Un cas d’encéphalopathie spongiforme bovine dans les Ardennes lié à une souche ESB-C

Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, ancienne présidente de l’Académie vétérinaire de France
 

Le 20 mars dernier, le ministère a annoncé un cas d’ESB dans un élevage de 400 vaches Salers dans les Ardennes. Quelques jours plus tard, le laboratoire anglais de référence a confirmé que la souche en cause était la souche anglaise, dite ESB classique (ESB-C).
L’isolement de la souche anglaise dans un cheptel français est une surprise car les deux derniers cas isolés datant de 2013 en France étaient des souches atypiques, comme ceci a été observé dans plusieurs pays depuis la disparition progressive des animaux ESB NAIFs[1] puis des animaux superNAIFs[2] et hyper-NAIFs[3]. D’ailleurs, il n’y avait eu que deux cas d’ESB-C signalés l’année dernière, l’un au Royaume-Uni et l’autre en Irlande.

Les deux souches atypiques connues (depuis l’année 2004) se différencient principalement de la souche ESB-C par le poids moléculaire de la forme non glycosylée de la protéine prion résistante à la protéinase K (PrPres) (cf. fig. 1). Ce poids est plus faible pour la souche ESB-L (pour Low) et plus élevé pour l’ESB-H (pour High). Au 2 avril 2016, 122 cas d’ESB atypiques (38 ESB-H et 84 ESB-L) ont été détectés en Europe (EFSA, 2014, OIE, 2016)[4] dont 33 en France (17 ESB-L et 16 ESB-H).

 

Fig. 1 : Représentation schématique des profils biochimiques de l’ESB-C et des deux souches atypiques ESB-H et ESB-L après traitement par la protéinase K.
En comparant le poids moléculaire de la forme non glycosylée de la protéine prion résistante à la protéinase K de la souche ESB-C, on observe le poids plus faible de la souche ESB-L ou plus élevé de la souche ESB-H. La plus ou moins faible résistance à la protéinase K, représentée dans ce schéma par des intensités différentes pour les glycoformes de chaque souche ESB, est également un critère de diagnostic des souches ESB-L et ESB-H.

 

 

Ces cas sporadiques permettent de penser que l’ESB existait avant l’apparition de l’anazootie anglaise, où l’origine alimentaire ne fait aucun doute. Nous avons toujours pensé que la souche à l’origine de cette catastrophe ne provenait pas de carcasses de moutons atteints de tremblante à l’origine mais plutôt d’une souche bovine amplifiée par le recyclage des carcasses de bovins britanniques infectés dans les farines de viandes et d’os. L’observation de l’émergence d’une souche ESB-C après plusieurs passages sur souris d’une souche atypique ESB-H permet même d’émettre l’hypothèse qu’il puisse y avoir plusieurs souches d’ESB, celles-ci pouvant être parfois même associées chez un même bovin, comme cela est connu dans la tremblante du mouton.

L’ESB était certainement une maladie rare non reconnue avant 1985. Il y avait eu cependant de très rares descriptions de la maladie bovine, dont une datant de 1883 en Haute-Garonne par notre confrère M. Sarradet[5]. Nous connaissions aussi l’existence d’un cas dans l’Allier observé dans les années soixante chez une vache charolaise par le Médecin Général Court, spécialiste de la maladie de Creutzfeldt-Jakob[6], ce cas ayant été confirmé à l’examen histologique. Il était donc logique de penser que l’ESB existait depuis longtemps sous une forme sporadique.

