Epidémie de Wuhan : un virus proche à 96 % du coronavirus présent chez la chauve-souris

Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
 
Coronavirus
 
Le virus à l’origine de l’épidémie qui sévit actuellement en Chine est un betacoronavirus comme les virus du Sras et du Mers (syndrome respiratoire du Moyen-Orient). L’étude de son génome confirme qu’il ne s’agit ni du virus du Sras, ni de celui du Mers mais d’un virus proche à 96 % du coronavirus présent chez la chauve-souris. On ne connaît pas encore l’origine de la contamination humaine dans le marché de fruits de mer de Wuhan. Plusieurs hypothèses sont émises : serpents, rats des bambous, civette…
 
 
Les autorités de la ville chinoise de Wuhan ont annoncé, le 31 décembre dernier, l’apparition d’une pneumonie d’origine inconnue touchant 59 personnes, dont certaines avaient surtout fréquenté le marché de fruits de mer de la ville. Le marché fut immédiatement fermé, le 2 janvier, car plusieurs animaux domestiques et sauvages, souvent vivants, y étaient aussi vendus.
Cette contamination par des animaux sauvages était plus probable qu’une contamination par des fruits de mer si l’on se rappelle l’épidémie du syndrome respiratoire aigu sévère (Sras) ayant débuté en Chine en 2002 avant d’exploser en 2003, où des civettes sauvages vendues sur les marchés ont été incriminées en tant que porteurs du coronavirus.
Cependant, les symptômes observés, rappelant ceux d’une affection virale avec de la toux et une hyperthermie, n’étaient pas identiques au Sras et les premiers cas de mortalité rapportés concernaient des personnes âgées et/ou atteintes d’autres affections sévères.
Cela peut expliquer les propos rassurants de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) même après que l’on ait identifié l’agent causal, un coronavirus dénommé «2019-nCoV».
L’OMS concluait, le 23 janvier, qu’il n’y avait pas d’urgence sanitaire au niveau mondial, contrairement aux propos plus alarmistes des autorités chinoises mettant en place des mesures particulièrement exceptionnelles (56 millions de personnes confinées dans la province de Hubei, interdiction du commerce d’animaux sauvages, interdiction de voyager, fermeture de la Cité interdite, de la Grande muraille et des parcs Disney, importantes restrictions de circulation, construction d’hôpitaux dédiés en quelques jours, prolongement du congé du nouvel an chinois, etc.).
Il faut noter qu’effectivement une pandémie ne semble pas d’actualité car il n’y a eu que quelques cas exportés de Chine pour le moment. Néanmoins, progressivement, l’OMS corrige son évaluation de la menace qui passe à «élevée» à l’international le 27 janvier puis «d’urgence de santé publique de portée internationale» le 30 janvier.

Un bétacoronavirus comme les virus du Sras et du Mers

Le 2019-nCoV est un betacoronavirus comme les virus du Sras et du Mers (syndrome respiratoire du Moyen-Orient).
Rappelons que le Sras, dont l’animal réservoir était une chauve-souris, a surtout provoqué une épidémie sévère de février à mai 2003, tuant 774 personnes sur 8096 malades, surtout en Chine mais le Canada fut aussi très touché avec 43 décès sur 251 malades [1].
Il a fallu mettre en place d’importantes mesures de biosécurité pour assister à la fin de l’épidémie. Quand le Sras est arrivé à la mi-novembre 2002 dans la province du Guangdong, les cas n’ont pas été officiellement notifiés par crainte d’éventuelles retombées sociales ou économiques, permettant ainsi une large diffusion du virus.
L’OMS n’a été prévenue que le 11 février 2003.
Le Mers, provoqué par un autre betacoronavirus, est apparu plus tard en septembre 2012 et concerne principalement le Moyen-Orient, l’animal réservoir étant le dromadaire.
A la fin de novembre 2019, 2494 cas ont été confirmés dont 858 décès (soit un taux de mortalité de 34,4%) [2]. L’Arabie saoudite a été le pays le plus touché avec 2102 cas dont 780 décès, soit un taux de mortalité de 37,1%.
L’étude du génome du 2019-nCoV publiée le 23 janvier par Peng Zhou [3] confirme qu’il ne s’agit ni du virus du Sras, ni de celui du Mers mais d’un virus proche à 96 % du coronavirus présent chez la chauve-souris (BATCoV RaTG13).
 

