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Les membres de l’Afas publient régulièrement des articles. Ils sont à retrouver ici :

Alain Delacroix

Ancien professeur titulaire de la chaire "Chimie industrielle - Génie des procédés" du Conservatoire national des arts et métiers
 

François Pierre Barry, Le Chantier n°5 : vue du Canal de Suez, 1863
© Souvenir de Ferdinand de Lesseps et du Canal de Suez / Lebas Photographie Paris

François-Pierre Bernard Barry, Le Chantier n°5 : vue du Canal de Suez, 1863, © Souvenir de Ferdinand de Lesseps et du Canal de Suez / Lebas Photographie Paris

L'isthme de Suez est depuis la nuit des temps un passage stratégique entre l'Asie, l'Egypte et les pays qui bordent la Méditerranée. Au temps des pharaons, un canal est déjà creusé et relie la mer Rouge avec un bras du Nil. Aristote cite un canal qui se déverse dans la mer Rouge et pense que ce serait Sésostris III, avant la guerre de Troie, qui aurait entrepris de creuser l'ouvrage. Hérodote, quant à lui, précise qu'il est alimenté par l'eau du Nil et que 120 000 Egyptiens périrent en le réalisant.
Ces informations ne sont pas confirmées par des textes ni des fouilles archéologiques. En revanche, on dispose de quatre stèles de granit érigées par le roi de Perse Darius Ier, qui montrent qu'il existe un canal entre le Nil et la mer Rouge 500 ans av. J.-C. Ce canal aurait duré jusqu'au VIIIe siècle et aurait disparu par manque d'entretien.

C'est Saïd Pacha et Ferdinand de Lesseps qui, poussés par les idées saint-simoniennes, vont relancer le projet de canal. Cependant, la Sublime Porte et l'Angleterre s'y opposent farouchement et, de plus, la différence de niveau potentielle entre la mer Rouge et la Méditerranée est une source d'inquiétude car la nécessité d'écluses plomberait l'entreprise. Malgré cela, Ferdinand de Lesseps, soutenu par l'empereur Napoléon III, va aller jusqu'au bout de son aventure humaine, financière et surtout technologique. En particulier pour ce dernier point, il fait l'hypothèse que la flotte internationale, constituée essentiellement de bateaux à voiles, va rapidement être remplacée par des bateaux modernes à vapeur, lesquels, en passant par le canal, vont gagner 8000 km sur la distance Londres-Bombay. Par ailleurs, pour le creusement, il va utiliser largement la nouvelle énergie qu'est la vapeur.

Napoléon III, ne voulant pas choquer les Anglais, donne son accord pour que l'entreprise soit une compagnie internationale sous l’autorité du Gouvernement égyptien. 21 000 souscripteurs, presque tous français, mettent la main à la poche, mais cela ne suffisant pas, l'Egypte va abonder 44% du capital.

Le canal, d'une longueur de 164 km, nécessite l'évacuation de 75 millions de mètres cubes de déblais. Au départ, les opérations se font de façon archaïque par 25 000 ouvriers égyptiens recrutés sous le régime de la corvée. Mais Saïd Pacha meurt en 1863 et son successeur Ismaël Pacha supprime la corvée, ce qui entraîne l'arrêt des travaux. François Philippe Voisin, le nouveau chef de chantier, va alors moderniser l'entreprise en employant les nouvelles méthodes du génie civil conduites en France. Des centaines de kilomètres de voies ferrées sont construites pour l'élimination des déblais et plusieurs machines sophistiquées pour l'époque sont employées. Alphonse Couvreux met en œuvre une excavatrice à godets brevetée en 1860, qui permet automatiquement de détacher des morceaux de roches et de les envoyer dans des wagonnets. Des dragues énormes sont imaginées par la société Borel Lavalley et Compagnie et réalisées par les constructeurs Goüin et les Forges et chantiers de la Méditerranée. L'ensemble de ces moyens est mû par la nouvelle énergie qu'est la vapeur. A l'Exposition universelle de 1867 à Paris, le pavillon de la Compagnie du canal de Suez présente ces machines innovantes.

 

Hippolyte Arnoux et Zangaki frères, Drague à déversoir, 1869-1885
© Archives nationales du monde du travail (Roubaix)

Hippolyte Arnoux et Zangaki frères, Drague à déversoir 1869 - 1885 © Archives nationales du monde du travail (Roubaix)
 

Après dix années de travaux et la mobilisation d’un million et demi de travailleurs égyptiens et internationaux, le canal est inauguré le 17 novembre 1869, en présence de l'impératrice Eugénie. Depuis, le canal a changé de main, après diverses vicissitudes politico-militaires, mais se développe toujours. En 2015, des travaux gigantesques doublent sa capacité. En 2016, 17 004 navires l'ont traversé alors qu'ils n'étaient que 486 en 1870.

L'exposition L'épopée du canal de Suez, des pharaons au XXIe siècle [1] à l'Institut du monde arabe, grâce, entre autres, aux archives du groupe Engie, héritier de la Compagnie de Suez, nous montre l'évolution de cette aventure passionnante qui a duré quatre mille ans.

 

[1] L'épopée du canal de Suez, des pharaons au XXIe siècle, jusqu'au 5 août 2018 à l'Institut du monde arabe.

Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, ancienne présidente de l’Académie vétérinaire de France
 
Une nouvelle espèce touchée par le prion : le dromadaire

La revue du centre de contrôle (CDC) des maladies infectieuses d’Atlanta publie ce mois-ci [1] un article décrivant l’émergence d’une nouvelle espèce touchée par les maladies à prions : le dromadaire.

