- différents noyaux de l’encéphale impliqués dans la douleur projettent leurs axones vers les aires corticales préfrontales, le cortex insulaire et le cortex cingulaire antérieur, impliqués dans les réactions émotionnelles plus élaborées à la douleur et qui jouent un rôle fondamental dans la composante émotionnelle et cognitive de la douleur, l’ensemble constituant la «matrice de la douleur».
La complexité de la compréhension des bases neurophysiologiques de la douleur vient en grande partie de la multiplicité des voies ascendantes localisées dans la moelle épinière, des nombreuses structures de projection du tronc cérébral et de l’encéphale qui contribuent toutes à la genèse de la douleur, et à sa modulation qui résulte de la mise en jeu de contrôles exercés par des structures spinales et supraspinales.
On distingue deux principales catégories de systèmes physiologiques de contrôle de la douleur :
1- Les contrôles segmentaires spinaux de la CDME, qui est un lieu d’intégration et pas seulement un relais de transmission de l’information douloureuse entre les fibres sensorielles périphériques et les structures supraspinales. La mise en jeu des contrôles segmentaires spinaux a été modélisée par Melzack et Wall en 1965 dans leur «théorie du portillon» (gate control theory). Ce modèle repose sur l’équilibre d’une balance entre deux types d’activités d’origine segmentaire périphérique exercées sur les neurones nociceptifs non spécifiques : les unes sont activatrices, véhiculées par les fibres nociceptives de petit diamètre ; les autres sont inhibitrices, véhiculées par les fibres non nociceptives de la sensibilité tactile légère de gros diamètre. La douleur n’est ressentie que lorsque la balance penche en faveur des activités excitatrices. L’activation des fibres non nociceptives fermerait le portillon et bloquerait la transmission de l’information nociceptive vers les structures de la douleur dans l’encéphale (idée associée à une analgésie) ; l’activation des fibres nociceptives ouvrirait le portillon et favoriserait la transmission de l’information nociceptive vers les structures de la douleur dans l’encéphale (idée associée à la sensation de douleur). Dans le modèle du «gate control», le mécanisme de régulation spinal est lui-même soumis à des contrôles descendants d’origine supraspinale (voir ci-dessous).
2- Les contrôles inhibiteurs descendants (CID) issus de structures du tronc cérébral dont l’origine est la substance grise périaqueducale, SGPA, mésencéphalique : la stimulation de ces neurones et de ceux des structures en aval sérotoninergiques (neurones des noyaux du raphé magnus, des noyaux paragigantocellulaire et gigantocellulaire de la medulla rostro-ventrale, RVM) est à l’origine d’effets analgésiques résultant de la mise en jeu de voies descendantes exerçant un contrôle inhibiteur sur les neurones nociceptifs non spécifiques de la CDME, bloquant la transmission des messages nociceptifs. Les axones descendants de ces neurones se projettent à tous les différents segments de la moelle épinière (du segment cervical au segment sacré) dans la corne dorsale de la moelle. On y associe les systèmes de contrôles inhibiteurs descendants noradrénergiques (neurones du locus coeruleus et du locus subcoeruleus), qui fonctionnent sur le même modèle. D’où l’utilisation de molécules ayant une action centrale à la fois sérotoninergique et noradrénergique, comme certains antidépresseurs, pour obtenir des effets analgésiques dans la douleur chronique neuropathique, qui renforcent ces CID.
Mais des contrôles facilitateurs descendants (CFD) proalgiques, également issus du tronc cérébral, ont été décrits exacerbant les conséquences d’une stimulation nociceptive au niveau de la moelle épinière. Une stimulation de la RVM à des intensités élevées déclenche des effets analgésiques (cf. ci-dessus), mais, à des intensités plus faibles dans la même région, déclenche des effets facilitateurs proalgiques, avec une discrimination anatomique entre des sites inhibiteurs antalgiques et d’autres facilitateurs proalgiques. L’équilibre entre ces deux systèmes descendants concurrents CID et CFD déterminerait in fine le degré global d’excitabilité du réseau de neurones dans la CDME, degré qui à son tour modulerait la transmission de l’information douloureuse vers les structures nerveuses centrales de l’encéphale. Lorsque les deux systèmes sont à l’équilibre, l’organisme est dans un état d’homéostasie physiologique qui se traduit par un état de bien-être. Lorsque cet équilibre est rompu en faveur des CFD, l’état de bien-être disparaît au profit d’un état douloureux systémique, ce qui pourrait être le cas par exemple dans la fibromyalgie.