Les coronavirus sont des virus à ARN classés en Alphacoronavirus, Betacoronavirus, Gammacoronavirus et Deltacoronavirus. Leur nom vient de leur conformation avec l’observation de spicules formant une sorte de couronne.
Le premier coronavirus identifié fut celui de la bronchite infectieuse aviaire en 1931 aux Etats-Unis alors que les premiers coronavirus ont été décrits chez l’Homme que dans les années soixante. Il s’agissait alors d’un rhume souvent banal. Depuis, de nombreux virus ont été isolés chez les mammifères et les oiseaux… Le mélange des espèces, notamment des porcs, des oiseaux et des animaux sauvages vendus sur des marchés favorise le transfert de certains virus à l’Homme comme, par exemple, le Sras.
 

Classification des coronavirus de l’Homme et des animaux (résumé des principaux coronavirus isolés)

 
Alphacoronavirus
Différents coronavirus humains
Virus de la gastroentérite transmissible du porcelet
Coronavirus du chien
Virus de la péritonite infectieuse féline
Virus de la diarrhée épidémique porcine
Différents coronavirus de la chauve-souris

Betacoronavirus
Coronavirus du Sras
Coronavirus du Mers
2019-nCoV
Virus de la sialodacroadénite du rat
Virus de hémagglutinant de l’encéphalomyélite porcine
Coronavirus bovin
Virus de l’hépatite de la souris
Différents coronavirus de la chauve-souris dont le virus BATCoV RaTG13

Gammacoronavirus
Virus de la bronchite infectieuse aviaire
Virus de l’entérite transmissible de la dinde
Coronavirus du Beluga

Deltacoronavirus
Différents coronavirus aviaires

 

Fig. : Evolution des coronavirus. Les coronavirus semblent provenir des chauves-souris, et plus particulièrement les Alphacoronavirus et les Betacoronavirus (genre où l’on observe des zoonoses) ce qui explique le grand nombre de virus isolés dans ces espèces alors que les oiseaux seraient à l’origine des Gammacoronavirus et des Deltacoronavirus (WOO PCY et al., Journal of Virology, 2012, 3995-4008, doi :10.1128/JVI.06540-11).
 
Coronavirus

Plusieurs hypothèses de contamination

Cependant, on ne connaît pas encore l’origine de la contamination humaine dans le marché de fruits de mer de Wuhan. Plusieurs hypothèses ont été émises sans être formellement confirmées à la date du 26 janvier 2020 : serpents, rats des bambous, civette…
Ces animaux le plus souvent sauvages sont présentés vivants dans une grande proximité sur le marché, malgré l’illégalité de leur vente.
Lorsque les scientifiques chinois ont recherché en 2003 quels animaux sauvages vendus sur les marchés pouvaient être porteurs du virus du Sras, trois espèces se sont révélées positives : la civette masquée, le furet-blaireau et le chien viverrin [4].
Ces hôtes, qui ont pu être contaminés par les chauve-souris réservoirs primaires du virus, ont joué le rôle de réservoirs secondaires, permettant une contamination humaine.
Les répercussions médicales, économiques et médiatiques de l’épidémie chinoise due au 2019-nCoV pouvant être attribuée à des animaux sauvages vendus sur des marchés pour être consommés devraient amener les autorités chinoises à interdire plus sévèrement ce type de marché à l’avenir, une première leçon avec l’épidémie de Sras n’ayant pas été suffisante [5].
Au fur et à mesure que les jours passent, le scénario d’une maladie très sévère semble s’éloigner au détriment d’une plus forte contagiosité avec une augmentation progressive du nombre de cas.

Sous-déclaration des premiers cas

Les cas de pneumonie étaient observés depuis le 12 décembre 2019 à Wuhan et le virus a pu se propager pendant un mois et demi en Chine, voire dans d’autres pays avant la mise en place des mesures de biosécurité drastiques décidées après le 23 janvier 2020, de nombreux déplacements de personnes ayant pu avoir lieu, en particulier avec les préparatifs du nouvel an chinois.
Le maire de Wuhan a annoncé, le 26 janvier, que 5 millions des habitants de sa ville étaient partis avant le confinement, emportant potentiellement avec eux le virus aux quatre coins de la Chine et du monde.
Selon un épidémiologiste de Toronto [6], il y a eu une sous-déclaration des premiers cas car la moyenne d’âge des premières personnes confirmées (59 ans) est supérieure à la moyenne d’âge de la population chinoise (37-38 ans), les 17 premiers cas fatals touchant des personnes âgées (moyenne de 75 ans).
Il est alors possible que des formes bénignes touchant des personnes plus jeunes soient passées inaperçues alors que le virus pouvait être transmis par la voie aérienne.
Pour cette raison, il est difficile de préciser le pourcentage de mortalité lié au 2019-nCoV.
Ce virus semble plus contagieux que celui du Sras mais il est moins virulent. Le taux de mortalité, estimé à près de 2,6% avec 106 décès sur environ 4000 malades (au 28 janvier 2020), est inférieur à celui du Sras (10%) ou du Mers (37%) et il pourrait encore diminuer dans les jours à venir si l’hypothèse de cas bénins se confirme. Au 31 janvier, l’augmentation importante du nombre de cas (près de 10 000 cas), non proportionnelle à celle des décès (213), soit un taux de mortalité de 2,1%, confirme la forte contagiosité du virus et sa virulence plus modérée que celle du Sras mais plus importante que la grippe saisonnière (taux de mortalité : 0,32%).
L’étude des 41 premiers cas hospitalisés à l’hôpital de Wuhan a confirmé l’origine de la contamination (marché de fruits de mer).
Leur moyenne d’âge était de 49 ans et 13 d’entre eux avaient d’autres problèmes de santé (diabète : 8, hypertension : 6, et maladie cardiovasculaire : 6).