Depuis l’apparition de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), de nouvelles souches de prions ont pu être observées (souches ESB atypiques de type L et H différentes de l’ESB classique ou ESBc, souches de tremblante atypique chez des moutons « résistants » à la tremblante, découverte de la maladie du dépérissement chronique (MDC) des cervidés en Norvège et en Finlande). Pour la première fois, une équipe de scientifiques algériens et italiens signalent la possibilité d’une infection par des prions chez le dromadaire (Camelus dromedarius). Celle-ci a été détectée à l’abattoir de Ouargla en Algérie et dénommée camel prion disease ou CPD (maladie à prion du chameau ou MPC).

Les examens ante mortem à l’abattoir avaient permis d’observer une augmentation des troubles neurologiques chez les dromadaires adultes. Les animaux présentaient des troubles du comportement (agressivité) et des difficultés locomotrices (cf. les vidéos insérées dans l’article de la revue du CDC [1]). Dans les élevages atteints, la maladie semble être apparue à partir de 1980 et évoluait vers un décubitus et la mort en 3 à 8 mois.

Les prélèvements réalisés sur trois dromadaires suspects et un autre apparemment sain (cerveau, nœuds lymphatiques) ont été analysés (immunohistochimie, western blot, analyse du gène PrP). L’examen histologique et histochimique a confirmé les lésions d’une encéphalopathie spongiforme due à un prion chez les trois animaux suspects. La protéine prion a été également mise en évidence principalement dans les nœuds lymphatiques cervicaux et préscapulaires. La protéine prion infectieuse (PrPres) est différente de celle de la tremblante classique ou de l’ESB (poids moléculaire plus élevé).

Parallèlement à ces analyses de laboratoire, une étude rétrospective a été réalisée sur les dromadaires ayant présenté des signes neurologiques à l’abattoir de Ouargla en 2015 (20 sur 937) et 2016 (51 sur 1322), soit 3,1% des dromadaires amenés à l’abattoir. Tous les animaux étaient âgés de plus de 8 ans. Ce taux de 3,1% peut sembler important pour cette maladie émergente. Pour les auteurs, il peut être considéré comme fiable d’une part, du fait de la découverte de la maladie chez les trois dromadaires suspects, et d’autre part, de la présence de la protéine prion dans les nœuds lymphatiques comme dans le cas de la tremblante et de la MDC, qui sont considérées comme transmissibles par la voie horizontale par l’intermédiaire de l’environnement mais aussi par la voie verticale.
Si une contamination iatrogène peut être écartée car il n’y a pas eu de programme de vaccination chez ces dromadaires, un risque de contamination d’origine alimentaire n’est pas exclu.

Face à l’émergence de cette maladie touchant une espèce d’élevage importante en Afrique et au Moyen-Orient, il importe maintenant d’évaluer son incidence dans les différents pays ainsi que le risque qu’elle peut représenter pour l’Homme.

 

[1] Babelhadj B, Di Bari MA, Pirisinu L, Chiappini B, Gaouar SBS, Riccardi G, et al. Prion Disease in Dromedary Camels, Algeria. Emerg Infect Dis., 24, 6, June 2018.

Alain Foucault

Professeur émérite du Muséum national d'histoire naturelle (Paris)
 

© Expo Néandertal - Kinga, par Elisabeth Daynès, MNHN - JC Domenech

© Expo Néandertal - Kinga, par Elisabeth Daynès, MNHN - JC Domenech

La Düssel est une petite rivière qui conflue avec le Rhin dans la ville à laquelle elle a donné son nom : Düsseldorf. Un pasteur allemand du XVIIe siècle, Joachim Neander, aussi poète et compositeur, venait chercher la paix dans sa verte vallée, à l’endroit que, pour cela, on a appelé Neanderthal (aujourd’hui Neandertal, thal, ou tal, signifiant vallée). C’est justement là qu’en 1856 des ouvriers travaillant dans une petite grotte dite Feldhofer ont mis à jour une quinzaine d’ossements dont l’âge ancien a été rapidement admis et que l’on a rapporté à une nouvelle espèce d’homme : Homo neanderthalensis.

Parmi ces ossements, se trouvait une calotte crânienne qui ressemblait à celle d’un homme, mais dont certaines particularités, notamment des bourrelets sus-orbitaux saillants s’écartaient notablement de tout ce que l’on connaissait sur les squelettes de l’homme moderne et rappelaient ceux des singes. De longues polémiques s'en sont ensuivies, où pour certains il s’agissait des os d’un malade, pour d’autres quelque chose comme un homme-singe. Mais cette trouvaille isolée ne pouvait que difficilement donner lieu à des généralisations. Il en fut bientôt autrement lorsque se multiplièrent les découvertes de restes osseux comportant des crânes aux mêmes caractéristiques et, au vu de squelettes complets ou presque, on n’eut plus de doute concernant le statut décidément humain de cet homme de Néandertal.

Homme sans doute, mais homme primitif et, pendant longtemps, on a insisté sur son aspect brutal, sur « la prédominance de ses fonctions purement végétatives ou bestiales sur ses fonctions cérébrales » et sur le fait qu’il « représentait un degré de l’échelle humaine morphologiquement inférieur à tous les échelons de l’Humanité actuelle » (Marcellin Boule). Bref une brute inintelligente.