En conclusion, la douleur aiguë est un processus complexe résultant de l’expérience sensorielle d’une sensation émotive déplaisante et chacun d’entre nous est unique face à sa douleur. La définition de l’IASP présente l’avantage de parler d’une expérience émotionnelle et pas seulement d’une sensation mesurable. Le soulagement de la douleur est un problème qui va bien au-delà de la mise en jeu de réseaux de neurones car il prend aussi en compte les facteurs de chacun dans la globalité de sa personnalité. On ne peut réduire la douleur au seul aspect anatomo-physiologique de la nociception, car fondamentalement la prise en charge thérapeutique et clinique de la douleur et son traitement ont pour but non pas seulement de soulager cette douleur mais aussi d’apaiser l’homme douloureux.
Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
Pendant l’année 2021, le cerf de Virginie (Odocoileus virginianus) a fait l’objet de plusieurs études témoignant du risque lié à un réservoir animal potentiel du Sars-CoV-2, voire de mutation de ce virus chez l’animal pouvant compromettre la protection immunitaire vaccinale ou naturelle chez l’Homme. Ces études ont été principalement réalisées aux Etats-Unis, où cette espèce est trop abondante et parfois très répandue près des zones urbaines.
Sensibilité du cerf de Virginie démontrée expérimentalement en 2021
En premier lieu, ce fut une étude expérimentale réalisée aux Etats-Unis par Palmer et al. [1] sur la sensibilité de ce cerf de Virginie, que l’on pouvait suspecter du fait des similitudes entre l’ACE2 de ce cerf et celle de l’Homme. Quatre jeunes faons ont été inoculés par la voie intranasale avec une souche de Sars-CoV-2. Les symptômes de ces quatre faons ont été discrets mais ils ont montré une excrétion virale qui a permis de contaminer deux autres faons (non inoculés) par contact [1].
Premières publications à la fin de l’année 2021 de la forte contamination par le Sars-CoV-2 du cerf de Virginie aux Etats-Unis
A la suite de cette expérience, l’équipe de Chandler a proposé, en janvier 2021, de lancer un programme pilote pour surveiller des cerfs de Virginie dans le cadre du programme de surveillance des agents pathogènes dans la faune sauvage du département américain de l’Agriculture [2]. L’étude a concerné des cerfs de Virginie vivant à l’état sauvage dans quatre Etats (Michigan, Pennsylvanie, Illinois et New York) avant et après la pandémie, soit 385 sérums prélevés de janvier à mars 2021. 239 sérums prélevés pendant la période prépandémique et le début de la pandémie de 2011 à 2020 (dont 182 sérums datant de 2018 à 2020) dans le cadre officiel du programme américain d’épidémiosurveillance de la faune sauvage ont été aussi étudiés pour comparer les résultats obtenus. Un fort taux d’anticorps neutralisants a été observé chez 152 cervidés prélevés en 2021 (soit 40% des animaux testés).
Cette étude de Chandler correspond à des données sérologiques et non à l’isolement du virus. Le premier isolement du Sars-CoV-2 chez un cerf de Virginie dans l’Ohio a été annoncé aux médias le 27 août 2021 par le département de l’Agriculture du Gouvernement américain (USDA) [3].
A la suite des premiers résultats de l’équipe de Chandler, Kuchipudi et ses collaborateurs [4] ont recherché aussi l’ARN du Sars-CoV-2 dans les ganglions lymphatiques rétropharyngés de 283 cerfs de Virginie (151 vivant en liberté et 132 en captivité) d'avril 2020 à janvier 2021 dans l'Iowa : 94 échantillons se sont révélés positifs, soit 32,2%. Les premiers échantillons de 2020 (7 en avril, 4 en mai, 4 en juin) se sont révélés négatifs, puis progressivement les pourcentages d’animaux positifs ont augmenté (2 sur 39 en septembre soit 5%, 4 sur 66 en octobre soit 6%, 22 sur 55 en novembre soit 29%, 61 sur 75 en décembre soit 81%, puis l’ensemble des 5 échantillons de janvier 2021). Pour la première fois, la possibilité d’une persistance du virus dans la faune sauvage par transmission intra-espèce pouvant représenter un risque pour l’Homme en retour est alors évoquée chez le cerf de Virginie.
