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Francis Martin
Laboratoire d’excellence ARBRE, UMR Interactions Arbres/Micro-organismes, Centre INRAE Grand Est-Nancy
Les arbres forestiers remplissent leurs fonctions d’absorption de l’eau et des éléments minéraux du sol grâce à une interaction symbiotique mutualiste entre leurs racines et une grande diversité de champignons. La sylviculture et la trufficulture mettent déjà ces connaissances en pratique, et les progrès de la recherche en biologie et en écologie dans ce domaine des interactions plantes/micro-organismes ouvrent de nouvelles perspectives d’application à la gestion durable et à la protection des forêts face aux changements climatiques.
Malgré les menaces multiples qui pèsent sur la plupart des environnements naturels, bois, forêts et prairies hébergent encore une richesse mycologique insoupçonnée. Des milliers d’espèces de champignons peuplent les forêts. A l’automne, cèpes, chanterelles, rosés des prés, coprins et lactaires sont récoltés en abondance et les fricassées de ces produits de la terre agrémentent de nombreuses tables familiales. Dans le langage populaire, ce qu'on désigne couramment comme «champignon» et que l’on cueille en forêt et dans les prairies n'est en fait que l’appareil reproducteur, une fructification temporaire et visible appelée le sporophore («qui porte les spores») par les mycologues. Le plus souvent composé d’un pied et d’un chapeau protégeant lamelles ou tubes, il est la production d'un organisme souterrain à caractère plus durable et plus discret constitué d’un lacis de filaments ouateux formés d’hyphes, le mycélium végétatif. Ce dernier émerge d’une spore sous forme d’un tube germinatif et se ramifie rapidement dans le sol, la litière et dans pratiquement tous les organes des arbres vivants ou morts. Le mycélium constitue la partie principale du champignon et il peut former des colonies pouvant couvrir plusieurs dizaines de mètres carrés et représenter jusqu’à 99% du poids de l’organisme. En dehors des sporophores, les champignons peuvent aussi être observés sous forme de spores, de rhizomorphes (faisceaux de plusieurs filaments mycéliens agrégés en fibres), de mycorhizes avec les racines des arbres ou de structures d’infection chez de nombreuses plantes.
On reconnaît trois grands groupes de champignons correspondant à différents modes de nutrition, en particulier vis-à-vis de l’acquisition du carbone :
- les décomposeurs, ou saprotrophes, qui dégradent et consomment efficacement les polysaccharides et les protéines de la nécromasse végétale, microbienne et animale,
- les symbiotes, qui s’alimentent des sucres simples (glucose) provenant de leur plante-hôte, mais en ayant des effets bénéfiques pour leur partenaire. Leurs réseaux mycéliens souterrains explorent le sol et la litière à la recherche d'éléments minéraux qu'ils transportent et transfèrent à leur plante-hôte en échange des sucres importés,
- les parasites, ou pathogènes, qui infectent les plantes et les animaux et détournent à leur profit les sucres et les acides aminés solubles accumulés dans les tissus colonisés, entraînant l'affaiblissement et parfois la mort de leur(s) hôte(s).
Les champignons décomposeurs jouent un rôle crucial en assurant la productivité et la stabilité à long terme de tous les écosystèmes terrestres, dont les forêts. En effet, ils assurent la libération des éléments minéraux de la nécromasse (par exemple, les feuilles et le bois mort) et leur recyclage dans la biomasse, permettant ainsi le maintien de la fertilité et la pérennité de la production primaire, essentiellement assurée par les arbres. Les champignons appartenant aux deux autres catégories, souvent regroupées sous le terme de biotrophes, sont plus directement responsables à court ou moyen terme de l’état du peuplement puisqu’ils vivent en partie à l’intérieur des tissus des arbres et affectent positivement (symbiotes mutualistes) ou négativement (parasites) leur métabolisme, leur physiologie et leur croissance. Les champignons symbiotiques ectomycorhiziens représentent très souvent plus de 50% de la communauté fongique d’une forêt dans les régions tempérées ou boréales.
Les mycorhizes des arbres forestiers
Dans nos forêts caducifoliées ou de résineux, les racines des grandes essences sylvicoles (par exemple Pins, Epicéa, Chênes, Hêtre) portent généralement des ectomycorhizes qui peuvent être formées par plusieurs centaines d'espèces de champignons basidiomycètes (par exemple Amanites et Bolets) et ascomycètes (par exemple, les Truffes). Morphologiquement, on distingue une racine courte ectomycorhizée d’une racine courte non mycorhizée par la présence du manteau fongique externe recouvrant la racine mycorhizée (Fig. 1). Les filaments mycéliens de ce manteau se développent d’une part vers l’intérieur de la racine, en s’insinuant entre les cellules de l’épiderme et du parenchyme cortical racinaire pour former le réseau de Hartig et d’autre part, un réseau mycélien qui explore le sol. La croissance du réseau ramifié de filaments mycéliens externes peut être considérable (jusqu’à 1000 m de mycélium par mètre de racine), augmentant ainsi considérablement le volume de sol exploité par l’arbre mycorhizé. Le réseau mycélien qui explore ce volume de sol est capable de mobiliser des éléments minéraux (par exemple le phosphate inorganique) inaccessibles aux racines de la plante-hôte et de les transférer, sous leur forme initiale ou après les avoir transformés, à leur associé végétal. Outre les ressources minérales solubles (phosphate, azote minéral), les champignons ectomycorhiziens sont également capables d’altérer les minéraux et d’exploiter une partie des ressources accumulées dans la matière organique des sols en sécrétant des protéases, des phosphatases ou des polyphénols oxydases. On comprend facilement que l’établissement de ces associations symbiotiques ectomycorhiziennes apparaisse comme une stratégie importante pour assurer la survie et la croissance des arbres.
(A)

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Mais comment le champignon symbiotique reconnaît-il son partenaire végétal ? Comment la plante-hôte distingue-t-elle le champignon bénéfique du champignon parasite ? Comment le champignon évite-t-il les défenses immunitaires de la plante ? Tout est question de dialogue biochimique et moléculaire ! Les racines de la plante apte à contracter la symbiose libèrent dans le milieu qui les entoure des quantités infinitésimales de molécules «signales». La perception de ces signaux chimiques déclenche la libération par le champignon de petites protéines dans les racines qu’il colonise. Celles-ci se lient au récepteur de l’acide jasmonique, l’hormone de défense de la plante, neutralisant ainsi les réactions défensives qu’aurait dû induire la présence massive du champignon dans la racine. Le champignon symbiotique contrôle ainsi la réponse immunitaire de la plante colonisée. Il peut alors s’établir et développer un troc avec la plante «sous influence» qui l’héberge.
Pendant plus d’un siècle, l’étude de la symbiose mycorhizienne a reposé sur l’idée simpliste d’une association bénéfique entre une plante et un champignon uniquement. Les recherches actuelles conduites sur le terrain révèlent cependant que ces associations mutualistes établissent des interactions multiples impliquant plusieurs partenaires. La symbiose mycorhizienne structure un véritable réseau de plantes et de champignons d’espèces différentes, reliés entre eux : jusqu’à plusieurs centaines d’espèces de champignons par arbre et une vingtaine d’arbres colonisés par un même champignon. Des plantes voisines, même d’espèces différentes, peuvent donc partager des champignons communs. L’étude des implications fonctionnelles et écologiques de ces réseaux tissés entre champignons et arbres débute et nécessite la mise en place d’expérimentations complexes sur le terrain.
