Covid-19 : point sur le risque zoonotique après la découverte de deux chats positifs

Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
 

L’annonce, le 27 mars, d’un nouvel animal de compagnie positif à la Covid-19, un chat résidant en Belgique et vivant dans l’entourage d’une femme touchée par le Sars-CoV-2, suivi le 3 avril d’un autre cas chez un chat chinois, repose la question du risque potentiel de transmission du virus entre l’animal de compagnie et l’Homme. Les quatre cas dépistés jusqu’à présent ne permettent pas, actuellement, de conclure à une infection productive favorisant une éventuelle contagiosité animal-Homme ou animal-animal. Ils ne remettent pas en question les recommandations déjà formulées quand un animal vit dans l’entourage d’un malade.

Chats et chiens contaminés par leur propriétaire Covid-19 positif

Nous avions déjà signalé qu’il était fort peu probable que l’agent de la Covid-19, le Sars-CoV-2, soit transmissible de l’animal vers l’Homme alors que l’observation de deux chiens positifs à Hong Kong témoignait de la possibilité d’une contamination d’un propriétaire infecté vers son animal.
L’annonce, le 27 mars, de la contamination d’un chat en Belgique témoigne une fois de plus de cette possibilité de transmission du virus de l’Homme lors d’un contact étroit avec l’animal. Depuis, après les deux chiens, un second chat a été déclaré positif à Hong Kong le 3 avril 2020 [1].
Mais peut-on parler de risque zoonotique de l’animal vers l’Homme face à ces cas exceptionnels ?

Le premier chien de Hong Kong était un Loulou de Poméranie âgé (17 ans), mis en quarantaine le 26 février et sans signes cliniques. Les prélèvements nasaux et oraux se sont révélés faiblement positifs pour la recherche de l’ARN viral par RT-PCR à cinq reprises, puis les derniers prélèvements se sont révélés négatifs. Les prélèvements rectaux ont été négatifs.
Ce chien est mort deux jours après son retour de quarantaine chez sa propriétaire, le 16 mars, à la suite de déficiences rénales et cardiaques. Et ce n’est qu’après ce décès, le 26 mars, que l’on a appris que la recherche d’anticorps sur un prélèvement sanguin, du 3 mars, s’était révélée finalement positive. Du fait des faibles valeurs de PCR, on peut penser que l’infection développée par le chien a été trop faiblement productive pour attester d’un risque de contagiosité.

Le second chien positif de Hong Kong est un berger allemand âgé de 2 ans envoyé en quarantaine depuis le 18 mars 2020 avec un chien négatif de race mixte de la même résidence. Comme le cas précédent, il a été contaminé par son propriétaire et révélé positif lors de la recherche de l’ARN viral en RT-PCR, les 19 et 20 mars, mais sans présenter de symptômes. Les données concernant ce deuxième cas ne permettent pas de conclure à une infection productive.

Le troisième cas concerne un chat belge diagnostiqué positif à la faculté de médecine vétérinaire de l’université de Liège, le 18 mars. Ce cas a été annoncé, le 27 mars, par le Comité scientifique (SciCom) institué auprès de l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (Afsca), qui a d’ailleurs émis un avis provisoire sur le risque zoonotique associé aux animaux de compagnie [2].
Le chat vivait chez sa propriétaire atteinte de la Covid-19 après un voyage en Italie et confinée à son domicile. Il a présenté des symptômes (anorexie, diarrhée, vomissements, toux et respiration superficielle) une semaine après le retour de sa propriétaire.
Les prélèvements de liquides gastriques et de matières fécales se sont révélés positifs en PCR. Dix jours plus tard, l’état du chat s’est amélioré mais d’autres examens n’ont pu être réalisés du fait du confinement du chat et de la propriétaire.
Selon le SciCom, il n’est pas possible de conclure à une infection virale productive mais elle peut être suspectée du fait des symptômes compatibles avec une coronavirose. Mais le chat peut aussi avoir été un vecteur passif du fait de la forte contamination de l’environnement liée à sa propriétaire infectée et confinée.