Une autre étude a permis de montrer la sensibilité et la transmission du Sars-CoV-2 chez le cerf de Virginie adulte après une inoculation expérimentale avec la souche virale sévissant aux Etats-Unis (Sars-CoV-2/human/USA/WA1/2020) ou le virus variant alpha [5]. Une transmission par contact avec des animaux témoins ainsi que la possibilité d’une transmission verticale (de la mère au fœtus) ont été démontrées.
Une enquête a été aussi réalisée au Texas sur 54 échantillons sanguins provenant de cerfs de Virginie prélevés entre janvier et février 2021 [6]. Les chercheurs ont découvert des anticorps neutralisants chez 20 cervidés, soit 37% des animaux prélevés. Les cerfs mâles (15 individus) étaient plus atteints que les femelles (5 individus). Il y avait une forte différence selon l’âge des animaux testés : le taux le plus élevé a été observé dans le groupe de cerfs âgés d’un an et demi (82%) mais le faible nombre d’animaux testés (11 dont 9 positifs) ne permet pas de conclure.
Enfin, une étude plus récente acceptée par la revue scientifique Nature (Hale et al. [7]) confirme cette fréquente infection du cerf de Virginie aux Etats-Unis dans le nord-est de l’Ohio après la première identification du virus dans cette espèce fin août 2021 [3] et le risque d’un réservoir animal sauvage du Sars-CoV-2. Dans cette étude, le virus Sars-CoV-2 a été détecté par rRT-PCR chez 129 individus à partir de 360 écouvillonnages nasaux réalisés entre janvier et mars 2021 sur neuf sites différents dans l’Ohio. Plus du tiers (35,8%) des animaux testés ont été positifs, avec des variations de 13,5% à 70% dans les neuf sites. Les quatre sites les plus infectés correspondaient à la partie nord de la zone échantillonnée, qui était adjacente à des zones urbaines présentant les densités les plus élevées de population humaine.
Il a été possible d’étudier le génome complet de 14 virus isolés entre le 26 janvier 2021 et le 25 février 2021 sur six sites parmi les neuf étudiés. Il a été aussi possible d’isoler deux virus Sars-CoV-2 viables dans les échantillons collectés, témoignant de la possibilité d’une transmission inter-espèces dans la population de cerfs.
Par ailleurs, il faut noter que les prélèvements sur les cerfs ont été réalisés environ six semaines après le pic de la pandémie de l’hiver 2020-2021 dans l’Ohio, qui a été dominée par la souche virale B.1.2. (plus de 50% des cas humains). Ils ont ont permis d’identifier trois souches virales de Sars-CoV-2 (B.1.2, B.1.582 et B.1.596, dont aucune ne correspond à un virus variant préoccupant). La lignée virale B.1.2. a été détectée sur quatre sites. Un autre lignée mineure, B.1.596 (correspondant à 11% des virus humains), a été identifiée dans sept échantillons de cerfs sur un site. Une lignée plus rare, B.1.582 (environ 1% des virus humains), a été identifiée dans deux échantillons de cerfs sur un autre site. Les virus variants alpha (B.1.1.7) et delta (B.1.617.2) n’ont pas été détectés car ils se sont propagés dans la population humaine seulement après février 2021.
Cette étude a permis de conclure à une contamination probable d’origine humaine mais aussi par la suite à une infection active ou récente des cervidés lors de la grande vague de l'hiver dernier. Il s’agit d’une alerte sur le risque de transmission du virus de la Covid-19 par l’Homme à une espèce animale sauvage lorsque celle-ci est proche de zones urbaines. La forte prévalence observée témoigne aussi d’un risque de persistance du virus au sein d’une espèce sensible, voire d’une mutation virale pouvant être préoccupante, et nécessite de surveiller le cerf de Virginie comme d’autres espèces animales dont on connaît la sensibilité. Ces programmes de surveillance de la santé humaine, de la santé animale et de l’environnement s’avèrent essentiels dans le contexte «Une seule santé» pour contrôler la pandémie qui sévit actuellement pour éviter une contamination en retour de l’Homme à partir d’un réservoir animal.
