Première détection de la maladie du dépérissement chronique des cervidés chez un renne en Europe

Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, ancienne présidente de l’Académie vétérinaire de France
 

Le 5 avril 2016, l’Institut vétérinaire norvégien (Norwegian Veterinary Institute) d’Oslo a confirmé le diagnostic d’une maladie du dépérissement chronique (MDC) chez un renne (Rangifer tarandus tarandus)[1]. Il s’agissait d’une femelle adulte observée dans un parc dans le sud de la Norvège et ayant présenté un amaigrissement. A sa mort, son encéphale a été prélevé, conformément au plan de surveillance national de la MDC chez les cervidés âgés de plus de 18 mois. La maladie a été confirmée par des examens biochimiques et histo-chimiques. Il s’agit du premier cas déclaré de MDC en Europe.

En effet, la maladie du dépérissement chronique est une encéphalopathie spongiforme transmissible (EST) qui n’est rencontré qu’en Amérique du Nord (à l’exception d’un cas importé du Canada en Corée du Sud) chez certaines espèces de cervidés : Cerf hémione ou Cerf mulet (Odocoileus hemionus), cerf de Virginie (Odocoileus virginianus), Wapiti des montagnes Rocheuses (Cervus elaphus nelsoni) et Orignal ou Elan d’Amérique (Alces alces shirasi). Cette affection est rencontrée chez des espèces sauvages élevés en liberté ou dans des fermes d’élevage.

L’Europe s’était inquiétée dès le début des années deux mille du risque de MDC chez les cervidés européens et j’avais participé au premier rapport d’expertise sur ce sujet[2]. Dès 2004, l’EFSA (European Food Safety Authority) a mis en place un plan de surveillance européen pour cette maladie. Les résultats[3] des enquêtes réalisées entre 2006 et 2010 en Europe ont démontré la difficulté de déceler cette affection dans une population animale surtout sauvage avec seulement 13 000 prélèvements effectués, les résultats négatifs obtenus ne permettant pas d’exclure son existence sous une forme sporadique.

Contrairement à l’Europe, l’Amérique du Nord est particulièrement inquiète de la présence de la MDC sur son territoire du fait de son caractère endémique. Celle-ci a été décrite pour la première fois en 1967 dans le Colorado, puis identifiée en tant que maladie à prion en 1978. Au début, la MDC semblait localisée uniquement dans les Etats du Colorado et du Wyoming. La mise en place d’une surveillance nationale a permis de découvrir que la maladie était plus fréquente qu’on ne le pensait : 20 Etats sont actuellement touchés aux Etats-Unis (ainsi que deux provinces au Canada). Par ailleurs, la surveillance réalisée entre 1996 et 1999 avec l’aide des chasseurs permet d’estimer un taux d’incidence dans le Colorado et le Wyoming de 5% chez le Cerf mulet, 2% chez le Cerf de Virginie et de <1% chez le Wapiti des montagnes Rocheuses[4].

Les aspects cliniques de la MRC sont souvent discrets, un amaigrissement progressif étant le principal signe clinique. Les autres symptômes pouvant être signalés sont une apathie, une agressivité, une sialorrhée, des grincements de dents et une polyurie, l’évolution de la maladie durant environ quatre mois. Comme dans le cas de la tremblante, on a pu observer que dans les troupeaux atteints, le taux d’incidence de la MDC dans les cohortes augmentait alors qu’inversement, l’âge des animaux au moment de la mort déclinait, montrant ainsi l’adaptation progressive du prion à la génétique de l’hôte, avec une diminution du temps d’incubation de la maladie dans l’élevage atteint.

La forte prévalence de la maladie dans les élevages en captivité ou dans les parcs a justifié de nombreuses études sur la MDC pour comprendre les modes de transmission. Il s’avère que la répartition de l’agent infectieux dans l’organisme des cervidés est comparable à celle observée dans la tremblante du mouton. La présence du prion dans la salive, dans l’urine et dans les fèces des cervidés atteints a permis de suspecter une transmission horizontale par contact direct ou du fait d’une contamination de l’environnement (sol ? plantes ?). Ceci n’est pas sans rappeler «les champs à tremblante» permettant d’expliquer la pérennisation de cette maladie chez le mouton. Une transmission maternelle est également fortement suspectée, ce qui n’est guère étonnant puisque nous avons eu l’occasion, avec l’équipe de notre confrère Claude Couquet à Limoges, de démontrer cette possibilité chez une brebis née d’une mère atteinte de tremblante naturelle il y a plus d’une dizaine d’années.

En Amérique du Nord, l’éradication de la MDC est impossible. Si le risque zoonotique lié à la MDC semble très faible (mais des recommandations sont faites aux chasseurs), l’extension de la maladie chez les cervidés en Amérique du Nord reste inquiétante. Seules des mesures peuvent être préconisées pour diminuer le taux d’incidence de la maladie. Elles reposent sur une diminution de la densité animale chez les cervidés, notamment en éliminant les mâles, plus souvent infectés que les femelles.

En ce qui concerne l’Europe, il importe de comparer la souche du prion norvégien avec les souches américaines de MDC. Enfin, la découverte d’un seul cas malgré la mise en place dans certains pays européens depuis plus de 10 ans d’un système de surveillance, démontre l’aspect sporadique de cette affection au même titre que l’ESB, qu’il s’agisse de la souche classique ou des souches atypiques.

 

Depuis la découverte de la MDC en 1967, on a pu noter la progression importante de cette affection sur le territoire américain, puisque 20 Etats sont touchés. Centers for disease control and prévention. http://www.cdc.gov/prions/cwd/occurrence.htlm


 

[2] SSC (Scientific Steering Committee), 2003. Opinion on Chronic Wasting Disease and tissues that might carry a risk for human and animal feed chains.
[3] EFSA Panel on Biological Hazards (BIOHAZ); Scientific Opinion on the results of the EU survey for Chronic Wasting Disease (CWD) in cervids. EFSA Journal 2010;8(10):1861. [29 pp.] doi:10.2903/j.efsa.2010.1861. Available online: www.efsa.europa.eu/efsajournal.htm
[4] Centers for disease control and prévention. http://www.cdc.gov/prions/cwd/occurrence.htlm