Les membres de l’Afas publient régulièrement des articles. Ils sont à retrouver ici :
Tout le monde a entendu parler des rayons X, découverts en 1895 en Allemagne, mais peu de gens connaissent les rayons N, découverts huit ans plus tard à Nancy. En mars 1903, René Blondlot, professeur à l’université de Nancy, annonce la découverte d’« une nouvelle espèce de lumière », qu’il baptise « Rayons N » (N pour Nancy). Un nouveau coup de tonnerre dans le monde de la physique, qui n’en manque pas en ce début du XXe siècle.

Blondlot et ses collègues enchaînent aussitôt les expériences dans leur laboratoire de Nancy, et publient à un rythme effréné. A Paris, André Broca et le jeune Jean Becquerel vont se joindre à l’aventure. Le profil de ces nouveaux rayons se précise rapidement. A la différence des rayons X, ils n’ont aucune action photographique. Ils augmentent l’éclat d’une source lumineuse et c’est ainsi qu’ils sont détectés. Ils peuvent être réfractés, réfléchis, diffusés, polarisés. Ils traversent toutes les substances sauf le plomb, le platine, et l’eau pure. Ils peuvent être stockés dans le cristal de roche, se propager le long de fils métalliques, et même aiguiser nos sens : la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût. Par leur longueur d’onde, ils se situent entre les rayons X et l’ultraviolet. Les sources d’émission sont extrêmement variées : lumière, sons, matériaux mis sous pression : bois, fer, caoutchouc, verre. Une canne de bois de jonc pliée, une lame d’acier trempé datant de l’époque mérovingienne émettent des rayons N. Augustin Charpentier, physiologiste à Nancy, découvre que les organismes vivants sont également sources de rayons N : les végétaux (sauf le bois vert), les animaux (grenouille, lapin) ; chez l’être humain : les nerfs, les muscles et le cerveau lorsqu’ils sont en action. Ce nouveau développement fait le miel des adeptes du spiritisme, qui en revendiquent d’ailleurs la priorité. Des expériences spectaculaires sont décrites dans les journaux de grande diffusion comme Le Petit Journal qui tire à deux millions d’exemplaires : On place une plaque phosphorescente (du sulfure de calcium) près du cerveau d’une personne. Lorsque celle-ci parle, son cerveau s’active, et la plaque s’illumine. De même, on peut suivre le tracé des nerfs sous la peau, ou le contour du cœur. On compte sept publications de Charpentier pendant le seul mois de mai 1904. A la fin de l’année, Blondlot reçoit le prix Leconte de 50 000 frs de l’Académie des Sciences, (soit cinq fois son salaire annuel). Il a été préféré à Pierre Curie. Un triomphe pour Blondlot, qui peut espérer le Nobel ?

En fait, c’est son chant du cygne. Car les rayons N n’existent pas. Nous sommes en présence d’une erreur scientifique d’une envergure exceptionnelle. 250 articles ont été écrits par plus de 100 chercheurs à propos d’un phénomène purement imaginaire. Comment en est-on arrivé là ?
Rayons de la suggestion
Pendant que Blondlot, Charpentier et leurs amis volent de découvertes en découvertes, une petite musique vient de l’étranger qui devient peu à peu un grondement. En Allemagne, en Italie, en Angleterre (Cambridge), au Canada (McGill), on ne parvient pas à reproduire les expériences de Nancy. Celles-ci reposent sur l’observation à l’œil nu d’une faible variation de luminosité, une opération éminemment subjective. Blondlot affirme qu’il faut « éduquer » son œil. Une rumeur malicieuse circule dans les laboratoires européens : les rayons N ne sont visibles que par des Français ! Un physiologiste belge propose de les nommer « rayons de la suggestion », en référence à l’Ecole de Nancy fameuse pour l’étude de l’hypnose par suggestion.

En septembre 1904, le physicien américain Robert Wood est désigné par ses pairs pour trancher le débat. Il se rend à Nancy. On lui fait une démonstration, mais il ne voit pas les effets qu’on lui annonce. Lors d’une deuxième expérience, il subtilise discrètement un prisme d’aluminium, bloquant ainsi la production supposée des fameux rayons à l’insu des expérimentateurs, lesquels disent toujours voir les effets des rayons N ! Le rapport de Wood publié dans la revue Nature est accablant : il est convaincu que le phénomène observé est imaginaire. Il propose une expérience concrète qui permettrait de lever tous les doutes.
Une revue de vulgarisation scientifique française, La Revue Scientifique, lance alors une enquête auprès d’une cinquantaine de physiciens et physiologistes français. Une seule question « Les rayons N existent-ils ? » Un tiers des consultés n’ont pas d’opinion ou ne veulent pas l’exprimer. La majorité des autres conteste l’expérience de Blondlot et revendique une nouvelle expérience, qui soit objective, reproductible et décisive. Plusieurs donnent des exemples concrets. C’est le cas de J. Perrin, de P. Curie et même de la Revue Scientifique. Les ténors de l’Académie des Sciences affichent leur croyance aux rayons N, parce qu’ils font entière confiance à Blondlot ; c’est le cas de Berthelot, d’Arsonval, Poincaré, et d’Henri Becquerel, ce dernier supportant en plus son fils Jean. A noter que personne n’a réussi à reproduire l’expérience de Blondlot, en dehors du groupe de Nancy, ce qui déclenche l’ironie d’un physicien de Lyon : « Seule, ou peu s’en faut, la phalange des six expérimentateurs de Nancy possède une sensibilité rétinienne assez grande ». Selon le psychologue Henri Piéron, cette enquête a eu des effets positifs. Se sentant moins isolé, les sceptiques qui étaient discrets se sont enhardis « et il y eut une contagion du doute ».
Blondlot refuse d’entreprendre les nouvelles expériences qu’on lui propose. Il perd peu à peu ses derniers soutiens. En 1905, L’Académie, ne sachant sur quel pied danser, refuse un article de Blondlot, ainsi qu’un article de Turpain démontrant le rôle de la suggestion. L’affaire s’éteint d’elle-même par le silence des protagonistes. « Aucun d’eux n’eut le courage ou la liberté d’esprit nécessaire pour dire franchement s’être trompé» écrit H. Piéron en 1907. A noter que J .Becquerel fera en 1934 un retour sur cette période et reconnaîtra ses erreurs de jeunesse.
