Notes de lecture

Les membres de l’Afas publient régulièrement des notes de lectures. Elles sont à retrouver ici.

Pierre Avenas

(EDP Sciences, 2019, 272 p. 19€)
avec la collaboration de Minh-Thu Dinh-Audouin

 
La prodigieuse histoire du nom des éléments (P. Avenas, EDP Sciences, 2019)Quelle est l’origine du nom des éléments chimiques comme le cuivre, l’hydrogène, ou le sodium ? Voici des questions que l’on ne se pose pas nécessairement à priori. Et pourtant, les réponses sont passionnantes car elles nous emmènent au cœur de l’histoire de la découverte de ces éléments.

L’auteur, Pierre Avenas, est un chimiste professionnel, passionné d’étymologie. Il traite, un par un, tous les éléments du tableau périodique de Mendeleïev (90 naturels et 28 artificiels). Il poursuit ensuite avec d’autres «éléments», comme des molécules complexes, pour un grand total de 300 substances.

L’histoire des noms au cours des siècles ne connaît évidemment pas de frontières et ce sont donc les noms français, mais aussi anglais, allemands, espagnols, italiens, suédois, que l’auteur examine, avec leurs racines grecques, latines ou arabes ! L’auteur doit nous donner au passage quelques rudiments de linguistique sur les règles d’évolution des mots dans les différentes langues. Ces explications peuvent parfois alourdir un peu la lecture du texte, mais l’auteur, sans doute conscient de cet écueil, nous donne des petits tableaux de synthèse résumés que le lecteur appréciera.

La mythologie joue un grand rôle dans cette histoire. L’Antiquité avait identifié 7 métaux, que l’on associait aux 7 «planètes» de l’époque, elles-mêmes associées à 7 dieux de la mythologie, puis aux 7 jours de la semaine. Plus tard, on a gardé cette coutume d’utiliser la mythologie pour nommer les éléments. L’auteur nous propose une grille généalogique de la mythologie gréco-latine très pratique pour suivre ses explications. Les mythologies égyptienne et scandinave sont également sollicitées, ainsi que les lutins mineurs germaniques (les Nains de Blanche-Neige !).

Les noms des éléments viennent aussi des noms de lieux où l’élément a été découvert (le cuivre pour Chypre) ou du pays d’origine du découvreur. Une mini-guerre des noms franco-allemande eut lieu en 1877 qui se solda par deux nouveaux éléments : le gallium et le germanium. Les noms viennent aussi du nom de savants. Mention spéciale pour le meitnérium, seul nom d’élément associé à une femme, juste revanche pour Lise Meitner injustement écartée d’un prix Nobel accordé exclusivement à son partenaire masculin pour la découverte de la fission nucléaire.

Au fil de ces histoires, on découvre des informations inattendues et des anecdotes savoureuses.
Ainsi apprend-on que les Grecs pratiquaient déjà le foie gras ; que le phosphore a été découvert en 1669 par un alchimiste qui cherchait de l’or dans l’urine ! Que le mot porcelaine vient du mot porc. Que l’eau de Javel vient du lieudit «javelle», mot d’origine gauloise. Que Walt Disney a nommé le chien Pluto en l’honneur de la planète Pluton récemment découverte (1930).
On apprend aussi que le styrène, un produit de la pétrochimie, a fait l’objet d’un poème improbable de Raymond Queneau (1958) ! Pierre Avenas se permet d’ailleurs d’y ajouter deux alexandrins de son cru !

Dans son épilogue, l’auteur fait remarquer que la vie se contente de 6 éléments chimiques seulement pour construire tous les acides nucléiques, donc le code génétique, et toutes les protéines du monde vivant. Six sur un total de 90 éléments existant dans la nature !

