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Dominique Leglu



Ancienne directrice éditoriale à Sciences & Avenir - La Recherche


Découvrir la préhistoire autrement ? Deux expositions en hommage aux grottes ornées et aux sublimes gestes des hommes préhistoriques qui y ont dessiné et gravé, sont actuellement visibles jusqu’au début janvier 2026, au Musée national de préhistoire et au Pôle d’interprétation de la préhistoire (PIP), aux Eyzies (Dordogne). À ne pas manquer.

Œuvre abstraite évocatrice des grottes et de la préhistoire réalisée par l’artiste Aurélien Mauplot, en résidence au Musée national de préhistoire, aux Eyzies (Dordogne) (c) Dominique Leglu

Deux points noirs sur le mur, et voici qu’un visage apparaît. Une forme insolite dans les nuages et c’est un dragon qui semble traverser le ciel. Cette tendance que nous avons, nous humains, à transformer des éléments disparates en une forme connue, cette inclination pour la paréidolie1, les visiteurs du Musée national de préhistoire des Eyzies (Dordogne) devraient désormais la ressentir avec plaisir dès l’entrée. Y trône en effet depuis plusieurs semaines l’œuvre intrigante d’Aurélien Mauplot, commande publique qui continuera d’orner ces lieux emblématiques, quand l’exposition de l’artiste intitulée « Les mondes invisibles » se terminera en janvier 20262. Alternance de griffures noires et blanches, de sillons dorés, de rayons verticaux dans 20 panneaux accolés, c’est l’ambiance mystérieuse des grottes ornées qui semble se révéler. Le visiteur y décèle-t-il comme une présence d’ours ou de tigres à dents de sabre ? D’Homo Sapiens soi-même ayant labouré la paroi de son grattoir ? Des visages ou corps émergent-ils ? Chacun est libre de ses visions et de son interprétation de l’œuvre nommée « Jekstàt »3.

Exposition “ Les mondes invisibles”. Agrandissement sur une bâche de corps et visages de femmes du Magdalénien (c) Dominique Leglu

Pour l’artiste resté en résidence pendant trois ans dans ce bourg du Périgord où fut trouvé Cro-Magnon en 1868, ce sont les traces, les « vestiges des gestes » des hommes – ou femmes - préhistoriques qui impressionnent (lire aussi encadré ci-après). D’où cette œuvre abstraite qui devrait susciter les commentaires. Et ce, en sus des dessins ou gravures emblématiques que les amoureux de la préhistoire ont évidemment en tête – chevaux de Lascaux, bisons de Font-de-Gaume, mammouths de la grotte de Rouffignac...

Au fil de la visite dans les étages du musée, deux des multiples propositions de l’artiste sont à ne pas manquer. Émouvant, cet agrandissement spectaculaire imprimé sur une vaste bâche de corps et visages de femmes vues de profil, à l’origine discrètes gravures sur une plaquette remontant au magdalénien4. Très étonnante aussi, la vision en noir d’encre de Chine de la forme des grottes, leurs couloirs et leurs salles. Résultat, tout un mur orné d’une multiplicité de figures dansantes telles de petites rivières, ou encore sarments de vigne serpentiformes et grosses bouteilles avec goulot. Le tout imprimé sur les pages jaunies de l’ouvrage de Jules Verne, « Voyage au centre de la terre ». Inspirant.

Voir notre interview d'Aurélien Mauplot sur YouTube


L’exposition sur “L’expérience rupestre” que sept auteurs/autrice de BD ont vécue dans une grotte est visible au Pôle d’interprétation de la Préhistoire jusqu’au 4 janvier 2026.(c) Dominique Leglu

Pierre Potier



Ingénieur

L’Observatoire de l’astroblème de Charlevoix1 est un petit musée scientifique qui vaut le détour. Il est situé à La Malbaie, à 140 km au nord de la ville de Québec, et il nous raconte une histoire extraordinaire, qui a bouleversé la région, et probablement la Terre entière.

Il y a 450 millions d’années (450 Ma), une énorme météorite de 4000 m de diamètre fonce droit sur la région de Charlevoix, à la vitesse de 70 000 km/h. L’impact produit une gigantesque onde de choc et la température devient extrême jusqu’à des centaines de km à la ronde. Les roches se liquéfient ou se vaporisent. La météorite elle-même est complètement désintégrée et disparaît. Un cratère de plus de 50 km se forme. Une « montagne centrale » surgit au point d’impact, centre du cratère. Tout s’est passé en quelques secondes. L’énergie mise en jeu correspond à des centaines de millions de fois celle de la bombe larguée sur Hiroshima.

Cet incroyable scénario d’apocalypse constitue le fil conducteur de notre visite. Une visite guidée, qui se fait en deux étapes.

En première partie, nous sommes conviés à un petit cours sur les météorites. Celles-ci proviennent en grande majorité de la ceinture des astéroïdes qui gravitent entre les orbites de Mars et Jupiter. A la suite de collisions, des astéroïdes de toutes tailles tombent en grand nombre sous l’attraction terrestre. La plupart se consument entièrement en traversant notre atmosphère, laissant une traînée blanche dans le ciel ; ce sont nos étoiles filantes. Les plus gros survivent à la traversée et atteignent notre sol, brûlés en surface. Ce sont les météorites. Le musée en expose de multiples fragments, découverts dans plusieurs coins du monde (Russie, Sahara), et d’origines diverses comme l’astéroïde Vesta. Le visiteur peut prendre dans ses mains ces cailloux venus du ciel : une expérience rare, et un moment particulier pour l’amoureux des sciences !

Maquette au 1: 25 000ème
Vue sur le cratère à moitié immergé

La deuxième partie de la visite est consacrée à l’astroblème de Charlevoix, et aux impacts météoritiques dans le monde. On appelle astroblème un vieux cratère d’impact déformé par l’érosion. C’est le cas du cratère de Charlevoix qui, depuis 450 Ma, a subi l’action de l’eau, des glaces et des mouvements de la croûte terrestre. Il présente des contours incertains.

Une maquette à l’échelle 1 : 25 000 permet de comprendre la géologie très diversifiée de la région avant et après l’impact. A l’époque de l’évènement, la région était située dans l’hémisphère Sud : Le continent, appelé Laurentia, a ensuite dérivé jusqu’à sa position actuelle, à une vitesse qui correspond à celle de la croissance des ongles !

Aujourd’hui, la moitié du cratère est immergée sous les eaux du fleuve Saint Laurent. Son centre, point d’impact de la météorite, se situe à proximité du fleuve. Là se dresse le Mont des éboulements, à 768m d’altitude, une « montagne centrale » typique de ces cratères, l’une des mieux préservées au monde. Elle résulte d’un phénomène de rebond qui a suivi immédiatement le creusement du cratère.

Cônes de percussion de Charlevoix

Autour du point d’impact, on trouve des roches qui ont été fracturées selon des courbes caractéristiques d’une onde de choc. Ce sont les « cônes de percussion ». En découvrant plusieurs de ces cônes dans la région en 1966, le géologue Jehan Rondot en a déduit l’origine météoritique du relief de Charlevoix. Le visiteur peut observer de très beaux échantillons de ces preuves indiscutables de l’évènement. D’une façon plus générale, le musée abrite une exceptionnelle collection d’impactites, ces roches créées ou modifiées par un impact de météorite.

Une vitrine est consacrée à la présentation de dizaines de cratères et astroblèmes remarquables dans le monde. Le jeune et petit Meteor Crater en Arizona (1 km de diamètre, 50 000 ans) a une forme parfaite. Le plus vaste astroblème du monde se trouve en Afrique du Sud (300 km, et 2 000 Ma) ; Avec ses 54 km de diamètre, Charlevoix se situe en 11e place. L’astroblème qui a entraîné la disparition des dinosaures au Mexique est beaucoup plus récent que Charlevoix (190 km, 66 Ma).