Le quatrième cas concerne un chat de Hong Kong déclaré le 3 avril 2020 à l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE). Il a été placé sous quarantaine le 30 mars à la suite de l’hospitalisation de son maître contaminé par la Covid-19. Tous les échantillons (nasaux, cavité buccale, fèces) ont été positifs au Sars-CoV-2, de même que le 1er avril pour des écouvillons nasaux et oraux. Ce chat reste sous surveillance.

Recherches sérologiques

Ces quatre cas ne permettent pas, actuellement, de conclure à une infection productive favorisant une éventuelle contagiosité animal-Homme ou animal-animal.
Par ailleurs, les laboratoires Idexx [3] ont mis au point récemment un test de diagnostic Idexx Sars-Cov-2 (Covid-19) RealPCR test ND.
Ce test a été réalisé sur près de 4000 échantillons respiratoires (77%) ou fécaux (23%), récoltés entre le 24 février et le 12 mars 2020 dans 50 Etats américains et en Corée du Sud où il existait des cas humains de Covid-19.
Plusieurs animaux de compagnie ont été testés : chiens (55%), chats (41%) et chevaux (4%). Tous les tests se sont révélés négatifs.

Une autre enquête sérologique (ELISA) a été réalisée en Chine chez des chats de Wuhan prélevés avant et après l’épidémie de Covid-19 [4]. Sur les 102 chats prélevés après l’épidémie de Covid-19, 15 (soit 14,7%) se sont révélés positifs, dont 11 avec des titres d’anticorps neutralisants variant de 1/20 à 1/1080, les taux les plus importants ayant été relevés chez les trois chats dont les propriétaires étaient Covid-19 positifs (1/360, 1/360 et 1/1080). Les autres chats étaient des chats errants ou présents dans des hôpitaux. Les chats témoins ayant été prélevés avant l’épidémie étaient négatifs.

Une étude sur une plus large échelle dans d’autres pays très affectés est nécessaire pour confirmer que le Sars-CoV-2 ne circule pas chez nos animaux de compagnie pendant une période d’épidémie importante.

Reproductions expérimentales de la Covid-19 chez des animaux de compagnie

L’éditorial de la revue Nature du 1er avril 2020 rapporte les résultats des travaux réalisés par une équipe chinoise de l’institut de recherche vétérinaire de Harbin [5] démontrant que l’on pouvait reproduire expérimentalement par inoculation intranasale l’infection par des virus Sars-CoV-2 chez des animaux pouvant être de compagnie ou de ferme (furets, chats, chiens, poulets, porcs et canards). Il faut noter que dans ce document prépublié (n’ayant pas encore fait l’objet d’une validation), seul un petit nombre d’animaux ont été inoculés avec des fortes doses de virus.
Le virus a été détecté dans les premières voies respiratoires des furets, qui n’ont pas présenté de symptômes importants ou une mortalité.
Cinq chats ont pu être infectés, avec une excrétion virale dans les échantillons respiratoires et fécaux et une séroconversion. Il a été possible de démontrer que le virus pouvait être transmis par la voie aérienne sur l’un des trois chats en contact avec les chats inoculés.
Les trois chiens inoculés ont montré une très faible sensibilité à l’infection virale.
Enfin les porcs, les poulets et les canards ne se sont pas révélés sensibles.
Rappelons que des études antérieures sur le Sras-CoV à l’origine du syndrome respiratoire aigu sévère (Sras) avaient déjà montré expérimentalement que les chats pouvaient être infectés et contaminer d’autres chats sans que l’on ait montré un rôle épidémiologique des chats dans ce syndrome.

