Les membres de l’Afas publient régulièrement des notes de lectures. Elles sont à retrouver ici.
Christophe Bonnal
(Belin, 2016, 240 p. 19,90 €)
"Les solutions d'une génération sont les problèmes de la génération suivante." Ce petit dicton a des applications dans tous les domaines ; c'est ainsi que l'abus des antibiotiques fait surgir des bactéries de plus en plus résistantes, la grande pêche toujours plus performante menace tout simplement de faire disparaître les baleines et les autres ressources halieutiques, la lutte contre la pauvreté et les progrès de la production entraînent l'apparition de pollutions et de montagnes de déchets... et la conquête spatiale qui nous rend tant de services de toutes sortes est menacée par nos mauvaises habitudes de laisser en orbite les derniers étages des lanceurs, les satellites en fin de vie et tous les équipements, panneaux solaires, enveloppes protectrices, etc. ayant joué leur rôle et rejetés.
Le plus étonnant est que la menace des météorites, et en particulier celle des innombrables micrométéorites, était redoutée des précurseurs, mais les premières années de la conquête spatiale montrent que cette menace avait été largement surestimée. Dès lors pourquoi se gêner ? L'espace n'est-il pas immense et vide ? Mais les déchets laissés en orbite sont très différents des météorites : ils ne font pas que passer, ils restent aux altitudes gênantes pendant des années voire des siècles et leur vitesse de plusieurs kilomètres par seconde les rend très dangereux. Mais il y a plus : les collisions mutuelles de débris les fragmentent et multiplient leur nombre. L'Agence spatiale européenne (ESA) estime ce nombre à plus de 5000 pour les débris métriques, 700 000 pour les débris centimétriques, des centaines de milliards pour les débris décimillimétriques, il devient impossible de les recenser tous, et si l'on peut encore éviter tel ou tel gros débris bien repéré, seul un blindage suffisant, et très lourd, peut protéger des petits débris. Le 12 février 2009, un satellite russe depuis longtemps abandonné heurte et détruit un satellite américain en service et le fragmente en plus de 700 débris...
Certes, il y a des nuances : sur les orbites basses, le freinage atmosphérique conduit à la chute en quelques années et le nettoyage est automatique, mais à partir de 800 km d'altitude, les durées de vie se comptent en siècles ou en millénaires ; il en résulte que les zones les plus dangereuses sont au voisinage de 1000 km d'altitude et aussi sur l'orbite géostationnaire... particulièrement encombrée.
Que faire ? Des précautions simples permettent d'éviter accidents et explosions : vidanger les réservoirs utilisés, prévoir la chute des satellites en fin de vie utile, etc. Mais il faudra sans doute en venir au nettoyage actif par des engins spécialisés capturant les plus gros débris et les désorbitant, comment cela ? En ce domaine, l'imagination des chercheurs est sans limite et le chapitre qui leur est consacré est du plus haut intérêt.
Jean-François Morot-Gaudry
(Quae, 2016, 160 p. 16 €)
Au fil du temps l’adjectif chimique est devenu péjoratif et les chimistes ont inventé le terme de chimie verte, voire blanche, pour se dédouaner de cette fâcheuse évolution. Parallèlement, la dépendance française vis-à-vis des produits carbonés fossiles naturels mais non renouvelables et surtout situés dans des zones à risque devient problématique. Le livre de Jean-François Morot-Gaudry présente les espoirs et les difficultés de l’évolution de l’industrie chimique vers d’autres sources d’approvisionnement en matières premières.
La France, riche de son agriculture, pourrait valoriser sa matière biologique végétale pour synthétiser un grand nombre de produits issus actuellement de la pétrochimie. Cela pose cependant de nombreux problèmes ; entre autres, la production en tonnage important (éthylène : plus d’un million de tonnes par an en France !) de produits biosourcés ne devrait pas accroître l’utilisation d’engrais car ceux-ci ne viennent pas de France, en particulier les phosphates et les engrais azotés, fabriqués à partir de méthane (voir filière de l’ammoniac). D’autre part, ce n’est pas la pétrochimie qui consomme le plus de pétrole, mais les carburants et le chauffage. Cela désole d’ailleurs les chimistes, qui regrettent toujours de voir cette précieuse matière première utilisée en combustible et non pas pour fabriquer des molécules utiles.
