Notes de lecture

Les membres de l’Afas publient régulièrement des notes de lectures. Elles sont à retrouver ici.

Alessandro De Angelis

(EDP Sciences, 2022, 298 p. 22€)

 
Les "Deux nouvelles sciences" de Galilée (A. De Angelis, EDP Sciences, 2022)1636. Voilà déjà trois ans que Galilée a été condamné. A vrai dire, cette condamnation a été, pour l'époque, bien légère : il est en résidence surveillée dans sa maison de campagne à Arcetri, près de Florence. Il n'a pas le droit de sortir de son jardin sauf pour aller à la messe (ce qu'il fait souvent) et doit chaque jour réciter une longue prière de contrition (mais il a obtenu que s'en charge sa fille, qui est religieuse). Il ne peut plus polémiquer, son passe-temps préféré, car les scientifiques qui viennent le voir, dont certains évêques, viennent pour apprendre et pour l'écouter.

Dans ces conditions, les journées sont longues. Une seule solution : écrire un livre. Ce sera Deux nouvelles sciences. Il s'agit de la mécanique et de la résistance des matériaux ; bien entendu les observations et les résultats présentés ne sont qu'un tout début mais l'essentiel n'est pas là. Il est légitime de dire que ce livre est le livre majeur de Galilée, l'un des piliers de la science moderne. La défense de la méthode expérimentale y est présentée avec beaucoup d'élégance et devient vite une évidence tant sont éradiquées les erreurs dues à une confiance absolue dans les écrits des Anciens. Mais ceux-ci sont tout de même remerciés : la Science progresse par améliorations successives.

Il est fascinant de voir et de sentir les doutes et les questions qui tourmentaient les hommes du XVIIe siècle. Quelles propriétés faut-il donner au vide ? et d'abord existe-t-il vraiment ? La cohésion des matériaux est-elle due à la peur du vide ? Si j'appelle AB un segment et M le point du milieu, puis que je sépare ce segment en deux parts égales, le point M va-t-il être coupé en deux ? ... pourtant ne dit-on pas que les points sont indivisibles ? La lumière a-t-elle une propagation instantanée ? on ne peut se contenter de dire «Je vois instantanément la lueur du coup de canon lointain alors que le son met un temps notable à parvenir». Il faut faire des expériences d'allers-retours lumineux...

Ecrit avec le vocabulaire et les tournures du XXIe siècle, le livre d'Alessandro De Angelis est aisé à comprendre et tout à fait passionnant.

 

Stéphane d'Ascoli, Adrien Bouscal

(First Editions, 2022, 213 p. 14,95€)

 
Voyage au coeur de l'atome (S. d'Ascoli, A. Bouscal, First Ed.)Parmi les nombreux ouvrages publiés sur la physique quantique mettant en évidence le caractère déconcertant des phénomènes qui la constituent tels que l'intrication, la superposition d'états ou la téléportation, cet ouvrage présente une originalité particulièrement intéressante : il décrit les principales innovations technologiques que la physique quantique a permis, montrant que bien que nous ayons beaucoup de difficultés à interpréter ces phénomènes, nous sommes capables de les prédire et de les maîtriser pour réaliser des objets technologiques particulièrement innovants comme l'IRM, le laser, les LEDs, les fibres optiques, les trains à sustentation magnétique, les ordinateurs quantiques...

Ainsi, bien que les controverses scientifiques continuent sur son interprétation, la physique quantique est l'une des théories scientifiques les mieux vérifiées par l'expérience et les plus productives en termes d'innovation.

A lire absolument si, bien que déconcerté par la physique quantique, on cherche malgré tout à comprendre...
 

Antoine Moreau

(Ellipses, 2022, 216 p. 16€)

 
Toute la physique sans les équations (A. Moreau, Ellipses, 2022)E = mc², V = RI, je ne me rappelle rien de plus ! La physique m'impressionne et je n'ose plus en parler... Mais voyons, un petit effort, l'essentiel n'est pas dans les formules mais dans le fonctionnement de cet Univers et de cette matière qui nous entourent.