Les réseaux mycorhiziens établissent des flux nutritifs entre plantes
Lors d’une expérience, menée dans les années quatre-vingt-dix par le professeur Suzanne Simard, de jeunes bouleaux et sapins de Douglas ectomycorhizés par le même champignon, ont été marqué par l’apport de CO2 enrichi en isotopes 13C et 14C. Ces marquages révélèrent que les arbres, connectés par les réseaux mycorhiziens souterrains, recevaient chacun du carbone, vraisemblablement des sucres solubles, l’un de l’autre, avec un flux net en faveur du sapin de Douglas. La quantité de sucres reçus par ce dernier représentait de 10 à 25% des produits de sa photosynthèse. Le réseau ectomycorhizien est donc bien impliqué dans les transferts entre bouleau et sapin de Douglas. Une expérience plus récente, réalisée dans une forêt du Jura suisse, a permis d’évaluer qu’environ 4% des composés carbonés issus de la photosynthèse d’un arbre sont transportés vers les arbres voisins connectés au même réseau ectomycorhizien. Ces mesures instantanées du flux de carbone ne permettent néanmoins pas de calculer l’impact global sur la plante durant toute la saison de végétation et sur son budget nutritionnel à long terme.
Le réseau mycorhizien permet l’échange d’autres ressources que les sucres entre plantes, comme le démontrent des dispositifs simples où on cultive deux plantes mycorhizées dans un même sol. On a ainsi pu démontrer des flux d’azote, de phosphate, ou encore d’eau par le réseau symbiotique.
La communication entre les partenaires symbiotiques
Terminons en mentionnant l’un des effets les plus surprenants du réseau mycorhizien sur les plantes qu’il connecte : la mise en place d’un dialogue impliquant des signaux d’alerte. Dans une plante infectée par un champignon parasite, ou grignotée par une chenille, des réactions de défense se mettent en place qui limitent l’attaque de l’agent infectieux et qui impliquent la production d’hormones de stress, comme l’éthylène ou le jasmonate de méthyle. Ces composés volatils déclenchent une cascade de réactions de défense aboutissant à l’accumulation de molécules toxiques pour l’intrus, par exemple de puissants inhibiteurs des enzymes digestives de l’insecte phytophage. Dans des expérimentations réalisées en chambre de culture, sous conditions contrôlées, des plantes proches reliées par un réseau mycorhizien souterrain, quant à elles vierges de toute attaque, mettent en place des défenses similaires quelques jours après l’attaque de leur voisine ! On ignore encore la nature des signaux (hormones, dépolarisations membranaires) et la façon dont ils transitent via les hyphes dans les conditions naturelles de la forêt, mais il n’y a pas de doute que les plantes dialoguent via leur réseaux mycéliens. Arbres et champignons forment ainsi d’immenses réseaux sociaux qui irriguent forêts, bois et prairies. L’activité de ces réseaux interconnectés est cruciale afin d’assurer le fonctionnement durable des écosystèmes, et leur maîtrise pourrait bien aider les forestiers à atténuer les effets désastreux du changement climatique.
Alain Delacroix
Professeur honoraire, chaire "Chimie industrielle - Génie des procédés" du Conservatoire national des arts et métiers
Nous sommes en juillet 1976 dans l’usine ICMESA de la société suisse Givaudan, qui fait partie du sérieux groupe Hoffman Laroche. On y fabrique du 2,4,5 trichlorophénol, matière première pour la synthèse d’herbicides et d’antiseptiques. Pour cela, on part du tétrachlorobenzène qui est hydrolysé par la soude entre 140 et 170 °C dans de l’éthylène glycol. Le réacteur de 10 m3 est chauffé par de la vapeur et l’on ne peut dépasser 180 °C. Il est possible de refroidir très vite en cas d’élévation de température et le réacteur possède un réfrigérant efficace. Pour éviter l’éventuelle explosion du réacteur, un disque de rupture est taré à 3,8 bars. Malheureusement, le refroidissement n’est pas automatisé.
Le 9 juillet 1976, la réaction est démarrée mais on prend du retard et le samedi matin, le processus est stoppé avant la fin. L’agitation est arrêtée, le réacteur ramené à la pression atmosphérique, et les opérateurs partent en week-end. A 12h30, le disque de rupture éclate en raison d’une augmentation de température et en conséquence, de pression. Une partie de son contenu est éjecté par la cheminée de l’usine. A ce stade, il s’agit d’un incident banal.
Pourtant le lendemain, des enfants présentent des troubles et des petits animaux commencent à mourir. L’usine prévient alors les autorités qu’un nuage d’herbicide a été rejeté dans l’atmosphère. Plusieurs jours plus tard, des enfants présentent des brûlures de la peau et doivent être hospitalisés mais les médecins, qui ne connaissent pas la cause, ne peuvent les soigner.
Seulement dix jours plus tard, le groupe chimique informe de la présence de dioxine dans le nuage qui s’est échappé. En fait, dans le réacteur non agité, une réaction parasite exothermique s’est produite et a fait monter la température. Or on savait qu’au-dessus de 180 °C, le trichlorophénol réagit sur lui-même pour conduire à la 2,3,7,8 tétrachlorodibenzodioxine, dite maintenant dioxine de Seveso, et qui est la molécule la plus toxique de toutes ses congénères.
Après 14 jours, on décide d’évacuer certaines zones et on interdit la consommation des aliments produits dans la région atteinte. La population inquiète est révoltée car des personnes sont atteintes maintenant de chloracnée et de nombreux petits animaux sont morts. A cette époque, la toxicité de la dioxine est mal connue mais on en sait assez pour savoir qu’elle est dangereuse.
Le bilan est dramatique : deux mille hectares sont pollués, 3300 petits animaux sont morts et presque 80 000 sont abattus. Quelques avortements sont autorisés. Dans les trois zones les plus contaminées, 37 000 habitants ont été exposés. Le coût des indemnisations sera de 240 millions de dollars.
Heureusement, les effets à long terme sur la santé des personnes sont beaucoup moins importants que ce qu’on avait imaginé. Les études semblent contradictoires et on note dans certaines une augmentation du risque de cancers du sein et de cancers thyroïdiens. Curieusement, l’action œstrogène de la molécule a augmenté le nombre de naissance de filles : 48 filles sont nées pour 26 garçons dans la zone la plus contaminée. Une seule victime directement liée à l’accident est à déplorer : le directeur de production de l’usine a été assassiné par les Brigades rouges.
La décontamination va durer cinq ans. La terre, les animaux euthanasiés et les gravats sont placés dans des cuves étanches de 200 000 m3. La partie la plus contaminée de l’usine est placée dans 41 fûts en 1982 pour rejoindre l’usine CIBA de Bâle, dont l’incinérateur est apte à traiter la dioxine. Bizarrement, ceux-ci seront retrouvés en mai 1983 dans une entreprise désaffectée à Anguilcourt-le-Sart dans l’Aisne. Ils seront finalement incinérés en 1985. A la place de l’usine, il y a maintenant un complexe sportif et autour, on trouve une forêt constituant un parc naturel.