Félicia Corbeil-L’Abbé, notre conférencière (passionnée et passionnante) et coordonnatrice des activités de l’Observatoire

La météorite de Charlevoix aurait-elle contribué à la grande extinction de la fin de l’Ordovicien (-450 Ma) qui concerne 85% des espèces sur Terre de cette époque ? Des études sont en cours pour dater la chute de la météorite au million d’année près, et confirmer ou non cette hypothèse.

Autre sujet d’étude : le lien possible entre la météorite et l’activité sismique de faible amplitude mais de fréquence exceptionnelle (tous les deux jours) que connaît la région.

L’Observatoire de l’astroblème de Charlevoix est un remarquable outil de vulgarisation des sciences, qui reçoit quelque 8000 visiteurs par an. Sa visite est plaisante et on en ressort avec la sensation d’être plus savant qu’en y entrant ! Par l’originalité de son sujet et la clarté des présentations, ce musée captivera toute personne qui cherche à mieux comprendre le monde qui nous entoure.


Pierre Potier, visite en septembre 2025

Dominique Leglu



Ancienne directrice éditoriale à Sciences & Avenir - La Recherche

À l’exposition universelle 2025 d’Osaka, qui a fermé ses portes le 13 octobre 2025, les termes de connectivité, durabilité, intelligence artificielle... ont été mis en exergue dans nombre de pavillons, mais avec l’injonction par nombre de pays à s’ancrer dans leurs traditions. Paradoxe ? Peur d’un avenir robotisé et déshumanisé ? Des innovations, oui, mais celles ouvrant vers un futur souhaitable. Reportage.

Au Pavillon du Brésil, d’étonnants personnages en ballons gonflables. Selon la qualité de l’air, la pollution, la déforestation annoncées par des messages très politiques etc. les personnages se redressent ou sont abattus au sol.(c) Dominique Leglu

Innovation et connectivité, d’accord, mais sans oublier les traditions ! A l’heure où vient de fermer, le 13 octobre 2025, l’Exposition universelle 2025 à Osaka (Japon) dont le slogan a invité à « Concevoir la société du futur, imaginer notre vie de demain », c’est un appel à ancrer l’évolution des techniques dans la culture de son pays que chaque pavillon national a défendu, sur la petite vingtaine (lire encadré) que nous avons pu visiter1. Un exemple frappant ? Celui des Émirats arabes unis, qui ne cessent depuis plusieurs années de mettre en avant leur engagement dans le spatial. Dans leur pavillon, trônaient des sortes de hautes futaies – colonnes-piliers conçus avec une technique traditionnelle consistant à attacher ensemble des frondes de palmier séchées - un symbole de durabilité. Mais le plus étonnant résidait encore ailleurs, dans une fusée flanquée de deux boosters, au revêtement... de paille beige tressée. Et à ceux qui n’auraient pas compris le message global « Earth to Ether » (« de la Terre à l’éther », clin d’œil à une vision à l’ancienne d’évoquer le ciel, à la conquête duquel partent les Émirats), il a été noté sur un écran interactif que « pour naviguer dans le désert et sur les mers, leur peuple a observé les étoiles ». Bravo les constellations de satellites, qui autorisent une grande connectivité terrestre, mais n’oublions pas l’importance de l’astronomie la plus traditionnelle. Il faut continuer à lever les yeux et à savoir lire les constellations...

À ce sujet, on sait la forte inquiétude actuelle des astronomes devant les graves perturbations qu’occasionnent les grappes de satellites en orbite basse, passant devant l’objectif des télescopes. Le ciel profond va-t-il devenir inatteignable à leurs observations depuis le sol ? A tous ceux que le sujet captive, l’AFAS conseille de voir (ou revoir) la rencontre du 25 septembre 2025, qu’elle a co-organisée avec la Société d’encouragement pour l’industrie nationale (SEIN) et la société des ingénieurs et scientifiques de France (IESF), intitulée « Pollution de l’espace. Quelle régulation ? »2.

Le visiteur est accueilli au pavillon indien en forme de fleur de lotus par deux mains jointes (“namaste”) dont l’une porte un circuit intégré, l’autre représentant la tradition. (c) Dominique Leglu

Même antienne à Osaka pour le pavillon indien, enveloppé dans des gazes en forme de pétales de fleur de lotus, vantant dans le même temps sur son grand toit plat, la spectaculaire réussite de la mission lunaire Chandrayaan-3 de 2023. Et ce, grâce aux lumières de 72000 LED reproduisant en mode pixellisé le module Vikram (« vaillance ») en train d’alunir au pôle sud de notre satellite. Une réussite qualifiée d’historique, quand la Russie voyait son Luna-25 s’écraser sur l’astre sélène en ces mêmes lieux. Quelques signaux de plus ? Deux immenses mains jointes pour un namaste (« bonjour » ou « au revoir » issu du sanskrit) ont accueilli le visiteur, l’une d’elles représentant la technique (des lignes d’un micro-processeur dessinées sur cette main), l’autre la tradition. Visible dès l’entrée, une tapisserie traditionnelle recouvrait un mur, des broderies brillantes sur fond noir représentant un circuit intégré. « Oui, nous voulons l’alliance de la culture et de la technologie. Le meilleur des technologies tout en restant ancrés dans notre culture, tel est notre message », confie Dr Garima Mittal, directrice générale du pavillon. C’est seulement dans des vidéos projetées en boucle, donc bien plus éphémères, que les visiteurs ont pu être sensibilisés à l’« Innovative India » et ses « plus de 100 licornes, ce qui place le pays au 3ème rang mondial ».

Grande salle “verte” rendant hommage à la beauté des algues (c) Dominique Leglu

Dans leur propre pays, les Japonais, qui ont voulu prôner l’économie circulaire, souhaitaient également parler directement au citoyen. D’où ce slogan général affirmant que le Japon a élaboré « Un pavillon qui mange les déchets ». Et de montrer, dès l’entrée serpentant entre d’élégantes cloisons de bois, les plats ou boissons traditionnels utilisant beaucoup de plastique ainsi que les restes de nourriture, le tout à impérativement recycler pour faire baisser la pollution tout en fabriquant du biogaz... Oui aux microorganismes et à la connaissance de la chimie, biochimie, nutrition... mais ancrée, en particulier, dans la tradition de la consommation des algues. Et de rappeler leurs innombrables bienfaits, pour le climat et le bien-être des humains, car pouvant « absorber 14 fois plus de CO2 qu’un cèdre » ; « produire 36 fois plus de protéines que le soja ou 50 fois plus de protéines que la viande de bœuf »...

On se demande maintenant comment se positionnera en 2030 l’Arabie Saoudite, où se déroulera la prochaine exposition universelle, dont les projets faramineux (Neom, The Line, Oxagon3...), robotisés et hyperconnectés, donnent a priori l’impression d’être peu écologiques. À Osaka, les visiteurs s’interrogeaient déjà sur ce caractère, au vu des forêts qui avaient dû être abattues pour construire la spectaculaire construction de bois de 2,1 km de circonférence, 20 mètres de haut enserrant les pavillons. Un magnifique « Grand Anneau » mais peu écologique sur une île elle-même artificielle et gagnée sur l’océan.


Peu médiatisée en France, l’Exposition Universelle d’Osaka a surtout attiré les Japonais et visiteurs asiatiques. Nous avons pu voir 16 pavillons (liste ci-dessous) et établi un classement subjectif pour 7 d’entre eux :

*Brésil, le plus captivant, avec une scénographie originale (matières gonflables mobiles) et des messages universels puissants (déforestation, santé mentale, émission de gaz à effet de serre...)
*Portugal, consacré à l’indispensable protection de l’océan, très émouvant.
*Japon, élégant et pédagogique sur la durabilité
*Émirats arabes unis, créatif dans son alliance tradition-spatial (voir article ci-contre)
*Pologne, Lituanie et Lettonie, interactifs et incitant à innover avec la nature.
*France, avec son slogan « Un hymne à l’amour » est une vraie publicité pour ses sponsors (Vuitton, Dior...), et pratique aussi l’alliance tradition-modernité avec élégance : belle tapisserie d’Aubusson représentant une image du film princesse Mononoke ; un vieil olivier de 1000 ans venu du sud de la France sera réimplanté à Kyoto ; hommage à Notre-Dame de Paris en reconstruction pixellisée. A noter, le pavillon français a été l’une des principales attractions (officiellement, près d’un visiteur sur cinq de l’exposition, plus de 4 millions de visiteurs fin septembre), hors celui du Japon.