Les exemples présentés et analysés sont on ne peut plus vivants : les joueurs de pétanque lancent leurs boules... l'eau coule du robinet et elle est déviée par l'approche du sac plastique électrisé... la porte du four à micro-ondes est percée de petits trous qui arrêtent les micro-ondes mais permettent d'observer les plats posés à l'intérieur... le chat de Schrödinger se demande s'il va survivre...

Ce livre se lit comme un roman.

Frédéric Thomas, Michel Raymond

(humenSciences, 2022, 264 p. 20,90€)

 
De nombreux phénomènes perdurent dans la nature alors qu'à priori ils semblent absurdes ou contreproductifs. Pourquoi la sélection naturelle les a-t-elle maintenus ? Ainsi peut on légitimement se demander pourquoi le suicide, la reproduction sexuée, la ménopause, les jumeaux, le mal-être, l'effet placebo, l'obésité... ?

Les auteurs nous expliquent que tous ces phénomènes à priori paradoxaux ont en fait des explications rationnelles et scientifiques qui permettent de plus de mieux appréhender la complexité du monde dans lequel nous vivons.

Un livre agréable à lire et rempli d'exemples concrets illustrant de façon pédagogique les différents raisonnements.

 

Jacques Tassin

(Belin, 2022, 228 p. 29€)

 
Le chêne (J. Tassin, Belin, 2022)Récemment, les cinéphiles ont pu voir un superbe film, Le chêne, sorti en salle à la fin de février. Les amoureux de la nature et notamment des arbres peuvent aussi découvrir le livre, illustré de belles photos du film. Mais les images ne sont pas le seul intérêt de cet ouvrage. Il nous emmène à la découverte de l’histoire des chênes et de toutes leurs espèces, qui peuplent quarante pour cent de nos forêts françaises. Il aide à comprendre comment il a fallu 350 millions d'années, depuis son apparition au début de la période géologique du Carbonifère, pour que le chêne puisse se développer et embellir nos paysages et nos forêts. On y apprend qu'il a migré dix-sept fois depuis la période glaciaire. On comprend mieux aussi comment il vit en symbiose avec tout un peuple d'animaux, de champignons et de plantes. On y apprend que ses feuilles sont des interfaces poreuses avec le monde qui les entoure et comment l'activité ininterrompue d'amas de cellules embryonnaires présents à la pointe des bourgeons assure à l'arbre une croissance indéfinie, si aucun évènement extérieur ne vient en compromettre la croissance.

On y découvre son mode de reproduction, que chaque fleur contient un ovule qui, s’il est fécondé par le pollen, devient un gland – lequel, contrairement à ce que l'on croit souvent, n'est ni mâle ni femelle – et comment, sans lui, de nombreuses populations animales ne survivraient pas. Qu'il lui faut plus de quarante ans pour atteindre sa maturité sexuelle. Que ses différentes espèces sont monoïques, c'est-à-dire qu’elles portent sur le même arbre, mais pas forcément au même moment, des fleurs mâles et des fleurs femelles, tributaires du vent pour être fécondées.

Pour ceux qui ont pu suivre les conférences de Francis Martin et de Catherine Lenne, lors des cycles organisés par l'Afas avec ses partenaires et encore accessibles sur notre site [1], Jacques Tassin, chercheur au Cirad, apporte, par ce livre, une superbe illustration de leurs propos.

Mais surtout, à la lecture de cet ouvrage, et si l’on connaît, par exemple, la forêt de Tronçais plantée par Colbert, dont la beauté provoque pour qui s'y promène une émotion proche de celle qu'on peut ressentir dans une cathédrale, on comprend que la reconstruction de Notre-Dame justifiait de rechercher dans nos forêts, pour les sacrifier, certains de nos plus beaux spécimens de chênes séculaires.

 

[1] Présentation et vidéo des conférences de :

Jean-Baptiste Aubin, Antoine Rolland

(EDP Sciences, 2022, 264 p. 22€)

 
Comment être élu à tous les coups (J.-B. Aubin, A. Rolland, EDP Sciences, 2022)Les mathématiciens devraient-ils être conviés aux débats des soirées électorales ? Ils auraient beaucoup à dire, semble-t-il. «A défaut d’être invités à la télévision», les statisticiens Jean-Baptiste Aubin et Antoine Rolland ont écrit ce petit livre dévoilant le monde étonnant des modes de scrutin.