On comprendra en lisant ces lignes et les quelques exemples qui ont été donnés, que ce livre est une source inépuisable d’informations les plus diverses, amusantes ou sérieuses. Les multiples petites histoires qui nous sont racontées nous font mieux comprendre l’histoire générale de la chimie et des sciences en général : «Toute l’histoire de l’humanité depuis les pigments des peintures pariétales jusqu’aux éléments radioactifs découverts récemment» écrit Jacques Livage dans sa préface.
Le livre est divisé en petits paragraphes courts, agrémentés de beaucoup de photos et d’illustrations, ce qui en rend la lecture très attrayante. Grâce à son index, ce livre peut être consulté facilement comme un petit dictionnaire.

Michel Chauvet

(Belin, 2018, 880 p. 69€)

 
Encyclopédie des plantes alimentaires (M. Chauvet, Belin, 2018)Cette importante encyclopédie nous décrit environ 670 espèces de plantes comestibles que l’on peut rencontrer dans le monde entier, qu’il s’agisse de fruits, de légumes, de plantes oléagineuses, de céréales, de tubercules, de plantes aromatiques, d’épices, de champignons, d’algues ou de plantes entrant dans la composition d'additifs industriels. Chaque plante est présentée sous ses différents noms (scientifiques, anciens, populaires ou selon les langues) avec différents paragraphes selon son importance (biologie, variétés, histoire, usages, économie). Plus de 1100 dessins en couleurs et 600 dessins au trait illustrent les espèces et leurs variétés. Certains aliments peuvent être cueillis dans la nature, d’autres seront sur les marchés du monde entier : plus de 340 cartes du monde montrent l’origine, l’histoire et la répartition actuelle des espèces.

Avec la mondialisation des échanges, de nombreuses plantes exotiques peuvent être disponibles en Europe et cet ouvrage nous apporte ainsi une information précise et complète sur de nombreux aliments végétaux, quelle que soit leur origine géographique. On y retrouve aussi des plantes oubliées comme la manne terrestre, la graine de paradis ou le chervis.

Le travail minutieux réalisé par Michel Chauvet, ingénieur agronome et ethnobotaniste, ancien ingénieur de recherche à l'Inra (Institut national de recherche agronomique) mérite d’être félicité.
Notons que Michel Chauvet est aussi membre fondateur de l’association Tela Botanica, qui regroupe les botanistes francophones. Il a lancé le site web collaboratif sur les plantes utiles, Pl@ntUse, qu’il continue à animer.

Pablo Servigne, Raphaël Stevens, Gauthier Chapelle

(Seuil, 2018, 336 p. 19€)

 
Une autre fin du monde est possible (P. Servigne, R. Stevens, P. Chapelle, Seuil, 2018)Ils sont des récidivistes. Pablo Servigne, Raphaël Stevens, Gauthier Chapelle avaient déjà écrit, en 2017, L’entraide, l'autre loi de la jungle, livre dans lequel ils développent l’idée que, sans entraide, altruisme, partage, mise en commun, etc., aucune vie sociale – donc aucune vie – ne serait possible, que ce soit dans la nature ou dans nos sociétés développées.

Leur dernier ouvrage est écrit dans le même esprit : comment faire autrement ?

Une citation du philosophe Bruno Latour donnée dans la conclusion Apocalypse ou happy collages ? est le fil rouge implicite de tout le livre : « Comment prendre pour réaliste un projet de modernisation qui aurait oublié depuis deux siècles de prévoir les réactions du globe terrestre aux actions humaines ? Comment accepter que soient objectives des théories économiques incapables d’intégrer dans leurs calculs la rareté des ressources dont elles avaient pourtant pour but de prévoir l’épuisement ? Comment parler d’efficacité à propos de systèmes techniques qui n’ont pas su intégrer dans leurs plans de quoi durer plus que quelques décennies ? Comme appeler rationaliste un idéal de civilisation coupable d’une erreur de prévision si magistralement qu’elle interdit à des parents de céder un monde habité à leurs enfants ? »

Et en effet, après une longue séquence de croissance et de prospérité, nous voici en face des conséquences de nos actes : le risque d’un effondrement général de nos sociétés et même de l’extinction de l’espèce humaine. Nul ne sait ni quand cela arrivera ni quelle forme cela prendra mais, une chose est sûre, cela risque fort d’arriver.