Au moment de l’accident de Seveso, on connaissait mal la toxicité de la dioxine et il se trouve que celle produite est la plus toxique. Elle est 10 000 fois plus toxique pour les êtres vivants que le cyanure de sodium mais 30 000 fois moins que la toxine botulique. Le hamster est beaucoup moins sensible que le cochon d’Inde d’un facteur de plusieurs milliers. Maintenant qu’on sait la détecter, on en trouve partout car des divers types de dioxines se forment dans toute combustion où sont présents du carbone et du chlore. Il s’en produit dans les volcans, dans les incendies, dans les anciens incinérateurs d’ordures ménagères, les barbecues... Solubles dans les graisses et très stables, ces molécules sont maintenant particulièrement surveillées dans les aliments.
L’accident de Seveso, au départ relativement banal, a conduit à une catastrophe écologique et financière qui a montré de graves manquements dans la sécurité du procédé chimique mais aussi dans celle de la gestion de la crise par les autorités. Cela a conduit aux directives Seveso conçues pour éviter les accidents chimiques mais aussi pour limiter leurs conséquences si par malheur ils surviennent.
Alain Foucault
Professeur émérite du Muséum national d'histoire naturelle (Paris)
Il y a 2 ans, nous avions signalé, sur ce même site Internet [1], combien était vive la course internationale aux supercalculateurs dont la puissance s’exprime en pétaflops, millions de milliards d'opérations par seconde. En tête de cette course, on ne s’étonnera pas de trouver les Etats-Unis et la Chine, les Etats-Unis avec Summit (148 pétaflops) et la Chine avec TaihuLight (93 pétaflops). La France ne peut égaler de telles performances mais ne fait pas mauvaise figure avec le nouveau calculateur Jean Zay, inauguré le 24 janvier 2020, et dont la puissance atteint 16 pétaflops. Ce calculateur a été installé pour GENCI, le Grand équipement national de calcul intensif, par HPE (Hewlett Packard Enterprise) à l’Institut du développement et des ressources en informatique scientifique (Idris) du CNRS, sur le plateau de Saclay près de Paris. Son accès est ouvert gratuitement à tout utilisateur académique souhaitant réaliser des travaux scientifiques relevant d’une mission de service public de recherche ou d’enseignement supérieur, ou à tout utilisateur industriel pour des travaux de recherche ouverte. Les résultats obtenus dans ce cadre doivent donner lieu à publication, à la fin de la période d'allocation.
Ce nouvel équipement est à mettre dans le contexte de la réalisation de l’ensemble scientifique, technologique et économique Paris Saclay inspiré par le succès de la Silicon Valley, projet mis en œuvre dans le cadre de la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris.
Ce projet comporte essentiellement un volet scientifique, avec l'université Paris-Saclay (succédant à l’université Paris-Sud au 1er janvier 2020), ses 65 000 étudiants et ses 9000 enseignants et enseignants-chercheurs ainsi que, sur le campus, l’Institut polytechnique de Paris, regroupement de l’École polytechnique, l’ENSTA ParisTech, l’ENSAE ParisTech, Télécom ParisTech et Télécom SudParis.
Il comporte également un volet économique qui repose sur l'implantation des centres de recherche et développement des grandes entreprises et la création d'un écosystème favorable aux jeunes entreprises innovantes.
Il faut souligner l’effort particulier d’aménagement du territoire, centré sur la réalisation d'un grand campus urbain, moderne et attractif, mixant logement étudiant et résidentiel ainsi que lieux de vie, services et espaces publics.
Une simple traversée de ce campus suffit pour constater le dynamisme du projet par la vision des bâtiments déjà construits et de ceux qui sortent de terre dans un souci manifeste d’urbanisme et d’architecture.
Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
Le virus à l’origine de l’épidémie qui sévit actuellement en Chine est un betacoronavirus comme les virus du Sras et du Mers (syndrome respiratoire du Moyen-Orient). L’étude de son génome confirme qu’il ne s’agit ni du virus du Sras, ni de celui du Mers mais d’un virus proche à 96 % du coronavirus présent chez la chauve-souris. On ne connaît pas encore l’origine de la contamination humaine dans le marché de fruits de mer de Wuhan. Plusieurs hypothèses sont émises : serpents, rats des bambous, civette...
Les autorités de la ville chinoise de Wuhan ont annoncé, le 31 décembre dernier, l’apparition d’une pneumonie d’origine inconnue touchant 59 personnes, dont certaines avaient surtout fréquenté le marché de fruits de mer de la ville. Le marché fut immédiatement fermé, le 2 janvier, car plusieurs animaux domestiques et sauvages, souvent vivants, y étaient aussi vendus.
Cette contamination par des animaux sauvages était plus probable qu’une contamination par des fruits de mer si l’on se rappelle l’épidémie du syndrome respiratoire aigu sévère (Sras) ayant débuté en Chine en 2002 avant d’exploser en 2003, où des civettes sauvages vendues sur les marchés ont été incriminées en tant que porteurs du coronavirus.
Cependant, les symptômes observés, rappelant ceux d’une affection virale avec de la toux et une hyperthermie, n’étaient pas identiques au Sras et les premiers cas de mortalité rapportés concernaient des personnes âgées et/ou atteintes d’autres affections sévères.
Cela peut expliquer les propos rassurants de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) même après que l’on ait identifié l’agent causal, un coronavirus dénommé «2019-nCoV».
L’OMS concluait, le 23 janvier, qu’il n’y avait pas d’urgence sanitaire au niveau mondial, contrairement aux propos plus alarmistes des autorités chinoises mettant en place des mesures particulièrement exceptionnelles (56 millions de personnes confinées dans la province de Hubei, interdiction du commerce d’animaux sauvages, interdiction de voyager, fermeture de la Cité interdite, de la Grande muraille et des parcs Disney, importantes restrictions de circulation, construction d’hôpitaux dédiés en quelques jours, prolongement du congé du nouvel an chinois, etc.).
Il faut noter qu’effectivement une pandémie ne semble pas d’actualité car il n’y a eu que quelques cas exportés de Chine pour le moment. Néanmoins, progressivement, l’OMS corrige son évaluation de la menace qui passe à «élevée» à l’international le 27 janvier puis «d’urgence de santé publique de portée internationale» le 30 janvier.
Un bétacoronavirus comme les virus du Sras et du Mers
Le 2019-nCoV est un betacoronavirus comme les virus du Sras et du Mers (syndrome respiratoire du Moyen-Orient).
Rappelons que le Sras, dont l’animal réservoir était une chauve-souris, a surtout provoqué une épidémie sévère de février à mai 2003, tuant 774 personnes sur 8096 malades, surtout en Chine mais le Canada fut aussi très touché avec 43 décès sur 251 malades [1].
Il a fallu mettre en place d’importantes mesures de biosécurité pour assister à la fin de l’épidémie. Quand le Sras est arrivé à la mi-novembre 2002 dans la province du Guangdong, les cas n’ont pas été officiellement notifiés par crainte d’éventuelles retombées sociales ou économiques, permettant ainsi une large diffusion du virus.
L’OMS n’a été prévenue que le 11 février 2003.
Le Mers, provoqué par un autre betacoronavirus, est apparu plus tard en septembre 2012 et concerne principalement le Moyen-Orient, l’animal réservoir étant le dromadaire.
A la fin de novembre 2019, 2494 cas ont été confirmés dont 858 décès (soit un taux de mortalité de 34,4%) [2]. L’Arabie saoudite a été le pays le plus touché avec 2102 cas dont 780 décès, soit un taux de mortalité de 37,1%.
