Les membres de l’Afas publient régulièrement des notes de lectures. Elles sont à retrouver ici.
Carlo Rovelli
(Flammarion, 2021, 270 p. 21,90€)
«C’est le cœur battant de la science d’aujourd’hui. Pourtant, elle reste profondément mystérieuse. Subtilement inquiétante.» En quelques mots, Carlo Rovelli capte l’essence de la mécanique quantique, objet de son dernier livre. Physicien, philosophe et auteur à succès, il est un des pères de la gravitation quantique à boucles (1988) et un des cent penseurs les plus influents du monde, selon le magazine Foreign Policy (2019).
Helgoland est une île battue par les vents de la mer du Nord où, en juin 1925, un jeune physicien allemand de 23 ans, Werner Heisenberg, est sur le point de résoudre le problème que lui a soumis Niels Bohr, son mentor de Copenhague. Douze ans auparavant, celui-ci a établi un modèle de l’atome dans lequel les électrons tournent autour du noyau sur des orbites bien précises. Lorsque l’électron «saute» d’une orbite à une autre plus basse, il émet de la lumière. Pourquoi ces orbites et pas d’autres ? Le trait de génie du jeune Heisenberg est d’ignorer l’électron et sa trajectoire, et de ne raisonner que sur l’observable, c’est-à-dire la lumière émise lors des sauts d’électron, qu’il représente par des tableaux ou matrices. Une nuit, il tient la solution : «J’étais profondément troublé. J’avais la sensation de regarder à travers la surface des phénomènes, vers un intérieur d’une étrange beauté». Puis il a cette idée vertigineuse, germe de la révolution à venir : «Il semble que les électrons ne se déplaceront plus sur des orbites». De retour à Göttingen, Heisenberg et ses collègues Wolfgang Pauli (25 ans) et Pascual Jordan (23 ans) développent une nouvelle théorie, en langage matriciel, guidés par Max Born (40 ans), «seul adulte dans la pièce» ! La «physique des gamins» triomphe. «Un vrai calcul de sorcellerie», écrit Einstein.
Janvier 1926 : le physicien autrichien Erwin Schrödinger est dans les Alpes suisses avec une de ses (nombreuses) maîtresses et, pour tout bagage, la thèse du physicien français Louis de Broglie, qui postule que toutes les particules sont aussi des ondes. Schrödinger formule l’équation de l’onde-électron de l’atome et retrouve brillamment les orbites de Bohr, quelques semaines après les gamins de Göttingen. Max Born établit que cette équation donne la probabilité d’observer la particule à un endroit donné. Les deux équations matricielle et ondulatoire donnent des résultats équivalents.
Dès lors, malgré sa dualité et ses multiples zones d’ombre inexpliquées, la mécanique quantique vogue de succès en succès. Elle explique des pans entiers de la physique et de la chimie. Elle a donné lieu à huit prix Nobel : Einstein, Bohr, de Broglie, Heisenberg, Schrödinger, Dirac, Pauli, Born.
Et pourtant, les mystères qui entourent cette théorie ne manquent pas : les quanta d’énergie, le rôle prédominant du hasard, le rôle ambigu de l’observateur, l’absence de trajectoire, l’impossibilité de connaître simultanément position et vitesse d’une particule, la superposition d’états quantiques (comme si une particule se trouvait à deux endroits à la fois), l’intrication (deux particules conservent un lien après leur séparation, même à 1000 km de distance).
Les débats sur «l’interprétation» de cette théorie incompréhensible perdurent depuis un siècle. Schrödinger s’est longtemps opposé aux quanta avant de se rallier (1948). Einstein et Bohr se sont affrontés, de 1927 à 1935, au cours d’échanges fameux, devenus des classiques du genre. Dans un «curieux bestiaire d’idées extrêmes», Rovelli présente et critique les principales interprétations de la théorie. Celle dite de Copenhague, qui est dans tous les manuels de physique du monde, est, à ses yeux, trop dépendante de l’observateur : «le monde existe, même si je ne l’observe pas !», objecte-t-il.