Depuis 1856, beaucoup de découvertes ont été faites qui ont montré que cet homme avait existé depuis 350 000 ans jusqu’à il y a quelque 35 000 ans, s’étant répandu sur toute l’Europe et au-delà jusqu’au Proche-Orient. Parallèlement, les idées le concernant ont évolué et l’on a été amené à réviser les mythes souvent négatifs qui s’y attachaient.

C’est à cette révision que se sont attachés les commissaires de l’exposition Néandertal L’Expo [1] qui se tient actuellement au Musée de l’Homme à Paris.
On apprend que Néandertal savait faire cuire ses aliments, pouvait se soigner avec des plantes, que, s’il habitait l’entrée des grottes, il savait aussi faire des constructions. On voit qu’il pouvait enterrer ses morts, qu’il fabriquait des outils variés, dont certains semblent faire penser à des préoccupations esthétiques.

Mais ce qui nous rapproche le plus de lui, c’est qu’il s’est métissé à notre espèce d’Homo sapiens. On a longtemps hésité à envisager cette possibilité, mais les progrès de la biologie moléculaire ont montré que l’ADN des hommes modernes, sauf en Afrique, pouvait comporter des restes de l’ADN de Néandertal. Pas beaucoup certes, mais quelques pourcents qui montrent qu’il peut compter parmi nos ancêtres. Ancêtre dont la disparition, il y a quelque 35 000 ans, a sa part de mystère.

Cette exposition tend ainsi à réhabiliter cet homme jadis décrié et nous fait sentir qu’en quelque sorte, il reste encore présent. Le parcours qu’elle propose est clair et aéré et des dispositifs interactifs ajoutent à son intérêt. Celui qui cherche l’authenticité appréciera la présence des originaux de fossiles rarement montrés au public, notamment la calotte crânienne découverte en 1856 et le crâne de l’homme de La Chapelle aux Saints.
En tout, une réussite qui mérite qu’on y consacre une visite.

 

[1] Neandertal L’Expo, jusqu'au 7 janvier 2019 au Musée de l’Homme
Commissaires scientifiques : Marylène Patou-Mathis et Pascal Depaepe

Création d’un think tank indépendant sur les politiques d’innovation

L’AFAS a été membre fondateur du Collectif Innovation qui s’est créé avant les dernières élections présidentielles afin d’entendre les différents candidats sur la politique d’innovation qu’ils entendaient mettre en place s'ils étaient élus. L’objectif était alors de sensibiliser les candidats à la nécessité d’une politique nationale d’innovation ambitieuse !
Depuis l’élection, ce collectif a continué à se réunir pour évaluer les mesures prises et mettre en place un observatoire international des politiques nationales d’innovation.
Aujourd’hui, il se structure en un think tank indépendant, en signant un accord avec la Société d’encouragement pour l’industrie nationale afin de participer activement aux travaux en cours, en particulier pour le Grand plan d’investissement 2018-2022 en préparation par le Gouvernement.
 
Serge Chambaud
Président de l'AFAS

 
 

Communiqué de presse du 26 avril 2018

 
 
 Logo Collectif Innovation

Création d’un think tank indépendant sur les politiques d’INNOVATION

 
1 - Débats et réflexions sur l’innovation s’intensifient et s’organisent pour se renforcer. C’est avec la volonté de créer une puissance de réflexion et de débat qu’Olivier Mousson, président de la SOCIETE D’ENCOURAGEMENT POUR L'INDUSTRIE NATIONALE, et Patrice Noailles-Siméon, délégué général du COLLECTIF INNOVATION ont signé ce jour un accord. L’objectif est d’organiser la fusion des activités des deux organismes dans le domaine de l’innovation pour constituer un pôle de réflexion et prendre part au débat du Grand plan d'investissement 2018-2022, mené par le Gouvernement, et participer à l’élaboration des futures réformes structurelles pour la compétitivité par l’innovation.
 
2 - Depuis 1801, la SOCIETE D’ENCOURAGEMENT œuvre au profit de l'industrie nationale et européenne. Elle encourage les bâtisseurs de l’industrie, transmet les savoir-faire, valorise le made in France et conserve la mémoire du patrimoine industriel. C’est ainsi qu’elle organise des débats, des réflexions, des formations et des opérations de valorisation dans son Hôtel de l’Industrie, site historique de la place Saint-Germain-des-Prés. Elle compte parmi ses membres de très nombreuses personnes morales et des personnalités du monde des affaires.
 
3 - Créé en 2016 par vingt associations impliquées dans le dispositif français d'innovation, le COLLECTIF INNOVATION développe un débat politique sur les voies et moyens qui feront de la France une société innovante de « niveau mondial ». C’est ainsi qu’il a organisé en 2017, l’audition de tous les candidats (ou leur représentant) dans les locaux et en partenariat avec la Société d'encouragement. Les associations membres du Collectif représentent plus d'un million de personnes actives dans les domaines de l’innovation et de la recherche.
 
4 - Olivier Mousson, président de la Société d'encouragement, et Patrice Noailles-Siméon, délégué général du Collectif, entendent constituer, ensemble, un pôle de réflexion indépendant d'envergure nationale, avec le programme suivant :

  • Développer les Mercredis de l’innovation, des auditions mensuelles sur les politiques d'innovation en France, en Europe et dans le monde.
  • Publier une Lettre hebdomadaire d'information sur l'actualité en matière de politique d'innovation et un fil d’informations sur les politiques d’innovation dans le monde.
  • Organiser dès 2018 une rencontre annuelle sur les politiques d’innovation : les Assises de l’innovation, le 15 octobre 2018 à l’Hôtel de l’Industrie, avec l’ensemble des acteurs innovation européens, publics et privés, de l’écosystème des innovateurs français.
  • Poursuivre l'activité de think tank des politiques publiques d'innovations, sur des grandes thématiques telles que les données personnelles ou les dynamiques d’une société innovante.