L’étude du génome du 2019-nCoV publiée le 23 janvier par Peng Zhou [3] confirme qu’il ne s’agit ni du virus du Sras, ni de celui du Mers mais d’un virus proche à 96 % du coronavirus présent chez la chauve-souris (BATCoV RaTG13).
Le premier coronavirus identifié fut celui de la bronchite infectieuse aviaire en 1931 aux Etats-Unis alors que les premiers coronavirus ont été décrits chez l’Homme que dans les années soixante. Il s’agissait alors d’un rhume souvent banal. Depuis, de nombreux virus ont été isolés chez les mammifères et les oiseaux... Le mélange des espèces, notamment des porcs, des oiseaux et des animaux sauvages vendus sur des marchés favorise le transfert de certains virus à l’Homme comme, par exemple, le Sras.
Classification des coronavirus de l’Homme et des animaux (résumé des principaux coronavirus isolés)
Alphacoronavirus
Différents coronavirus humains
Virus de la gastroentérite transmissible du porcelet
Coronavirus du chien
Virus de la péritonite infectieuse féline
Virus de la diarrhée épidémique porcine
Différents coronavirus de la chauve-souris
Betacoronavirus
Coronavirus du Sras
Coronavirus du Mers
2019-nCoV
Virus de la sialodacroadénite du rat
Virus de hémagglutinant de l’encéphalomyélite porcine
Coronavirus bovin
Virus de l’hépatite de la souris
Différents coronavirus de la chauve-souris dont le virus BATCoV RaTG13
Gammacoronavirus
Virus de la bronchite infectieuse aviaire
Virus de l’entérite transmissible de la dinde
Coronavirus du Beluga
Deltacoronavirus
Différents coronavirus aviaires

Plusieurs hypothèses de contamination
Cependant, on ne connaît pas encore l’origine de la contamination humaine dans le marché de fruits de mer de Wuhan. Plusieurs hypothèses ont été émises sans être formellement confirmées à la date du 26 janvier 2020 : serpents, rats des bambous, civette...
Ces animaux le plus souvent sauvages sont présentés vivants dans une grande proximité sur le marché, malgré l’illégalité de leur vente.
Lorsque les scientifiques chinois ont recherché en 2003 quels animaux sauvages vendus sur les marchés pouvaient être porteurs du virus du Sras, trois espèces se sont révélées positives : la civette masquée, le furet-blaireau et le chien viverrin [4].
Ces hôtes, qui ont pu être contaminés par les chauve-souris réservoirs primaires du virus, ont joué le rôle de réservoirs secondaires, permettant une contamination humaine.
Les répercussions médicales, économiques et médiatiques de l’épidémie chinoise due au 2019-nCoV pouvant être attribuée à des animaux sauvages vendus sur des marchés pour être consommés devraient amener les autorités chinoises à interdire plus sévèrement ce type de marché à l’avenir, une première leçon avec l’épidémie de Sras n’ayant pas été suffisante [5].
Au fur et à mesure que les jours passent, le scénario d’une maladie très sévère semble s’éloigner au détriment d’une plus forte contagiosité avec une augmentation progressive du nombre de cas.
Sous-déclaration des premiers cas
Les cas de pneumonie étaient observés depuis le 12 décembre 2019 à Wuhan et le virus a pu se propager pendant un mois et demi en Chine, voire dans d’autres pays avant la mise en place des mesures de biosécurité drastiques décidées après le 23 janvier 2020, de nombreux déplacements de personnes ayant pu avoir lieu, en particulier avec les préparatifs du nouvel an chinois.
Le maire de Wuhan a annoncé, le 26 janvier, que 5 millions des habitants de sa ville étaient partis avant le confinement, emportant potentiellement avec eux le virus aux quatre coins de la Chine et du monde.
Selon un épidémiologiste de Toronto [6], il y a eu une sous-déclaration des premiers cas car la moyenne d’âge des premières personnes confirmées (59 ans) est supérieure à la moyenne d’âge de la population chinoise (37-38 ans), les 17 premiers cas fatals touchant des personnes âgées (moyenne de 75 ans).
Il est alors possible que des formes bénignes touchant des personnes plus jeunes soient passées inaperçues alors que le virus pouvait être transmis par la voie aérienne.
Pour cette raison, il est difficile de préciser le pourcentage de mortalité lié au 2019-nCoV.
Ce virus semble plus contagieux que celui du Sras mais il est moins virulent. Le taux de mortalité, estimé à près de 2,6% avec 106 décès sur environ 4000 malades (au 28 janvier 2020), est inférieur à celui du Sras (10%) ou du Mers (37%) et il pourrait encore diminuer dans les jours à venir si l’hypothèse de cas bénins se confirme. Au 31 janvier, l’augmentation importante du nombre de cas (près de 10 000 cas), non proportionnelle à celle des décès (213), soit un taux de mortalité de 2,1%, confirme la forte contagiosité du virus et sa virulence plus modérée que celle du Sras mais plus importante que la grippe saisonnière (taux de mortalité : 0,32%).
L’étude des 41 premiers cas hospitalisés à l’hôpital de Wuhan a confirmé l’origine de la contamination (marché de fruits de mer).
Leur moyenne d’âge était de 49 ans et 13 d’entre eux avaient d’autres problèmes de santé (diabète : 8, hypertension : 6, et maladie cardiovasculaire : 6).
Les symptômes d’une grippe
Les symptômes sont ceux d’une grippe : hyperthermie, toux, myalgie ou fatigue. 26 malades présentaient une lymphopénie et tous présentaient des lésions de pneumonie.
Le taux de mortalité fut de 15% (6 malades décédés). Un foyer familial avec 6 cas de pneumonie (5 cas de pneumonie chez 6 personnes d’une même famille de Shenzhen ayant voyagé à Wuhan sans aller au marché de fruits de mer, mais deux d’entre eux avaient visité un hôpital, et un cas chez une autre personne de la famille n’ayant pas voyagé mais contaminée par la famille à son retour à Shenzhen) confirme le risque d’une propagation interhumaine du virus lors de déplacements [8].
Il est difficile de comparer l’évolution de cette épidémie en Chine avec celle du Sras du fait de l’importance des mesures de biosécurité exceptionnelles maintenant préconisées en Chine.
Les mesures de précaution prises maintenant par les médecins en Chine permettent d’éviter une contamination du personnel soignant (on notera toutefois qu’il y a eu 16 soignants contaminés parmi le personnel soignant, avec le décès d’un médecin).
Incubation de 14 jours
Du fait d’un temps d’incubation estimé jusqu’à 14 jours, on peut penser que le pic du nombre de cas pourrait se situer avant mi-février si les mesures de biosécurité ont été efficaces, en particulier dans la province de Hubei.
Cependant, la diffusion du virus en dehors de cet épicentre (on annonce un premier mort en dehors de l’épicentre, à Pékin le 28 janvier) est difficile à estimer et l’on ne peut pas prédire pour l’instant l’évolution de la maladie. Pour plusieurs épidémiologistes, l’épidémie pourrait durer plusieurs mois.