Cela dit, la France serait susceptible de produire 56 Mtep/an de biomasse, soit 1,4 fois notre consommation en produits pétroliers pour le transport. On en pressent alors l’intérêt. D’autre part, l’agriculture française est puissante et dispose de grandes entreprises internationales comme Roquette et Avril.
La photosynthèse produit des glucides dont la cellulose, des lignines, des lipides, des protéines mais aussi des centaines de milliers de molécules de toutes sortes. Ces composés organiques peuvent être transformés en synthons tels que l’acide acrylique ou même l’éthylène à partir d’éthanol et la plupart des molécules de base de l’industrie chimique. Il est donc concevable de voir construire des bioraffineries de la taille des raffineries de pétrole actuelles mais dont les matières premières seraient les bioressources. L’autre avantage serait qu’elles seraient construites en France et non sur les puits de pétrole comme actuellement. Cela dit, les outils industriels de cette taille ont une durée de vie largement au-dessus de 50 ans et les évolutions ne peuvent être que lentes compte tenu des investissements nécessaires.
Le livre de Jean-François Morot-Gaudry a le mérite de bien présenter les enjeux de cette nouvelle industrie chimique, sur le plan scientifique comme sur le plan économique. Il fait le point sur les espoirs mais aussi les difficultés sur les plans technique et industriel. J’en recommande la lecture à tous les chimistes et aux étudiants, qui seront forcément concernés dans l’avenir par cette évolution d’une grande industrie.
Eugenia Cheng
(Flammarion, 2016, 270 p. 19 €)
Comment cuire un 9 ? Que se cache-t-il derrière ce jeu de mots/chiffres subtil ? Le complément du titre, Et comprendre enfin les maths en 15 recettes de cuisine, a un côté inquiétant qui met le lecteur potentiel en haleine. On se précipite donc sur le premier chapitre intitulé "Qu’est-ce que les mathématiques ?". On y trouve un mélange de la recette des brownies au chocolat sans gluten et des phrases du genre : "Un nœud, en effet, peut alors se considérer comme un cercle plongé dans l’espace tridimensionnel". Ce mélange hétéroclite d’éléments simplistes et d’autres plus abstraits met l’eau à la bouche et on continue. Le deuxième chapitre commence par la recette de la sauce mayonnaise et, avec de nombreux exemples, montre ce qu’est l’abstraction. Avec un certain bagage mathématique, on commence à adhérer au mélange d’exemples triviaux et d’équations. On passe ensuite à la recette du pudding au chocolat, d’où l’on extrait, après moult méandres, la notion de principe, puis on rentre dans les processus avec la pâte feuilletée. La généralisation est abordée avec le cake aux prunes, une course en taxi et une notion de topologie, mélange de gâteau et de tores. Le pain perdu anglais permet de comprendre comment on peut avancer la recherche en mathématiques. L’axiomisation est ensuite présentée à partir de la recette des Pim’s, du gâteau au gingembre, et on rentre dans le dur avec quelques exemples qui mènent jusqu’à la notion de groupes. A partir de la crème anglaise, entre autres, on aborde la nature des mathématiques et c’est à ce stade un vrai plaisir de suivre les méandres de la pensée de notre mathématicienne primesautière.
Dans la seconde partie, l’auteur théorise davantage et on commence par les catégories, explicitées par l’utilisation des Legos. Le contexte utilise les lasagnes et nous promène dans les nombres complexes. Les relations démarrent au porridge, passent par le féminisme, le nombre d’Erdös et les arbres généalogiques, et nous font atteindre l’axiomatisation des catégories. A ce stade, il faut s’accrocher un peu pour suivre les associations d’idées parfois saugrenues, mais justes, dont l’auteur raffole. L’omelette norvégienne permet de digresser sur la notion de structures en s’aidant, entre autres, du gâteau de Battenberg. La similitude est invoquée à partir des cookies au chocolat et la fabrication de la crème. Les propriétés universelles sont explicitées par le crumble aux fruits, les aventures de Cendrillon, etc.