Rovelli en vient à décrire sa propre interprétation dite «relationnelle» et son credo philosophique : l’observateur fait partie de la nature. Le monde réel n’existe pas en dehors des interactions entre les objets. Un objet n’existe que dans sa relation avec un autre. Un objet peut être réel pour A et irréel pour B. Les évènements sont discontinus, probabilistes, relatifs. L’auteur montre comment ces hypothèses résolvent les paradoxes quantiques. Ses références philosophiques incluent Héraclite : «Tout s’écoule» ; Platon : «L’être n’est rien sinon action» ; Nagarjuna, un penseur indien du IIe siècle ; Ernst Mach, physicien et philosophe autrichien, qui prêcha le primat de l’observable sur les réalités cachées et influença Einstein, les philosophes du Cercle de Vienne, Bohr et les gamins de Göttingen.
Carlo Rovelli a «écrit ce livre à l’intention des débutants en mécanique quantique», et son art de la vulgarisation fait merveille. Mais une part importante de son essai est destinée à ses collègues scientifiques et philosophes. Ses prises de position et ses réflexions philosophiques apportent une forte touche personnelle et originale. Un livre marquant qui suscite la réflexion.
Jean-François Bert, Jérôme Lamy
(Anamosa, 2021, 432 p. 25€)
L’ouvrage s’intéresse à la matérialité des savoirs, «aux différents lieux qui organisent la relation entre les savants et les choses», à l’ancrage matériel des productions savantes. Trois grands livres structurent cette présentation : «La topographie des savoirs», «Objets savants : les médiations matérielles», «Savoir manipuler : les gestes de la science».
La topographie des savoirs (livre I) permet d’évoquer notamment les bibliothèques, les laboratoires, les observatoires, mais aussi l’artisanat, les arsenaux, les cours royales et les salons, les cabinets de curiosité et les premiers muséums, les bateaux et les expéditions mais aussi les nouvelles topographies savantes de la science dans la ville, des grands équipements et du big data, et jusqu’au spectacle de la science et les émotions qu’elle suscite.
De la table-bureau aux objets technico-instrumentaux, les outils matériels sont largement présentés dans le livre II : collections, outils optiques et visions savantes, télescopes et microscopes, globes, échantillons, photographies... «un univers artefactuel foisonnant de matérialités profuses».
Le livre III, «Les gestes de la science», permet d’évoquer le corps du savant, les savoir-faire : papiers, notes, fiches, listes, dossiers, lettres..., la mise en forme progressive du livre : mise en page, impression, illustrations, table des matières, index, notes, références... ; les articles, journaux savants et revues, l’archivage et les classements.
A travers ces trois formalisations – lieux dédiés, objets et instruments utilisés, pratiques corporelles requises – s’établit le «cercle de la matérialité», des «styles savants» et des manières de faire science.
Cela donne un gros volume très riche d’informations et d’analyses érudites mettant en lumière les multiples facettes de la réalité matérielle de l’activité scientifique et de son développement, accompagnées d’une interrogation sur «l’épaisseur matérielle des savoirs» et sur «les manières de faire science».
Le découpage choisi – lieux, objets, gestes – fait qu’il n’y a pas de présentation globale et chronologique de cette évolution matérielle des sciences dans son ensemble ni de sa sociologie, son ethnologie ou sa relation avec le contexte historique et notamment politique, même si les références sont évidemment nombreuses à des moments et à des personnalités à travers le temps.
Yves Bamberger, Hans B. Püttgen
(EPFL Press, 2021, 347 p. 28,34€)
Dans la confusion qui entoure les débats enflammés et parfois biaisés sur notre avenir énergétique, ce livre apparaît comme un havre de calme expertise. Les deux auteurs ont une longue expérience de la recherche dans le monde de l’énergie : Yves Bamberger à Electricité de France et Hans Püttgen en Suisse et aux Etats-Unis. Ils sont convaincus de l’urgence d’agir devant le réchauffement climatique. Avec ce livre, ils veulent «aider décideurs et citoyens à exprimer leur opinion sur les options de développement qui leur sont proposées».