Au 30 janvier 2020, l’OMS dénombre 82 cas dans 18 pays. Il faut aussi espérer que tous les cas exportés de Chine contamineront peu de personnes autochtones, créant ainsi de nouveaux foyers. Parmi eux, seuls 7 ne se sont pas rendus en Chine. Une transmission interhumaine a été constatée dans 3 pays autres que la Chine (il faut y ajouter le 6e cas français correspondant à un médecin contaminé par une touriste chinoise). Un de ces cas est un cas grave ; il n’y a eu aucun décès.
En France, le risque semble pour le moment très limité avec six cas, dont cinq importés. D’autres cas sont possibles puisque des personnes arrivent toujours de Chine actuellement dans notre pays sans que l’on puisse réellement les contrôler et que l’on ne connaît pas l’importance de la répartition géographique actuelle du virus de Wuhan en Chine.
Cependant, on peut s’étonner de voir des personnes se précipitant pour acheter des masques qui seraient plutôt utiles pour éviter une contamination par le virus grippal (8000 à 14 000 décès par an en France, surtout chez les personnes fragiles).
[2] Données OMS novembre 2019.
[3] http://dx.doi.org/10.1101/2020.01.22.914952.
[4] Y et al. Isolation and characterization of viruses related to the SARS coronavirus from animals in Southern China. Science. 2003, 302:276–278.
[5] Cette interdiction formelle des marchés d’animaux sauvages vivants a été décrétée le dimanche 26 janvier par le autorités chinoises.
[6] D Fishman, PRO/AH/EDR> Novel coronavirus (19): China (HU) Transmission dynamics, promed@promedmail.org du 27 janvier 2020.
[7] Chaolin Huang et al. Clinical features of patients infected with 2019 novel coronavirus in Wuhan, China. www.thelancet.com Published online January 24, 2020 https://doi.org/10.1016/S0140-6736(20)30183-5.
[8] Jasper Fuk-Woo Chan et al. A familial cluster of pneumonia associated with the 2019 novel coronavirus indicating person-to-person transmission: a study of a family cluster. www.thelancet.com Published online January 24, 2020 https://doi.org/10.1016/S0140-6736(20)30154-9.
Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
La maladie de Borna (du nom de la ville de Borna en Allemagne) est connue depuis le XVIIe siècle chez les chevaux et les moutons. L’intérêt pour la maladie de Borna s’est accru en médecine vétérinaire à partir de 1993 suite à la découverte d’autres espèces sensibles (chat, autruche, bovins, chien…) et de son extension géographique (Etats-Unis, Suède, Israël, Japon...). En 2000, avec la collaboration du centre de référence sur la maladie de Borna de Berlin (Pr Hans Ludwig, Institut Robert Koch), nous avons signalé la présence de ce virus et de ses anticorps chez 73 chevaux français [1]. La même année, l’équipe de notre confrère S. Zientara rapportait également la présence d’anticorps chez des chevaux français [2].
A cette époque, on ne connaissait qu’un seul virus de la maladie de Borna, dénommé Mammalian 1 orthobornavirus ou BoDV-1. La maladie, caractérisée par des troubles nerveux dus à une méningo-encéphalite, est surtout connue en Allemagne, en Autriche et en Suisse et elle est souvent asymptomatique. La persistance de ce virus dans l’environnement est liée à un réservoir infecté permanent, la musaraigne bicolore (Crocidura leucodon) [3]. Depuis un peu plus d’une décennie, d’autres bornavirus ont été décrits chez des oiseaux Passeriform 1/2 bornavirus, Psittaciform 1/2 bornavirus, Waterbird 1 bornavirus) puis chez des écureuils («variegated squirrel bornavirus 1» ou Mammalian 2 orthobornavirus ou VSBV-1). Contrairement aux bornavirus aviaires, ce VSBV-1 hébergé par des écureuils exotiques (écureuil multicolore ou Sciurus variegatoides et écureuil de Prévost ou Callosciurus prevostii), identifié en 2015, a provoqué des encéphalites mortelles chez l’Homme en Allemagne (cf. Ecureuil multicolore et écureuil de Prévost : risque zoonotique lié au bornavirus VSBV-1, publié sur ce site en 2017). Ces cas d’encéphalites ont peut-être réactivé les discussions sur le rôle zoonotique potentiel de la maladie de Borna, surtout soutenu par l’équipe de l’Institut Koch de Berlin [4] considérant que certains troubles psychiatriques pouvaient être provoqués par ce virus. Si l’origine virale des troubles psychiatriques a toujours été très difficile à démontrer et était très controversée, la démonstration récente de cas d’encéphalites mortelles liés au BoDV-1 en Allemagne, notamment en Bavière, démontre que la maladie de Borna s’avère effectivement une zoonose à surveiller.
Après que trois publications aient signalé pour la première fois l’émergence des premiers cas d’encéphalite mortelle provoqués par le BoDV-1 en 2016 chez trois personnes immunodéprimées après une greffe [5] et deux autres cas non transplantés [6,7], Niller et al. [8] ont recherché le BoDV-1 dans les prélèvements cérébraux réalisés en Bavière entre 1999 et 2019, soit 56 cas mortels d’encéphalites humaines pouvant être d’origine virale. Huit malades se sont révélés positifs, dont deux cas d’immunodépressions après transplantation d’organe. Deux cas supplémentaires ont été identifiés à Munich.
Les symptômes rapportés ont été principalement une migraine et une hyperthermie suivies de signes neurologiques (troubles de la démarche, confusion, perte de la mémoire, convulsions puis progressivement perte de la conscience conduisant à un coma profond et à une perte des réflexes du tronc cérébral. Les patients sont décédés dans les 16 à 57 jours suivant leur admission à l'hôpital. Chez sept patients, l'analyse initiale du LCR a révélé une augmentation du nombre de leucocytes : 9-343 leucocytes par μL (normal : < 5 leucocytes par μL). Seuls les huit patients positifs lors de la recherche du virus possédaient des anticorps (IgG) dans leur LCR et leur sérum. Ces anticorps étaient parfois indétectables lorsque les patients étaient admis à l'hôpital mais augmentaient rapidement par la suite.
Les patients vivaient dans des zones rurales ou suburbaines et leurs activités auraient pu les mettre en contact avec des musaraignes infectées, en particulier les patients propriétaires de deux chats qui leur amenaient régulièrement des petits mammifères, y compris des musaraignes.
Ces huit nouveaux cas d’encéphalite mortelle associée à une infection zoonotique par le BoDV-1 dans le sud de l'Allemagne entre 1999 et 2019, avec les six cas précédemment publiés, suggèrent que cette encéphalite virale, bien que relativement rare, doit être recherchée dans les zones d'endémie à BoDV-1, en particulier chez les patients immunodéprimés. Le risque de transmission iatrogène par transplantation d'organes doit être aussi considéré.
[2] Galabru J. et al. Borna disease virus antibodies in French horses. Vet. Rec., 2000, 147, 721-722.
[3] Hilbe M. et al. Shrews as reservoir hosts of Borna disease virus. Emerg. Infec. Dis., 2006, 12, 675-677.
[4] Ludwig H. et Bode L. Borna disease virus: new aspects on infection, disease, diagnosis and epidemiology. Rev sci tech Off int Epiz, 2000,19, 259-288.
[5] Schlottau K. et al. Fatal encephalitic Borna disease virus 1 in solid-organ transplant recipients. N Engl J Med, 2018, 379: 1377–79.