Les trois auteurs ont une formation scientifique. Il est important de le préciser car leur ouvrage nous emmène sur des chemins scientifiquement non balisés. Ils nous invitent à faire un pas de côté. Ils nous emmènent sur des chemins de traverse. Ils cherchent à nous faire partager diverses expériences qu’ils ont vécues et continuent à vivre au sein de groupes alternatifs. Ils passent en revue les publications de nombreux savants, philosophes, écrivains et autres penseurs.

Ils réhabilitent l’intuition, les savoirs indigènes, la science post-normale inspirée des travaux de Jacques Ellul et Ivan Illich, les autres qu’humains – qu’ils soient animaux, végétaux ou minéraux – qui sont avec nous la Terre, la spiritualité, la transcendance...

Ils mettent le doigt sur l’erreur consistant à confondre notre vision de la réalité avec la réalité.

Viktor Frankl (1905-1997), psychiatre et neurologue ayant connu les camps nazis, est cité au chapitre Raconter d’autres histoires : « Au lieu de se demander si la vie avait un sens, il fallait s’imaginer que c’était à nous de donner un sens à la vie à chaque jour et à chaque heure ».

L’effondrement guette. La conscience du danger est un sacré stimulant. Le chemin n’est pas tracé. Il sera difficile, très difficile. Il n’est pas trop tard pour s’y préparer. La réflexion est passionnante.

Hervé Le Guyader, Julien Norwood

(Belin, 2018, 272 p. 40€)

 
L'aventure de la biodiversité (H. Le Guyader, J. Norwood,  Belin, 2018)C’est un livre que l’on commence par feuilleter. On y découvre de magnifiques illustrations en couleurs de fleurs, insectes, oiseaux, reptiles, mammifères. Ces quelque 250 dessins, réalisés à la main par Julien Norwood représentent autant de jalons de l’histoire de ce que l’on appelait auparavant les sciences naturelles.

Car ce livre est un livre d’histoire : D'Ulysse à Darwin, 3000 ans d’expéditions naturalistes, annonce le sous-titre. L’auteur, Hervé Le Guyader, spécialiste en biologie évolutive, relate 32 histoires d’expéditions principalement maritimes qui ont permis de bâtir le socle de nos connaissances du monde des vivants. Si elles ont commencé en Chine, les grandes expéditions sont parties essentiellement d’Europe. L’objectif principal des premiers voyages n’était pas particulièrement scientifique mais d’ordre mercantile ou stratégique. On cherchait de nouvelles voies d’accès aux épices ou à acquérir de nouveaux territoires. Au fil des années, la partie « scientifique » des expéditions a pris de l’importance : sur les bateaux, les naturalistes, botanistes, zoologues, géographes, géologues, astronomes sont de plus en plus nombreux à côtoyer les marins et les marchands. Les expéditions durent plusieurs années, sont financées par les Etats ou les compagnies de commerce, mais aussi par des savants fortunés (Banks, Humboldt) ou par des groupes de collectionneurs. Les bateaux rapportent des milliers de spécimens de graines, plantes, insectes et échantillons de roches.

L’auteur ne se perd pas en longues considérations théoriques mais se concentre sur la description pratique et détaillée de chacune de ces 32 expéditions, avec une érudition impressionnante. Chaque voyage est une histoire en soi, souvent digne d’un scénario de film d’aventures, avec des personnages hors norme, des savants, des héros, des corsaires, des espions, des tricheurs, des contrebandiers, des passagères clandestines, des cannibales, des naufrages, des mutineries, des abandons, des prises d’otage, des massacres, des emprisonnements, des maladies, des controverses théologiques ou scientifiques. Et toute cette agitation débouche sur de magnifiques découvertes scientifiques, de nouvelles espèces de plantes et d’animaux, superbement illustrées en regard du texte. Ce contraste permanent entre le texte de l’histoire souvent remuante et les illustrations à la calme beauté un peu figée constitue une originalité de ce livre. Par exemple, sur une même page, on lit les arguments théologiques de la controverse de Valladolid sur l’existence ou non d’une âme chez les Indiens d’Amérique, et on admire l’illustration de face et de profil d’un grand poisson volant d’Amérique !