Le dernier chapitre intitulé "Ce qu’est la théorie des catégories" permet à l’auteur de philosopher sur les mathématiques. Je cite ces phrases qui m’ont bien plu : "Pourquoi pi est un nombre irrationnel ? Je ne connais aucune explication particulièrement convaincante de ce fait hormis ce vague sentiment que le cercle étant courbe et le diamètre droit, un rapport rationnel paraîtrait étrangement simple."
La lecture du livre d’Eugenia Cheng est un vrai plaisir intellectuel et recadre bien les mathématiques dans la réalité. A lire donc par tous ceux qui aiment la cuisine et les mathématiques, et tous les autres !
Sous la direction de Corine Defrance et Anne Kwaschik
(CNRS Ed., 2016, 156 p. 29 €)
Cet ouvrage est la suite du colloque "Science, internationalisation et guerre froide. Bilan et perspectives de recherche", organisé à l’université de Berlin en juin 2012 en partenariat avec le Comité d’histoire du CNRS.
Il s’agit d’une série de neuf textes coordonnés par deux historiennes, l’une du CNRS (C. Defrance) et l’autre de l’université de Berlin (A. Kwaschik). Tous les auteurs sont eux-mêmes historiens de différents horizons, aussi bien nationaux que thématiques.
Cette socio-histoire de la guerre froide et de son retentissement sur la gestion de la science se découpe en quatre parties :
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- La première traite de "Collaboration internationale et stratégies nationales". Elle commence d’emblée par l’impact du passé de la guerre (crimes nazis et comportement de certains savants allemands) sur la reprise difficile des collaborations scientifiques franco-allemandes. Puis il est question de la mise en place de nombreuses institutions scientifiques internationales au cours de l’affrontement bipolaire de la guerre froide.
- La deuxième sur "Institutions nationales et les pratiques scientifiques internationales" décrit les efforts de F. Braudel pour développer après 1945 des recherches collectives et interdisciplinaires en sciences sociales. L’objectif de ces études sur les aires culturelles (areas studies) vise une connaissance globale du monde et par contrecoup, le maintien de la paix. La renommée de F. Braudel permet de garantir l’autonomie de la France dans cette organisation qui englobe le Centre européen et la Fondation Rockefeller des Etats-Unis. Ces programmes amènent à la découverte de "l’American way of life" qui animera la vie intellectuelle et sociale française en 1950-60. Dans cette partie se trouve également un texte sur le CNRS, qui doit se positionner entre la recherche américaine, et son aide financière, et l’activité scientifique impressionnante des Russes (Spoutnik en 1957). Cependant, toutes les relations d’échanges avec l’URSS vont être stoppées après le printemps de Prague. Vont alors se mettre en place davantage de collaborations avec les Etats-Unis et l’OTAN pour traiter les défis de la société moderne.
- La troisième partie "La science entre les blocs : coopération ou rivalité ?" traite des enjeux scientifiques, à distinguer des enjeux politiques tout en tenant compte des méfiances existant de part et d’autre. Les échanges entre scientifiques contribuent plutôt à la circulation des savoirs qu’à une réelle internationalisation de la science. Dans cette partie est également présenté le cas particulier des manuels scolaires et de leurs révisions internationales. Se basant sur ceux de l’histoire, il est admis que l’analyse des différents points de vue européens et mondiaux sur un événement doivent être reconnus tout en conservant la légitimité de l’histoire nationale. Apparaît alors l’incompatibilité entre ce principe révisionnel de l’Ouest et l’historiographie de l’Est.
- En quatrième partie, "Construction d’une Europe de la science", est analysée la construction de l’Europe de la science et de sa politique de coopération. La guerre froide 1945-1989 se termine par la chute du mur. Pendant cette période, l’hégémonie économique des Etats-Unis prédomine en même temps que progresse l’émergence d’une communauté européenne. Le but stratégique de la Recherche en Europe est de répondre à des impératifs de croissance économique. Les Etats-Unis, hyperpuissance scientifique et technologique, coopèrent avec l’Europe et privilégient un challenge technologique. La relation franco-allemande devient un partenariat privilégié, surtout après 1980. Mais toujours dans un certain contexte d’antagonisme et de rivalité.