[6] Korn K. et al. Fatal encephalitis associated with Borna disease virus 1. N Engl J Med, 2018, 379 1375–77.
[7] Coras R. et al. Severe bornavirus-encephalitis presenting as Guillain-Barré-syndrome. Acta Neuropathol, 2019, 137, 1017–19.
[8] Niller H.H. et al. Zoonotic spillover infections with Borna disease virus 1 leading to fatal human encephalitis, 1999–2019: an epidemiological investigation. Published on line January 7, 2020, https://doi.org/10.1016/S1473-3099(19)30546-8.
Alain Delacroix
Professeur honoraire, chaire "Chimie industrielle - Génie des procédés" du Conservatoire national des arts et métiers
De nos jours, la mode est au bio et au naturel. On mange végétarien, végane, flexitarien, «fructivore», «insectivore», etc. L’adjectif chimique est devenu très péjoratif et cristallise toutes sortes de peurs plus ou moins rationnelles. Pourtant la chimie, qui est la science de la transformation de la matière, est liée à l’origine de notre existence, et l’industrie chimique est la mère de toutes les industries. La méconnaissance de ce domaine, effective ou simulée, est alimentée par les médias, où la peur garantit l’audience.
Mais les plantes ont fait de la chimie avant nous et cette chimie est-elle aussi inoffensive qu’on veut le croire ? Les plantes créent des molécules pour croître mais aussi pour se défendre de leurs prédateurs ; ces molécules sont toxiques et se cachent dans les légumes et les condiments que nous consommons tous les jours. Nous allons en donner quelques exemples.
Le citron, outre l’acide citrique qui abîme les dents, contient des furocoumarines, dont le psoralène, agent photosensibilisant qui augmente le risque de mélanome. Son cousin, le bergaptène, présent dans le zeste des agrumes, doit être éliminé, par distillation, des huiles essentielles de citron ; cette opération, qui est à la base du génie chimique, rend cette huile moins naturelle ! On a montré aussi que ces molécules présentes dans le pamplemousse perturberaient l’assimilation de nombreux médicaments.
Le céleri, qui ne ressemble pourtant pas à un agrume, contient également des furocoumarines, qui conduisent à des dermatites chez les agriculteurs et les transformateurs de ce légume. Il peut donc être dangereux de s’exposer au soleil après avoir consommé du céleri. Il contient aussi des nitrates, qui se transforment en nitrites dans la bouche. Ces nitrites naturels ont évidemment les mêmes propriétés que ceux qu’on ajoute dans la charcuterie et qui sont classés cancérigènes probables !
La tomate, considérée longtemps comme une plante ornementale, est consommée depuis relativement peu de temps (tout comme la pomme de terre). Elle contient de l’alpha-tomatine, un glycoalcaloïde toxique, davantage présent dans les tomates vertes. Quand la tomate est trop mûre, elle peut se couvrir de moisissures naturelles qui produisent de la patuline, petite molécule très toxique pour les animaux à sang chaud, dont l’homme.
Que se passe-t-il lorsqu’on prépare une salade de tomate ? On ajoute du vinaigre, qui est de l’acide acétique dilué, du sel, de la moutarde et peut être du poivre ou du piment.
Le sel, qui est du chlorure de sodium contenant beaucoup d’oligo-éléments, s’il est naturel, doit être un peu enrichi en iode pour éviter goitre et crétinisme et en fluor pour protéger les dents.
La graine de moutarde contient quant à elle de la sinigrine (qu’on trouve aussi dans les choux de Bruxelles et les brocolis). Lorsque la graine est écrasée, la sinigrine est dégradée en isothiocyanate d’allyle, qui donne son goût piquant à la moutarde et qui défend aussi la plante contre les herbivores. L'isothiocyanate d’allyle est moyennement toxique mais, pur, il doit être manipulé avec précaution.
Ajoutons du piment dans notre salade. Il contient de la capsaïcine, poison mortel en grande quantité – sa dose létale LD50 est inférieure au mg/kg par injection chez la souris. On prend moins de risques en mettant du poivre, la pipérine qu'il contient ayant une dose létale nettement inférieure.
Que se passerait-il si l’on avait fait le choix de se préparer une salade de pommes de terre ? Celles-ci contiennent de la solanine, qui est un glycoalcaloïde toxique, qu’on trouve particulièrement dans sa peau et ses yeux. La solanine provoque des effets inquiétants mais rarement mortels. La pomme de terre consommable en contient moins de 25 mg/100 g, mais cette concentration augmente si la pomme de terre est exposée longtemps à la lumière ou stockée au froid.
Continuons notre repas avec du poisson aux épinards. Ceux-ci contiennent des nitrates et de l’acide oxalique. Les nitrates, comme on l’a vu, se transforment en nitrites dans la bouche. Ils peuvent alors réagir avec les amines du poisson pour produire des nitrosamines très cancérigènes. Quant à l’acide oxalique, il est présent dans de nombreuses plantes que nous consommons (rhubarbe, oseille, etc.) ; il peut provoquer des problèmes rénaux et est mortel à hautes doses.
Ces exemples, parmi beaucoup d’autres, nous montrent que la chimie que font les plantes est très complexe et rarement inoffensive. Notre corps lui-même en rajoute car la chimie qui se produit dans notre bouche, notre estomac et notre intestin (qui est un magnifique réacteur de type presque piston !) est fort complexe aussi.
Rappelons aussi que la nature nous offre de somptueux poisons, dont la ricine, la toxine botulique, les aflatoxines et autres alpha-amanitine… sans compter tous ceux, à effets plus longs, que l’on obtient en cuisant nos aliments : acrylamide, amines aromatiques polycycliques…
En conclusion, cette chimie que font les plantes n’est pas bonne par nature et seule la science permet de faire la part des choses.
Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
En France, les démences de type Alzheimer (DTA) touchent près d’un million de personnes. Du fait d’une atteinte dégénérative et progressive des neurones cérébraux, elles se traduisent principalement par une perte de la mémoire. Les lésions des DTA se caractérisent par une accumulation dans les neurones de la protéine tau (tauopathie) avec des dépôts amyloïdes. Depuis longtemps, des similitudes avaient été suggérées entre la maladie d’Alzheimer et la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ) [1,2], la principale différence étant que cette dernière était transmissible alors que l’on n’avait jamais démontré formellement la transmissibilité d’une DTA (seule la transmission de l’amylose sans l’apparition de signes cliniques avait pu être observée dans les essais de reproduction expérimentale) [3]. Cependant une publication de 2018 signale la possibilité d’une transmission interhumaine sans greffe d’un tissu d'origine cérébrale [4]. Il s’agissait de huit personnes ayant subi une neurochirurgie, le plus souvent pendant l’enfance et présentant trois décennies plus tard une angiopathie cérébrale amyloïde.