Les symptômes d’une grippe

Les symptômes sont ceux d’une grippe : hyperthermie, toux, myalgie ou fatigue. 26 malades présentaient une lymphopénie et tous présentaient des lésions de pneumonie.
Le taux de mortalité fut de 15% (6 malades décédés). Un foyer familial avec 6 cas de pneumonie (5 cas de pneumonie chez 6 personnes d’une même famille de Shenzhen ayant voyagé à Wuhan sans aller au marché de fruits de mer, mais deux d’entre eux avaient visité un hôpital, et un cas chez une autre personne de la famille n’ayant pas voyagé mais contaminée par la famille à son retour à Shenzhen) confirme le risque d’une propagation interhumaine du virus lors de déplacements [8].
Il est difficile de comparer l’évolution de cette épidémie en Chine avec celle du Sras du fait de l’importance des mesures de biosécurité exceptionnelles maintenant préconisées en Chine.
Les mesures de précaution prises maintenant par les médecins en Chine permettent d’éviter une contamination du personnel soignant (on notera toutefois qu’il y a eu 16 soignants contaminés parmi le personnel soignant, avec le décès d’un médecin).

Incubation de 14 jours

Du fait d’un temps d’incubation estimé jusqu’à 14 jours, on peut penser que le pic du nombre de cas pourrait se situer avant mi-février si les mesures de biosécurité ont été efficaces, en particulier dans la province de Hubei.
Cependant, la diffusion du virus en dehors de cet épicentre (on annonce un premier mort en dehors de l’épicentre, à Pékin le 28 janvier) est difficile à estimer et l’on ne peut pas prédire pour l’instant l’évolution de la maladie. Pour plusieurs épidémiologistes, l’épidémie pourrait durer plusieurs mois.
Au 30 janvier 2020, l’OMS dénombre 82 cas dans 18 pays. Il faut aussi espérer que tous les cas exportés de Chine contamineront peu de personnes autochtones, créant ainsi de nouveaux foyers. Parmi eux, seuls 7 ne se sont pas rendus en Chine. Une transmission interhumaine a été constatée dans 3 pays autres que la Chine (il faut y ajouter le 6e cas français correspondant à un médecin contaminé par une touriste chinoise). Un de ces cas est un cas grave ; il n’y a eu aucun décès.
En France, le risque semble pour le moment très limité avec six cas, dont cinq importés. D’autres cas sont possibles puisque des personnes arrivent toujours de Chine actuellement dans notre pays sans que l’on puisse réellement les contrôler et que l’on ne connaît pas l’importance de la répartition géographique actuelle du virus de Wuhan en Chine.
Cependant, on peut s’étonner de voir des personnes se précipitant pour acheter des masques qui seraient plutôt utiles pour éviter une contamination par le virus grippal (8000 à 14 000 décès par an en France, surtout chez les personnes fragiles).

 

[1] Données OMS au 31 décembre 2003.
[2] Données OMS novembre 2019.
[3] http://dx.doi.org/10.1101/2020.01.22.914952.
[4] Y et al. Isolation and characterization of viruses related to the SARS coronavirus from animals in Southern China. Science. 2003, 302:276–278.
[5] Cette interdiction formelle des marchés d’animaux sauvages vivants a été décrétée le dimanche 26 janvier par le autorités chinoises.
[6] D Fishman, PRO/AH/EDR> Novel coronavirus (19): China (HU) Transmission dynamics, promed@promedmail.org du 27 janvier 2020.
[7] Chaolin Huang et al. Clinical features of patients infected with 2019 novel coronavirus in Wuhan, China. www.thelancet.com Published online January 24, 2020 https://doi.org/10.1016/S0140-6736(20)30183-5.
[8] Jasper Fuk-Woo Chan et al. A familial cluster of pneumonia associated with the 2019 novel coronavirus indicating person-to-person transmission: a study of a family cluster. www.thelancet.com Published online January 24, 2020 https://doi.org/10.1016/S0140-6736(20)30154-9.