Liste des pavillons visités sur les 200 pays et institutions représentés : Algérie, Arabie Saoudite, Bangladesh, Brésil, Cambodge, Earth at night, Espagne, France, Inde, Japon, Lettonie et Lituanie, Pologne, Portugal, Thaïlande, Pavillon Panasonic « The land of Nomo », Pavillon Sumitomo.

Jeanne Brugère-Picoux et Matthieu Henry



Jeanne Brugère-Picoux Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France  et Matthieu Henry, Dr Vétérinaire, Clinique Vétérinaire HENRY, 55150 Mangiennes

Depuis l’apparition pour la première fois en France de la dermatose nodulaire contagieuse (DNC) caractérisée par des lésions cutanées survenant rapidement après une hyperthermie initiale, les moyens mis en œuvre pour limiter la propagation de cette maladie ont révélé leur efficacité en Savoie et Haute Savoie.

Néanmoins les trois foyers observés ultérieurement dans l’Ain et dans le Rhône témoignent que nous n’étions pas à l’abri d’un déplacement illégal d’animaux infectés. Ces nouveaux cas hors des foyers qui étaient circonscrits et les conséquences de l’apparition d’une DNC dans un élevage peuvent expliquer dans ce contexte l’inquiétude des éleveurs dès l’apparition de lésions cutanées d’étiologie incertaine dans leur troupeau, même s’il s’agit de zones géographiques indemnes loin des foyers confirmés et en l’absence de tout autre symptôme pouvant justifier un appel du praticien. La figure 1 présentant une augmentation très significative des cas de suspicions négatives depuis le 79ème foyer lyonnais témoigne de cette inquiétude.

Figure 1. Dermatose Nodulaire Contagieuse Bovine (DNCB). Évolution hebdomadaire du nombre de suspicions de DNC et des foyers en France depuis le 29/06/2025. Situation Sanitaire au 1er octobre 2025 (https://agriculture.gouv.fr/dermatose-nodulaire-contagieuse-des-bovins-dnc-point-de-situation)


Diagnostic d’un cas de PDNC en Meuse

Ce fut le cas d’une suspicion de DNC déclarée début septembre dernier dans un élevage de 700 vaches laitières à plus de 450 km du foyer lyonnais dans la région de Verdun avec les commémoratifs suivants : une hyperthermie transitoire (39 à 40°C) suivie de l’apparition de plusieurs nodules cutanés répartis sur tout le corps en l’absence de tout autre symptôme pouvant évoquer la DNC : appétit conservé ; pas de diminution de la production laitière, pas de mortalité, une hypertrophie ganglionnaire surtout observée en fin d’évolution. Certaines des lésions cutanées présentaient une zone centrale intacte, entourée d’un anneau circulaire donnant un aspect « à l'emporte-pièce » formant une surface surélevée et pratiquement plane. La préhension des zones cutanées affectées permettait de constater un léger épaississement sans noter réellement la présence d’un nodule. Ces lésions pouvaient être variées : œdème cutané évoquant des papules parfois importantes du fait de leur coalescence formant des lésions irrégulières. (Figures 2a et 2b), petites zones arrondies de couleur foncé très visibles (Figure 3). En fin d’évolution elles sont faciles à arracher en laissant place à une zone cutanée cicatricielle glabre témoignant de l’absence d’une lésion ulcérative (Figures 4a et 4b). L’évolution de ces lésions vers la guérison sans traitement est observée en 3 à 4 semaines (Figures 4a et 4b).

Figure 2a

Figure 2b

Lésions de PDNC avec œdèmes cutanés évoquant des papules parfois cohalescentes (Figure 2a). Parfois il s’agit de zones très arrondies très distinctes (Figure 2b) pouvant évoquer une teigne (photos : Matthieu Henry)

Figure 3 : Lésions cutanées variées de PDNC. Certaines se détachent en laissant place à des zones arrondies sombres et glabres sur la peau de l’animal (photo : Matthieu Henry)

Figure 4a

Figure 4b

En fin d’évolution l’arrachage de la lésion (4a) ne provoque aucune douleur chez l’animal, laissant place à une zone cutanée cicatricielle glabre de 1,25 à 2,5 cm de diamètre (4b) (photos : Matthieu Henry)

Figure 5a

Figure 5b

Chez cette vache on peut observer l’évolution favorable de l’affection cutanée en l’espace de 3 semaines (photos : Matthieu Henry)

Figure 6 : Chez cette vache on peut observer une hypertrophie des nœuds lymphatiques le long de l’encolure (photo : Matthieu Henry)


Le diagnostic d’une PDNC est rarement effectué au laboratoire en pratique courante

Bien qu’il ne s’agissait pas de nodules aussi volumineux et arrondis que ceux signalés dans la DNC, sans papulo-vésiculo-pustules avec une croûte spécifique aux poxvirus, et malgré l’aspect bénin de cette infection, il était justifié de lever tout doute de suspicion de DNC car il existe des formes atténuées de DNC.

La recherche de la DNC par PCR s’étant révélé négative, de même que celle d’une teigne où les lésions sont parfois similaires, des examens histologiques sur des prélèvements cutanés réalisés à l’école nationale vétérinaire de Toulouse (Pr Schelcher) ont permis de confirmer la suspicion d’une PDNC, herpèsvirose due au BoHV-2 provoquant des lésions cutanées plus superficielles que la DNC avec des symptômes discrets et d’évolution plus courte vers la guérison.

Il faut noter que seul le contexte actuel de la DNC, maladie exotique nouvelle et très contagieuse en France pouvait justifier d’envisager un recours au laboratoire pour confirmer une PDNC observée sur le terrain et dont l’aspect bénin ne s’accompagne pas obligatoirement d’un appel de l’éleveur (lire l'encadré).

Le diagnostic différentiel de la PDNC concerne donc principalement à éliminer une suspicion de DNC voire de teigne. D’autres affections cutanées moins similaires peuvent être aussi envisagées dans ce diagnostic différentiel, la dermatophilose, la leucose cutanée, deux parapoxviroses (stomatite papuleuse bovine et pseudocowpox), le cowpox, l’ehrlichiose, la démodécie, la besnoitiose, l’hypodermose, la photosensibilisation, une urticaire, une tuberculose cutanée et l’onchocerchose.

Figure 7a

Figure 7b

A l’examen histologique des lésions cutanées on peut différencier l’infection par le BoHV-2 caractérisée par la présence de corps d'inclusion intranucléaires par opposition avec les inclusions intracytoplasmiques classiquement observées dans avec le Capripoxvirus de la DNC (Coetzer JAW & Dr. Eeva Tuppurainen E. Lumpy skin disease)

Conclusion 

La PDNC est généralement une maladie bénigne pouvant passer inaperçue et qui évolue vers une guérison sans séquelle. Elle semble rare mais peut-être est-elle sous-estimée du fait de l’absence de symptômes inquiétants pour l’éleveur. Certainement le contexte actuel du risque potentiel d’une DNC lors de l’apparition de lésions cutanées dans un élevage bovin justifiera l’appel de l’éleveur souhaitant un diagnostic différentiel rassurant. Enfin, à la différence de la DNC, cette herpèsvirose peut réapparaître dans l’élevage du fait de la présence de porteurs latents.