CONTACT PRESSE
Stéphanie Deschamps
hoteldelindustrie@icloud.com - 06 08 57 38 11

SOCIETE D'ENCOURAGEMENT POUR L'INDUSTRIE NATIONALE
Olivier Mousson

HEC, docteur d’État en sciences économiques, Olivier Mousson a été membre de plusieurs cabinets ministériels, de Gérard Longuet au ministère de l’Industrie à Gilles de Robien au ministère de l’Équipement. Il est actuellement conseiller maître à la Cour des Comptes. Citoyen engagé, il est également secrétaire général du Mouvement européen France.
contact@industrienationale.fr - 06 10 78 63 37 - www.industrienationale.fr - @IndustrieFrance

COLLECTIF INNOVATION
Patrice Noailles-Siméon

Président de Seillans, Family Office (Investissement & Conseil). Fondateur et président de l’Institut Politiques & Technologies”, premier think tank français sur l’innovation (1985-1990). Ancien conseiller technique du ministre de la Recherche et de l’Enseignement supérieur (1986). Il est auteur de deux ouvrages sur l’innovation : De Gaulle et la technologie (1994 - préface de Stanley Hoffmann et avant-propos de Jacques Chirac) et L’innovation, valeur, économie, gestion (2008).
collectif.innovation2017@gmail.com - 07 82 23 32 65 - www.politiques-innovation.org - @ci2017.org
Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, ancienne présidente de l’Académie vétérinaire de France
 
rats et zoonoses

Alors que l’on pensait que le rat brun (Rattus norvegicus) était surtout présent dans les égouts et les berges de nos fleuves ou de certains plans d’eau, les Parisiens ont pu constater une augmentation de leur présence dans les rues et les parcs en particulier du fait de la présence d’une nourriture facilement accessible (poubelles Vigipirate, aires de pique-nique avec des résidus de repas, eau ad libitum, etc.) mais aussi d’une modification de leur environnement (par exemple, une crue de la Seine). Paradoxalement, on peut constater que, face à cet animal considéré comme nuisible, nous avons assisté à un engouement pour cette espèce en tant que nouvel animal de compagnie (NAC), en particulier après le film Ratatouille représentant un rat brun en chef sympathique dans la cuisine d’un grand restaurant ! Mais qu’il s’agisse d’un rat sauvage ou d’un NAC, cette espèce peut transmettre de nombreuses maladies, le risque accru de contact entre l’animal sauvage et l’Homme pouvant varier en fonction de plusieurs facteurs.

En premier lieu, ce risque de zoonose peut être viral. Dans le cas d’une hantavirose, la contamination s’effectue principalement près des nids de rats par inhalation d’aérosols, le virus étant excrété par les urines. Il peut s’agir des virus Puumala, Tula ou Séoul, responsables respectivement d’une néphropathie épidémique, d’une hématurie ou d’une fièvre hémorragique avec syndrome rénal. Les sérotypes 3 et 4 du virus de l’hépatite E sont principalement hébergés par le porc mais ce virus, surtout dangereux chez la femme enceinte (25% de mortalité), peut être aussi présent chez d’autres espèces comme le rat, ou dans l’environnement, notamment près des élevages de porcs. En France, les rats peuvent être porteurs asymptomatiques du virus du cowpox, qui fut utilisé autrefois pour vacciner contre la variole humaine. La contamination humaine s’effectue par la voie cutanée, soit directement, soit indirectement par l’intermédiaire d’un chat. Rappelons aussi l’importation du virus de la variole du singe par des rats de Gambie importés d’Afrique vers les Etats-Unis en 2003 et ayant contaminé 71 jeunes enfants par l’intermédiaire de chiens de prairie (qui sont en fait des rongeurs utilisés comme NAC). Enfin, le rat peut être aussi porteur de l’arénavirus de la chorioméningite lymphocytaire, comme plusieurs rongeurs.

Les zoonoses d’origine bactérienne transmises par le rat seront plus fréquentes. C’est le cas en particulier de la leptospirose, maladie professionnelle qui peut se révéler grave chez les égoutiers ou les agriculteurs travaillant sur des terrains marécageux, mais il s’agit aussi d’une maladie de loisir lors d’une baignade dans une eau contaminée. La bactérie responsable, principalement Leptospira interrogans est présente dans les urines. Elle se transmet surtout par la voie transcutanée ou muqueuse (voie rhinopharyngée lors d’une baignade). Les salmonelloses d’origine animale sont des zoonoses majeures. Si la principale cause de salmonellose chez l’Homme en Europe est la consommation de Salmonella Enteritidis dans les œufs crus et les ovoproduits, les rats sont souvent la cause de la contamination des poulaillers ou de l’environnement de l’Homme en zone urbaine. Un autre risque souvent méconnu est la fièvre de la morsure du rat où la bactérie principalement responsable, Streptobacillus moniliformis, est un hôte habituel de la cavité buccale du rat. Cette maladie peut se révéler rapidement mortelle par septicémie en l’absence d’une antibiothérapie précoce. Il a été aussi montré en France que le rat pouvait contaminer, par l’intermédiaire de sa puce Xenopsylla cheopsis, des sans domicile fixe (SDF) avec des bartonelles (Bartonella elizabethae) et ainsi provoquer une rétinite et une endocardite. D’autres bactéries à l’origine d’une infection humaine, le plus souvent des toxi-infections, peuvent être véhiculées par le rat : Staphylococcus aureus méticillinorésistant, Staphylococcus pseudintermedius méticillinorésistant, Escherichia coli O157:H7, Mycobacterium bovis, Streptococcus pneumoniae, Campylobacter spp., Yersinia pseudotuberculosis et Clostridium difficile, sans que l’on connaisse l’importance du rôle joué par le rat dans les maladies humaines. Enfin, signalons que la puce du rat peut encore véhiculer dans certains pays les agents du typhus murin (Rickettsia typhi) et de la peste bubonique (Yersinis pestis).