Blondlot préserve tout son prestige à Nancy : En 1908, l’Université le présente comme « un des maîtres, qui, à tous égards, nous fait le plus honneur ». Il prend sa retraite anticipée en 1910 et ne cessera de croire aux rayons N jusqu’à sa mort en 1930. Célibataire, il lègue sa fortune à la Ville de Nancy et son Université.
Illusion collective
L'affaire a fait l’objet d’innombrables études. Dès 1907, Piéron analyse cette « illusion collective ». Jean Rostand résume le sentiment général : « Ce qui est extraordinaire dans cette affaire c’est le nombre et la qualité des égarés ». Le nœud de l’affaire est le manque d’objectivité de l’expérience, ouvrant la porte à l’autosuggestion. Celle-ci porte à voir le résultat recherché, plus que la réalité. Ainsi Paul Langevin raconte son voyage à Nancy: « On m’annonçait avec soin ce que je devais voir. Avec une certaine disposition d’esprit, on peut arriver à voir n’importe quoi ».
Il y avait de bonnes raisons pour croire aux rayons N.
En 1903, Blondlot est un physicien vénéré, dont les travaux sur les ondes électromagnétiques inspirent le respect, et lui ont valu deux prix de l’Académie. Nombre de chercheurs consultés par la Revue Scientifique expriment une confiance quasiment aveugle en l’homme. « Je considère une erreur de sa part comme absolument invraisemblable » écrit l’un d’eux.
Un sentiment de fierté nationale a probablement aussi joué un rôle, spécialement en cette « université de la frontière » de Nancy, toute proche de l’Alsace Moselle, annexée par l’Allemagne en 1871. Une Allemagne qui vient de découvrir les ondes radio (1888, Hertz), les ultraviolets cosmiques (1893, Schumann), et les rayons X (1898, Röntgen). La France voulait aussi ses rayons !
Les études sont unanimes : il n’y a pas eu de fraude délibérée de quiconque. C’est bien le phénomène d’auto suggestion qui semble avoir joué, de manière collective, avec une ampleur que l’on ne pensait pas possible. C’est une des grandes leçons de cette histoire. Elle a conduit à la pratique renforcée des mesures à l’aveugle, dans lesquelles l’expérimentateur ne connaît pas le résultat attendu.
Cet épisode nous rappelle aussi que la science est humaine, et donc sujette à erreur. Et c’est pourquoi la validation continue de la communauté des chercheurs est impérative et doit rester au cœur de la démarche scientifique. La science est une aventure collective.
Pierre Potier
Bibliographie :
1. Blondlot : Rayons N Recueil des communications faites à l’Académie des Sciences (1904)
2. Le Montpellier médical août 1904
3. Le Petit journal 31 déc. 1904
4. Revue Scientifique n° 17 à 24 1904
5. Henri Piéron Grandeur et décadence des rayons N 1907
6. Mary Jo Nye N rays An episode of the History and Psychology of Science, 1980
7. Vincent Borella : Blondlot et les rayons N - Genèse et postérité d’une erreur scientifique 2006
Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
Le 14 août 2024, l’Organisation mondiale de la santé a qualifiée d’« urgence de santé publique de portée internationale » l'épidémie de Mpox (anciennement dénommée variole du singe) alors en cours sur le sol africain. Il s’agissait du clade 1b de l’Orthopoxvirus Monkeypox (MPXV), plus virulent que le clade II (taux de létalité respectifs de 10% vs 1%) qui a émergé en mai 2022 en Europe avec la diffusion sur tous les continents d’un variant (clade IIb), justifiant une alerte de l’Académie nationale de médecine en France [1].
Ces virus reconnaissent une origine zoonotique dans les forêts d’Afrique mais la nature des réservoirs animaux de ce virus ne sont pas connus avec certitude, même si différentes espèces de petits mammifères, et tout particulièrement de sciuridés (écureuils) sont suspectés de permettre la transmission à l’Homme [2] [3]. Mais aucun lien épidémiologique avec une infection humaine n’avait été confirmé en Afrique. Curieusement le risque zoonotique a été confirmé aux États-Unis en 2003 où 72 personnes ont été contaminées par des sciuridés autochtones (Cynomys ludovicianus ou chiens de prairie), ces derniers ayant été contaminés dans une animalerie par des cricétomes ou rats de Gambie (Cricetomys gambianus) importés du Ghana et destinés à être vendus comme animaux de compagnie non traditionnels (ACNT) [4]. Cette zoonose importée explique l’interdiction actuelle d’importation de rongeurs africains dans de nombreux pays.
Pour la première fois une équipe internationale de scientifiques suggère que le réservoir africain du Mpox pourrait être l’écureuil à pattes de feu (Funisciurus pyrropus), un rongeur forestier que l'on trouve en Afrique de l'Ouest et en Afrique centrale [5] [6]. Cette équipe, dirigée par Fabian Leendertz (cf encart), a observé en Côte d’Ivoire une épidémie de Mpox ayant touché le tiers d’un groupe de 80 singes Mangabey fuligineux sauvages (Cercocebus atys) de janvier à avril 2023 (avec 4 décès). Présents au moment de l’épidémie, les scientifiques ont pu disposer des échantillons réalisés dans le cadre de leurs travaux sur la surveillance des singes africains depuis 2001 [7] et isoler le virus. Rétrospectivement, l’étude des tissus et des écouvillons prélevés sur des animaux morts trouvés dans la région ont permis d’identifier un virus de génome identique dans un échantillon fécal datant de décembre 2022 d’une femelle mangabey dénommée Bako, mère du premier décès de Mpox ayant attiré l'attention des chercheurs, qui n’avait pas développé de symptômes. L’origine d’une contamination par la consommation d’un écureuil à pattes de feu fut alors suspectée du fait des enregistrements vidéos démontrant que ce rongeur était chassé et ingéré par les mangabeys dont Bako mais aussi par la découverte du virus dans un cadavre de ce rongeur un mois avant le premier échantillon fécal positif de Bako.