Dans une seconde publication du 31 mars [6], une équipe sud-coréenne rapporte l’inoculation expérimentale de furets avec de fortes doses de virus. Chez ces furets, on a pu retrouver le virus dans les cavités nasales, la salive, l’urine et les fèces jusqu’à huit jours suivant l’inoculation. Il a été aussi possible de démontrer une contagiosité chez des furets placés en contact direct dans la même cage que les furets inoculés. Pour quelques furets en contact indirect car placés dans des cages séparées, on a pu aussi démontrer la possibilité d’une transmission par la voie aérienne. Par comparaison avec les inoculations réalisées avec le Sars-CoV du Sras, les auteurs font remarquer que les aspects cliniques et les titres de virus dans les poumons sont plus faibles avec le Sars-CoV-2 mais que l’infection persiste plus longtemps chez l’animal, avec la possibilité d’un portage asymptomatique permettant la propagation du virus. Le furet peut néanmoins être un modèle animal pour l’étude de l’infection par le Sars-CoV-2 comme dans le cas de plusieurs viroses respiratoires humaines (virus influenza ou parainfluenza, virus respiratoire syncytial, Sars-CoV-1). Ce document prépublié ne concerne que 24 furets et n’a pas encore fait l’objet d’une validation.

D’autres tests sont nécessaires, notamment chez les chats avec des doses différentes de virus pour vérifier la possibilité de cette transmission par contact.

Mesures de biosécurité

Ces observations ne modifient pas les recommandations que nous avions formulées et montrent qu’il est inutile d’alarmer les propriétaires d’animaux de compagnie car le principal risque de la Covid-19 est une transmission interhumaine. Il n’est pas nécessaire de séparer les animaux de la famille lorsqu’une personne est Covid-19 positive dans le milieu familial mais il faut renforcer les mesures de biosécurité habituellement recommandées pour éviter les zoonoses liées aux animaux de compagnie, notamment le lavage des mains, l’entretien de la litière ou l’apport des aliments tout en évitant un contact à risque avec l’animal (baisers, léchage, partage de la nourriture, notamment).
Par conséquent, l’important est, lorsque la personne infectée est maintenue à domicile, de réduire au maximum les possibilités de contacts de l’animal avec celle-ci et de désinfecter son environnement. Il faut aussi recommander qu’une autre personne vivant sous le même toit s’occupe de l’animal.

Réalisation de tests par les laboratoires vétérinaires

La réalisation de tests Covid-19 par les laboratoires vétérinaires accrédités COFRAC est envisagée par le ministère de la Santé et sera nécessaire pour permettre de lever le confinement actuel.
Dans le contexte exceptionnel de la crise sanitaire liée à la pandémie actuelle de Covid-19, ces tests doivent être effectués en priorité pour le suivi des cas humains en France comme dans d’autres pays européens, mais il faut aussi souhaiter la possibilité d’une vigilance vétérinaire accrue du risque de contamination des animaux de compagnie, voire de ferme, par le Sars-CoV-2 dans le contexte «Une seule santé».

 

[1] Les trois cas de Hong Kong ont fait l’objet d’une alerte sanitaire pour maladie émergente à potentiel zoonotique inconnu à l’Office international des épizooties :
https://www.oie.int/wahis_2/public/wahid.php/Reviewreport/Review/viewsummary?fupser=&dothis=&reportid=33455
https://www.oie.int/wahis_2/public/wahid.php/Reviewreport/Review/viewsummary?fupser=&dothis=&reportid=33684
https://www.oie.int/wahis_2/public/wahid.php/Reviewreport/Review/viewsummary?fupser=&dothis=&reportid=33832
[2] https://urlz.fr/cfa1.
[3] https://urlz.fr/cfa7.
[4] Zhang Q et al. SARS-CoV-2 neutralizing serum antibodies in cats: a serological investigation. https://doi.org/10.1101/2020.04.01.021196 (prépublication non validée).
[5] Jianzhong Shi et al. Susceptibility of ferrets, cats, dogs, and different domestic animals to SARS-coronavirus-2. bioRxiv preprint 2020.03.30.015347v1.full.pdf
[6] Young-Il Kim et al. Infection and rapid transmission of SARS-CoV-2 in ferrets. Journal pre-proof. CellPress.DOI: 10.1016/j.chom.2020.03.023.