Citons quelques autres exemples d’illustrations : l’admirable plante-pichet, carnivore, endémique du mont Kinabalu (Bornéo), découverte par Wallace ; ou bien le délicat hortensia, originaire du Japon, et nommé ainsi en hommage à une savante française, épouse de l’horloger de Louis XV. Du côté des animaux, le paresseux à gorge brune qui ne descend de son arbre que tous les dix jours pour faire ses besoins ! Ou une espèce de papillon non toxique, en tous points identique à une autre espèce qui, elle, est toxique. Ou encore l’étrange grenouille de Darwin dont le mâle couve les œufs dans sa bouche. Il y a aussi des illustrations d’espèces éteintes, par exemple, le paresseux géant (6 m de long !), la vache de mer (8 m de long; exterminée en 20 ans) ou la tourte voyageuse.

A côté des explorateurs et naturalistes célèbres comme Drake, Cook, Bougainville, La Pérouse, Linné, Humboldt, Lewis et Clarke, Wallace, Darwin, on en découvre beaucoup d’autres comme Leeuwenhoek, drapier autodidacte qui a inventé et construit 400 microscopes ; Jeanne Baret, la première femme naturaliste à faire le tour du monde ; Sébastien Vaillant, qui a découvert la sexualité des arbres grâce au pistachier, lequel se trouve encore au Jardin des Plantes à Paris ; Joseph de Jussieu, botaniste, membre de l’expédition rocambolesque au Pérou pour mesurer un arc de méridien ; Kerguelen, qui fait un rapport complètement faux sur l’île qu’il vient de découvrir et finit en prison avant d’être gracié par Louis XVI ; John Muir, précurseur de la défense de la nature en Amérique, mais qui ne regrette pas l’extinction des bisons.

Ce livre est une véritable mine d’informations qui passionnera tout amateur de sciences naturelles et d’histoire des sciences. Il est destiné à être bien placé dans sa bibliothèque pour y être consulté souvent.

Jean-Michel Oughourlian

(Plon, 2018, 144 p. 12,90€)

 
Le travail qui guérit (J.-M. Oughourlian, Plon, 2018)Ce livre est-il un livre scientifique ? Il est un témoignage et un témoignage émouvant, il est le récit d’une magnifique aventure, il est un livre politique et militant, et même un cri d’alarme, il est aussi sans conteste un livre scientifique. Il l’est parce qu’il est écrit par un médecin et anthropologue, le professeur Oughourlian, neuropsychiatre, psychologue, spécialiste de la psychologie mimétique, il l’est aussi parce qu’il est l’analyse objective, comparée, scientifique des résultats d’une longue expérience.

Dans le cas bien spécifique de l’anthropologie, l’objet observé et le sujet observant ne font qu’un, l’homme. Tout particulièrement quand il s’agit du cerveau. C’est par notre cerveau que nous étudions notre cerveau. C’est une difficulté dont il faut avoir pleinement conscience. Pour pouvoir la surmonter. Elle oblige à, en quelque sorte, convertir son propre regard, afin de se voir soi-même comme un autre et de voir l’autre comme un autre soi-même. Même si cet autre, la difficulté n’est pas mince, est handicapé mental.

C’est ce que fait l’AMIPI (précédemment ADAPEI) depuis plus de cinquante ans. D’abord dans ses instituts médico-pédagogiques, puis dans ses UPAI (usines de production, d’apprentissage et d’insertion). Dans ces véritables « usines apprenantes », les opérateurs, à 70% handicapés mentaux, apprennent en produisant, produisent en apprenant. Surtout, ils apprennent et produisent comme s’ils n’étaient pas handicapés. Au point, pour beaucoup, de guérir, de guérir assez pour quitter l’usine apprenante et rejoindre une usine « classique ».

Ils apprennent par l’imitation. Tous, nous apprenons par l’imitation. L’imitation en effet, ou la mimesis, terme parfois préféré car plus neutre, est le moteur de nos comportements, le carburant de la vie.