La publication [6], actuellement en cours de relecture dans la revue Nature, est la première preuve d’une transmission du MPXV entre deux espèces mais il reste à démontrer si l’écureuil est un réservoir sauvage asymptomatique ou une espèce sensible pouvant contracter ce virus et le transmettre.
Cette étude est particulièrement importante pour la santé publique car les écureuils et les primates non humains sont chassés, commercialisés et consommés par l’Homme en Afrique (viande de brousse). Leendertz et al auront maintenant pour but d’identifier si d’autres réservoirs animaux du MPXV existent dans la faune sauvage africaine, notamment les écureuils) pour rompre le cercle vicieux d’une exposition humaine (par contact et ingestion) à l’origine des épidémies actuelles dont l’importance est liée à l'arrêt de la vaccination contre la variole en 1980 et à leur extension dans d’autres pays liée à des contaminations interhumaines chez les Hommes ayant des relations Sexuelles avec des Hommes (HSH) et ayant des partenaires multiples [1].
Fabian Leendertz, responsable de ces travaux et directeur fondateur de l'Institut Helmholtz est un vétérinaire allemand. Il est membre de l’Académie nationale de médecine et de l’Académie vétérinaire de France. Il avait participé à la séance biacadémique organisée par Jeanne Brugère-Picoux et Jean Luc Angot [8] sur le sujet de la surveillance des grands singes africains dans le cadre de la pandémie de COVID-19 [9].
Bibliographie
[1] Académie nationale de médecine. Variole du singe : zoonose et infection sexuellement transmissible (IST) [Internet]. Comm; 2022. Disponible ici
[2] Curaudeau M, Besombes C, Nakouné E, Fontanet A, Gessain A, Hassanin A. Identifying the Most Probable Mammal Reservoir Hosts for Monkeypox Virus Based on Ecological Niche Comparisons. Viruses. 11 mars 2023;15(3):727
[3] Reynolds MG, Carroll DS, Olson VA et al C. A Silent Enzootic of an Orthopoxvirus in Ghana, West Africa: Evidence for Multi-Species Involvement in the Absence of Widespread Human Disease. Am J Trop Med Hyg. 1 avr 2010;82(4):746‑54
[4] Ligon BL. Monkeypox: A review of the history and emergence in the Western hemisphere. Semin Pediatr Infect Dis. oct 2004;15(4):280‑7
[5] Qiu J. An animal source of mpox emerges — and it’s a squirrel. Nature. 17 avr 2025;640(8059):575‑6
[6] Leendertz F, Riutord-Fe C, Schlotterbeck J, Lagostina L, Kouadio L, Herridge H, et al. Fire-footed rope squirrels (Funisciurus pyrropus) are a reservoir host of monkeypox virus (Orthopoxvirus monkeypox) [Internet]. 2025 [cité 15 avr 2025]. Disponible ici
[7] Gogarten JF, Düx A, Gräßle T, Lumbu CP, Markert S, Patrono LV, et al. An ounce of prevention is better: Monitoring wildlife health as a tool for pandemic prevention. EMBO Rep. 7 juin 2024;25(7):2819‑31
[8] Brugère-Picoux J, Angot JL. Covid-19 et «une seule santé» : aspects médicaux, vétérinaires et environnementaux. Séance Bi-académique de l’Académie nationale de Médecine et de l’Académie Vétérinaire de France. 3 décembre 2020. Bull Académie Vét Fr [Internet]. 2021 [cité 16 avr 2025];174. Disponible ici
[9] Gillespie TR, Leendertz FH. COVID-19: protect great apes during human pandemics. Nature. 26 mars 2020;579(7800):497‑497

La production d’ammoniac NH3 est une des plus importantes synthèses de la chimie industrielle. On en produit en France moins de 700 000 tonnes alors que la production mondiale est de plus de 180 millions de tonnes. L’ammoniac est majoritairement utilisé pour fabriquer les engrais azotés : urée, nitrate d’ammonium ainsi que les explosifs civils et militaires par l’intermédiaire de l’acide nitrique mais aussi une foule d’applications : acrylonitrile, fluide réfrigérant, etc. En France, quatre usines le produisent. Elles sont situées près de Rouen, Le Havre, au sud de l’Alsace et en Seine et Marne. Cette dernière, située à Grandpuits vient d’ailleurs de cesser sa production. Toutes appartiennent à des groupes étrangers : norvégien et tchèque. L’hydrogène nécessaire à la production d’ammoniac provient majoritairement en France du gaz naturel et ces usines sont pénalisées par le coût du méthane qui fluctue en fonction de la situation internationale.
Au XIXème siècle les engrais azotés et l’acide nitrique étaient obtenus à partir du guano et du caliche d’Amérique du Sud. À la fin de ce siècle, les ressources étant susceptibles de se tarir ou l’approvisionnement d’être perturbé, il a fallu tenter d’obtenir l’ammoniac d’une autre manière. Les chimistes ont commencé à travailler sur la synthèse de l’ammoniac à partir de l’azote de l’air et de l’hydrogène. Malheureusement le diazote est une molécule où les deux atomes sont liés par une triple liaison et sa réactivité est très faible. C’est seulement en 1909 que le chimiste allemand, Fritz Haber, va réaliser la synthèse. La réaction est une réaction équilibrée et exothermique. Elle est donc favorisée par les hautes pressions et la basse température. Cette basse température est antinomique avec la cinétique de la réaction qui demande une température élevée, ce qui implique un catalyseur. De plus le faible rendement impose un important recyclage des gaz.