Diagnostic au laboratoire
Mise en évidence du virus BoHV-2 ou de son ADN.
Pour isoler le virus le prélèvement cutané doit être précoce dès la première semaine d’apparition de la PDNC (avant l’apparition des anticorps neutralisants) mais l’ADN viral peut être identifié par PCR3. Cependant il faut noter que la surveillance de la DNC en Italie a permis d’observer des cas de co-infections virales par des virus épithéliotropes (parapoxvirus zoonotique, papillomavirus bovin et BoHV-2) dans des lésions cutanées chez des bovins4.
Examens sérologiques
Les enquêtes sérologiques réalisées ont permis de démontrer que 10 à 30 % des bovins des troupeaux ayant des antécédents d'affections cutanées pouvaient être séropositifsmais un pourcentage égal de bovins de troupeaux sans antécédents d'affections cutanées peuvent être également séropositifs au BoHV-23.
Examen anatomo-pathologique
A l’examen histologique la présence de corps d'inclusion intranucléaires est caractéristique de l’herpèsvirose, contrairement au capripoxvirus de la DNC associé à des inclusions intracytoplasmiques (figures 7a et 7b).

Les auteurs remercient le Pr François Schelcher pour la confirmation par un examen histologique de notre suspicion de PDNC et les enseignants de nos écoles (Raphael Gattéo à Nantes et Hugues Guyot à Liège) pour l’intérêt qu’ils ont monté à ce cas de suspicion.


Bibliographie

Jean-Gabriel Ganascia



Professeur d’informatique à la faculté des sciences de Sorbonne Université

(c) Pixabay

L’utilisation des grands modèles de langage affecte-t-elle nos facultés cognitives? Et, comment? Les optimistes espèrent que les générateurs automatiques de textes comme ChatGPT nous soulageront d’un fardeau inutile, celui de la rédaction, qu’ils allègeront notre charge cognitive et qu’ainsi libérés, nos esprits en deviendront plus mobiles, plus imaginatifs, plus libres et qu’ils poursuivront plus avant dans leur quête de savoirs nouveaux. Les grincheux craignent au contraire qu’ils n’incitent à la paresse et diminuent nos capacités critiques, ce qui provoquerait une forme d’atrophie cognitive. Comment départager entre eux?

Un travail conduit par huit chercheurs de Cambridge (Massachusetts), aux États-Unis, dont six membres du très prestigieux MIT (Massachusetts Institute of Technology) tente d’asseoir les réponses que nous apportons à ces questions sur la foi d’expérimentations scientifiques rigoureuses et pas uniquement d’intuitions vagues. Un article copieux — plus de 200 pages — et intitulé Your Brain on ChatGPT: Accumulation of Cognitive Debt when Using an AI Assistant for Essay Writing Task (en français « Votre cerveau sur ChatGPT : Accumulation de la dette cognitive lors de l'utilisation d'un assistant IA pour la rédaction d'un essai ») fait le point sur ces recherches1. Il a été récemment diffusé sur les réseaux sociaux, à partir de la mi-juin 2025, sans attendre les retours des rapporteurs chargés de l’évaluer pour le compte de la revue scientifique à laquelle il a été soumis. Nous nous proposons ici de résumer brièvement la teneur de cet article pour donner un avant-goût de la démarche suivie et des résultats obtenus.

Le protocole est parfaitement défini: trois groupes de 18 sujets chacun ont été constitués par tirage aléatoire sur un ensemble de 54 étudiants volontaires. Des électrodes placées sur leur crânes enregistrent les signaux électromagnétiques, à savoir leur EEG, au cours des activités auxquelles on les soumet. Il leur est demandé d’écrire trois textes durant trois périodes de 20 minutes espacées de quelques jours. Le premier groupe utilise chatGPT, le second fait appel à un moteur de recherche comme Google, sans recourir à des techniques d’IA générative, et le troisième fait appel au seul cerveau des individus. Pour chacune de ces rédactions, les étudiants ont le choix entre trois sujets différents et identiques pour tous, ce qui fait neuf sujets en tout. Enfin, au cours d’une quatrième session, on demande à 9 étudiants volontaires du premier groupe, celui des étudiants qui ont utilisés un LLM, d’écrire sans dispositif d’assistance, tandis que l’ont demande à 9 étudiants du troisième groupe, à savoir ceux qui ont écrit juste avec leur cerveau, d’écrire avec un LLM.

L’article porte sur l’analyse et la comparaison des textes produits au cours de ces différentes sessions, sur la mémorisation qu’ont les étudiants de leurs propres productions et sur leur activité cérébrale au cours de ces différentes tâches.

Il apparaît que les textes écrits sans l’aide de ChatGPT sont plus courts et qu’ils contiennent moins de références à des entités nommées, à savoir moins d’informations factuelles. Les professeurs chargés de les évaluer les trouvent toutefois plus synthétiques et plus clairs. En revanche, les étudiants ayant utilisé ChatGPT se souviennent assez peu des sujets qu’ils ont traités et sont incapables de citer des fragments de leurs propres productions, contrairement aux autres, à savoir, ceux qui ont utilisé un moteur de recherche et ceux qui ont uniquement recouru à leur propre cerveau. Qui plus est, lors de la phase 4, les étudiants ayant, dans les trois premières phases, écrit seuls, ont avec les LLMs de meilleurs performances que les autres que ce soit dans les phases initiales, où ils ont écrit uniquement avec les LLMs, ou après, lorsqu’ils écrivent sans le secours de ces dispositifs. Enfin, les EEG révèlent une bien meilleure connectivité cérébrale chez les sujets qui n’utilisent pas ChatGPT que chez les autres.

Cette étude est préliminaire. Elle ne porte que sur 54 sujets soumis à une tâche très particulière, l’écriture d’essais en temps limité. Elle demande à être poursuivie. De plus, nous attendons avec impatience les rapports des évaluateurs pour savoir si la démarche est considérée comme pleinement valide au regard des critères scientifiques en vigueur. Il n’empêche que les premiers résultats mettent en évidence deux points: les risques de perte de mémoire lorsque les tâches sont effectuées automatiquement, et en même temps, les bénéfices de l’augmentation, lorsque cette augmentation ne fait pas suite à une substitution de l’humain par la machine…


Jeanne Brugère-Picoux



Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France 

En 2024 la réémergence du virus Oropouche (OROV) avec de nouveaux réassortiments en Amérique Centrale, en Amérique du Sud et dans les Caraïbes, associée à une expansion dans des zones auparavant non endémiques, a suscité des inquiétudes quant à la menace plus forte que cet agent représente pour les pays voisins (territoires français des Caraïbes et Amérique du Nord). La contamination de voyageurs européens (Espagne, Allemagne, Italie, France) ou américains du Nord de retour de Cuba ou du Brésil a renforcé cette inquiétude justifiant plusieurs alertes dans le Monde dès février 20241.

L’OROV est transmis à l’Homme principalement par la piqûre d’un culicoïde (ou moucheron piqueur) dont il existe de nombreuses espèces dans le monde. Culicoides paraensis est considéré comme le principal vecteur, les moustiques étant parfois incriminés en tant que vecteurs secondaires.

La fièvre d’Oropouche (FO) est une maladie fébrile ressemblant à d’autres arboviroses humaines (fièvre dengue, chikungunya, Zika ou infection par le virus du Nil occidental). Il s’agit aussi d’une zoonose car le virus a été détecté ou suspecté chez plusieurs réservoirs animaux (paresseux à trois doigts, ouistitis, capucin olive, oiseaux, rongeur…).

Réémergence en 2024

L’émergence en 2024 de la FO peut reconnaître plusieurs causes : réassortiments de l’OROV plus virulents avec de nouveaux aspects cliniques ? maladie sous-estimée avant 2024 ? échanges internationaux ? déforestation ? … En effet, cette émergence n’est pas sans rappeler celle du chikungunya dans la France d’Outre-mer avec les symptômes suivants : manifestations neurologiques (méningites, encéphalites, Guillain-Barré…), atteinte materno-foetale se traduisant par des avortements ou à des anomalies congénitales (microcéphalie…), plus rarement un décès sans comorbidité repérée.