« C’est en forgeant qu’on devient forgeron » : parler, faire, désirer sont mimétiques. Aimer et haïr aussi. Cela se voit, se lit, sur l’écran des appareils capables de suivre l’activité des neurones et synapses.

En créant un climat propice à la mimesis positive, un climat de confiance, de bienveillance, d’empathie, ces usines font des miracles, parvenant à transformer des personnes isolées, recluses, se sentant inutiles, en des personnes « normales » ou presque « normales ».

Mais l’inquiétude est grande, dans la course à la technologie et à l’intelligence artificielle qui se joue actuellement, de voir de plus en plus les usines se débarrasser de leurs ouvriers, remplacés par des robots. Non seulement alors les usines apprenantes risquent de disparaître mais les non-handicapés risquent de rejoindre, en nombre de plus en plus grand, les handicapés dans l’isolement et la réclusion. Il y a là, pour éviter cela, un défi à relever, que la science éclaire.

Denis Guthleben

(Dunod, 2018, 352 p. 22€)

 
La fabuleuse histoire des inventions (D. Guthleben, Dunod, 2018)Ce recensement des inventions n’est pas le premier du genre, c’est un exercice difficile car il impose de faire des choix. Déjà l’auteur se limite à des inventions, qu’il distingue clairement des découvertes dans son introduction. Après consultation, le lecteur fera inévitablement des remarques du genre : « Et pourquoi pas la fourchette, l’aspirateur et le fil à couper le beurre ? », mais ça, c’est la loi du genre.

L’auteur, sans le dire explicitement, se limite à des objets physiques, excluant pour l’essentiel les produits chimiques : colorants, polymères, isolants électriques..., ainsi que les objets médicaux : stéthoscopes, scanner... Là encore, c’est un choix et il fallait bien en faire.

Chaque invention, chaque biographie, fait l’objet d’un rapport en deux pages. Clairement, Denis Guthleben s’est bien documenté, on ne relève pas d’erreur flagrante, mais ce choix des deux pages l’oblige à se limiter à son point de vue d’historien, ce qu’il est précisément. Il aurait été intéressant de savoir comment fonctionne tel appareil ou tel engin, comme par exemple l’égreneuse à coton ou la machine à coudre, mais cela aurait pris beaucoup de place et nécessité des schémas. Un choix fait, encore un...

La présentation est chronologique, ce qui fait apparaître la fabuleuse (cf. le titre) accélération des technologies au cours des âges, accélération rendue possible par les échanges d’objets et de savoir-faire. Il n’est justement pas fait mention de l’invention de l’écriture, mais sur un tel sujet, tenir en deux pages aurait vraiment été un challenge !

Quelques révélations à noter : le savon (un produit chimique, tiens !) a été créé 2000 ans avant notre ère par les Mésopotamiens et les Égyptiens – ça devait décaper ; le calendrier, 3000 ans avant notre ère, sujet complexe ayant fait l’objet de nombreux ouvrages ; le stylo à bille, lancé par le baron Bich juste avant la dernière guerre, partage avec la fermeture à glissière la caractéristique d’être assez simple à imaginer, le challenge étant de le produire à bas coût, mais le livre ne parle pas d’usines.

Bref, quand on lit ce livre, on a une quantité d’idées sur la manière dont on pourrait le compléter et c’est peut-être ce qui fait son grand intérêt.

Philippe Henarejos

(Belin, 2018, 512 p. 26€)

 
Ils ont marché sur la Lune. Le récit inédit des explorations apollo (P. Henajeros, Belin, 2018)Une description précise et détaillée des missions Apollo 8 à 17, qui ont vu six alunissages et la marche de douze hommes sur la Lune !

Cette épopée Apollo est finalement mal connue et la moisson considérable d'informations collectées sous-évaluée, du moins par le grand public.

L'exploit réalisé, tant au plan scientifique que technique et humain, devait être raconté et c'est ce que fait Philippe Henarejos, avec de nombreuses anecdotes savoureuses, des témoignages exclusifs et plus de 300 photographies, dont un bon nombre quasiment inconnues.