En 1919, Carl Bosch de la BASF met au point la synthèse industrielle. Elle est techniquement très complexe car elle nécessite une pression de plusieurs centaines de bars et plusieurs centaines de degrés. De plus, à ces températures et pressions, l’hydrogène et l’azote fragilisent le métal (d’où l’explosion du réacteur d’ammoniac à Mazingarbe le 1er mars 1972). Le premier réacteur industriel a d’ailleurs été réalisé par le fabricant de canons Krupp. Les difficultés techniques vont en partie être résolues et en 1918, 100 000 tonnes d’azote étaient consommées par le procédé Haber Bosch. Ceci a permis aux allemands de surmonter le blocus sur les minerais d’Amérique du Sud et de fabriquer les explosifs pendant la première guerre mondiale. Après la guerre, l’ammoniac allemand a permis de produire de grosses quantités d’engrais azotés. C’est pour cela que le 21 septembre 1921 (exactement 80 ans avant l'explosion, due à des nitrates d’ammonium, à l’usine AZF de Toulouse) un important stockage d’engrais contenant du nitrate d’ammonium a explosé détruisant la ville d’Oppau. Actuellement diverses sociétés produisent des réacteurs pour la synthèse de l’ammoniac. On peut citer les noms de Casale, Haldor Topsoe, Kellog, Brown and Root, etc. Ce sont des merveilles de technologie, beaux exemples d’application de la science du génie des procédés et de la métallurgie.
La production d’ammoniac étant vitale pour les engrais azotés et étant à l’origine d’une forte pollution, elle fait l’objet de nombreuses recherches que l’on peut classer en trois points :
Le premier consiste à séquestrer le CO2 produit ou à utiliser de l’hydrogène plus vert en remplaçant sa production à partir du charbon ou des hydrocarbures par de l’hydrogène provenant de l’électrolyse de l’eau voire l’hydrogène naturel.
Le deuxième point consiste en l’amélioration du catalyseur pour réaliser la synthèse dans des conditions plus douces en pression et en température. Les premiers catalyseurs étaient à base de fer. Diverses recherches montrent l’efficacité du ruthénium et plus récemment de complexes du lutécium.
Le troisième point correspond à divers essais susceptibles d’applications à très long terme du type : utilisation de plasma pour affaiblir la triple liaison azote-azote ou tenter d’imiter les plantes dont certaines comme les légumineuses sont capables d’absorber l’azote de l’air.
On constate que la synthèse de l’ammoniac réalisée depuis plus de cent ans fait toujours l’objet d’importantes recherches susceptibles de résoudre tous les problèmes économiques et environnementaux que sa production implique.
Alain Delacroix
Professeur honoraire, chaire "Chimie industrielle - Génie des procédés" du Conservatoire national des arts et métiers

Une proposition saugrenue et inquiétante du ministre de la santé américain Robert Kennedy Jr pour lutter contre la « grippe aviaire » aux États-Unis : laisser le virus se propager pour sélectionner des volailles immunisées.
Une telle proposition témoigne d’une méconnaissance totale de la panzootie de peste aviaire qui sévit actuellement aux États-Unis. Elle est due à un virus influenza A hautement pathogène (IAHP) qui provoque une septicémie rapidement mortelle pouvant atteindre l’ensemble du troupeau. Avec un taux de mortalité proche de 100% avec ces virus IAHP, il est utopique de vouloir garder les rares volailles survivantes pour sélectionner des sujets immunisés dans un système d’élevage avicole qui pratique le « tout dedans-tout dehors ».
Au contraire c’est favoriser l’extension de la maladie dans le pays. Ce virus ne connaît pas les frontières car il touche aussi les oiseaux sauvages qui favorisent sa propagation. L’arrêt des mesures sanitaires limitant la contamination des élevages aviaires serait une véritable catastrophe pour les éleveurs : pertes économiques par l’augmentation des élevages atteints et la mortalité animale, perte d’une sélection génétique dans certains élevages de reproducteurs (dont les lignées de grand-parentaux). Au niveau international, les produits avicoles ne pourraient plus être exportés.
Économiquement, les consommateurs seront également concernés. Actuellement les produits avicoles ont augmenté sur le marché américain notamment les œufs (d’où la nécessité d’en importer). Ce déficit s’accentuera obligatoirement pour les œufs comme pour la viande.
Même si actuellement il n’y a pas de risque de pandémie lié à un virus de la peste aviaire car il n’y a jamais eu de contamination interhumaine, il n’est pas souhaitable de favoriser la multiplication d’un virus qui peut muter et favoriser ainsi l’apparition de nouveaux variants.
Il faut espérer que la proposition désastreuse du ministre Robert Kennedy Jr ne sera pas appliquée.
Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
Texte publié le 27/03/25
Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
Depuis le premier bornavirus identifié (Mammalian 1 orthobornavirus ou BoDV-1), responsable depuis le XVIIe siècle de la maladie de Borna chez les chevaux et les moutons, dont la présence a été signalée pour la première fois en 2000 chez des chevaux français [1], d’autres bornavirus ont été décrits chez des oiseaux puis chez des écureuils exotiques non autorisés en France (variegated squirrel bornavirus 1 ou VSBV-1). Contrairement aux bornavirus aviaires, le BoDV-1 et le VSBV-1 pourraient être des agents zoonotiques.
Le risque zoonotique du BoDV-1 a été longtemps controversé mais les trois cas d’encéphalites mortelles observées chez des propriétaires d’écureuils exotiques entre 2011 et 2013 [2],ont confirmé un risque zoonotique avec cette famille de bornavirus [3].
Cette découverte d’un risque zoonotique lié au VSBV-1 a relancé la question du risque zoonotique du BoDV-1, surtout après trois cas d’encéphalites mortelles signalées en 2016 chez des personnes immunodéprimées après une greffe [4] et deux autres cas non transplantés [5, 6]. Sur 103 cas d'encéphalite d'étiologie inconnue constatés en Allemagne entre 2018 et 2020, quatre infections à bornavirus ont été détectées par sérologie [7]. Un cas chronique a été causé par le VSBV-1 après un contact professionnel d'une personne avec des écureuils exotiques, et trois cas aigus ont été causés par le BoDV-1 dans des zones où le virus est endémique. Les quatre patients sont décédés. La rareté des cas observés ne permettait pas de répondre à toutes les questions concernant l’épidémiologie de ces encéphalites humaines. A la même époque, la maladie de Borna a été aussi identifiée chez quatre chevaux de Haute-Autriche en 2015 et 2016 [8]. La distance maximale des écuries touchées était de 17 km. L'agent causal était également hébergé par la musaraigne bicolore à dents blanches (Crocidura leucodon), seul animal réservoir connu pour ce virus.