L’objectif est de «décarboner» l’énergie que l’on consomme, c’est-à-dire réduire les émissions de gaz carbonique en brûlant moins de charbon, de pétrole et de gaz. Les auteurs recensent toutes les consommations d’énergie dans le monde et analysent les possibilités de les décarboner. D’abord par de meilleurs rendements, par exemple en rénovant l’isolation de logements. Ensuite par des transferts d’usage vers l’électricité, à condition que la production de celle-ci soit moins carbonée, ce qui est le cas dans la plupart des pays. Ainsi, la pompe à chaleur électrique (qui fonctionne comme un réfrigérateur inversé) peut se substituer à la chaudière à mazout. Le moteur hybride ou électrique peut remplacer le moteur à combustion des voitures tout en réduisant les pollutions dues aux oxydes d’azote, aux particules et au bruit. Les camions, les bus, les trains (75% des trains roulent au diesel) peuvent brûler de l’hydrogène, produit, en période creuse, par électrolyse. L’électricité peut se substituer au gaz dans les fours de fabrication du pain, du verre, des briques et du ciment.
Ces quelques exemples montrent le rôle central de l’électricité, dont la part dans l’énergie totale va sensiblement augmenter. Celle-ci est aujourd’hui de 20% au niveau mondial, et incidemment 0% pour le milliard d’individus qui n’a pas encore accès à l’électricité.
Les auteurs nous offrent alors, en une centaine de pages, un cours complet sur les technologies de production électrique, carbonées (charbon, pétrole ou gaz) ou décarbonées (hydraulique, nucléaire, éolien, solaire, géothermique). L’assortiment des centrales ou «mix électrique» doit tenir compte de nombreux facteurs, dont l’intermittence de l’éolien et du solaire. Le pompage-turbinage hydraulique est le mode de stockage de loin le plus répandu (95%), suivi par les batteries, aux performances perfectibles, l’air comprimé, et l’hydrogène. Le réseau électrique, «un des systèmes les plus complexes construit par l’humain», est une création fascinante, qui interconnecte des milliers de machines génératrices tournant en synchronisme et s’ajustant en permanence à une charge qui évolue à tout instant.
Délaissant l’analyse purement technique, les deux auteurs proposent, dans le chapitre le plus original du livre, des politiques d’incitation à la décarbonation. Ils excluent les scénarios qui imposent une baisse de la qualité de vie (pas de retour à la bougie !) et insistent sur la multiplicité des solutions selon les pays. Sans surprise, ils favorisent les productions d’électricité non carbonées, incluant «si nécessaire», le nucléaire. Ils proposent une aide à l’investissement dans l’éolien et le solaire, sous certaines conditions, et abandonnent la clause du «rachat garanti», qui fausse le marché et peut, par grand vent, générer des prix négatifs ! Pour décourager l’usage des énergies fossiles sans pénaliser le citoyen moyen, ils instaurent au niveau mondial une Redevance Carbone Universelle Redistribuée (RCUR), payée dans chaque pays par l’importateur de charbon, de pétrole ou de gaz, et entièrement redistribuée aux habitants du pays. Une redevance est également appliquée sur le contenu carbone des biens importés des pays qui ne participent pas à la RCUR. Le Climate Leadership Council, un organisme américain regroupant des dirigeants d’entreprise, soutient un mécanisme analogue.
Le livre se conclut par une étude de cas : un pays (fictif) réussit à baisser ses émissions de 80% en 20 ans. Les calculs sont très détaillés et permettent de quantifier les actions décrites dans le livre.
Tous les exposés techniques sont factuels, abondent en chiffres et statistiques et sont étayés par des exemples concrets. La grande variété des sujets, depuis la fabrique des baguettes de pain jusqu’à la production d’hydrogène en passant par le raffinage du pétrole, renforce l’intérêt du livre. On peut regretter que certaines questions moins techniques mais cruciales n’aient pas été plus développées, notamment celles des déchets nucléaires, de la croissance de la population mondiale, des coûts de la décarbonation et des résistances des riverains à tout nouveau projet. Il reste que ce livre permet de comprendre les mécanismes en jeu et constitue une référence sérieuse pour le citoyen désireux de participer aux débats à venir sur notre futur énergétique.
Léa Castor, Célia Esnoult, Laure Thiébault
(CNRS Editions, 2021, 64 p. 6€)
Un délicieux ouvrage, une délicieuse BD devrais-je dire, qui ne peut que convaincre les jeunes filles de se tourner vers les sciences, ici celles du numérique.