En France, le rat est aussi impliqué dans des zoonoses parasitaires. Il peut être porteur d’un nématode, la trichine (Trichinella spiralis), qui provoque par ingestion une gastroentérite. Cette ingestion s’effectue par l’intermédiaire de la viande consommée crue ou insuffisamment cuite du porc (ou du cheval) ayant pu ingérer un rat parasité. Comme de nombreuses espèces, le rat peut être aussi réservoir des toxoplasmes (Toxoplasma gondii) et des cryptosporidies (Cryptosporidium spp.). Un autre nématode parasite du foie chez le rat, Capillaria hepatica (anciennement Calodium hepaticum) provoquera une capillariose hépatique. En milieu urbain, la contamination humaine résulte d’un défaut d’hygiène et concerne principalement les enfants pouvant ingérer des œufs de parasites présents dans l’environnement. Par ailleurs, une autre zoonose parasitaire, due à un cestode, Hymenolepis spp., à tropisme intestinal, n’est pas observée en France.

Enfin, comme pour de nombreuses autres espèces animales, le rat peut être porteur d’une teigne (Trichophyton mentagrophytes) sans montrer pour autant une lésion visible. La lésion chez l’Homme est circulaire, prurigineuse et nécessite un traitement antifongique.

En conclusion, l’observation de rats dans un environnement urbain, voire dans des habitations, représente donc une menace en santé publique justifiant de limiter le nombre de ces rongeurs nuisibles. Enfin, il importe de connaître aussi les risques liés au rat en tant que NAC pour de jeunes enfants.

Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, ancienne présidente de l’Académie vétérinaire de France
 
Encéphalopathies spongiformes transmissibles animales. Bilan 2016 en Europe

Dans un rapport de novembre 2017, l’Agence de sécurité alimentaire européenne (EFSA) présente les résultats de l’épidémiosurveillance des encéphalopathies spongiformes transmissibles (EST) animales en Europe ainsi que des résultats du typage génétique chez les ovins [1].

Ainsi, en 2016 :

  • 1 352 585 bovins ont été testés dans l'Union européenne (5% de moins qu'en 2015). Si, la pour la première fois, le Royaume-Uni n'a signalé aucun cas d'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), la France a détecté un cas classique, né après l’interdiction totale des farines animales en 2001, et trois cas atypiques (H). Seule l’Espagne a aussi déclaré un cas atypique (H). Ces cinq cas ont été découverts à l’équarrissage.
  • 286 351 moutons et 110 832 chèvres ont été testés (respectivement 5% et 11% de moins qu'en 2015). La tremblante du mouton a été signalée par 20 États membres (685 cas) et la tremblante caprine par 9 États membres (634 cas). 25 cas de tremblante ovine ont été aussi signalés par l'Islande et la Norvège. La présence de la tremblante chez les petits ruminants reste stable, la tremblante classique (1175 cas) étant signalée plus fréquemment que la tremblante atypique (135 cas). Au total, 97,2% des cas de tremblante classique chez les ovins concernaient des génotypes appartenant au groupe sensible, et un échantillonnage aléatoire a montré que 26,6% des moutons testés possédaient des génotypes du groupe sensible (à l'exclusion de Chypre).
  • Seule la Norvège a signalé cinq cas de maladie du dépérissement chronique (MDC) chez des cervidés : trois chez des rennes sauvages et deux chez des orignaux. Rappelons que c’était la première fois que cette maladie était signalée en Europe. La recherche d’une MDC dans sept Etats membres (2712 cervidés testés, dont 90% en Roumanie) s’est révélée négative.
  • 490 animaux provenant d'autres espèces non ruminantes (principalement des chats) ont été testés dans quatre États membres différents, avec des résultats négatifs.

Ce rapport nous rappelle également les données épidémiologiques correspondant à la période 2001-2016 :

  • Environ 115 millions de bovins ont été testés pour l'ESB dans l'Union européenne, avec une diminution marquée du nombre d'animaux testés suite à des amendements au règlement sur les EST où les tests à l’abattoir ont été diminués (en particulier de 20% en France, en Allemagne et en Pologne). Ainsi, l’âge limite pour les tests à l’abattoir est passé de 30 à 48 mois en 2009, puis à 72 mois en 2011. En 2016, de nombreux pays de l'Union européenne ne testent plus les bovins à l’abattoir (la France teste les bovins nés avant le 1er janvier 2002). Ces tests ont été au contraire augmentés chez les bovins à risque (71% des échantillons testés en 2016). Comme le cas français de 2016, il y a eu 60 cas d’ESB classique nés après l’interdiction renforcée des farines en 2001 (superNAIF) pendant cette période (fig. 1).
  • A partir de 2002, environ 8,8 millions de petits ruminants ont été testés pour la tremblante dans l'Union européenne.
Fig. 1. Distribution géographique des cas d’ESB observés entre 2001 et 2016 : cas d’ESBc (A), cas superNAIFS d’ESBc (B), cas atypiques de type H (C), cas atypiques de type L (D).