A partir de mars 2020, les infections à bornavirus humaines et animales ont été soumises à déclaration obligatoire en Allemagne (Infektionsschutzgesetz, IfSG et Verordnung über meldepflichtige Tierkrankheiten, TKrMeldpflV). Ces déclarations obligatoires et la sensibilisation accrue des vétérinaires et des médecins ont permis de détecter plus de cas d’encéphalites humaines ces dernières années, la maladie semblant toutefois rare. En Bavière, sur 56 cas mortels d’encéphalites humaines observés entre 1999 et 2019, huit cas étaient dus à un BoDV-1 dont deux immunodéprimés après transplantation d’organe, deux cas supplémentaires étant ensuite identifiés à Munich [9]. Dans une commune bavaroise d'environ 2000 habitants, deux cas pédiatriques d'encéphalite mortelle à BoDV-1 sont survenus en 2019 et en 2022 chez des enfants âgés de 11 ans et 6 ans respectivement, constituant le premier foyer connu pour cette virose [10]. Une importante enquête épidémiologique publiée en 2024 a permis de noter que la zone d'endémie connue du virus BoDV-1 était remarquablement restreinte à certaines parties de l'Allemagne, de l'Autriche, de la Suisse et du Liechtenstein [11]. Cette enquête a permis de confirmer l’infection virale RT-qPCR chez 207 animaux domestiques, 28 humains et 7 musaraignes bicolores à dents blanches (Crocidura leucodon). La principale question que l’on peut poser est celle de la répartition géographique des cas d’encéphalites humaines répertoriés et de celle de son réservoir animal. En raison de la faible mobilité de ce réservoir, les séquences des virus BoDV-1 ont montré une association géographique remarquable, avec des clades phylogénétiques individuels occupant des zones distinctes avec des distances inférieures à 40 km. La recherche du BoDV-1 chez les musaraignes, seuls hôtes réservoirs connus, permet d’apporter des informations plus précises sur sa présence endémique. Ce rongeur est présent dans une grande partie de l’Europe (dont les zones urbaines, comme les jardins). Le territoire français (sauf le sud) héberge aussi ce réservoir.
Une revue du Lancet Infectious Diseases publiée en janvier 2025 met en évidence le manque de connaissances concernant le transport cellulaire, les voies d'entrée et les mécanismes de propagation du BoDV-1, en particulier chez l'Homme, chez qui la recherche est nettement moins avancée que chez l'animal. Bien que des hypothèses concernant la principale voie d'entrée par le tractus olfactif aient été émises, d'autres voies (par exemple, la voie gustative) méritent d'être prises en considération en raison des connexions anatomiques qui pourraient faciliter l'entrée du virus. Les voies de transmission par les musaraignes ne sont pas encore élucidées (transmissions intranasales, horizontales et verticales ? excrétion par l'urine, les fèces... ?, voie d’entrée olfactive ?...). Les animaux sensibles (principalement les chevaux, les moutons, les alpagas, les bovins, les moutons...) sont des culs de sac épidémiologiques.
Si on connaît l’infection du chat par le BoDV-1 [12], il est possible que l’on ait pu confondre la maladie de Borna avec la staggering disease (car les chats titubent), encéphalomyélite des chats domestiques européens, dont on a montré récemment qu’elle était due au virus Rustrela (RusV) [13]. Cependant un chat infecté pourrait potentiellement servir de vecteur passif du bornavirus entre les musaraignes et l'Homme.
En conclusion, ces enquêtes récentes sur les cas d'encéphalites humaines dues au BoDV-1 semblent démontrer la rareté de la maladie, même dans les régions où la maladie animale est endémique et à déclaration obligatoire. Cependant la présence du réservoir sauvage de ce virus dans une grande partie du territoire français ainsi que la présence connue depuis 2000 du bornavirus en France, notamment chez les chevaux, justifie de prendre en compte cette affection virale dans le diagnostic différentiel des encéphalites humaines.
[1] Brugère-Picoux J, Bode L, Del Sole A, Ludwig H. Identification du virus de la maladie de Borna en France. BAVF. 2000;153(4):411‑20.
[2] Hoffmann B, Tappe D, Höper D, Herden C, Boldt A, Mawrin C, et al. A Variegated Squirrel Bornavirus Associated with Fatal Human Encephalitis. N Engl J Med. 9 juill 2015;373(2):154‑62.
[3] Tappe D, Schlottau K, Cadar D, Hoffmann B, Balke L, Bewig B, et al. Occupation-Associated Fatal Limbic Encephalitis Caused by Variegated Squirrel Bornavirus 1, Germany, 2013. Emerg Infect Dis. juin 2018;24(6):978‑87.
[4] Schlottau K, Forth L, Angstwurm K, Höper D, Zecher D, Liesche F, et al. Fatal Encephalitic Borna Disease Virus 1 in Solid-Organ Transplant Recipients. N Engl J Med. 4 oct 2018;379(14):1377‑9.
[5] Korn K, Coras R, Bobinger T, Herzog SM, Lücking H, Stöhr R, et al. Fatal Encephalitis Associated with Borna Disease Virus 1. N Engl J Med. 4 oct 2018;379(14):1375‑7.
[6] Coras R, Korn K, Kuerten S, Huttner HB, Ensser A. Severe bornavirus-encephalitis presenting as Guillain–Barré-syndrome. Acta Neuropathol. juin 2019;137(6):1017‑9.
[7] Eisermann P, Rubbenstroth D, Cadar D, Thomé-Bolduan C, Eggert P, Schlaphof A, et al. Active Case Finding of Current Bornavirus Infections in Human Encephalitis Cases of Unknown Etiology, Germany, 2018-2020. Emerg Infect Dis. mai 2021;27(5):1371‑9.
[8] Weissenböck H, Bagó Z, Kolodziejek J, Hager B, Palmetzhofer G, Dürrwald R, et al. Infections of horses and shrews with Bornaviruses in Upper Austria: a novel endemic area of Borna disease. Emerg Microbes Infect. 21 juin 2017;6(6):e52.