En effet, le propos est volontairement féministe, comme le souhaite l’illustratrice et autrice de BD, Léa Castor.
En soixante pages, douze parcours de formation et d’emploi sont retracés, quatre pages par décodeuse : elles sont ingénieures, chercheuses, enseignantes-chercheuses... Seul l’avant-propos est écrit par un homme, le directeur de l’Institut des sciences de l’information et de leurs interactions (INS2I) du CNRS, Ali Charara.
J’ai apprécié la diversité des parcours présentés, des postures, des âges de ces décodeuses. Leur travail porte sur le green computing, les algorithmes, l’intelligence artificielle socio-émotionnelle, les mathématiques appliquées aux neurosciences, la cybersécurité, le transport des données, la réalité virtuelle, la bio-informatique, le contrôle des systèmes quantiques, le développement de logiciels, la représentation des connaissances, la robotique.
Toutes soulignent le peu de confiance qu’elles ont reçue dans leurs études primaire et secondaire.
Je n’ai pas compris à quel ordre de présentation répondait les douze chapitres de l'ouvrage, mais cela ne perturbe en rien sa lecture.
Et pour finir sur une note d’humour, pourquoi Léa Castor dessine-t-elle (presque) toutes ces femmes habillées en pantalon ?
David George Bowers, Emyr Martyn Roberts
(EDP Sciences, 2021, 164 p. 12€)
Les marées nous paraissent à la fois familières et mystérieuses. Deux fois par jour, comme dans un ballet synchronisé, des millions de tonnes d’eau montent et descendent, mettant en jeu des énergies considérables. Avec ce petit livre de 160 pages, deux océanographes britanniques prennent le lecteur par la main pour lui expliquer tous les secrets de ce prodige.
Les Gréco-Romains se sont peu intéressés aux marées, quasi absentes de la Méditerranée. Pour les Arabes, elles résultaient de la chaleur apportée par la Lune. Kepler postula, avec raison, que la Lune attire les océans, ce qui déchaîna les railleries de Galilée. Newton mit fin au débat avec sa théorie magistrale de l’attraction universelle, que Laplace compléta en formulant les équations de la réponse des océans.
La «force de marée» en un lieu résulte de l’attraction de la Lune et de celle, deux fois moindre, du Soleil, chacun oscillant à son rythme (12h25 et 12h). Cette force est influencée par de nombreux paramètres, tous cycliques, tels que la position relative des deux astres, leur hauteur par rapport au plan équatorial, leurs distances à la Terre. «Des cycles, des cycles partout», résument les auteurs.
Pourquoi y a-t-il deux marées par jour ? Cela ne va pas de soi. Les auteurs l’expliquent sur quatre pages, en considérant la rotation mensuelle de la Terre due à l’attraction lunaire. Notons que les deux marées hautes d’une même journée ne sont pas égales parce que l’attraction de la Lune est plus forte lorsqu’elle est au zénith que lorsqu’elle est sous nos pieds, et donc plus lointaine.
Comment les océans répondent-ils aux forces de marée ? Les auteurs, jusqu’ici astronomes, retrouvent leur spécialité d’océanographe pour décrire un monde de bassins océaniques, de gradients de pression, de sauts hydrauliques, de courants, de vagues progressives, réfléchies, stationnaires, de nœuds, de fréquences propres, de résonances, de turbulences, de tourbillons, de maelströms, de frictions, de moments cinétiques, d’effets Coriolis et de thermoclines.
La force de marée est incroyablement faible : un millionième de la gravité terrestre ! Comment peut-elle engendrer de tels effets ? En fait, il suffit d’appliquer la force au bon moment, et juste le temps qu’il faut, comme lorsque l’on pousse la balançoire d’un enfant. Ainsi, un bassin océanique entrera en résonance si la vague générée par la force de marée le traverse en six heures. C’est le cas de l’Atlantique Nord dont la profondeur de 4000 m induit une vitesse de vague de 700 km/h. La Méditerranée en est exclue car le détroit de Gibraltar est trop étroit et pas assez profond.