En conclusion, nous avons ici l’analyse de différents aspects de la construction européenne de la science. Cette construction, influencée directement par les Etats-Unis en réponse à la guerre froide, amène à des programmes de recherche de type finalisé débouchant sur une nouvelle technoscience. D’où des interrogations sur le danger d’un travail scientifique trop lié à l’industrie et au politique et sur le développement d’une innovation forcenée oblitérant l’accroissement des connaissances pour un meilleur mode d’existence humaine.
Au total, nous nous trouvons avec des analyses pertinentes et richement documentées sur cette histoire récente de l’évolution de la recherche. Les enjeux économiques et politiques certes particuliers de l’époque sont éclairants en ce qui concerne la compréhension de notre présente actualité.
Luc Ferry
(Plon, 2016, 216 p. 17,90 €)
Le livre de Luc Ferry n'est à proprement parler ni un livre scientifique ni un livre sur la science. La présente analyse a-t-elle donc sa place ici ? Je pense que oui car un tel livre oblige à s'interroger sur l'usage que nous faisons des avancées de la connaissance scientifique et des développements techniques qui en résultent.
Le titre est : La révolution transhumaniste. Le sous-titre : Comment la technomédecine et l'uberisation du monde vont bouleverser nos vies. Il s'agit d'un cri d'alarme. Luc Ferry veut attirer l'attention, d'abord la nôtre, citoyens ordinaires, ensuite et surtout celle de nos dirigeants sur ce qui est train de se passer. Il pousse ce cri d'alarme car il sait bien et il voit bien que, face à cette extraordinaire révolution, lourde de tous les dangers, nous sommes, et nos politiques sont, aveugles et sourds.
Quels dangers ?
Citons-en un, le plus central. Dans le cadre d'initiatives privées ayant pour postulat que l'intelligence artificielle va - et très bientôt - surpasser l'intelligence humaine, des milliards et des milliards de dollars sont dépensés chaque année afin d'inventer un homme transhumain ou posthumain aux capacités physiques et intellectuelles décuplées. Est-ce merveilleux ou est-ce l'horreur devenant réalité du poème de l'apprenti-sorcier ?
Comment savoir ? Comment faire pour savoir ? Comment savoir quoi penser et quoi faire ?
Ça va si vite, les nouveautés sont si nombreuses, leur attrait si fort, leur complexité pour celui qui veut comprendre si grande... qu'on en a la tête qui tourne, qu'on ne voit guère comment réagir.
Luc Ferry dénonce ceux qu'il nomme "solutionnistes" car ils sont convaincus qu'aux problèmes que la science et la technique créent, la science et la technique trouveront toujours une solution.
Il dénonce les trop pessimistes, qu'il assimile aux réactionnaires, et il dénonce les trop optimistes, qui ne cherchent pas à savoir.
Il plaide pour une prise de conscience aussi générale que possible, pour une réflexion aussi courageuse et objective que possible, et enfin pour la mise en place d'une régulation internationale.
En bon héritier de la "juste mesure" qui nous vient de la philosophie grecque, il fonde beaucoup d'espoir en elle et souhaite manifestement qu'elle inspire nos politiques.
Mais ne pèche-t-il pas là lui-même par optimisme ? Car qui définira une telle régulation ? Car qui la mettra en œuvre ? Car qui contrôlera sa mise en œuvre ?
On quitte ici le domaine de la critique pour celui de la polémique, sinon celui de la croyance. Mais comment en serait-il autrement ? Le sujet est grave. On peut souhaiter une chose : que tous lisent ce livre, ou d'autres ouvrages traitant de la question, et que chacun se fasse son opinion. Car c'est de l'homme qu'il s'agit, rien de moins, de l'idée que nous autres humains nous nous faisons de ce que nous sommes...