Un livre passionnant et magnifiquement illustré : un cadeau évident à offrir pour les fêtes à tous ceux qui s’intéressent aux aventures humaines.

Valérie Chansigaud

(Buchet-Chastel, 2018, 256 p. 20€)

 
Les combats pour la nature (V. Chansigaud, Buchet-Chastel, 2018)« L’écologie est un peu comme le sexe : chaque génération aime à penser qu’elle est la première à la découvrir » (The Times, 1989). Il n’y a aucun risque de tomber dans ce travers après avoir lu le livre de Valérie Chansigaud, historienne des sciences, qui a placé cette accroche en exergue de son ouvrage. On y découvre en effet trois siècles d’histoire de ces combats pour la nature, riches d’évènements, de débats, de courants d’idées, très variés et finalement peu connus du grand public.

Ces combats ne se limitent pas à la défense des petits oiseaux et débordent souvent sur les questions de modèle de société. L’auteure a organisé son récit selon des thèmes : la démographie, le progrès technique, le lien avec la nature, la société de consommation, la pollution, les moyens d’action. C’est à un défilé impressionnant de penseurs en tous genres (une centaine !) que nous sommes conviés, dont quelques figures inattendues comme T. Roosevelt, R. Gary, ou le pape François !

Valérie Chansigaud présente ses sujets avec l’objectivité d’une historienne mais elle nous donne aussi son opinion personnelle, ce qui donne à l’ouvrage un intérêt supplémentaire. Prenons l’exemple de la démographie : le sujet était déjà d’actualité en 1679, lorsque le Hollandais Leeuwenhoek, découvreur du spermatozoïde, calculait le nombre d’humains que la Terre pouvait supporter. Puis Malthus est arrivé avec ses fameuses lois et ses terribles mesures pour l’éradication des pauvres, en opposition avec les Lumières, tels Godwin et Condorcet. Depuis, le sujet revient régulièrement, avec quelques best-sellers, et en 2017, dans l’appel des 15 364 scientifiques pour alerter l’opinion sur la détérioration de l’environnement, l’accroissement de la population est clairement nommé comme un facteur de risque. V. Chansigaud ne semble pas d’accord : « Certains parlent de solidarité tout en nourrissant le rêve de voir se réduire la population humaine », ironise-t-elle, et elle affirme qu’il n’y a pas aujourd’hui de consensus scientifique sur cette question. Le vieux débat se poursuit.

Sur le sujet du progrès, l’auteure s’oppose clairement aux nostalgiques de la Préhistoire (certains voient réellement la Préhistoire comme un âge d’or !). Elle est du côté de ceux, aujourd’hui rares, déplore-t-elle, qui favorisent le progrès technique. De même, elle refuse de suivre ceux qui condamnent d’un bloc la société de consommation, laquelle « est à la fois subie et voulue ».

Elle montre l’évolution historique des luttes vertes (défense de la nature vierge) vers les luttes marron (contre la pollution). Les premières ont été l’apanage des classes aisées alors que les secondes, plus récentes, concernent l’ensemble de la société. On apprend que la première dénonciation de produits toxiques dans la consommation date de 1933, et que c’est le livre de Rachel Carson, en 1962, qui a conduit à l’interdiction du DDT en 1972. V. Chansigaud narre l’incroyable odyssée du navire-poubelle Khian Sea qui finira par se décharger en haute mer. Et elle nous conte l’édifiante histoire de la lente contamination au mercure de la baie de Minamata au Japon, qui a fait 1700 morts. La société chimique a nié sa responsabilité durant les 36 ans où elle a rejeté son mercure, tout en constituant sa propre équipe de scientifiques, qu’elle contrôlait. Elle a bénéficié de l’appui de l’administration et des syndicats. C'est ce qui explique in fine l’ampleur du drame.
Notons l’analyse de l’auteure sur ceux qui propagent aujourd’hui le scepticisme environnemental. Elle estime que les scientifiques « semeurs de doute » qui en sont à l’origine sont largement minoritaires, rarement évalués par leurs pairs contrairement à la science à laquelle ils s’opposent, et disposant de moyens importants, « soutenus par des think tank dotés par des fondations et des entreprises ».

