Les marées

David George Bowers, Emyr Martyn Roberts

(EDP Sciences, 2021, 164 p. 12€)

 
Les marées (D.G. Bowers, E.M. Roberts, EDP Sciences)Les marées nous paraissent à la fois familières et mystérieuses. Deux fois par jour, comme dans un ballet synchronisé, des millions de tonnes d’eau montent et descendent, mettant en jeu des énergies considérables. Avec ce petit livre de 160 pages, deux océanographes britanniques prennent le lecteur par la main pour lui expliquer tous les secrets de ce prodige.

Les Gréco-Romains se sont peu intéressés aux marées, quasi absentes de la Méditerranée. Pour les Arabes, elles résultaient de la chaleur apportée par la Lune. Kepler postula, avec raison, que la Lune attire les océans, ce qui déchaîna les railleries de Galilée. Newton mit fin au débat avec sa théorie magistrale de l’attraction universelle, que Laplace compléta en formulant les équations de la réponse des océans.

La «force de marée» en un lieu résulte de l’attraction de la Lune et de celle, deux fois moindre, du Soleil, chacun oscillant à son rythme (12h25 et 12h). Cette force est influencée par de nombreux paramètres, tous cycliques, tels que la position relative des deux astres, leur hauteur par rapport au plan équatorial, leurs distances à la Terre. «Des cycles, des cycles partout», résument les auteurs.

Pourquoi y a-t-il deux marées par jour ? Cela ne va pas de soi. Les auteurs l’expliquent sur quatre pages, en considérant la rotation mensuelle de la Terre due à l’attraction lunaire. Notons que les deux marées hautes d’une même journée ne sont pas égales parce que l’attraction de la Lune est plus forte lorsqu’elle est au zénith que lorsqu’elle est sous nos pieds, et donc plus lointaine.

Comment les océans répondent-ils aux forces de marée ? Les auteurs, jusqu’ici astronomes, retrouvent leur spécialité d’océanographe pour décrire un monde de bassins océaniques, de gradients de pression, de sauts hydrauliques, de courants, de vagues progressives, réfléchies, stationnaires, de nœuds, de fréquences propres, de résonances, de turbulences, de tourbillons, de maelströms, de frictions, de moments cinétiques, d’effets Coriolis et de thermoclines.

La force de marée est incroyablement faible : un millionième de la gravité terrestre ! Comment peut-elle engendrer de tels effets ? En fait, il suffit d’appliquer la force au bon moment, et juste le temps qu’il faut, comme lorsque l’on pousse la balançoire d’un enfant. Ainsi, un bassin océanique entrera en résonance si la vague générée par la force de marée le traverse en six heures. C’est le cas de l’Atlantique Nord dont la profondeur de 4000 m induit une vitesse de vague de 700 km/h. La Méditerranée en est exclue car le détroit de Gibraltar est trop étroit et pas assez profond.

La prédiction des marées fait appel à la séduisante technique de l’analyse harmonique, utilisée également dans l’étude des sons. Chaque paramètre d’influence est décrit par une sinusoïde, un «harmonique», dont la fréquence est dictée par l’astronomie, et dont l’amplitude et la phase caractérisent le lieu étudié. La hauteur de la marée est la somme de ces harmoniques. Ces calculs étaient jadis réalisés mécaniquement par de magnifiques machines, en laiton et acajou, où des roues représentaient les harmoniques : une invention de Lord Kelvin. Aujourd’hui, l’informatique permet de prendre en compte plusieurs dizaines d’harmoniques.

Les auteurs expliquent quelques particularités locales : une seule marée par jour sur côte nord-ouest américaine, des marées hautes doubles à Southampton.
Les plateaux continentaux voient les effets des marées les plus spectaculaires. Des phénomènes de résonance locaux se produisent, comme dans la baie de Fundy au Canada (record du monde de 12 m de haut) ou le golfe d’Adélaïde en Australie. Les mascarets se produisent dans les estuaires avec effet d’entonnoir. La palme revient à celui de Quiantang (Chine) avec ses 4 m de haut, 12 m/s de vitesse, sur 100 km, et son grondement !
La production d’énergie électrique à partir des marées peut se faire en construisant un barrage à l’embouchure d’un estuaire (coûts financiers et environnementaux élevés) ou en immergeant des turbines dans un courant rapide.
Du fait de la perte par friction de l’énergie des marées, la rotation de la Terre sur elle-même ralentit et la durée du jour augmente : elle était de 22h il y a 400 millions d’années.
A cette même époque (le Dévonien), les poissons échoués sur la plage à marée basse ont développé des poumons pour tenir jusqu’à la prochaine marée. Une étape importante dans l’évolution, ouvrant la voie à la vie hors de l’eau : «Nous ne serions pas là si la marée n’avait pas existé».

Une belle conclusion pour ce livre qui révèle les nombreuses facettes des marées, certaines inattendues. Le style est rigoureux et la présentation solide, dense, axée sur la physique et dépourvue de mathématiques. La lecture est exigeante et demande parfois des efforts de concentration, mais elle offre la grande satisfaction de mieux comprendre ce phénomène complexe.