Encéphalopathies spongiformes transmissibles animales. Bilan 2016 en Europe

Enfin ce rapport souligne les modalités de l’épidémiosurveillance de la tremblante chez les petits ruminants, notamment pour la recherche d’une éventuelle (et peu probable) souche d’ESB classique (rappelons qu'on n'a découvert cette souche qu’une seule fois chez une chèvre en France, à une période où une contamination par des farines animales était encore possible). Le rapport souligne l’importance du typage signalant la susceptibilité génétique des ovins à la tremblante où les ARR homozygotes sont considérés comme résistants (sauf dans les cas atypiques) [2].

 

Le variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob

 
Rappelons que les cas primaires de variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (vMCJ) attribués à la consommation de produits bovins sont de 228 (dont 27 en France). A ces cas primaires, il faut ajouter trois cas secondaires d’origine iatrogène (produits sanguins), observés au Royaume-Uni. Enfin rappelons la possibilité d’une seconde vague du fait d’un nouveau cas de vMCJ signalé en 2017 chez un Britannique hétérozygote, alors que tous les cas de vMCJ observés jusqu’alors étaient homozygotes (avec une plus courte durée d’incubation de la maladie).

 

La maladie du dépérissement chronique (MDC)

 
Cette maladie représente surtout un problème chez les cervidés élevés ou sauvages en Amérique du Nord. Elle a été identifiée dans 24 Etats aux Etats-Unis, deux provinces canadiennes, en Corée du Sud et en Norvège. Le risque zoonotique lié à cette affection n’a jamais été démontré formellement mais des mesures de précaution sont recommandées. La propagation de la maladie semble liée à une contamination de l’environnement (comme pour la tremblante du mouton). Récemment, Kramm et al. [3] ont montré que, par des méthodes d’amplification (protein misfolding cyclic amplification ou PMCA), il était possible de détecter le prion dans le sang de cervidés infectés pendant la phase précoce asymptomatique de la maladie. Cette méthode de détection s’est révélée efficace à 100% chez les sujets malades, à 96% chez les chez les sujets asymptomatiques où le prion est présent dans les nœuds lymphatiques et le tissu cérébral, mais seulement à 53% chez les sujets en phase d’infection très précoce où le prion n’est retrouvé que dans les nœuds lymphatiques. Selon les auteurs, ce travail peut permettre d’espérer dans l’avenir un test sanguin permettant de détecter en routine les cervidés atteints de MDC pendant la phase d’incubation.

 

[1] The European Union summary report on surveillance for the presence of transmissible spongiform encephalopathies (TSE) in 2016. EFSA Journal, Volume 15, Issue 11 November 2017 e05069. http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.2903/j.efsa.2017.5069/full
[2] Bien avant d’avoir signalé le premier cas « atypique » de tremblante en France (2e cas mondial) chez un mouton ARR/ARR en 2000, nous avons toujours considéré que cet aspect de lutte contre la tremblante par la sélection génétique pouvait être discutable. Sur le terrain, il avait toujours été observé que l’agent de la tremblante s’installait très progressivement dans les élevages après l’introduction d’un mouton infecté en s’adaptant à la nouvelle génétique du troupeau, comme le prouvait l’apparition très tardive de la maladie clinique puis la diminution progressive des périodes d’incubation.
[3] Kramm C et al. Detection of prions in blood of cervids at the asymptomatic stage of chronic wasting disease. www.nature.com/scientificreports (7:17241/DOI:10.1038/s41598-017-17-17090-x)
Alain Foucault

Professeur émérite du Muséum national d'histoire naturelle (Paris)
 

La course aux supercalculateurs

On sait que les ordinateurs ne peuvent manipuler que des 0 et des 1. Avec cela il faut se débrouiller pour faire des calculs. En alignant suffisamment de 0 et de 1, on voit que l’on peut aisément faire des opérations sur des nombres entiers. Mais cela évidemment ne suffit pas pour les besoins habituels où l’on doit utiliser des nombres réels comportant une virgule. Pour pouvoir représenter une grande étendue de ces nombres dans une machine, on les représente en deux parties : l’une contient une valeur entière représentant les chiffres significatifs du nombre (c’est la mantisse) et l’autre, un exposant qui fixe, en fait, la place de la virgule. C’est comme si l’on écrivait, par exemple, le nombre 12,345 sous la forme 12345x10-3. On voit que si l’on fait des opérations sous cette forme, on est souvent amené à changer l’exposant, et tout se passe comme si la virgule changeait de place. C’est pourquoi, en informatique, on dit que ces opérations sont en virgule flottante, et comme elles sont à la base des calculs, on mesure la vitesse de calcul d’un ordinateur par le nombre d’opérations en virgule flottante qu’il peut exécuter par seconde. On désigne cette unité sous le nom de flops (abréviation de l’anglais floating-point operation per second).

Les grands calculateurs atteignent aujourd’hui des vitesses de calcul effarantes qui se mesurent en pétaflops, soit 1015 flops (millions de milliards de flops). La possession de telles machines, pour des raisons scientifiques mais aussi économiques et militaires, est l’objet d’une concurrence acharnée entre les grandes puissances, notamment les Etats-Unis, la Chine, le Japon et l’Europe.