La prédiction des marées fait appel à la séduisante technique de l’analyse harmonique, utilisée également dans l’étude des sons. Chaque paramètre d’influence est décrit par une sinusoïde, un «harmonique», dont la fréquence est dictée par l’astronomie, et dont l’amplitude et la phase caractérisent le lieu étudié. La hauteur de la marée est la somme de ces harmoniques. Ces calculs étaient jadis réalisés mécaniquement par de magnifiques machines, en laiton et acajou, où des roues représentaient les harmoniques : une invention de Lord Kelvin. Aujourd’hui, l’informatique permet de prendre en compte plusieurs dizaines d’harmoniques.
Les auteurs expliquent quelques particularités locales : une seule marée par jour sur côte nord-ouest américaine, des marées hautes doubles à Southampton.
Les plateaux continentaux voient les effets des marées les plus spectaculaires. Des phénomènes de résonance locaux se produisent, comme dans la baie de Fundy au Canada (record du monde de 12 m de haut) ou le golfe d’Adélaïde en Australie. Les mascarets se produisent dans les estuaires avec effet d’entonnoir. La palme revient à celui de Quiantang (Chine) avec ses 4 m de haut, 12 m/s de vitesse, sur 100 km, et son grondement !
La production d’énergie électrique à partir des marées peut se faire en construisant un barrage à l’embouchure d’un estuaire (coûts financiers et environnementaux élevés) ou en immergeant des turbines dans un courant rapide.
Du fait de la perte par friction de l’énergie des marées, la rotation de la Terre sur elle-même ralentit et la durée du jour augmente : elle était de 22h il y a 400 millions d’années.
A cette même époque (le Dévonien), les poissons échoués sur la plage à marée basse ont développé des poumons pour tenir jusqu’à la prochaine marée. Une étape importante dans l’évolution, ouvrant la voie à la vie hors de l’eau : «Nous ne serions pas là si la marée n’avait pas existé».
Une belle conclusion pour ce livre qui révèle les nombreuses facettes des marées, certaines inattendues. Le style est rigoureux et la présentation solide, dense, axée sur la physique et dépourvue de mathématiques. La lecture est exigeante et demande parfois des efforts de concentration, mais elle offre la grande satisfaction de mieux comprendre ce phénomène complexe.
Pierre Bessière, Yohan Colombié-Vivès (illustrations)
(EDP Sciences, 2021, 60 p. 19€)
Un format et une présentation de bande dessinée pour ce livre, au propos très scientifique, sur la grippe. Cette maladie est connue voire décrite depuis longtemps : la première description écrite d’une grippe et d’une possible pandémie d’origine grippale remonterait à 1510 à Modène en Italie.
L'ouvrage est écrit par Pierre Bessière, docteur vétérinaire et enseignant chercheur en infectiologie et virologie à l’Ecole nationale vétérinaire de Toulouse, et illustré par Yohan Colombié-Vivès, architecte devenu illustrateur.
Le contenu scientifique est dense, riche, écrit de façon très pédagogique, et présenté en sept chapitres accompagnés d’un glossaire organisé par thématiques. Les chapitres, d’une dizaine de pages chacun, traitent : «Des virus : des microbes pas comme les autres», «Les virus influenza : des virus respiratoires», «La bataille entre notre corps et les virus influenza», «Des champions de la mutation», «Du point de vue du médecin», «Des virus loin d’être propres à l’homme», «Au XXIe siècle, il fait bon être un virus».
Le texte est écrit autour des illustrations (parfois assez sommaires comme pour la lutte de l’organisme contre un virus), avec quelques rares photographies de microscopie électronique. Certains chapitres sont plus rédigés que d’autres, pour exemple celui sur le point de vue du médecin versus celui sur les virus influenza. Le livre est accessible à des lecteurs ayant déjà, il me semble, une bonne culture scientifique en sciences biologiques.
Cet ouvrage est surprenant car par son aspect, il ne laisse pas deviner la densité des informations données, la richesse des explications des mécanismes physiologiques et des phénomènes pandémiques.
Une inévitable envie de comparaison avec le Sars-CoV-2 et la pandémie actuelle s’en dégage ; aussi le dernier chapitre, «Au XXIe siècle, il fait bon être un virus», et le mot de la fin montrent en quoi les activités humaines quotidiennes sont lourdes de conséquences.