Outre la transmission verticale, la présence du virus ou de son ARN dans le sperme, les urines et différents tissus suggèrent que le virus pourrait être transmis par la voie sexuelle, par don d'organes ou de tissus voire par transfusion sanguine du fait d’une virémie. Le diagnostic clinique de la FO nécessite d’être différencié des autres arboviroses présentant des symptômes similaires. Seul le diagnostic virologique (sang, liquide céphalo-rachidien…) peut permettre de confirmer une infection par l’OROV.

Transmis par des moucherons piqueurs

La particularité de l’OROV est d’être principalement transmis par des moucherons piqueurs et non par des moustiques comme les autres arboviroses. Les culicoïdes sont aussi responsables de trois maladies virales chez les ruminants, confinées auparavant dans des régions tropicales ou subtropicales, qui se sont révélées catastrophiques dans les élevages européens ces deux dernières décennies : la fièvre catarrhale ovine ou FCO et la maladie hémorragique épizootique ou MHE des bovins dues à des orbivirus ainsi que la maladie de Schmallenberg (MSB) due à un Orthobunyavirus (SBV) proche de l’OROV. Si la MHE est apparue en France en septembre 2022 suite à la propagation aérienne des vecteurs à partir du Maghreb vers l’Espagne, l’apparition surprenante de la FCO et de la MSB en Europe du Nord suggère une importation accidentelle de moucherons infectés transcontinentale. La similitude épidémiologique des six vagues successives observées entre 2006 et 2024 permet de suspecter leur importation avec des fleurs exotiques près des carrefours aériens du commerce mondial des fleurs aux Pays-Bas. Ces vecteurs auraient trouvé ensuite un relais avec des moucherons autochtones1. La progression de chacune de ces maladies dans toute l’Europe est liée vraisemblablement par un relais avec d’autres culicoïdes autochtones. Ces exemples en médecine vétérinaire doivent alerter sur un risque (difficile à évaluer) d’une propagation de l’OROV en Europe selon un scénario identique. Les voyageurs infectés revenant d’une zone où la maladie sévit sous une forme endémique peuvent aussi représenter un risque (aucune transmission autochtone n’a pas été signalée en Europe ou en Amérique du Nord à la date de cet article).

L’inconvénient majeur de la détection de ces arboviroses est la découverte tardive de leur émergence par l’apparition des foyers humains et/ou animaux où la prévention s’effectue dans l’urgence. L’espoir d’une détection précoce des arbovirus avant l’apparition de la maladie a été démontré dans une étude récente réalisée en France. Les résultats préliminaires d’une surveillance par le piégeage de moustiques infectés par deux virus zoonotiques [« Culex-borne arbovirus » du Nil occidental (VNO) et Usutu (USUV)] en Nouvelle-Aquitaine marquent un tournant dans l’épidémiologie de ces arboviroses. Le Haut Conseil de Santé Publique a pu ainsi écarter précocement des lots de sang contaminés par le VNO alors qu’aucun cas humain n'avait encore été observé2.

Face à l’émergence actuelle de la fièvre d’Oropouche transmise principalement par un culicoïde en Amérique du Sud et dans les Caraïbes il importe de recommander :
-la nécessité de la mise en place d’une surveillance en France (métropole et territoires d’outre-mer) des « Culicoide-borne arbovirus » en favorisant les méthodes de détection précoce de ces arbovirus tant en médecine vétérinaire qu’en médecine humaine dans un contexte « une seule santé » permettant d’intervenir avant l’apparition des premiers foyers humains et/ou animaux.
-d’avertir les voyageurs sur les risques encourus lors d’une destination vers un pays atteint notamment, pour la France d’outre-mer, en Guyane (où la maladie est observée depuis 2020) et la Guadeloupe ;
-la lutte anti-vectorielle dans les pays atteints en l’absence de tout traitement spécifique ou de vaccins ;
-chez les femmes enceintes, ou susceptibles de l’être, de reporter, par précaution, tout projet de voyage vers une zone d’endémie ;
-la protection par préservatifs lors de rapports sexuels dans les zones endémiques ;
-la surveillance du risque zoonotique éventuel d’un réassortiment de l’OROV avec le SBV encore présent en Europe chez les ruminants ;
-la recherche de l’OROV chez les voyageurs de retour d’une zone endémique lorsqu’une suspicion de dengue ou de chikungunya a été éliminée ;


Bibliographie

Dominique Leglu



Ancienne directrice éditoriale à Sciences & Avenir - La Recherche

Les IPhO 2025 se dérouleront pour la première fois à Paris du 18 au 24 juillet 2025, attirant près de 440 candidat(e)s venus du monde entier. Six prix Nobel français ont aidé à concevoir les deux épreuves, expérimentale et théorique, qui se dérouleront à l’École Polytechnique. En dehors de cette compétition, les jeunes de 15 à 20 ans pourront découvrir des laboratoires scientifiques et visiter Versailles ou le musée d’Orsay...

Participante en pleine épreuve expérimentale (c) IPhO2023_家さん

Nos 5 jeunes Françaises et Français vont-ils remporter une médaille ? Si vous avez aimé les Jeux Olympiques de 2024, peut-être vos neurones prêteront quelque attention aux Olympiades de cet été 20251. Une première pour Paris ! Ni 100 mètres haletant, ni mirifique saut à la perche mais un marathon mental pour deux épreuves de cinq heures chacune consacrées, elles, à la... physique. Pour ces IPhO (International physics olympiads -prononcer « ifo »), pas de Teddy Riner ou Cassandre Beaugrand, Léon Marchand, Antoine Dupont ou Manon Apithy-Brunet mais deux filles et trois garçons de moins de vingt ans, qui se mesureront à plus de 90 autres équipes, en tout 440 candidats venus du monde entier. Pas de Tony Estanguet pour haranguer les foules ? Non, mais un comité d’honneur archi-nobélisé – en physique évidemment – dont on aimerait que les noms résonnent aussi dans le grand public : Anne L’Huillier, Pierre Agostini, Alain Aspect, Gérard Mourou, Serge Haroche, Albert Fert. Autrement dit des conseillers on ne peut plus haut de gamme, qui ont aidé à concevoir à la fois une épreuve expérimentale (19 juillet), utilisant du matériel de laboratoire afin de résoudre un problème de physique concret, ainsi qu’une épreuve théorique (21 juillet) abordant des phénomènes complexes et leur modélisation. L’ensemble de la manifestation, qui dure une semaine, revenant à environ 2 millions d’euros2.

Lors des 15 dernières éditions, les Français ont remporté 5 médailles d’or, 39 d’argent, 21 de bronze. Et si le grand public n’est pas très au fait de ces résultats, certains sponsors des IPhO France 2025 sont, eux, à l’affût de « têtes bien faites. Surtout les financiers », fait remarquer Dominique Obert, co-président du comité d’organisation, que l’AFAS a rencontré (lire interview ci-après). Quant aux participant(e)s, ils devraient garder, elles et eux, des souvenirs émus de cette rencontre internationale. Comme le dit l’un d’eux, Adrien Sutter, médaille d’or IPhO 2018, « cet événement a sans nul doute été un moment clé de ma vie. Celui qui m’a fait comprendre qu’il ne fallait pas craindre de se fixer des objectifs élevés. Celui qui m’a fait réaliser que la science dépassait les frontières ».


[1] 55ème Olympiades de physique 18 au 24 juillet, www.ipho2025.fr. Les cérémonies d’ouverture (Cité des sciences et l’industrie 9h-12h) et de clôture (Centrale Supelec à Gif-sur-Yvette, 15h-18h) seront visibles sur YouTube.
[2] Outre les épreuves, les participants (candidats, leaders, observateurs) sont conviés à suivre des conférences scientifiques et accomplissent de multiples visites dans des laboratoires scientifiques, au Château de Versailles, au musée d’Orsay...