En conclusion de son ouvrage, V. Chansigaud fustige les écologistes purs et durs pour qui la défense de la nature est une fin en soi. « Mesure-t-on vraiment ce qu’il y a à gagner lorsqu’on troque la main invisible du marché pour la main invisible de la nature ?». Sa ligne directrice est le progrès social, indissociable, selon elle, du combat pour la nature.

Un livre passionnant et utile pour tout humaniste, favorable ou adversaire de l’écologie, parce que la résolution des problèmes d’aujourd’hui ne peut se faire sans l’éclairage du passé.

Gabriel Perlemuter

(Flammarion, 2018, 272 p. 17,90€)

 
Les pouvoirs cachés du foie (G. Perlemuter, Flammarion, 2018)Si l’on est concerné par ce sujet, c’est un livre que l’on ne quitte pas. Simple, accessible, mais présentant des informations scientifiques et médicales très actuelles.

Les 20 chapitres sont introduits par un schéma anatomique du foie et de ses rapports avec l’intestin et le pancréas, utile car peu de personnes situent correctement cet organe.
Le foie est l’organe le plus important de notre organisme au niveau métabolique et possède une capacité exceptionnelle, celle de régénérer, mais à condition de le garder en bonne santé.
Les explications, conseils et recommandations donnés tout au long de l’ouvrage le permettront car, attention, il existe très peu de médicaments pour soigner cet organe. Les aliments délétères sont nombreux surtout si les quantités sont importantes : trop de fructose, trop de mauvaises graisses, trop d’alcool, mais attention aussi au pamplemousse (avec l’effet inhibiteur des furanocoumarines sur les capacités d’épuration du foie) et au millepertuis (avec l’effet inverse d’activation et d’élimination trop rapide de certains médicaments, d'où par exemple un risque de grossesse sous pilule contraceptive).

J’ai particulièrement apprécié le chapitre 3 sur « le rythme du foie », le chapitre 8 sur « le sexe du foie » avec la présentation du rôle protecteur des estrogènes (pour les femmes non ménopausées) et le chapitre 13 sur « les virus amoureux du foie » (avec cette fabuleuse histoire du virus de l'hépatite C, découvert en 1989 et pour lequel les nouvelles molécules arrivées en 2013 ont permis la guérison de près de 100% des malades et laissent espérer une éradication dans la dizaine d’années à venir).

Un chapitre spécifique (chapitre 20) est consacré aux prébiotiques et aux probiotiques et leur action sur la flore intestinale. Le Pr Perlemuter revient plusieurs fois dans son ouvrage sur le microbiote intestinal et son rôle dans l’organisme, en lien avec celui du foie.

Catherine Cuenca

(L'Harmattan, 2018, 420 p. 39€)

 
Une politique contemporaine du patrimoine des sciences et techniques (C. Cuenca, L'Harmattan, 2018)Cet ouvrage était attendu car jusqu'à présent, aucune publication ne permettait une vision historique du patrimoine scientifique et technique, depuis les cabinets de curiosités du XVIIe siècle jusqu'à nos jours.

Catherine Cuenca décrit le passage des collections aux musées avec le rôle essentiel joué par l'esprit des Lumières et la création des grands établissements scientifiques, puis la modernisation de la société et son industrialisation, qui entraînent la multiplication des collections et des musées. Ensuite, après la seconde guerre mondiale naît la notion de politique de la culture, qui n’appréhende quasiment pas les sciences et les techniques. Il faudra attendre les années 1970-1980 pour que, dans le sillage de la politique d'information scientifique et technique, la politique de culture scientifique et technique trouve enfin sa place. Dans ce contexte naît une prise de conscience de l’intérêt de sauvegarder le patrimoine scientifique et technique et la nécessité d'élaborer une véritable politique de sauvegarde.

Cet ouvrage est agréable à lire et superbement illustré, à lire absolument pour qui s’intéresse aux objets scientifiques et techniques et à leur conservation.