Les Etats-Unis ont mené longtemps la course en tête avec, en 2012, Titan (17,6 pétaflops). Ils ont été très vite distancés par la Chine avec, en 2013, le Tianhe-2 (33,9 pétaflops), puis, en 2016, le Sunway TaihuLight (93 pétaflops). La réplique américaine s’est fait un peu attendre, mais devrait leur redonner cette année la tête de file avec le Summit (200 pétaflops). Ce ne sera pas pour longtemps puisque la Chine annonce qu’elle mettra au point en 2020 un calculateur encore plus puissant, pour lequel il faudra abandonner les mesures en pétaflops pour entrer dans le champ des exaflops (soit 1000 pétaflops). En riposte, les Américains promettent d’entrer dans ce champ en 2021, et les Européens visent la même performance. A quand les zettaflops (1000 exaflops) ?

 

Pour en savoir plus : Science, 359 (6376) du 9 février 2018, p. 617.
Alain Foucault

Professeur émérite du Muséum national d'histoire naturelle (Paris)
 
Les pièges de l’expression publique de la science

La revue Science, dans son numéro du 19 janvier 2018, publie, sous le titre « The pitfalls of taking science to the public » [1] (Les pièges de l’expression publique de la science), un article qui peut intéresser les lecteurs de l’AFAS.

Reconnaissant que les quotidiens jouent un rôle fondamental dans l'information du public concernant les résultats de la recherche, il fait la remarque que si les scientifiques sont de plus en plus appelés à s’exprimer dans les médias, ces moyens d’expression ne comportent pas d'examen par les pairs. Ainsi ce sont les éditeurs, et non les auteurs, qui ont souvent le dernier mot sur la façon dont les sujets sont présentés.

Le 22 novembre 2017, le Washington Post a publié un article du biologiste Alex Pyron au titre éloquent : « Nous n’avons pas besoin de sauver les espèces en danger. Une extinction fait partie de l’évolution » [2]. Cet article a été violemment critiqué, aussi bien dans les commentaires du journal que dans les réseaux sociaux. Les auteurs de l’article de Science, Alexander Antonelli et Allison Perrigo, ont alors pris une initiative pour montrer que les vues développées dans cet article ne représentaient pas l’opinion scientifique majoritaire.
Au mois de décembre, le Washington Post a publié cette réponse soutenue par plus de 3000 scientifiques de 88 pays, dont de nombreux scientifiques éminents et lauréats du prix Nobel. Cela a conduit Alex Pyron à poster un texte sur le blog de son laboratoire exprimant des regrets quant à la façon dont ses mots avaient été rédigés et interprétés [3]. En un certain sens, le dossier scientifique a donc été rétabli.

Mais Alexander Antonelli et Allison Perrigo insistent sur le fait que le débat public est une question de calendrier et d'échelle. Leur réponse a été publiée après l’essentiel de la discussion originale, et les commentaires ultérieurs de l'auteur ont été exprimés sur une plate-forme locale, probablement vue par beaucoup moins de personnes que la publication originale. Par conséquent, l'information parvenue aux lecteurs a été fragmentaire et faussée.

Selon ces auteurs, cet événement illustre pourquoi les scientifiques, avant d'aborder les médias, devraient comprendre les différences entre la publication dans les revues scientifiques et la publication dans les médias. En l'absence d'un examen par les pairs, il est essentiel de demander des conseils sur la façon dont le texte sur les concepts scientifiques pourrait être mal interprété par des non-spécialistes. Il est également utile de suggérer des titres, qui sont souvent écrits par des journalistes qui visent à l'exactitude mais risquent de faire des déclarations sensationnelles. Les scientifiques doivent également évaluer le poids des initiatives conjointes face à l'impact de réponses individuelles rapides.

Laissons, pour la conclusion, la parole aux auteurs : « Nous exhortons les scientifiques à continuer de dialoguer avec les médias mais à se méfier des pièges que cela comporte. Qu’ils demandent des conseils à des collègues ou au service de communication de leur organisme, qu’ils demandent sans attendre l'examen et l'approbation de tout texte avant publication, sans, pour cela, compromettre la qualité de leurs contributions. »

 

Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, ancienne présidente de l’Académie vétérinaire de France
 
Présence et infectiosité du prion dans la peau de malades atteints de la maladie de Creutzfeldt-Jakob

Il s’agit d’un travail ayant fait l’objet d’une collaboration entre douze équipes de scientifiques chinois et américains dont celles du Dr Wen-Quan Zou (Case Western Reserve University School of Medicine) et du Dr Byron Caughey du NIH (National Institutes of Health). En premier lieu, ils ont démontré que des prions étaient présents dans la peau de 23 malades de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ou MCJ (21 atteints de la forme sporadique MCJs et 2 variants ayant été contaminés par le prion bovin vMCJ), par comparaison avec 15 témoins négatifs décédés d’une autre maladie [1]. Puis ils ont inoculé par la voie intracérébrale des extraits cutanés ou cérébraux provenant de 2 malades à 12 souris humanisées. Ces souris ont toutes développé une encéphalopathie spongiforme, démontrant ainsi l’infectiosité du tissu cutané. Cependant, la période d’incubation chez les souris inoculées avec le tissu cutané a été de 400 jours, soit le double de celle observée chez les souris inoculées avec le tissu cérébral.