Les chercheurs du laboratoire des maladies neurodégénératives au CEA (équipe de notre confrère Marc Dhenain) démontrent pour la première fois que l’on pouvait transmettre la maladie d’Alzheimer sous ses aspects cliniques et lésionnels par inoculation de tissu cérébral provenant de patients atteints de cette maladie [5]. Ce travail a pu être réalisé sur de petits lémuriens (Microcebus murinus), ces microcèbes mesurant 12 cm, pesant 60 à 120 g et considérés comme âgés à partir de 6 ans. Douze microcèbes adultes ont été inoculés avec des extraits cérébraux de personnes décédées de la maladie d’Alzheimer et ont été surveillés pendant 18 mois. Aucune altération n’a été observée pendant les 6 premiers mois post-inoculation (mpi), démontrant que l’inoculation n’était pas immédiatement en cause. Ce n’est qu’à partir de 12 mpi que les aspects cliniques et lésionnels d’une maladie d’Alzheimer sont apparus : troubles cognitifs, modifications de l’activité neuronale démontrée par un électroencéphalogramme, atrophie cérébrale. L’accumulation de la protéine tau et des dépôts amyloïdes (surtout proches du site d’inoculation) étaient peu importants chez certains primates mais il est possible que ces lésions auraient été plus importantes si l’on avait gardé les animaux au-delà des 18 mpi. Les six microcèbes témoins inoculés avec du tissu cérébral sain d’origine humaine n’ont présenté aucun symptôme ni aucune lésion.
Il s’agit de la première démonstration de l’induction de signes cliniques associés à l’inoculation de cerveaux humains «Alzheimer», renforçant ainsi l’hypothèse d’une origine «prion» non limitée à la MCJ. Comme la MCJ, la maladie d’Alzheimer ne peut pas être considérée comme une maladie contagieuse. Cette affection pourrait être transmise dans des circonstances exceptionnelles, justifiant de recommander des précautions particulières lors d’une intervention en neurochirurgie.
D’ailleurs on a pu suspecter la transmission de lésions qui rappellent celles d’une DTA chez l’Homme dans des circonstances exceptionnelles (injections d'hormone de croissances issues de cerveaux, procédures neurochirurgicales lourdes, en général en association avec des greffes de tissus d'origine cérébrale) mais sans pouvoir le démontrer formellement. D’autres maladies neurodégénératives, comme la maladie de Parkinson ou la maladie de Huntington, pourraient aussi avoir des propriétés communes avec les prions, dont leur transmissibilité.
[2] Lefrançois Th. et al. Démences de type Alzheimer et encéphalopathies spongiformes : analogies et théories nouvelles. Médecine/Sciences, 1994,10, 1141-1143.
[3] Goudsmit J. et al. Evidence for and against the transmissibility of Alzheimer disease. Neurology, 1980,30,945-950.
[4] Jaunmuktane Z. et al. Evidence of amyloid‐β cerebral amyloid angiopathy transmission through neurosurgery. Acta Neuropathologica, 2018, 135,671–679 (https://doi.org/10.1007/s00401-018-1822-2).
[5] Gary C. et al. Encephalopathy induced by Alzheimer brain inoculation in a non-human primate. Acta Neuropathologica Communications, 2019, 7, 126 (https://doi.org/10.1186/s40478-019-0771-x)
Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
En janvier 2018, un vétérinaire et le technicien qui l’accompagnait ont présenté des symptômes de type grippal peu de temps après être intervenus (72 heures et 48 heures respectivement) pour effectuer des écouvillonnages nasaux dans un élevage de 1000 truies gestantes atteintes d’un épisode aigu de grippe saisonnière classique (avec une hyperthermie, une dyspnée et une toux pendant 2 à 3 jours). Notre confère, suspectant une contamination d’origine porcine, a effectué aussi deux écouvillonnages sur lui-même, cinq à six jours après la visite. Les trois prélèvements réalisés sur les truies ainsi que les deux réalisés chez le vétérinaire ont effectivement révélé qu’il s’agissait du même virus.
Une enquête épidémiologique a permis de découvrir que le virus avait été probablement introduit dans l’élevage de truies par un employé qui, selon l’éleveur, présentait un syndrome grippal quelques jours avant l’atteinte des truies. Cet employé avait pris une douche et revêtu des vêtements de protection mais n’avait pas porté de masque et de gants. De même, le vétérinaire et le technicien ne portaient pas d'équipement de protection individuelle lors de la manipulation des truies malades.
L’intérêt de cette étude réalisée par une équipe pluridisciplinaire [1] est d’une part, d’avoir démontré une transmission bidirectionnelle d’un virus influenza H1N1 [1] et d’autre part, d’avoir identifié qu’il s’agissait du virus H1N1 de la première pandémie grippale du XXIe siècle, apparue en 2009 en Amérique du Nord (à l’époque où l’OMS annonçait que le risque pandémique serait probablement lié au virus H5N1 de la «grippe aviaire»). En 2009, ce virus grippal humain, dénommé influenza A(H1N1)pdm09 (ou pH1N1) s’est rapidement propagé aussi dans les élevages porcins, le porc et l’Homme étant sensibles aux mêmes virus influenza. On l’a ensuite retrouvé dans des grippes humaines saisonnières de même que sous une forme enzootique dans de nombreux élevages porcins.
Si l’on sait que l’exposition professionnelle aux porcs est un facteur de risque pour l’Homme [3], des cas de transmissions bidirectionnels d’un épisode grippal ont été rarement démontrés. Comme le virus pH1N1 circule depuis 2009 dans l’espèce porcine, des réassortiments peuvent se produire, représentant ainsi un risque accru pour la santé publique. Ces infections concomitantes par le virus pH1N1 rapportées dans cet article soulignent l’importance de la mise en œuvre des mesures de biosécurité ad hoc dans les exploitations porcines afin de prévenir la transmission du virus entre espèces mais aussi l’intérêt d’une vaccination annuelle contre la grippe pour les personnes travaillant dans la filière porcine. Ceci permettra, dans un contexte «une seule santé» de limiter le risque d’une transmission du virus pH1N1 du porc vers l’Homme et réciproquement de l’Homme vers le porc.
[2] Chastagner A. et al. Bidirectional Human–Swine Transmission of Seasonal Influenza A(H1N1)pdm09 Virus in Pig Herd, France, 2018. Emerging infectious diseases. 2019, 25 n°10, 1940-1943 (DOI: 10.3201/eid2510.190068).
[3] Ce risque de zoonose n’est pas limité au virus influenza comme le montre une étude récente de Taus et al. (Zoonoses and Public Health, 2019, https://doi.org/10.1111/zph.12633 : la séroprévalence d’une atteinte par le virus de l’hépatite E ou par Ascaris Suum chez les vétérinaires porcins autrichiens est multipliée par 1,5 ou 1,9 respectivement, ce facteur de risque disparaissant lors du port de gants. En revanche, la colonisation des cavités nasales par des Staphylococcus aureus résistants à la méticilline (SARM) reste multipliée par 4,8.
Patrice Debré
Professeur émérite d’immunologie à Sorbonne Université, membre de l’Académie nationale de médecine
Nous avons le sentiment de vivre une période charnière. Les nouvelles techniques génétiques ont des pouvoirs inouïs. Elles peuvent être utilisées pour modifier les cellules du corps, mais également les cellules reproductrices – spermatozoïdes et ovules –, ainsi même que les cellules présentes aux premiers stades de l’embryon.
De telles recherches sont encadrées, mais failles ou imprécisions subsistent. Ainsi, concernant les cellules souches somatiques – celles du corps –, le Code de la santé publique, qui entoure ces recherches, ne les autorise qu’à la condition qu’elles soient de nature à « étendre la connaissance scientifique de l’être humain et les moyens susceptibles d’améliorer sa condition ». Améliorer ? Dans améliorer il y a modifier. Ce terme autorise à modifier l’homme pour accroître les capacités de l’organisme, telle une meilleure acuité visuelle ou une plus grande résistance à l’effort. Où sont les « droits de l’homme » en la matière, jusqu’où vont-ils ? Où est la frontière entre ce qu’il nous est (et nous sera) désormais possible de faire et ce que nous devons (et devrons) nous interdire de faire ?