Laurent Chambaud
(Hygée Editions, 2021, 72 p. 8€)
Au début, on s’étonne devant ce petit livre de seulement soixante-douze pages, en très petit format (11 x 18 cm), sur un sujet aussi important que la crise de la Covid-19.
En fait, tout est dit dans cette analyse par Laurent Chambaud, médecin de santé publique et directeur de l’Ecole des hautes études en santé publique de Rennes, de cette crise sans précédent où l’on peut juger de ses aspects sanitaires, économiques, sociaux et sociétaux. L’auteur s’interroge sur notre modèle économique et souligne qu’il faut savoir informer sans déformer et infantiliser. Pour lui, nous sommes tous maintenant épidémiologistes avec l’avalanche de chiffres et de mots rappelant notre situation alarmante, où certains ont même utilisé des termes évoquant une situation de guerre. Il analyse les erreurs de gestion de cette crise hors norme dans le domaine de notre santé et les défis à relever dans ce domaine pour notre monde d’après.
Ce livre est loin des écrits où les menaces sanitaires font parfois l’objet d’hypothèses peu crédibles car présentées par des «scientifiques» ne connaissant pas parfaitement les aspects vétérinaires ou médicaux de ces menaces, prenant souvent à tort l’exemple de la «grippe aviaire», ce qui n’est pas le cas dans ce livre. Au contraire, il nous engage à nous interroger sur notre conception de la santé et à redécouvrir le sens du terme souvent galvaudé pendant cette pandémie, celui de la «santé publique».
Jean Lilensten, Marina Gruet, Frédéric Pitout, Joao Pedro Cadhile Marques
(De Boeck Supérieur, 2021, 240 p. 25€)
28 août 1859 – Des phénomènes stupéfiants se produisent sur l’ensemble du globe : des aurores boréales apparaissent à Cuba, Mexico, Hawaï ; les relais du télégraphe morse américain s’enflamment ; les boussoles s’affolent ; un éclair fulgurant jaillit du Soleil.
4 août 1972 – Des dizaines de mines marines explosent spontanément au Vietnam ; les réseaux électriques et de télécommunications américains sont perturbés ; on observe des aurores boréales en Espagne.
13 mars 1989 – Le réseau électrique du Québec s’effondre, privant d’électricité cinq millions de personnes durant neuf heures.
Ces évènements ont été provoqués par une activité violente et imprévisible du Soleil. Dans le monde hyperconnecté d’aujourd’hui, ces «sursauts» solaires sont un véritable risque planétaire, que l’OCDE estime à égalité avec... les pandémies ! (2011).
Pour tenter de comprendre et de prédire ces caprices solaires, une nouvelle discipline scientifique a été inventée, la météorologie de l’espace, dont ce livre constitue une introduction.
Les quatre auteurs, tous acteurs de la discipline, nous présentent la physique du Soleil, du magnétisme terrestre et des aurores boréales. Quelques grandes lignes :
- Le Soleil produit son énergie par fusion nucléaire et l’irradie dans l’espace pour notre plus grand bien. Mais il se pare également de taches périodiques, émet un «vent solaire» continu de particules électriquement chargées (électrons, ions) à 370 km/s, et peut, lors de sursauts, expédier ses particules à 10 000 km/s !
- La Terre est protégée de ces vents solaires dangereux par sa «magnétosphère» qui l’enveloppe de son champ magnétique sur 60 000 km. Plus près de nous, à une altitude de 50 à 600 km, l’ionosphère contient de l’atmosphère raréfiée et des couches d’électrons qui réfléchissent les ondes électromagnétiques.
- Dans certaines conditions, des particules du vent solaire réussissent à traverser le bouclier de la magnétosphère et excitent les atomes de l’ionosphère (oxygène, azote), lesquels se «désexcitent» en émettant des rayonnements lumineux. Ce sont les aurores boréales, aux multiples couleurs et de formes souvent mouvantes (draperies, rideaux, arcs).
- En cas de sursaut violent, la magnétosphère se comprime, entraînant des variations fortes du magnétisme terrestre, les «orages magnétiques».
L’ensemble de ces mécanismes s’avère d’une «étourdissante complexité» et garde son lot de mystères. Les auteurs racontent les étapes qui ont permis d’en arriver là depuis cinq siècles : une histoire passionnante avec ses héros, leurs traits de génie ou leurs erreurs.