Dans cette étude, le test utilisé pour détecter le prion dans la peau correspond à une méthode d’amplification extrêmement sensible permettant de détecter des doses très faibles de prions, soit 1000 à 100 000 fois moins que dans le tissu cérébral. Il s’agit du test de conversion Real-Time Quaking-Induced Conversion (RT-QuIC). Ce test a été développé par Byron Caughey et son équipe du NIH dans le but de détecter une très faible quantité de prions dans certains échantillons comme, par exemple, le sang.

Ces résultats soulèvent plusieurs questions concernant les moyens de détection des prions et le risque de transmission de la MCJ par les tissus cutanés.

Tout d’abord, cette découverte permet de penser que la peau pourrait devenir un moyen de diagnostic spécifique non invasif de la MCJ chez le vivant (ou lors d’une autopsie). Actuellement, la biopsie cérébrale est l’unique moyen permettant de détecter les prions dans la MCJ classique (seuls les cas humains de vMCJ liés à l’ESB peuvent aussi permettre par une biopsie amygdalienne de découvrir le prion bovin). C’est pourquoi le diagnostic de confirmation est généralement obtenu après la mort du malade.
Comme le souligne Byron Caughey, l’extrême sensibilité du test qu’il a développé pourrait permettre dans l’avenir de détecter les prions dans le sang, les muqueuses nasales (par écouvillonnage) ou par biopsie cutanée.

Une autre question est celle du risque de transmission des prions lors d’une intervention chirurgicale impliquant le tissu cutané alors que, jusqu’à présent, seules les interventions concernant le système nerveux central et la cornée étaient connues pour ce risque. Il faut noter que les méthodes utilisées par les scientifiques dans cette étude montrent effectivement la possibilité d’une transmission par la peau mais il faut rappeler que la technique utilisée pour la reproduction expérimentale chez l’animal de laboratoire correspond à des conditions extrêmes non rencontrées en pratique courante : la voie intracérébrale est la technique la plus efficace pour reproduire la maladie avec une faible dose de prions ; il s’agissait de souris humanisées, porteuses du prion humain où il n’existait donc pas de barrière d’espèce avec les prions humains inoculés ; le temps d’incubation de 400 jours chez les souris inoculées avec le tissu cutané était le double de celui des souris ayant reçu du tissu cérébral. Les auteurs soulignent d’ailleurs qu’ils n’ont pas apporté la preuve d’une transmission possible dans une situation plus réelle lors d’une intervention chirurgicale impliquant la peau et qu’ils envisagent d’autres études pour confirmer ou non une telle possibilité de transmission des prions.

Interrogé par le Quotidien du médecin le 23 novembre, Byron Caughey indique « qu’il importe de souligner que [ces] résultats ne veulent absolument pas dire que la maladie de Creutzfeldt-Jakob pourrait être contagieuse par simple contact cutané ». Une autre question a concerné le risque lié aux greffes fécales, sachant que les prions peuvent être retrouvés dans le tissu intestinal et que l’on a montré chez plusieurs espèces animales qu’ils pouvaient être excrétés dans les fèces, avec un risque de contamination dans l’environnement par une exposition orale chez les ruminants. A cette question, Byron Caughey a répondu : « Je ne connais aucune donnée indiquant que les greffes fécales proprement dites peuvent transmettre la maladie. Je ne sais pas si cette possibilité est déjà explorée, mais il me semble qu'elle mériterait de l’être. »

En conclusion, cette étude montre la possibilité d’un test de détection extrêmement sensible et non invasif du prion humain dans le tissu cutané (mais pour une maladie incurable !), qui ne peut pas encore être utilisé en pratique courante. Par ailleurs, cette reproduction expérimentale de la maladie chez la souris a été réalisée dans des conditions extrêmes ne permettant pas de démontrer un risque de transmission par la voie cutanée des prions.
 

[1] C Orru et al. Prion seeding activity and infectivity in the skin of sporadic Creutzfeldt-Jakob disease patients. Science Translational Medicine, 22 Nov 2017, vol 9, issue 417, doi/10.1126/scitranslmed.aam7785
Alain Foucault

Professeur émérite du Muséum national d'histoire naturelle (Paris)
 
Les Parcs nationaux américains en danger

Dans une décision susceptible de déclencher une bataille judiciaire sans précédent, le président Donald Trump a dangereusement réduit cette semaine les surfaces de deux Parcs nationaux dans l'Utah. Le 4 décembre, il a levé des protections d'environ 85% du Parc national Bears Ears de 610 000 hectares, créé l'an dernier par l'ancien président Barack Obama. Il a réduit environ de moitié le Parc national Grand Staircase-Escalante de 760 000 hectares, créé par l'ancien président Bill Clinton en 1996. Il a déclaré que ces réductions étaient nécessaires parce que les anciens présidents avaient « largement abusé » de leur autorité pour créer ces Parcs, ce qui empêche d’y développer des activités industrielles.

Beaucoup d'archéologues, de paléontologues et de biologistes ont attaqué ces changements, affirmant qu'ils pourraient exposer des sites culturels anciens, des gisements de fossiles et des écosystèmes sensibles aux dommages causés par l'exploitation minière, le pâturage et les activités récréatives.

L'administration Trump réfléchirait à des plans visant à réduire la taille de deux autres Parcs nationaux, et de permettre plus d’activités industrielles dans une demi-douzaine d'autres, y compris plusieurs réserves marines.
 

D’après Science, 8 décembre 2017.