Anne-France Dhauteville
(Buchet-Chastel, 2016, 144 p. 15 €)
Pour celles et ceux qui aiment cultiver leur jardin ou qui sont simplement amoureux de la nature et des plantes, ce livre est une petite merveille. Comme l’écrit Jean-Marie Pelt dans la préface, on peut y butiner au gré de ses humeurs et de sa fantaisie.
Rempli d’anecdotes amusantes et légendes, très joliment illustré et ponctué de remarques ancestrales dans des encarts « Ma grand-mère disait », ce petit recueil est une mine d’informations sur le monde végétal.
J’ose faire une suggestion : l’offrir en lieu et place d’un bouquet de fleurs avant un bon dîner chez des amis sensibles à l’intelligence subtile et étonnante de la nature. On aura toute chance de leur faire plaisir.
Coralie Taquet et Marc Taquet
(Ed. Quae, 2016, 148 p. 20 €)
Si vous gardez quelque nostalgie d'un séjour à la mer, ce petit livre consacré aux étoiles de mer et à leurs cousins vous fera découvrir la complexité et la variété des diverses espèces d'échinodermes, qui se répartissent en cinq classes très différentes d'aspect : les astérides ou étoiles de mer, les ophiures, les échinides ou oursins de mer, les crinoïdes ou lys de mer et les holothuries ou concombres de mer.
L'ouvrage est illustré de superbes photographies et organisé autour de 80 questions auxquelles les auteurs, Coralie Taquet, docteure en génétique des populations marines et ingénieure agronome, et Marc Taquet, docteur en océanologie biologique et environnement marin, répondent avec clarté et tout le sérieux de deux scientifiques soucieux de la transmission des savoirs.
Ce volume vient enrichir la collection "Clés pour comprendre" des éditions Quae, qui, dans des domaines très divers, fait découvrir et mieux comprendre la complexité de la nature. Aussi instructif que le précédent volume (Quel est le meilleur chocolat ?, Michel Barel, 2015) que nous avions déjà recommandé dans notre rubrique, cet ouvrage grand public ravira tous ceux qui veulent s'instruire en s'amusant.
Daniel Bernard, Jean-Charles Boutonnet, Patrick Flammarion, Philippe Garrigues, Catherine Gourlay-Francé, Philippe Hubert, Pascal Juery, Jean-François Loret, Christophe Lusson, Marc Mortureux, Isabelle Rico Lattes, Éric Thybaud et Jacques Varet
(EDP Sciences, 2016, 230 p. 25 €)
Beaucoup d’auteurs ont contribué à cet ouvrage de la collection "Chimie et…". Ce 13e ouvrage est consacré à l’expertise en matière de sécurité sanitaire et environnementale. Il complète celui paru en 2015 sur Chimie et expertise. Sécurité des biens et des personnes (cf. l’analyse en ligne sur ce site).
La Maison de la chimie propose, à l’aide de cette collection, des ouvrages issus de colloques ayant lieu depuis 2007. Les informations fournies par ces livres sont accessibles également depuis 2012 sur le site www.mediachimie.org. Saluons cet effort de diffusion des connaissances à travers ces ouvrages et le site Internet.
Le dernier ouvrage est présenté en deux parties :
La partie 1 traite du règlement européen REACH (enregistrement, évaluation et autorisation des substances chimiques), règlement entré en vigueur le 1er janvier 2007. Les six chapitres de cette première partie apportent des témoignages d’entreprises après un chapitre introductif donnant un cadrage sur le risque et sur les grands concepts de sécurité sanitaire.
La partie 2, plus technique, traite des problèmes très actuels, tels les effets chroniques des faibles doses des substances chimiques, l’évaluation et la gestion des risques liés aux nanomatériaux, la question des gaz de schiste… J’ai été assez surprise de l’évolution du cadre de recherche concernant les nanomatériaux, pour exemple la création de mésocosmes : on trouve ainsi une représentation des installations du Center for Environnemental Implication of Technologies (CEINT) en Caroline du Nord (Duke University), installations permettant de suivre la dissémination des nanoproduits de notre environnement.
La conclusion pose et discute la question des défis actuels de la chimie, en reprenant les échanges du débat animé par Bernard Bigot.
Il faut souligner dans cet ouvrage la contribution de spécialistes français qui rend plus accessible la compréhension des enjeux actuels de la chimie.