Le CDC d’Atlanta (ou plus exactement l'ensemble des «Centers for Disease Control and prévention» des Etats-Unis) recommande des mesures de biosécurité vis-à-vis de la faune sauvage pouvant être suspecte d’une infection par le Sars-CoV-2 [8]).
Cerfs de Virginie au Canada
C’est vraisemblablement à la suite des publications américaines ci-dessus que le Canada a entrepris de surveiller les cerfs de Virginie sur son territoire. Les premiers résultats obtenus au Québec ont permis de découvrir pour la première fois trois animaux positifs sur les 156 premiers prélèvements réalisés entre le 6 et le 8 novembre 2021 [9]. Ces animaux ne présentaient aucun symptôme et une surveillance concernant 2700 cervidés est prévue sur le territoire canadien. Cette surveillance est aussi prévue chez d’autres espèces de la faune sauvage (martres, belettes, loutres, ratons laveurs et mouffettes) qui, jusqu’à présent pour les 900 échantillons testés, ne se sont pas révélées positives.
Conclusion
Il s’agit d’une alerte sur le risque de transmission du virus de la Covid-19 par l’Homme à une espèce animale sauvage lorsque celle-ci est proche de zones urbaines. La forte prévalence observée témoigne aussi d’un risque de persistance du virus au sein d’une espèce sensible, voire d’une mutation virale pouvant être préoccupante, et nécessite de surveiller le cerf de Virginie comme d’autres espèces animales dont on connaît la sensibilité.
[2] Chandler JC, Bevins SN, Ellis JW, Linder TJ, Tell RM, Jenkins-Moore M, et al. SARS-CoV-2 exposure in wild white-tailed deer (Odocoileus virginianus). Proc Natl Acad Sci. 23 nov 2021;118(47):e2114828118.
[3] Agence Reuters. U.S. reports world’s first deer with COVID-19. 2021.
[4] Kuchipudi SV, Surendran-Nair M, Ruden RM, Yon M, Nissly RH, Nelli RK, et al. Multiple spillovers and onward transmission of SARS-Cov-2 in free-living and captive White-tailed deer (Odocoileus virginianus) [Internet]. Microbiology. 2021 nov [cité 3 nov 2021]. Disponible sur : http://biorxiv.org/lookup/doi/10.1101/2021.10.31.466677.
[5] Cool K, Gaudreault NN, Morozov I, Trujillo JD, Meekins DA, McDowell C, et al. Infection and transmission of ancestral SARS-CoV-2 and its alpha variant in pregnant white-tailed deer [Internet]. Microbiology. 2021 août [cité 2 sept 2021]. Disponible sur: http://biorxiv.org/lookup/doi/10.1101/2021.08.15.456341.
[6] Palermo PM, Orbegozo J, Watts DM, Morrill JC. SARS-CoV-2 Neutralizing Antibodies in White-Tailed Deer from Texas. Vector-Borne Zoonotic Dis [Internet]. 10 déc 2021 [cité 14 déc 2021]; Disponible sur : https://www.liebertpub.com/doi/full/10.1089/vbz.2021.0094.
[7] Hale VL, Dennis PM, McBride DS, Nolting JM, Madden C, Huey D, et al. SARS-CoV-2 infection in free-ranging white-tailed deer. Nature [Internet]. 23 déc 2021 [cité 30 déc 2021]; Disponible sur : https://www.nature.com/articles/s41586-021-04353-x.
[8] CDC Atlanta. Reducing the Risk of SARS-CoV-2 Spreading between People and Wildlife.
[9] ProMED-mail. Coronavirus Disease 2019 Update (413): Animal, Canada, Wild Deer [Internet]. ProMED. 2021 [cité 3 janv 2022]. Disponible sur : https://www.cbc.ca/news/science/covid-white-tailed-deer-quebec-1.6269947.