[9] Niller HH, Angstwurm K, Rubbenstroth D, Schlottau K, Ebinger A, Giese S, et al. Zoonotic spillover infections with Borna disease virus 1 leading to fatal human encephalitis, 1999–2019: an epidemiological investigation. The Lancet Infectious Diseases. avr 2020;20(4):467‑77.
[10] Grosse L, Lieftüchter V, Vollmuth Y, Hoffmann F, Olivieri M, Reiter K, et al. First detected geographical cluster of BoDV-1 encephalitis from same small village in two children: therapeutic considerations and epidemiological implications. Infection [Internet]. 23 févr 2023 [cité 28 févr 2023]; Disponible sur: https://doi.org/10.1007/s15010-023-01998-w
[11] Ebinger A, Santos PD, Pfaff F, Dürrwald R, Kolodziejek J, Schlottau K, et al. Lethal Borna disease virus 1 infections of humans and animals – in-depth molecular epidemiology and phylogeography. Nat Commun. 10 sept 2024;15(1):7908.
[12] Lutz H, Addie DD, Boucraut-Baralon C, Egberink H, Frymus T, Gruffydd-Jones T, et al. Borna disease virus infection in cats: ABCD guidelines on prevention and management. Journal of Feline Medicine and Surgery. juill 2015;17(7):614‑6.
[13] Matiasek K, Pfaff F, Weissenböck H, Wylezich C, Kolodziejek J, Tengstrand S, et al. Mystery of fatal ‘staggering disease’ unravelled: novel rustrela virus causes severe meningoencephalomyelitis in domestic cats. Nat Commun. 4 févr 2023;14(1):624.
Jeanne Brugère-Picoux* et Jean-Luc Angot**
* Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France ** Inspecteur général de santé publique vétérinaire
Annonce du 10 janvier 2025 de trois cas de fièvre aphteuse chez des buffles d’eau en Allemagne
Une dépêche de l’AFP et du laboratoire national de référence pour la fièvre aphteuse du Friedrich-Loeffler-Institut (FLI) [1] nous apprennent le 10 janvier 2025 qu’un foyer de fièvre aphteuse a été détecté en Allemagne sur trois buffles d'eau élevés près de Berlin dans la région voisine du Brandebourg. Tous les buffles du troupeau ont été abattus, ainsi que les élevages voisins à risque, pour éviter toute propagation de cette maladie virale extrêmement contagieuse à l’origine de pertes économiques très importantes. Les prélèvements réalisés sur les trois buffles infectés ont été envoyés d’une part au laboratoire national du FLI, et d’autre part le seront au laboratoire Anses de Maisons-Alfort dirigé par notre confrère Stephan Zientara car il s’agit du laboratoire de référence pour l'Union européenne (UE), à l'Organisation mondiale de la santé animale (OMSA, ex OIE) et à l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture des Nations unies (FAO). L’identification au laboratoire de la souche de virus en cause pourrait aider déterminer l’origine de l’infection.
Précédentes épidémies en Europe
Il n’y avait pas eu de cas en Allemagne depuis 1988 (le dernier foyer s’était déclaré en Basse-Saxe) ou dans l’UE depuis 2011. Les précédentes épidémies observées en Europe ont concerné le Royaume-Uni en 2007 et la Bulgarie en 2011. L’épidémie au Royaume-Uni de 2007 était due à un virus de sérotype O, souche BFS, échappé suite à une faille dans les mesures de biosécurité du Laboratoire mondial de référence de Pirbright (ce laboratoire a depuis été refait à neuf). Près de 2000 bovins avaient été abattus. Avant cet épisode, le Royaume-Uni avait été touché par une importante épidémie de fièvre aphteuse en 2001 concernant 2030 exploitations. Les conséquences économiques ont été désastreuses : abattage d’au moins 6,5 millions d'animaux (bovins, ovins, porcins, caprins et animaux sauvages). La crise des secteurs agricole et touristique britanniques a eu un coût proche de 12 milliards d'euros [2]. Cette épidémie s’est étendue à l'Irlande, aux Pays-Bas et à la France, soit 53 000, 285 000, 63 000 animaux abattus respectivement [2]. L’épidémie de Bulgarie de 2011, la dernière connue dans l’UE selon l’OMSA, avait pour origine des sangliers ayant traversé la frontière turco-bulgare (plusieurs centaines d’animaux avaient été abattus).
Le virus de la fièvre aphteuse et le risque exceptionnel pour l’Homme
Le virus de la fièvre aphteuse est un virus à simple brin d’ARN (aphtovirus) de la famille des Picornaviridae. Il affecte principalement les ruminants et les porcs. Il se transmet par contact direct entre les animaux infectés mais aussi de façon indirecte par tous les objets, surfaces, produits, etc. contaminés. L’Homme peut favoriser la contamination en cas d’absence d’application des mesures de biosécurité recommandées. Des cas de transmission aérienne ont été également signalés. Le virus est résistant dans le milieu extérieur mais il est inactivé par un chauffage à 70°C pendant au moins 30 mn.
La question du risque zoonotique de la fièvre aphteuse a été souvent débattue. Certains, comme le FLI, concluent à l’absence d’un risque pour l’Homme [1]. Néanmoins, de rares cas ont été signalés dans la littérature. Même si l'incidence de la maladie chez l’animal est élevée, son apparition chez l'Homme est assez rare. Les symptômes sont bénins. Ils se traduisent par l’existence de cloques sur les mains ou d'autres zones exposées, parfois accompagnée de fièvre, de maux de tête ou de maux de gorge. Les patients se rétablissent en quelques jours. Le dernier cas humain en Grande-Bretagne remonte à l'épidémie de 1966 [3].Le virus a été isolé et typé (type O, suivi du type C et rarement du type A) dans plus de quarante cas humains [4]. L’Homme se contaminerait par contact avec les animaux infectés ou par la consommation de lait cru [5]. Le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) de Stockholm recommande d’éviter le contact avec les animaux infectés et la consommation de leurs produits non suffisamment chauffés [6].
La fièvre aphteuse est essentiellement une maladie animale et n'a rien à voir avec la maladie humaine, généralement bénigne, causée principalement par le virus Coxsackie A et connue sous le nom du «syndrome pieds-mains-bouche», rencontrée principalement chez les enfants [7]. Elle provoque généralement de la fièvre et une éruption cutanée généralisée (papulovésicules) dans la bouche, sur les paumes, les doigts et la plante des pieds pendant une dizaine de jours. Cette maladie n'affecte pas les animaux.