INTERVIEW : « L’épreuve expérimentale est un défi organisationnel avec ses 450 kits expérimentaux innovants ! »

«  Le souci de la mesure » sera au cœur de l’épreuve expérimentale du 19 juillet, selon Dominique Obert, co-président du comité d’organisation IPhO France 2025, inspecteur général honoraire de l’Éducation, du Sport et de la Recherche. L’AFAS a interrogé ce connaisseur des Olympiades, pour avoir accompagné la délégation française aux IPhO à trois reprises, à Copenhague (Danemark), Astana (Kazakhstan) et Mumbai (Inde).

Qui concourt aux IPhO ?
L’âge médian est 18 ans, les plus jeunes ont 15 ans et les plus âgés ne peuvent pas dépasser 20 ans, c’est le règlement. En France, leur profil est celui d’élèves de terminale et de classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE). Des jeunes qui vont entrer dans l’enseignement supérieur et ne sont pas encore à la recherche d’un métier. Ils se forment grâce au dispositif du ministère de l’enseignement supérieur, « Science à l’école », cette préparation reposant essentiellement sur le bénévolat des professeurs de CPGE, dans une quarantaine de centres en France, avec un appui notable des Écoles normales supérieures (ENS) de Paris et de Saclay. A noter, l’équipe française compte deux filles et trois garçons, un équilibre que n’ont pas beaucoup d’équipes1, peut-être une dizaine seulement, la très grande majorité étant composée uniquement par des garçons.

Un défi majeur de ces Olympiades ?
La plus grande gageure réside dans l’existence d’une épreuve expérimentale. Pour nous, c’est un défi organisationnel, il nous faut commander 450 kits expérimentaux... que nous avons conçus ! Des équipements très innovants pour la conception desquels le comité scientifique s’est montré particulièrement brillant. A l’occasion de cette épreuve qui dure cinq heures, et dont je ne peux évidemment pas révéler la teneur, s’exprime tout particulièrement le souci de la mesure. Il ne faut pas avoir honte de répéter plusieurs fois une même mesure, de façon à obtenir éventuellement une meilleure estimation des incertitudes. Au cœur de la problématique de l’épreuve, on mesure, on exploite les résultats et on teste des modèles.

Et s’il y a une panne des instruments ?
Je n’ai pas trop d’inquiétude mais si tel était le cas, la difficulté serait d’intervenir auprès des candidats sans les « aider ». Notamment en déterminant si c’est de leur faute ou pas...

Quel est le défi pour l’épreuve théorique ?
Tous les pays n’ont pas le même rapport à la manipulation des modèles, en physique. Je me souviens d’un sujet merveilleux, lors des IPhO au Danemark, évoquant le modèle de l’écoulement de la calotte glaciaire du Groenland quand, à Astana, il s’agissait d’un problème technique très peu contextualisé et quasi infaisable, faisant appel à la virtuosité intellectuelle pure. Ressort ainsi la dualité de la perception de ce qu’est la physique, avec une plus ou moins grande contextualisation du problème. Quant au mode de restitution par les candidats, il n’y a pas de rédaction de phrases qualitatives mais une tendance à privilégier les aspects mathématiques. Donner la réponse avec une formule, une valeur numérique...

Il vous a fallu trouver nombre de sponsors pour cet événement à 2 millions d’euros...
Le sponsoring n’est pas venu de ceux auxquels on pensait. Nos trois gros sponsors2 viennent du monde la finance et sont à la recherche de « têtes bien faites », de talents formés par la physique et capables de coder. C’est à double tranchant, car ce sont des jeunes formés par les sciences mais qui ne feront peut-être plus de science ultérieurement. On retrouve cette problématique en astrophysique, les banques sachant que ceux qui s’y forment savent gérer des big data.

Quels pays réussissent le mieux ?
La Chine rafle souvent les cinq premières places, les Russes3 sont très bons aussi. Ces pays s’organisent pour ces Olympiades, plus que nous ne le faisons. Pour ce qui est de l’épreuve expérimentale, je pense que l’Allemagne est peut-être mieux placée que la France, grâce à ses clubs scientifiques.

Propos recueillis par Dominique Leglu

[1] Quatre équipes parmi les mieux équilibrées fille-garçon seront mises à l’honneur.
[2] QRT, Jane Street, Square Point
[3] Les délégations de Russie, peut-être de Biélorussie (non encore certaine de venir à la date de l’entretien), participeront sous une bannière « neutre ».

Dominique Leglu



Ancienne directrice éditoriale à Sciences & Avenir - La Recherche

Une passionnante exposition sur le biomimétisme vient de s’ouvrir au Clos Lucé, où Léonard de Vinci a vécu ses dernières années au début du XVIe. On y découvre les travaux précurseurs du savant toscan sur le vol des oiseaux, la nage des poissons, les turbulences ou les merveilles colorées de la nature... Une nature qui inspire aujourd’hui nombre d’industries, de l’aéronautique à la marine, des drones aux caméras, mais aussi l’industrie des cosmétiques ou des textiles. A voir, tous neurones à l’affût !

(c) Dominique Leglu

À coup sûr, vous aimez les réseaux de gyroïde sans le savoir. Car les nuances bleu-vert du papillon Morpho didius qui fascinent tout un chacun, sont dues à cette structure complexe faite de cristaux microscopiques dans les écailles de ses ailes. A l’exposition « S’inspirer du vivant. De Leonard de Vinci à nos jours » qui vient de s’ouvrir au Clos Lucé1, il est possible d’en avoir une étonnante vision macroscopique. Des modèles en 3D des cristaux agrandis 50 000 fois font découvrir des tunnels entrelacés, sorte de labyrinthes dont les trous en hexagones ou en carrés filtrent la lumière de façon sélective2. Aucun pigment, mais de la photonique... Juste à côté de ces modèles, plusieurs de ces grands lépidoptères du Pérou sont artistiquement disposés, qui permettent au visiteur de jouir des couleurs chatoyantes de leurs structures photoniques méconnues. On comprend pourquoi l’industrie a voulu en imiter les motifs et créer des objets ou produits nouveaux, légers, aux propriétés physiques originales, de quoi bouleverser de multiples domaines, cosmétiques, textiles, aéronautique etc.

L’exposition ne triche pas, ne prétendant pas que Léonard de Vinci a inventé la bio-inspiration, « démarche, loin d’être récente, [qui] trouve ses racines dès la préhistoire », selon ses commissaires Andrea Bernardoni, professeur d’histoire des sciences et des techniques (université de l’Aquila) et Pascal Brioist, professeur d’histoire moderne (université de Tours)3. Mais « nul doute qu’à la Renaissance, le savant toscan fut l’un des observateurs les plus perspicaces de la nature ». Avec une inspiration qui « ne se limitait pas aux végétaux et aux oiseaux, mais s’étendait aux insectes, aux chauves-souris et aux créatures marines », précisent-ils.

(c) DL

Pour les amoureux de Léonard, un précieux cadeau a été prévu : un feuillet du « Codex Atlanticus », tout spécialement venu pour l’exposition de la Veneranda Biblioteca Ambrosiana à Milan, présente les « Études sur le vol mécanique et observations sur le mouvement de l’eau ». C’est le témoignage des recherches qu’il mena « sur la possibilité du vol humain et sur la dynamique naturelle des fluides ». De quoi faire songer à une démarche éminemment scientifique, où sont associées « observation technique, exploration anatomique et spéculation physique », selon les commissaires.

L’affiche pour le grand public de l’exposition ne s’y trompe pas, qui superpose une image d’un avion moderne à celle du membre porteur (des ailes) d’une chauve-souris, dessin choisi parmi ceux dont on se souvient généralement.