«Pour décider, il faut un nombre impair de personnes, et trois c’est déjà trop». La boutade de Clemenceau évoque le «mode de scrutin» de loin le plus répandu dans l’histoire de l’humanité : l’absence totale de consultation du citoyen ! Pourtant, il y a 2500 ans, à Athènes, certains se disent que le meilleur moyen de garantir la paix sociale serait de faire accepter les règles par le plus grand nombre. Ainsi naît la démocratie. Le citoyen est convié à intervenir dans la vie de la cité : «Un homme ne se mêlant pas de politique mérite de passer, non pour un citoyen paisible, mais pour un citoyen inutile», juge Périclès. L’épisode démocratique grec ne dure qu’un siècle. S’ensuit une longue nuit sans vote ni élection jusqu’aux cités-Etats de Venise et Florence à la Renaissance, puis aux Révolutions américaine et française. Les premières réflexions théoriques sur les modes de scrutin émergent avec les savants français Borda (1770) et Condorcet (1785) dont les ouvrages sont encore des références. Ce livre en est un lointain descendant, enrichi par 250 ans d’expérience démocratique.

Quelles sont les propriétés souhaitables d’un mode de scrutin ? Les auteurs en recensent une dizaine. En particulier, celle dite du «vainqueur de Condorcet». On appelle ainsi le candidat qui gagnerait tous ses duels avec chacun de ses concurrents. On peut légitimement penser qu’un tel candidat, s’il existe, devrait être élu. A noter que, parfois, il n’existe pas, comme dans l’exemple suivant, appelé «paradoxe de Condorcet» : une majorité de votants préfère le candidat A au candidat B, mais aussi B à C, et C à A. Un ordre de préférence qui serait incohérent pour un individu, mais qui est possible et normal pour un groupe.

Les auteurs présentent une douzaine de modes de scrutin. Dans les scrutins majoritaires, l’électeur déclare le nom d’un candidat. Les députés britanniques, américains, canadiens sont ainsi élus sur un tour. Les députés français sont élus sur deux tours de même que les présidents de nombreux pays, dont la France.
L’électeur peut aussi déclarer non plus un nom, mais un classement, ou ordre de préférence de tous les candidats. C’est le cas de l’élection des députés australiens, choisis par éliminations successives automatisées. C’est aussi le cas du scrutin dit de Borda, qui régit entre autres l’élection annuelle du Ballon d’or de football, et de ses nombreuses variantes, dont l’une a été développée par Lewis Carroll.
Avec les scrutins «par évaluation», l’électeur attribue une note à chaque candidat. A Sparte, le candidat était choisi selon la force des cris de la foule ! L’élection des doges de Venise était basée sur des notes. Aujourd’hui, on élit ainsi le secrétaire général des Nations unies, le vainqueur d’une compétition de patinage artistique ou le meilleur restaurant sur Internet.

Les auteurs testent les modes de scrutin sur un même exemple concret, judicieusement choisi. Le résultat laisse le lecteur pantois. Chacun des cinq candidats gagne au moins une fois. «Choisissez votre mode de scrutin, et vous pouvez choisir votre vainqueur», plaisantent (à moitié) les auteurs.

Il n’y a pas de scrutin idéal. Les scrutins majoritaires engendrent des majorités nettes et favorisent les candidats clivants. Ils ne tiennent pas compte des ordres de préférence entre les candidats et donc n’élisent pas toujours le «vainqueur de Condorcet», tel Bayrou en 2007 : Sarkozy fut élu alors que les sondages indiquaient qu’une majorité lui préférait Bayrou. De la même façon, ni Jospin en 2002, ni Barre en 1988, tous deux «vainqueurs de Condorcet», ne furent élus.
Le scrutin de Borda favorise les candidats de compromis. Les variantes de Borda élisent toujours le «vainqueur de Condorcet» et auraient donc élu Barre, Jospin et Bayrou.
Avec le vote par évaluation, les élus sont consensuels ; on peut choisir plusieurs candidats («choisir sans renoncer») ou les refuser en partie ou en totalité. L’intérêt d’aller voter s’en trouve vivifié. C’est le mode favori des auteurs.

