Le travail qui guérit l’individu, l’entreprise, la société

Jean-Michel Oughourlian

(Plon, 2018, 144 p. 12,90€)

 
Le travail qui guérit (J.-M. Oughourlian, Plon, 2018)Ce livre est-il un livre scientifique ? Il est un témoignage et un témoignage émouvant, il est le récit d’une magnifique aventure, il est un livre politique et militant, et même un cri d’alarme, il est aussi sans conteste un livre scientifique. Il l’est parce qu’il est écrit par un médecin et anthropologue, le professeur Oughourlian, neuropsychiatre, psychologue, spécialiste de la psychologie mimétique, il l’est aussi parce qu’il est l’analyse objective, comparée, scientifique des résultats d’une longue expérience.

Dans le cas bien spécifique de l’anthropologie, l’objet observé et le sujet observant ne font qu’un, l’homme. Tout particulièrement quand il s’agit du cerveau. C’est par notre cerveau que nous étudions notre cerveau. C’est une difficulté dont il faut avoir pleinement conscience. Pour pouvoir la surmonter. Elle oblige à, en quelque sorte, convertir son propre regard, afin de se voir soi-même comme un autre et de voir l’autre comme un autre soi-même. Même si cet autre, la difficulté n’est pas mince, est handicapé mental.

C’est ce que fait l’AMIPI (précédemment ADAPEI) depuis plus de cinquante ans. D’abord dans ses instituts médico-pédagogiques, puis dans ses UPAI (usines de production, d’apprentissage et d’insertion). Dans ces véritables « usines apprenantes », les opérateurs, à 70% handicapés mentaux, apprennent en produisant, produisent en apprenant. Surtout, ils apprennent et produisent comme s’ils n’étaient pas handicapés. Au point, pour beaucoup, de guérir, de guérir assez pour quitter l’usine apprenante et rejoindre une usine « classique ».

Ils apprennent par l’imitation. Tous, nous apprenons par l’imitation. L’imitation en effet, ou la mimesis, terme parfois préféré car plus neutre, est le moteur de nos comportements, le carburant de la vie.

« C’est en forgeant qu’on devient forgeron » : parler, faire, désirer sont mimétiques. Aimer et haïr aussi. Cela se voit, se lit, sur l’écran des appareils capables de suivre l’activité des neurones et synapses.

En créant un climat propice à la mimesis positive, un climat de confiance, de bienveillance, d’empathie, ces usines font des miracles, parvenant à transformer des personnes isolées, recluses, se sentant inutiles, en des personnes « normales » ou presque « normales ».

Mais l’inquiétude est grande, dans la course à la technologie et à l’intelligence artificielle qui se joue actuellement, de voir de plus en plus les usines se débarrasser de leurs ouvriers, remplacés par des robots. Non seulement alors les usines apprenantes risquent de disparaître mais les non-handicapés risquent de rejoindre, en nombre de plus en plus grand, les handicapés dans l’isolement et la réclusion. Il y a là, pour éviter cela, un défi à relever, que la science éclaire.