Thomas Steinmann, de l’Institut de recherche sur la biologie de l’insecte (IRBI, université de Tours), va plus loin. Il voit en « Léonard de Vinci un précurseur dans la compréhension de la dynamique des fluides, qu’ils soient liquides ou gazeux »4. Et c’est seulement aujourd’hui qu’il est permis, grâce aux « formules mathématiques et aux programmes informatiques, de simuler les mouvements [de ces] fluides, à différentes échelles », écrit-il. Le chercheur ne manque pas, à cette occasion, de rappeler la fascination de Léonard de Vinci pour « la libellule [aux] prouesses aériennes exceptionnelles », qui lui inspira de magnifiques esquisses. Aujourd’hui, précise-t-il par ailleurs, des simulations ont permis de comprendre que la mâchoire des larves de l’insecte est « remarquablement hydrodynamique et génère une zone de tourbillons créant un effet d’aspiration semblable à celui observé chez certains poissons. Cette découverte pourrait être appliquée aux dispositifs de capture de petits véhicules sous-marins autonomes ». Les tourbillons et turbulences, un autre des multiples sujets d’étude de Léonard de Vinci, représentés à la plume, à l’encre, à la sanguine.

(c) DL

Outre ces dessins, qui conservent un côté énigmatique – ne semblent-ils pas interroger la volonté de compréhension du visiteur ? – plusieurs objets qui s’inspirent du vivant retiendront l’attention, pour leur beauté, leur élégance ou leur étrangeté. Ainsi l’ « œil de mouche artificiel, composé de 630 minuscules yeux élémentaires, organisés en 42 colonnes de 15 capteurs chacune », baptisé CurVACE5, à observer derrière une loupe. Ou encore les habitats sous-marins (dessins, maquettes) de l’architecte océanographe Jacques Rougerie, faisant songer ici aux méduses, là aux hippocampes. Envie, enfin, viendra peut-être aux visiteuses de se glisser dans l’une des extraordinaires robes d’Iris Van Herpen, dont les ondulations fluides et les sortes de plumes transparentes sont inspirées par « la complexité des champignons et l’enchevêtrement de la vie souterraine ». Étonnant.


[1] Jusqu’au 10 septembre 2025. Halle muséographique du Château du Clos Lucé – Parc Leonardo da Vinci, Amboise. Rens. : 0247570073 ; www.vinci-closluce.com
[2] Découvert par le physicien Alan Hugh Schoen (Nasa, Southern Illinois university Carbondale) et ainsi nommé par lui, le gyroïde est en termes mathématiques « une surface minimale triplement périodique infiniment connexe ». Voir https://mathworld.wolfram.com
[3] A lire, l'ouvrage « Biomimétisme » (éd. Skira, 29€), auquel ont contribué 13 auteurs (chercheurs, architectes, ingénieur, chirurgien), publié à l’occasion de l’exposition.
[4] « Écrivez sur la nage sous l’eau et vous aurez le vol de l’oiseau dans l’air » (Codex Atlanticus)
[5] Issu des travaux de l’Ecole Polytechnique de Lausanne, Fraunhofer Institut de Jena, Université de Tübingen, CNRS, Université d’Aix-Marseille, Institut des sciences du mouvement Etienne-Jules Marey (université Aix-Marseille)

Dominique Leglu



Ancienne directrice éditoriale à Sciences & Avenir - La Recherche


Un grand congrès scientifique va se tenir à Nice du 3 au 6 juin, pour faire le point des connaissances sur celui qui couvre 70% de la planète Terre. Et donner des recommandations aux politiques réunis la semaine suivante, lors de la conférence des Nations-Unies sur l’océan organisée par la France et le Costa Rica.

C’est une grande première avant une réunion des Nations Unies, telle l’UNOC31 à Nice en juin : la tenue d’un congrès majeur, l’Ocean Science Congress (OSC), avec la participation d’environ 2200 scientifiques, qui se déroulera en effet la semaine précédente, du 3 au 6 juin2. De quoi alerter et alerter encore les politiques sur l’état de l’océan. C’est simple « l’océan va mal », comme l’a résumé Maxime de Lisle, coordinateur de l’« International Panel for ocean sustainability » (IPOS, Groupe international pour la durabilité de l’océan), passerelle entre ceux qui accumulent les connaissances et décideurs politiques, à l’occasion d’une présentation de l’UNOC3 le 16 mai, pilotée par Olivier Poivre d’Arvor, envoyé spécial du Président de la République pour cette conférence. Ne pas oublier, en la circonstance, que la France possède le deuxième domaine maritime mondial (10,2 millions de km², dont 97% se situe outre-mer), après les États-Unis.

Avant même l’ouverture de l’OSC, les scientifiques multiplient les rencontres, pour faire savoir tous les thèmes qui doivent être abordés en urgence. La tâche est gigantesque.

A quel point le changement climatique affecte-t-il l’océan qui couvre 70% de la planète ? Il se réchauffe, il s’acidifie, les courants marins risquent d’être perturbés, jusqu’à quand pourra-t-il assurer la régulation du climat, par absorption massive du CO2 rejeté dans l’atmosphère... A quel point la biodiversité doit être protégée, notamment avec la véritable instauration d’aires marines protégées. Objectif 30-30, soit 30% des mers à protéger d’ici à 2030 - accord adopté lors de la COP15 sur la biodiversité. Problème, comment assurer le contrôle de ces zones sur une telle immensité, tout particulièrement face à la pêche illégale mais aussi aux navires prédateurs, notamment dans l’océan austral. Y aura-t-il à Nice l’annonce des 60 ratifications nécessaires pour la validation et la mise en œuvre du « traité sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine en haute mer », dit traité BBNJ (Marine biodiversity of areas beyond national juridiction) ? Pas sûr.

Il faut mieux connaître les ressources génétiques marines et les oasis hydrothermales, mieux comprendre les algues et le plancton, faire le point sur la pollution plastique, pousser à la décarbonation du transport maritime, explorer les abysses. « Elles ne sont pas à vendre, ce sont d’abord des sanctuaires et pas un eldorado » insiste O. Poivre d’Arvor. A noter qu’avant OSC et UNOC, Bruno David, ancien président du Museum national d’histoire naturelle a mené tout spécialement une mission sur ces grands fonds marins où les ressources sont convoitées (manganèse, cobalt, titane, nickel, cuivre...), et pour lequel la France soutient l’interdiction d’exploitation.

Face à l’unicité et à la fragilité de cet océan (tous les océans sont en effet connectés), « nous avons une responsabilité commune », insiste l’anthropologue Frédérique Chlous, directrice du département « Homme et environnement » au Museum national d’histoire naturelle, « mobilisé dans son rôle d’appui scientifique ». Et d’insister sur l’importance pour la compréhension scientifique de « l’interdisciplinarité », allant de la mesure approfondie de l’ADN environnemental à l’éco-acoustique, en passant par l’utilisation maximisée des données satellitaires ou une meilleure connaissance des imaginaires sur l’océan à travers les diverses cultures de notre planète bleue...

Les citoyens sont-ils prêts à supporter l’avalanche de mauvaises nouvelles ? s’interrogent certains. Car « ce ne sont pas de bonnes nouvelles » que nous apportons, rappelait début avril lors d’une conférence de presse Romain Troublé, directeur général de la Fondation Tara. S’il regrette que « les réponses politiques, économiques et sociétales restent cloisonnées et hiérarchisées », dans son livre « Aujourd’hui l’océan. Parcours d’un engagement », avec la collaboration de Sylvie Rouat, sorti début mai3, il continue de miser sur la recherche scientifique : « C’est un instrument précis et objectif qui doit guider nos actions » écrit-il. Et de s’efforcer de « porter haut les voix du monde marin ». Non seulement pour elles mais aussi pour nous, espèce humaine, sachant que l’altération de ce monde marin (notamment par la pollution accrue des microplastiques) a des répercussions sur la santé humaine. One ocean, One health...

Rendez-vous est donc donné en cette mi-juin, où sera notamment précisée la nature d’un « baromètre de l’océan », nouvelle initiative qui doit permettre de faire chaque année le point sur l’évolution de son état. Et ce, en établissant « une curation de faits et de chiffres avec traduction pour les citoyens » explique l’océanographe Marina Levy4, selon qui ce baromètre devra « donner une vision simple de l’interaction entre l’humanité et l’océan ». Le défi, planétaire, est immense.