Citons-en trois épisodes :
- Le grand physicien anglais Lord Kelvin se fourvoie à deux reprises à propos du Soleil : il attribue l’énergie solaire aux météorites (1890) et réfute tout lien entre éruption solaire et orage magnétique (1892).
- L’inventeur italien Marconi réalise la première liaison transatlantique radio en 1901, ce qui lui vaut le prix Nobel en 1909. Les auteurs démontrent que cette liaison était impossible à la fréquence radio utilisée et doutent de l’authenticité de l’exploit, d’ailleurs réalisé sans témoin.
- Le Norvégien Kristian Birkeland, ancien étudiant d’Henri Poincaré en France, est le premier à expliquer les aurores boréales, qu’il reproduit en laboratoire (1896). Ce chercheur génial sera pourtant incompris, raillé et ridiculisé, et il se suicide en 1917.
Les auteurs décrivent les moyens d’observation peu à peu mis en place, comme ce radar à Porto Rico muni d’une antenne de 305 m de diamètre, les sondes spatiales (Luna, Mariner) et le prolifique satellite SoHO offrant ses somptueuses images d’éruptions solaires.
Les impacts potentiels des sursauts du Soleil sur l’activité humaine sont analysés : destructions de satellites, erreurs des mesures GPS, perte du contrôle aérien, irradiations des pilotes et spationautes, effondrements des réseaux électriques et de télécommunications. S’il avait lieu aujourd’hui, le fameux évènement de 1859 entraînerait des dégâts estimés à 2000 milliards de dollars !
Au passage, les auteurs tordent le cou à la thèse des climatosceptiques qui expliquent les variations du climat par les caprices du Soleil : ceux-ci n’atteignent pas 0,1% de l’énergie irradiée !
Un chapitre est consacré aux techniques modernes de recherche : modélisation et intelligence artificielle. Nombre de pays possèdent leur centre opérationnel de météorologie spatiale, placé souvent sous tutelle de l’armée. C’est le cas en France.
Ce petit livre, illustré de photos, fourmille d’informations. Il est accessible à un public non spécialisé. Les passages plus ardus sont indiqués et peuvent être ignorés. Alors que les ouvrages sur l’Univers abondent, ceux qui explorent notre voisinage immédiat, si l’on ose dire, sont plus rares et méritent notre attention. Après tout, nous sommes appelés à côtoyer notre cher Soleil encore quelques milliards d’années.
Sous la direction de Claire-Marie Pradier
(CNRS Editions, 2021, 328 p. 22€)
En un temps où la croyance remplace souvent la connaissance et où la chimie est vilipendée par beaucoup, il est précieux de publier un livre montrant l’importance et les réalisations actuelles de cette science. La chimie, science de la transformation de la matière, et l’industrie chimique, mère de toutes les industries, sont mal connues et, en France, tout ce qui est chimique est mauvais et tout ce qui est naturel est bon. Ce schéma simpliste est véhiculé par les médias généralistes, qui oublient que la chimie est un acteur majeur de l’industrie française. Cela dit, ce qui est qualifié d'industriel a aussi mauvaise réputation !
Le livre est structuré en six parties, dont les divers éléments sont rédigés par quelques dizaines de scientifiques enthousiastes. Le tout est coordonné par Francis Teyssandier et Olivier Parisel, sous la direction de Claire-Marie Pradier.
La première partie intitulée «Voyage dans le temps et dans l’espace» donne l’impression, au début, d’un inventaire à la Prévert. On se promène dans l’exobiologie, dans les parfums, on y rencontre Marie-Anne Paulze, Jean-Baptiste Dumas et Alexandre Borodine. Enfin Bernadette Bensaude-Vincent y montre les causes de l’enthousiasme, de la crainte et du rejet que la chimie inspire en ce moment. Malgré la sensation de passer du coq à l’âne, ce chapitre est très agréable à lire et tient en haleine avec la diversité de son récit. Les parties suivantes sont plus homogènes.
La deuxième partie concerne l’importance de la chimie dans l’environnement. On y rencontre la chimie des plantes, celle présente dans les océans et dans les nuages, mais aussi des solutions d’avenir comme le dessalement de l’eau de mer, la photosynthèse artificielle et la valorisation des déchets.