En conclusion, il faut espérer que ce foyer allemand sera limité du fait du faible nombre de buffles atteints, présents dans un milieu naturel et non dans un élevage, ainsi que de la distance géographique entre Berlin et la frontière française. Néanmoins la prudence est de règle avec cette maladie considérée comme la plus contagieuse en santé animale et avec l’interdiction de la vaccination décidée depuis le 1er avril 1991 pour des raisons économiques (exportations).
[1] Friedrich-Loeffler-Institut (FLI). FLI confirms foot-and-mouth disease in Brandenburg water buffalo [Internet]. 2025. Disponible sur: https://www.fli.de/en/news/short-messages/short-message/fli-confirms-foot-and-mouth-disease-in-brandenburg-water-buffalo/.
[2] Parlement européen. Fièvre aphteuse: leçons à tirer et mesures à prendre. Journal officiel de l’Union européenne [Internet]. 17 déc 2002; Disponible sur: https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52002IP0614.
[3] CDR weekly. Foot and Mouth Disease outbreak - no threat to public health. Commun Dis Rep CDR Weekly 2001:11.
[4] Bauer K. Foot-and-mouth disease as zoonosis. In: Kaaden OR, Czerny CP, Eichhorn W, éditeurs. Viral Zoonoses and Food of Animal Origin [Internet]. Vienna: Springer Vienna; 1997 [cité 11 janv 2025]. p. 95‑7. Disponible sur: http://link.springer.com/10.1007/978-3-7091-6534-8_9.
[5] Prempeh H, Smith R, Müller B. Foot and mouth disease: the human consequences. The health consequences are slight, the economic ones huge. BMJ. 10 mars 2001;322(7286):565‑6.
[6] ECDC. Transmission of Foot and mouth disease to humans visiting affected areas [Internet]. 2012. Disponible sur: https://www.ecdc.europa.eu/sites/default/files/media/en/publications/Publications/TER-RRA-Transmission-of-foot-and-mouth-to-humans-visiting-affected-areas.pdf.
[7] Capella G. Foot and mouth disease in human beings. Lancet. 2001; 358, 1374. http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(01)06444-3/fulltext.
Denis Monod-Broca
Ingénieur et architecte, secrétaire général de l'Afas
La démarche expérimentale, avec ses biais, ses imprévus, ses déceptions – qui font aussi sa force – est difficile à expliquer aux profanes.
Aussi une équipe de l’université et du CHU de Rennes, associée à d’autres équipes européennes, a-t-elle tenté une expérience bien particulière qui a consisté, en simplifiant un peu, à : réunir des équipes de non-scientifiques, leur donner à toutes exactement les mêmes ingrédients et la même recette de meringue, leur demander, en suivant scrupuleusement la recette, de cuisiner leurs meringues, et enfin d’accepter la comparaison de toutes les meringues ainsi obtenues.
Taille, forme, couleur, consistance, goût : les qualités des 845 meringues ainsi fabriquées furent d’une étonnante diversité. Présentées en public à un jury, elles ont reçu des notes allant de 1 à 7,5.
Cette dispersion n’est pas un échec mais au contraire un enseignement très enrichissant.
Et cette explication, par l’expérience, de ce qu’est une expérience est une bien séduisante idée.
Vinatier C, Fahed E, Chollet Y, Caquelin L, Jaillard S, Van den Eynden V, Kozula M, Naudet F, Using reporting guidelines to improve the reproducibility of cooking Christmas tree meringues: the “People tasting trees” cluster-randomised controlled trial, MetaArXiv Preprints, 8 octobre 2024.
Larousserie D., Des meringues pour faire goûter la démarche scientifique, Le Monde, 23 décembre 2024.
Jean-Gabriel Ganascia
Professeur d’informatique à la faculté des sciences de Sorbonne Université, membre de l’Institut universitaire de France, ancien président du comité d’éthique du CNRS
Un article fort controversé et signé, entre autres, par le professeur Didier Raoult, vient d’être officiellement rétracté, plus de quatre ans après sa publication. Paru en mars 2020, au tout début de la pandémie de Covid-19, il portait sur les prétendus effets curatifs de l’hydroxychloroquine pour les patients atteints de cette maladie. Il eut, souvenons-nous en, un effet retentissant dans la population, à une époque où l’on se trouvait tous dans l’expectative d’un traitement efficace et fiable. Il semblait ouvrir des perspectives salutaires au grand public, très soucieux de sa santé, et peu familier avec la démarche scientifique. Pourtant, très tôt, à sa lecture, des spécialistes soulignèrent les multiples infractions aux bonnes pratiques qu’il contenait. Rappelons que l’étude portait sur vingt-six patients, ce qui à l’évidence était trop faible pour donner une réponse fiable dans le cas d’une maladie dont le taux de létalité était, à l’époque, de l’ordre de 5%. En effet, 26*5% = 1,3, ce qui fait un peu plus d’un mort statistique sur l’échantillon… Faute à pas de chance ! A cet égard notons que six patients parmi les vingt-six traités, dont un qui a succombé et deux qui sont allés en réanimation, ont été arbitrairement retirés de l’étude. Enfin, le placement des patients dans le groupe placebo n’était ni aléatoire, ni fait en double aveugle, ce qui signifie que les médecins savaient si les patients avaient été traités ou non. Au reste, les conflits d’intérêts avec la revue en question, l’International Journal of Antimicrobial Agents, étaient manifestes puisque deux des co-auteurs sont membres de son comité éditorial.
Compte tenu de ces infractions à l’intégrité scientifique, l’étude aurait dû être récusée très vite. Soulignons qu’on engage des procédures de rétractation dans trois cas de figure : une erreur de bonne foi, une entorse à l’intégrité scientifique ou une appropriation frauduleuse du travail d’un autre, par exemple du plagiat. Ici, nous nous trouvons à l’évidence — et, point n’est besoin d’être un spécialiste pour s’en convaincre ! — dans le second cas de figure. Comment se fait-il qu’il ait fallu attendre quatre ans pour s’en rendre compte ? Il faut le déplorer. Mais, il faut plus encore déplorer l’incapacité qu’on eut les scientifiques invités dans les médias de convaincre le grand public des inepties que contenait cet article.