[1] Du 9 au 3 juin : UNOC3 3ème conférence des Nations Unies sur l’océan, organisée par la France et le Costa Rica, après les deux premières éditions à New York (2017) et à Lisbonne (2022)
[2] Avec plusieurs dizaines de présentations et tables rondes. Le programme est visible ici
[3] Éditions Stock
[4] Autrice avec l’océanographe Laurent Bopp de l’ouvrage « L’océan en 30 questions », sorti le 22 mai aux éditions « La Documentation Française »

Dominique Leglu



Ancienne directrice éditoriale à Sciences & Avenir - La Recherche

Avant la tenue, en 2026, de l’« Année franco-indienne de l’innovation », un atelier sur les perspectives à venir d’une coopération scientifique, technique, culturelle... accrue entre les deux pays s’est déroulé à Paris le 5 mai, lors duquel ont été rappelés « la capacité innovante considérable » de l’Inde et le souhait présidentiel français de tripler le nombre d’étudiants indiens en France d’ici 2030. L’Inde, qui consacre moins de 1% de son PIB à la R&D « a besoin de jeunes talents », a souligné Sanjeev Singla, ambassadeur d’Inde en France depuis le début d’année 2025. L’AFAS était présente à cet atelier.

La relation franco-indienne est un « îlot de stabilité » et il y a « convergence de stratégie » sur l’Indo-Pacifique. Déclaration de Thierry Mathou, ambassadeur de France en Inde, à l’ouverture le 5 mai 2025 à Paris de « L’Atelier Inde », intitulé « Explorer le potentiel du marché indien à travers l’innovation », auquel l’AFAS a pu participer (1). Déclaration empreinte d’optimisme, à l’heure des combats au Cachemire entre l’Inde et le Pakistan, qui faisaient l’actualité inquiétante de fin avril-début mai 2025.

Dominique Leglu (Afas) en ouverture de l'atelier @BuisnessFrance

L’intention des intervenant(e)s, aussi bien de l’IFRI (Institut français des relations internationales) que de la DG Trésor, d’Airbus, du groupe Thalès, de Bouygues, Alstom ou Schneider Electric, d’InVivo (agriculture), France Museums etc. était de se projeter vers un avenir de coopération possiblement accrue, sachant qu’en 2026 doit se dérouler « l’année franco-indienne de l’innovation ». Année où l’on verra également l’Inde, qui connaît une très forte croissance économique (+6,6% en 2024) et investit massivement dans le numérique, accueillir un nouveau sommet mondial sur « la sécurité de l’Intelligence artificielle », après celui qui s’est tenu en février 2025 en France (2).

Les thèmes retenus pour cet atelier ont, de fait, de quoi faire travailler et coopérer nombre de spécialistes, depuis les scientifiques de domaines fondamentaux (lire encadré sur la coopération scientifique) jusqu’aux ingénieurs et commerciaux pour la fabrication et distribution d’équipements ou de produits : « Aéronautique et spatial » (3), « Santé, bien-être et alimentation », « Environnement et énergie », « Industries culturelles et créatives ». L’innovation pouvant être comprise sous toutes ses formes, scientifique, industrielle, économique, culturelle, sociétale...

L’Inde gigantesque (on disait jadis sous-continent indien), pays aujourd’hui le plus peuplé de la planète avec plus d’1 milliard 4 d’habitants, a « une capacité innovante considérable » selon l’ambassadeur français. Modulant son propos, il a fait néanmoins remarquer qu’en matière de « R&D, il n’est pas encore un géant, y consacrant moins de 1% de son PIB » (4). Mais « il y a besoin de jeunes talents », insiste de son côté Sanjeev Singla, ambassadeur d’Inde en France. Et de rappeler qu’il est souhaité (5) une multiplication par trois du nombre d’étudiants indiens en France, aujourd’hui de 10 000, pour le faire passer à 30 000 en 2030. De fait, la société indienne est très jeune, moyenne d’âge de 29-30 ans, « le pays investit dans son éducation, 3,5% du PIB », et compte devenir « la 3ème économie mondiale en 2030, contre sa place de 5ème actuellement ». « Plus de 100 licornes » se sont montées ces dernières années dans la « deeptech et l’agritech », ajoute Sajeev Singla, qui était jusqu’en décembre 2024 ambassadeur en Israël. Il est clair qu’il reste « beaucoup à faire dans le domaine agricole », sachant que 60% de la population demeure toujours à la campagne, me faisait remarquer récemment le Français Guillaume Wadia, jeune professeur associé, récemment embauché par l’université d’Ahmedabad, co-fondée par Pankaj Chandra, ancien directeur de l’Institut indien de management de Bangalore, auteur du remarqué « Building universities that matter » (éd. Orient Black Swan ; non traduit en français).

Walid Benzarti, Olivia Calvet-Soubiran, Dominique Leglu, Suresh Latchoumanassamy Bruno Duret, et Yannick Marin Isambert lors de la table ronde Aéronautique & spatial @BuisnessFrance

C’est ainsi que lors de l’atelier, Edouard Piens, directeur de la stratégie et de l’innovation d’InVivo (300 000 agriculteurs français en coopératives) a insisté sur tout le travail à mener quand « il y a à traiter avec des milliers d’agriculteurs » de toutes petites parcelles. Notamment dans le bassin céréalier de l’État du Rajasthan, où il s’agit de « trouver les meilleures variétés d’orge, adaptées aux ravageurs, aux sols, au changement climatique » pour produire de la bière ou du whisky. A noter, ce qui n’est pas toujours connu, que « les trois premières malteries mondiales sont françaises », précise Edouard Piens.

On aura aussi remarqué, dans le champ culturel, l’implication française dans la réalisation à New Dehli face au palais présidentiel, d’un « Musée National d’envergure » sur pas moins de 140 000 m². L’entreprise requiert « ténacité, diplomatie, écoute », selon Hervé Barbaret, directeur de l’agence France Museums, qui rappelle l’expérience acquise avec la réalisation du musée du Louvre-Abu Dhabi. Mais aucune date d’ouverture n’a été précisée.


[1] Organisé par Business France, le Club de Paris des directeurs de l’innovation et la Chambre de Commerce et d’Industrie franco-indienne (CCIFI). L’autrice de cet article a modéré les tables rondes. https://event.businessfrance.fr/atelier-inde/
[2] Après la Corée en 2024 et le Royaume-Uni, qui a organisé en 2023 le premier sommet sur « la sécurité de l’IA ». A lire ici 
[3] Où la coopération est déjà très forte, entre agences spatiales et dans le domaine de la défense où l’Inde a confirmé en avril 2025 l’achat de 26 avions Rafale, commande s’ajoutant à une précédente de 36 Rafale, ainsi que la commande de sous-marins.
[4] La France consacre 2,2% de son PIB à la R&D
[5] Déclaration du président Emmanuel Macron en janvier 2024

Selon les données de l’ambassade de France en Inde, l’Institut français et Campus France, «  la France consacre environ 5 millions d’euros chaque année à la coopération scientifique et technique avec l’Inde ».
600 accords. Plus de 600 accords entre des établissements d’enseignement supérieur
5 laboratoires internationaux de recherche avec le CNRS
Environ 100 projets en cours via l’Indo-French centre for the promotion of advanced research (IFCPAR/CEFIPRA)
28 centres R&D d’entreprises françaises
1 000 entreprises françaises emploient plus de 350 000 personnes en Inde
Les principaux domaines de coopération scientifique entre l’Inde et la France, en nombre de publications communes (2000-2023) sont science informatique (12 500), physique (12 000), médecine (plus de 9000), biologie (9 000), chimie (près de 8 000), mathématiques (6 500), science des matériaux (6 500)... A noter également mécanique quantique (5 500), intelligence artificielle (3 000).


Pour en savoir plus :
Institut français en Inde : https://www.ifindia.in/contact-us/. L’attaché de coopération scientifique et universitaire, M. Philippe Maurin, est basé à Mumbai.
CNRS : https://india.cnrs.fr/ Le site détaille les collaborations et annonce les événements à venir