Roger Lenglet et Chantal Perrin
(Actes Sud, 2016, 160 p. 19,80 €)
La maladie de Lyme est en progression constante dans de nombreux pays, principalement pour des raisons écologiques (réchauffement climatique, augmentation du nombre de réservoirs d'animaux sauvages, etc.). En France, cette maladie a été longtemps sous-estimée ou mal diagnostiquée. Il faut souligner que le diagnostic de cette affection est souvent difficile à confirmer tant les aspects cliniques peuvent être variés et l’interprétation d’un résultat de laboratoire parfois difficile à interpréter. Ces difficultés se traduisent souvent par des discussions passionnées entre les scientifiques, les médecins du terrain et/ou les malades dans les congrès sur ce sujet. Deux journalistes, qui ont enquêté sur cette maladie dans différents pays, témoignent de toutes ces difficultés sous le titre L’affaire de la maladie de Lyme. Une enquête.
Dans ce petit livre, les auteurs présentent dans un premier chapitre la maladie de Lyme et l’errance de plusieurs malades diagnostiqués trop tardivement. Le second chapitre rappelle aussi les aspects épidémiologiques et cliniques de cette affection dans le monde entier, en particulier la recrudescence actuelle signalée dans plusieurs pays et la possibilité de co-infections. Puis, dans un troisième chapitre intitulé « Les autorités restent sourdes », les auteurs signalent le retard des autorités françaises par comparaison avec d’autres pays pour la prise en compte de ce problème de santé publique. Ils rapportent en particulier les difficultés du laboratoire Schaller de Strasbourg, fermé en mai 2012 pour avoir détecté trop de malades de Lyme en utilisant un test d’origine allemande.
Le chapitre suivant, intitulé « Médecins et malades se rebiffent », est tout à fait d’actualité en ce mois de juillet 2016 où l’on a pu noter une pétition d’une centaine de médecins français[1]. Ceci a tout d’abord été le cas aux Etats-Unis à partir des années quatre-vingt-dix, puis plus tard en Europe. Dès 1999 un groupe de médecins et de chercheurs fondaient l’ILADS (International Lyme and Associated Diseases Society) pour faire face à l’IDSA (Infectious Diseases Society of America), en particulier pour faire reconnaître la forme chronique de la maladie de Lyme. Il y a eu une conférence de consensus en France en 2006 mais la maladie de Lyme était classée deux ans plus tard dans les maladies rares du site www.orphanet.fr. Les associations de malades se sont aussi révélées très efficaces dans le monde entier du fait des possibilités offertes par les médias et Internet. En France, rappelons le documentaire réalisé en 2014 pour France 5 par Chantal Perrin (La maladie de Lyme, quand les tiques attaquent) et qui a fait l’objet de plusieurs rediffusions. On peut aussi se poser la question des autres modes de transmission de la maladie de Lyme : transmission in utero, par l’allaitement, par transfusion sanguine, par le sperme ou les sécrétions vaginales ou encore par d’autres vecteurs (aoûtats, taons, moustiques, punaises).
Enfin, le dernier chapitre présente les solutions permettant de prévenir individuellement et collectivement cette redoutable maladie : comment éviter la morsure (vêtements clairs et couvrants, affiches, répulsifs, inspection, poules dans les jardins à tiques, etc.) ou enlever la tique (tire-tiques), comment reconnaître cliniquement et traiter la maladie de Lyme (traitement précoce) ?
En conclusion, l’enquête de ces auteurs est très bien menée, en présentant et expliquant les aspects complexes de la maladie de Lyme. Il est certain que ce document aidera le lecteur à mieux comprendre les multiples visages de cette maladie.
Enfin, signalons que l’Académie nationale de médecine a pris conscience de ce problème puisque la séance programmée pour le 20 septembre 2016 est dédiée à la maladie de Lyme.
Aurélien Barrau
(Dunod, 2016, 96 p. 11,90 €)
"De la vérité dans les sciences", quel vaste et passionnant sujet ! On pourrait l'exprimer sous la forme d'une question, "La vérité existe-t-elle ?".