La troisième partie, elle aussi d’actualité, concerne la création et le stockage de l’énergie. On y rappelle que l'électricité fournie par les batteries est d’abord une énergie chimique, puis on étudie le stockage de l’énergie et on nous vante les supercondensateurs. La chimie permet aussi la production d’électricité grâce à l'hydrogène et à la pile à combustible, au photovoltaïque, mais aussi à la thermoélectricité.. Le chapitre se termine par l’étude des ergols, qui permettent de lancer les satellites et de modifier leurs orbites. On y rencontre aussi la personnalité mal connue de Joseph Louis Proust et ses recherches en tant que chimiste.
Le quatrième chapitre est intitulé «Modeler et ciseler la matière». Après avoir vu les relations entre la modélisation de la chimie et les supercalculateurs, on essaye de visualiser les molécules pour mieux les étudier. Les mystères de la réaction de Grignard sont évoqués puis on va dans l’espace regarder l’influence de la pesanteur sur l’évolution de la matière. Au milieu de cette partie, un article sur Angela Merkel démontre, s’il en est besoin, que son niveau scientifique lui permet d’appréhender et de comprendre, mieux que beaucoup d’autres, les problèmes souvent technologiques qui défient nos sociétés. On passe ensuite aux alliages à mémoire de forme et à deux aspects des matériaux nanoporeux.
La cinquième partie aborde naturellement la relation entre la santé et la chimie, sans toutefois s’appesantir sur les médicaments. On y trouve l’étude de l’air expiré, la nature des produits pour l’imagerie et les progrès des médicaments pour la maladie d’Alzheimer. On voit ensuite les nanomédicaments, la microfluidique et la chemo-informatique. Comme dans les parties précédentes, on rend visite à de grands scientifiques : Irène Joliot-Curie et Pierre Potier. Le chapitre se termine par l’apport de l’impression 3D.
La dernière partie concerne la chimie au quotidien. Après avoir vu la chimie du vin et la cause du goût de bouchon, on étudie l’importance de cette science dans la cosmétique. La fabrication de polymères singeant la nature est ensuite abordée, puis on découvre les nouveaux produits fluorescents qui aident la police scientifique. Dans cette partie, on rend hommage à deux scientifiques : Primo Levi et Michel-Eugène Chevreul. Le texte se termine par la relation entre la chimie et la cuisine.
Ce livre est donc bienvenu dans un pays où la science, et en particulier la chimie, n’ont pas dans l’esprit de nos concitoyens la place qu’elles méritent. Facilement abordable, il devrait être lu, au moins et entre autres, par tous ceux qui pensent que l’adjectif chimique veut dire toxique et dangereux, ce qui, en France devrait assurer quelques millions de lecteurs !
Jean-Paul Delahaye
(Dunod, 2021, 192 p. 15,90€)
Les mathématiciens sont épris d'absolu, une opération est vraie ou fausse, il n'y a pas de milieu. Certes les figures géométriques ne sont pas toujours parfaites, mais les raisonnements qui s'y appuient sont sans ambiguïté. Ajoutons que c'est là que l'esprit humain a pour la première fois rencontré l'infini, et la démonstration par Euclide du caractère illimité de la suite des nombres premiers n'est contestée par personne.
Dans ces conditions, penser que les nombres (entiers et positifs) gouvernent le monde était naturel et les nombres rationnels (rapport de deux entiers) furent accueillis sans trop de difficultés, mais la découverte de nombres «irrationnels» provoqua une première crise : cachez ces nombres que je ne saurais voir ! Il en fut de même plus tard avec le zéro, avec les nombres «négatifs» puis avec les nombres «complexes» et les nombres «imaginaires», si différents des nombres «réels». Tout ce vocabulaire exprime bien les problèmes de conscience successifs des mathématiciens et, d'une manière tout à fait analogue au XIXe siècle, les promoteurs des géométries non euclidiennes eurent le plus grand mal à être pris au sérieux.
Sans aller si loin, le livre Pythagore à la plage vous conduira parmi les beautés magnifiques rencontrées en chemin et vous fera rêver.