Denis Monod-Broca
Ingénieur et architecte, secrétaire général de l'Afas
Dans un récent article du Monde [1], Mark Lilla, historien, professeur à Columbia, s’interroge sur ce qu’il appelle la «passion de l’ignorance».
A l’origine de sa réflexion, et sans doute est-ce là son événement déclencheur, se trouvent les discours de campagne de Donald Trump, discours souvent sans queue ni tête, parfois dénués de toute espèce de pertinence, et qui pourtant viennent de le faire élire à la présidence des Etats-Unis d’Amérique.
Mais, très vite, s’écartant de ce cas politique particulier ainsi que des ravages bien connus de la démagogie sous toutes ses formes, sa réflexion amène Mark Lilla à mettre l’accent sur notre propension commune à parfois préférer de pas savoir. Ainsi écrit-il :
Ou encore :
Et :
Concluant par ces mots :
Le propos rejoint la représentation, dans certains tableaux classiques, de la Vérité : une jeune femme nue portant un miroir à bout de bras. Et ce miroir qu’elle nous tend, à nous qui regardons le tableau qui la représente, nous le voyons, bien sûr, mais cherchons-nous à savoir ce qu’il pourrait bien nous montrer de nous-mêmes ?
Nous vivons une drôle d’époque.
Une époque inquiétante à plus d’un titre.
Tout le monde croit savoir mieux que tout le monde, tout le monde accuse tout le monde de se tromper.
La connaissance scientifique en pâtit.
De nombreux sujets scientifiques (et autres), qui devraient être débattus avec calme, sont l’objet de polémiques publiques, parfois d’une grande violence, avec participation de scientifiques s’opposant eux aussi les uns aux autres, chacun ayant choisi son camp.
La «passion de l’ignorance» : Mark Lilla a su nommer, par cette formule surprenante, l’un des ressorts principaux du mal qui nous frappe. Tous autant que nous sommes, nous ne voulons pas savoir, ou pas toujours, ou nous ne voulons pas vraiment savoir, ou nous ne voulons pas tout savoir, ou nous nous accrochons à un savoir erroné ou incomplet, ou nous nous satisfaisons de quelques certitudes sujettes à caution...
Quand Gérard de Nerval dit «l’ignorance ne s’apprend pas», il dit juste. Un savoir s’apprend, une absence de savoir, elle, ne saurait s’apprendre. Cette lapalissade est joliment trouvée et exprimée. Mais l’ignorance n’est pas seulement un état de fait opposé au savoir, elle a aussi le caractère d’une pulsion instinctive, d’une passion, qu’il appartient à chacun de combattre, en lui-même.
«Et pourtant, elle tourne», aurait dit Galilée face à ses juges qui ne voulaient pas le savoir. Cette phrase si volontiers répétée appartient à la légende, elle n’en exprime pas moins, par ses quelques mots si simples, à quel point il peut être difficile de s’extraire du refus de savoir.
Le savoir, le savoir vrai, confirmé, est le remède, il est notre planche de salut.
Il est dans la mission de l’Afas de le transmettre, au moins dans le domaine qui est le sien, celui des sciences.
Et pour cela il importe de ne pas nous cacher cet obstacle majeur, la passion de l’ignorance, que l’historien des idées américain qu’est Mark Lilla met si bien en évidence dans cet article.
Autrement dit, ne convient-il pas, en accueillant la contestation, de sortir la science de la tour d’ivoire qu’elle s’est construite, en contradiction avec ses propres principes ?
Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
C’est la plus grande épidémie de son histoire que vient d’observer la Grande-Bretagne avec 770 personnes atteintes. Pour les responsables de la santé britanniques, la propagation de cette infection est sans précédent. Deux autres épidémies ont touché 700 personnes supplémentaires depuis 2023, dont des dizaines ayant nécessité une hospitalisation.
L'Agence britannique de sécurité sanitaire (UK Health Security Agency ou UKHSA) a démontré que c’étaient des mini-fermes (ou petting zoos) permettant un contact avec des agneaux (avec apport de nourriture et câlins) qui étaient à l’origine de ces épidémies. Ce sont essentiellement des femmes âgées de 18 à 48 ans et des enfants de moins de 16 ans qui étaient atteints. Au moins 75 personnes ont été hospitalisées, ce qui témoigne d’un problème de santé publique majeur. L’enquête diligentée par les services sanitaires a permis de découvrir l’absence de mesures de biosécurité pourtant recommandées pour prévenir ces infections dans les fermes ouvertes au public, notamment aux enfants (possibilité de lavage des mains, avertissements, personnel non compétent...). La découverte la plus inquiétante était la possibilité d’une restauration dans ou à proximité des zones où les animaux étaient manipulés.
La cryptosporidiose est très contagieuse, un individu infecté étant capable d'excréter jusqu'à cent millions de cryptosporidies en une seule défécation, selon le CDC d’Atlanta (Etats-Unis). Fait alarmant, l'ingestion de seulement dix cryptosporidies suffit à provoquer la maladie. La contamination est féco-orale (mains sales, contact direct avec les animaux ou leur environnement, des infections secondaires interhumaines étant possibles au domicile. Le risque de contamination augmente pendant la saison d’agnelage ou lors de fortes pluies.
Rappelons le communiqué de l’Académie nationale de médecine du 26 avril 2024 : Risques pour les enfants en contact étroit avec des animaux de compagnie non traditionnels (ACNT) dans les lieux publics recommandant les mesures de prévention nécessaires pour éviter ce type d’infection.
More than 770 people struck down with gruesome parasite that causes 'bowel cancer-like' symptoms, GB News, 29 novembre 2024, https://www.gbnews.com/health/cryptosporidium-parasite-diarrhoea-bowel-cancer-symptoms
Cryptosporidiosis - UK (03): (England) lamb petting zoo, ProMED, 3 décembre 2024, https://promedmail.org/promed-post/?id=8720408