Un dernier chapitre est consacré aux élections d’assemblées, avec leurs multiples variantes : circonscriptions géographiques, proportionnelle simple ou double et panachages.

La lecture de cet ouvrage ne nécessite aucun bagage mathématique, juste un peu de concentration. Les explications sont limpides et s’appuient toujours sur des exemples. Le lecteur peut se faire une opinion éclairée sur le mode de scrutin qu’il souhaiterait voir s’établir. Comme l’écrit Etienne Ghys dans sa préface, « ce livre résolument élémentaire fera le plus grand bien à la démocratie».

Jean-Gabriel Ganascia

(Seuil, 2022, 320 p. 21€)

 
Servitudes virtuelles (J.-G. Ganascia, Seuiil)Ce livre est un cri d’alarme. L’auteur, Jean-Gabriel Ganascia, est un scientifique, expert en intelligence artificielle. Il est également philosophe et il a présidé le Comité d’éthique du CNRS. Il s’indigne de l’évolution incontrôlée des techniques numériques qui nous envahissent et nous asservissent peu à peu.
Quelques exemples :
Elon Musk a créé en 2017 la société Neuralink dans le but d’établir une connexion directe entre le cerveau et l’ordinateur. L’idée est de fusionner les intelligences biologique et numérique, et d’éviter ainsi «les lenteurs du langage».
Mark Zuckerberg investit dans ce même lien cerveau-ordinateur, pour y lire en direct les désirs de ses clients (qui accepteraient de porter son casque!).
En Chine, un logiciel de reconnaissance faciale permet de suivre un individu et de noter ses incivilités et bonnes actions.
A Stanford, on cherche à déterminer l’orientation sexuelle d’un individu par la simple analyse de son visage.
L’auteur condamne fermement ces projets qui portent tous atteinte à la dignité de l’homme. Il blâme le silence coupable des innombrables comités d’éthique, dont les recommandations (au nombre cumulé de 84 en 2019) ne sont que «des enchevêtrements d’abstractions convenues et vaines».

Jean-Gabriel Ganascia parcourt avec nous le vaste monde numérique et l’analyse en détails. Son constat est peu reluisant. Un aperçu :
Certes, il est improbable que les machines s’emparent elles-mêmes du pouvoir. Mais l’homme leur cédera peu à peu sa place devant leurs performances qui ne cessent de s’améliorer.
Les algorithmes d’intelligence artificielle sont souvent construits à partir de masses de données statistiques. En cas de biais dans ces données, celui-ci sera perpétué par l’algorithme. Ainsi, les systèmes de reconnaissance faciale américains sont beaucoup plus performants pour la catégorie «homme blanc».

Les sociétés numériques nous imposent un troc entre la gratuité de certains services et nos données personnelles. Elles nous assaillent de leur publicité ciblée. Les prix proposés pour nos achats sont fixés «à la tête du client» en fonction de nos traces laissées sur la Toile. Ces nouveaux pouvoirs «nous asservissent gentiment, sans cachot, ni chaînes, ni menottes, par la simple faculté de persuasion et de tromperie qu’ils exercent sur nous». L’auteur est féroce avec les nouveaux agents conversationnels intelligents (type Google Assistant) qu’il considère comme de véritables espions que l’on accepte servilement : «Napoléon Bonaparte, Joseph Staline, Nicolae Ceausescu et Mao Tsé-toung en auraient rêvé ; George Orwell les a imaginés dans son roman 1984 ; Amazon, Google, Apple et les autres géants de la Toile les ont fabriqués!».