La France venait d’obtenir le statut de « pays à risque négligeable vis-à-vis de l’ESB ».
C’est le premier cas d’ESB-C détecté en France depuis 2011. Ce dernier cas français avait été découvert chez une vache née en 2004. Un délai de 11 ans entre l’année de naissance de cette vache et l’année du test de ce cas était dépassé, le statut de notre pays avait été reconnu « à risque négligeable » en 2014 par le code terrestre de l’organisation mondiale de la santé animale (OIE ou office international des épizooties). Nous avons perdu ce statut avec le cas de mars 2016, en retrouvant celui de « risque maîtrisé », modifiant ainsi la liste des tissus considérés comme MRS pour les bovins nés et/ou élevés en France, abattus dans les abattoirs français (à nouveau, doivent être considérés comme MRS : la colonne vertébrale des bovins âgés de plus de 30 mois, les amygdales, les quatre derniers mètres de l’intestin grêle, le cæcum et le mésentère)[7]. Cela veut aussi dire que nous ne retrouverons notre statut de risque négligeable que dans 6 ans, la vache déclarée en mars dernier étant âgée de 5 ans.
A juste titre, le ministère avait pourtant allégé récemment le programme de surveillance de l’ESB en relevant l’âge des animaux testés à l’abattoir aux sujets nés avant le 1er janvier 2002[8] puis à l’équarrissage (48 mois en 2013).
Par ailleurs, en application de la réglementation liée aux souches ESB-C, la cohorte des bovins nés 12 mois avant ou après la vache atteinte d’ESB (soit près d’une centaine de bovins sur un cheptel de 400) seront euthanasiés pour vérifier « l’origine alimentaire » du cas d’ESB. Il en sera de même pour les veaux nés de cette vache contaminée (alors qu’il n’a jamais été démontré la possibilité d’une transmission maternelle de l’ESB, cette possibilité étant connue dans la tremblante du mouton). Cette recherche sur les cohortes était justifiée lors d’une suspicion de contamination alimentaire mais elle ne l’est plus maintenant car il est fort probable que ce cas d’ESB-C corresponde une forme sporadique au même titre que les souches atypiques.

 

Fig. 2 : Carte du statut officiel des pays membres de l’OIE vis-à-vis du risque d’ESB (OIE, mars 2016)

 

 

Il faut espérer que les pays qui commençaient à ouvrir à nouveau leur marché pour l’exportation de bovins français, comme Singapour, le Vietnam, l’Afrique du Sud, le Canada ou l’Arabie Saoudite, ne changeront pas d’avis après la modification de notre statut.
L’annonce du cas d’ESB-C dans les Ardennes a alerté les médias. Certains ont même annoncé le retour de l’ESB alors que ce cas isolé ne fait que démonter l’efficacité de notre système de surveillance de l’ESB et la transparence de nos déclarations. Il importe de savoir que l’ESB est devenue à nouveau une maladie rare, soit moins d’un cas par million de bovins adultes testés, ce taux d’incidence étant identique à celui de la maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique qui ne reconnaît pas une origine alimentaire. Il faudrait revoir la réglementation concernant l’ESB en tenant compte de cette disparition d’un risque de contamination alimentaire.
Enfin, la découverte sur le terrain ou par passage sur la souris de différents prions bovins montre que l’ESB, quelle que soit sa souche, restera une maladie rare dans le monde entier et que cela justifie de maintenir l’interdiction des MRS chez les bovins âgés selon le statut de « risque négligeable » afin de rassurer le consommateur.

 

[1] Nés après l’interdiction des farines de viandes et d’os (FVO) dans l’alimentation des bovins en 1990
[2] Nés après le renforcement des mesures concernant l’interdiction des FVO en 1996.
[3] Nés après l’interdiction des FVO à toutes les espèces de rente à la fin de l’année 2000.
[4] European Food Safety Authority, 2014. Protocol for further laboratory investigations into the distribution of infectivity of Atypical BSE. EFSA Journal 2014;12(7):3798, 55 pp. doi:10.2903/j.efsa.2014.3798
[5] Sarradet M.- Un cas de tremblante sur un bœuf. Rev. Méd. Vét., 1883, 7:310-312.
[6] Communication personnelle
[7] Rappelons que la fraise de veau est à nouveau autorisée depuis 2015 dans notre alimentation. Elle avait été interdite en 2001 en même temps que les ris de veau sur les conseils de l’Afssa. Face à cette interdiction qui ne nous semblait pas justifiée, nous avions alors accepté, à la demande de notre confrère Claude Couquet, d’être la présidente de l’association « Ramène ta fraise ». Les tripiers ont attaqué cette interdiction pour les ris de veau et ont été indemnisés 10 années plus tard, en 2011.
[8] Arrêté du 30 septembre 2014 modifiant l’arrêté du 17 mars 1992 modifié relatif aux conditions auxquelles doivent satisfaire les abattoirs d’animaux de boucherie pour la production et la mise sur le marché de viandes fraîches et déterminant les conditions de l’inspection sanitaire de ces établissements.