Et on pense à Louis Pasteur qui disait de la notion d'infini qu'elle était aussi incompréhensible qu'indispensable. Ne peut-on pas dire la même chose de la notion de vérité ?
D'ailleurs, en introduction, l'auteur, l'astrophysicien Aurélien Barrau, prévient : "Ce petit livre donne peu de réponses, il pose également peu de questions. Il entend seulement plonger le lecteur dans un certain "inconfort" propice à la réflexion". Cet avertissement a valeur de résumé.
On ne se méfie jamais assez des certitudes. Ni du confort que les certitudes procurent.
Aurélien Barrau plaide, milite même, pour une certaine forme de relativisme, pour un relativisme éclairé pourrait-on dire. Il n'y a pas de science sans conviction, pas de science sans la conviction que certaines hypothèses sont plus vraies que d'autres. Toutes les hypothèses, toutes les opinions ne se valent pas, bien sûr ! Car si tout se vaut, rien ne vaut. Pour autant il n'y a pas non plus de science, et c'est là l'essentiel, sans le doute, sans la remise en question de ce qui pourtant semble vrai, de ce qui pourtant a toujours semblé vrai. D'où cet appel, d'où cet engagement même, pour une certaine forme et un certain degré de relativisme.
Astrophysicien s'interrogeant sur ce qu'il y avait avant le Big Bang (Big Bang et au-delà, Aurélien Barrau, Dunod), il mentionne qu'il est désormais convenu de s'interroger sur l'univers : est-il unique ou multiple ? est-il univers où "multivers" ? un au milieu d'une infinité d'autres ?
Philosophe, il s'interroge, à la suite du philosophe analytique américain Nelson Goodman, sur les différentes manières de faire des mondes, irréductibles les uns aux autres, au gré des différentes activités créatrices humaines, monde de la physique quantique, monde de la musique, monde des contes de fées, monde de la poésie, et bien d'autres. Univers multiples, mondes multiples, ces exemples montrent le degré d'inconfort, d'"intranquillité" auquel il convie son lecteur.
"Penser en scientifique, écrit-il, c'est d'abord accepter de se laisser surprendre, c'est vouloir penser au-delà de nos fantasmes et de nos croyances".
Et sur la vérité : "Cherchons la Vérité. Naturellement ! Qui pourrait s'y opposer ? Mais est-il un concept plus équivoque que celui de vérité ?". "Soyons sérieux avec la vérité : rien ne serait pire que de l'appeler, à la manière d'une prière, sans comprendre les difficultés et les subtilités qui lui sont associées." Et aussi : "[La vérité] encadre, elle limite. Elle fixe la ligne de démarcation entre le possible et l'interdit non négociable [...] Pourtant, et c'est là tout le paradoxe, elle constitue elle-même une part de la construction. Elle est à la fois frontière de l'édifice et partie de celui-ci". "Plus qu'un devoir, la vérité est une méthode. La contrainte de vérité n'est pas optionnelle".
La vérité dans la Grèce archaïque, rappelle-t-il, n'était pas opposée au mensonge mais à l'oubli. Il y a là une observation essentielle. Car lorsque la vérité est croyance, que la réfuter est donc impossible, il reste le danger de la négligence et de la tiédeur à son égard.
Le propos d'Aurélien Barrau va, comme on le voit, bien au-delà de la science. Il y est question à plusieurs reprises de la violence, violence de la vérité érigée en source de diktats, violence de la radicalité soit d'un scientisme naïf soit d'un obscurantisme nocif. Violence de l'exclusion lorsqu'on tente d'établir une frontière entre science et non-science. Toutes les guerres n'ont-elles pas été menées, ne sont-elles pas toutes menées, au nom de l'idée que chaque camp se fait de la vérité ?
En guise de conclusion, pour mettre une note finale à l'inconfort du lecteur, et lui donner envie d'en savoir plus en lisant ce livre passionnant, cette définition, citée par Aurélien Barrau, de la vérité par Nietzsche : "La vérité est une sorte d'erreur, faute de laquelle une certaine espèce d'êtres vivants ne pourraient vivre".