Concernant les cellules germinales, il est écrit qu’« aucune transformation ne peut être apportée aux caractères génétiques dans le but de modifier la descendance de la personne » et que « la conception in vitro d’embryon ou la constitution par clonage d’embryons humain à des fins de recherche ou la création d’embryons transgéniques ou chimériques est interdite ». La possibilité d’utiliser ces techniques sur des cellules germinales à des fins de recherche se heurte ainsi à l’interdiction d’en valider les conséquences.
En revanche, le législateur n’a pas souhaité limiter la création d’embryons chimériques. Il est en effet possible et autorisé d’introduire des cellules souches humaines pour les développer dans des embryons animaux (et vice versa d’ailleurs). Or les interdictions qui pèsent sur ces pratiques sont variables d’un pays à l’autre. Ainsi le 1er mars 2019, la création de chimères homme-animal a été autorisée au Japon et le ministère des Sciences et Technologies donnait son feu vert, le 24 juillet, à un projet d’étude visant à développer un pancréas étranger chez des rongeurs en utilisant des cellules souches humaines. De tels embryons de rats ou de souris pourraient ainsi produire un organe humain, par la suite utilisable pour une greffe. Ces expériences ouvrent bien évidemment d’incroyables perspectives ! Celles-ci soulèvent aussi de nombreuses questions. Certes, les animaux d’expérience restent actuellement limités aux rongeurs et leur taille donne peu de chances, aujourd’hui, à une utilisation en transplantation humaine. Mais des expériences de cet ordre pourraient se faire chez le porc, la chèvre, ou même chez des primates non humains. Sans attendre la création et l’exploitation d’une telle ménagerie, que se passerait-il si quelques cellules souches, lors de ces expériences japonaises, migraient inopportunément dans le cerveau de ces petits rongeurs ou au niveau du visage. Va-t-on les laisser avoir une (mini) conscience humaine ? Verra-t-on des animaux à face humaine ?
Autant de questions plus délicates les unes que les autres.
La loi ne peut pas répondre à toutes.
Il y va aussi de la responsabilité de chacun. Comment la mobiliser mieux que par la connaissance et la réflexion ? C’est l’un des aspects essentiels de la mission que s’est donnée l’AFAS, participer à la diffusion de la connaissance et aider à la réflexion. Pour plus de responsabilité individuelle et collective.
Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
Cet été nous avons été alertés à plusieurs reprises par les médias comme par le site Internet consacré aux maladies émergentes (ProMaid) à propos d’une invasion progressive de plusieurs pays européens par des tiques dites géantes. Ce fut le cas en juillet dernier au Pays-Bas, pays jusque-là indemne. Il s’agit principalement de l’espèce Hyalomma marginatum, tique dure reconnaissable à son long rostre et à ses pattes bicolores (anneaux blanchâtres aux articulations). Elle est deux fois plus grosse qu'Ixodes ricinus. A jeun, la femelle mesure 5 mm de long pour atteindre 2 cm lorsqu’elle est gorgée. Cette tique présente un cycle à deux hôtes (et non trois comme la plupart des tiques dures). Leurs larves infestent des petits vertébrés (lièvres, lapins, hérissons, oiseaux souvent présents au sol…) alors que les adultes seront retrouvés chez les grands vertébrés (sangliers, ruminants domestiques et sauvages, et surtout les chevaux). La particularité de ces tiques est d’être chasseuses. Contrairement à Ixodes ricinus qui se positionne sur des végétaux pour tomber sur l’hôte pour se fixer, Hyalomma marginatum se cache dans le sol, repère sa proie et se dirige vers celle-ci. Cette tique géante peut poursuivre sa cible pendant 10 mn, voire plus sur une distance jusqu’à 100 m.
Ces tiques ne sont pas nouvelles pour la France car elles sont connues depuis plusieurs décennies en Corse mais elles se sont aussi installées plus récemment en France continentale, en région méditerranéenne principalement [1]. Elles sont aussi présentes au Maghreb, dans la péninsule Ibérique, de l’Italie à la Turquie, autour de la mer Noire, dans le Caucase, au sud de la Russie. Le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (CEPCM) a publié en janvier dernier une carte signalant la présence ou non de Hyalomma marginatum (figure 1). Le CEPCM souligne cependant que certains signalements ponctuels ne signifient pas une installation pérenne de ces tiques, en particulier au nord de l’Europe. L’introduction de ces tiques pourrait être soit le fait d’un transport par des oiseaux migrateurs (hypothèse retenue pour les tiques découvertes en Allemagne), soit la conséquence de l’importation de chevaux ou de bovins infestés par des tiques adultes.
Dès 2009, notre confrère Stephan Zientara nous alertait sur les risques liés à ces tiques, notamment vectrices potentielles de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo (FHCC), maladie humaine caractérisée par des symptômes sévères et un taux de létalité parfois élevé, en recrudescence en Europe orientale [2]. Cette alerte était justifiée puisque des cas autochtones de FFCC ont été observé en 2016 en Espagne (l’un dû à une morsure de tique, l’autre d’origine nosocomiale) [3]. Un autre danger représenté par ces tiques est la transmission de la fièvre boutonneuse, due à Rickettsia aeschlimannii. Ce danger est d’autant plus sérieux que le site ProMaid a signalé le 19 août dernier [4] un cas humain de fièvre boutonneuse en Allemagne chez un propriétaire de chevaux. Ce dernier avait envoyé la tique qui l’avait mordu à l’université de Hohenheim pour identification avant d’être hospitalisé quelques jours plus tard avec les symptômes alarmants d’une fièvre boutonneuse, rapidement jugulée par une antibiothérapie. Rickettsia aeschlimannii avait été isolée de la tique. Ce cas autochtone est d’autant plus inquiétant que, dans une étude épidémiologique sur Hyalomma marginatum et Hyalomma rufipes en Allemagne, la moitié des 18 tiques identifiées étaient porteuses de Rickettsia aeschlimannii [5].
L’émergence de ces tiques géantes ajoute de nouveaux risques infectieux liés aux tiques dans plusieurs territoires jusque-là indemnes. Elle démontre l’importance d’une prévention constante contre les morsures de tiques en général, la nécessité de mieux connaître les risques grâce aux travaux de l'Inra, du Cirad et de l'équipe de l’unité de recherche en maladies infectieuses et tropicales émergentes de l’université d’Aix Marseille, consacrés aux tiques et aux maladies qu’elles transmettent.
[2] Zientara S. 2009. La fièvre hémorragique de Crimée-Congo est en recrudescence en Europe orientale. Bull Epid Santé Anim Alim, 33:13.
[3] Negredo A et al. 2017. Autochthonous Crimean-Congo Hemorrhagic Fever in Spain. N Engl J Med, 377(2):154-161.
[4] PRO/AH/EDR. Spotted Fever - Germany: Rickettsia aeschlimannii via Hyalomma Tick - 19 août 2019.
[5] Chitimia-Dobler L et al. 2019. Imported Hyalomma Ticks in Germany in 2018. Parasites vectors, 12(1):134.