L’Etat est incapable de poursuivre les auteurs de fausses informations et s’en remet à des acteurs privés. Facebook et Twitter ont censuré Trump, ce qui choque l’auteur. Les grandes sociétés numériques (dont aucune n’est européenne) sont en train de vider les Etats de leur souveraineté. Elles sont déjà très présentes dans les fonctions régaliennes : la collecte d’impôts, la sécurité, la justice. Facebook veut créer sa propre cryptomonnaie. Apple refuse de donner au FBI les clés de décryptage de son téléphone. Dans l’affaire dite des «perroquets stochastiques» (2021), deux membres du Comité d’éthique de Google soupçonnent un biais dans l’algorithme de traitement du langage et doivent quitter la société pour publier leur article, montrant ainsi les limites des comités privés.

Dans ce panorama assez pessimiste, on devine que l’auteur force parfois un peu le trait et l’on pourrait aussi évidemment discuter sur telle ou telle argumentation. Mais Jean-Gabriel Ganascia est convaincant sur sa recommandation essentielle : les organes législatifs élus, aux niveaux national et européen, doivent prendre le contrôle des évolutions du numérique. Il s’agit, ni plus ni moins, de préserver certains fondements de notre démocratie : respect de la personne, équité, transparence.

L’auteur enrichit son exposé de développements historiques, philosophiques et sociologiques très pertinents sur des notions telles que la vie privée, l’amitié, le partage, la censure, la confiance, la réputation, l’équité, la dignité humaine, la transparence, la servitude. Nous croisons ainsi Aristote, Montaigne, La Boétie, Pascal, Swift, Rousseau, Kant, Tocqueville, Nietzche, Marx, Hegel, Arendt, Ricœur, Levinas, Sartre, Ariès, Harari, Assange. L’auteur puise également avec bonheur dans la littérature nombre d’illustrations de ses idées, avec Virgile, Goethe, Carroll, Sue, Zola, Proust, Valéry, Gide, Breton, Borges, Sarraute, Kundera, Eco et même Bob Dylan! Dans une conclusion émouvante, Jean-Gabriel Ganascia propose un guide pour lutter contre l’asservissement de la pensée en s’inspirant d’un texte, écrit en septembre 1939 par un jeune journaliste, dont il ne dévoilera le nom qu’à la toute dernière phrase de son livre.

Emma Young

(Dunod, 2022, 408 p. 24,90€)

 
Une symphonie des sens (E. Young, Dunod, 2022)Daniel Tammet est capable de retenir jusqu'à 22 000 décimales du nombre π, Daniel Kish, aveugle de naissance, se faufile entre les voitures à vélo, Joy Milne détecte la maladie de Parkinson juste avec son odorat, les derviches tourneurs peuvent tournoyer sur eux-mêmes pendant une heure, l'explorateur David Livingstone a été mordu par un lion sans aucune souffrance, les joueurs de rugby néo-zélandais utilisent le haka comme échauffement... En se basant sur des recherches récentes, Emma Young, journaliste scientifique, nous montre que contrairement à ce que nous pensons depuis l'Antiquité, ce ne sont pas cinq sens dont nous disposons mais trente-deux. Elle illustre son propos avec de nombreux exemples qui permettent de comprendre comment fonctionnent ces sens, ce qui se passerait si on ne les avait pas et ce qui se passe lorsqu'ils sont décuplés.

Ce livre permet de comprendre comment nous interagissons avec le monde qui nous entoure : à lire absolument !

James Lequeux, Thérèse Encrenaz

(EDP Sciences, 2022, 152 p. 17€)

 
La vie ailleurs : espérances et déceptions (J. Lequeux, T. Encrenaz, EDP Sciences)Existe-t-il une vie en dehors de notre Terre ? A cette question fascinante, l’homme cherche une réponse depuis plus de deux mille ans et ce livre raconte l’histoire de cette quête. Les deux auteurs, astronomes chevronnés, déroulent le film de cette aventure humaine, depuis les débats philosophiques de l’Antiquité jusqu’à l’exploration spatiale d’aujourd’hui.

Le premier héros de cette saga est le philosophe Anaxagore, qui suggère que la Lune est habitée (ca 450 av. J.-C.). Cette pensée hérétique lui vaut un procès et le bannissement d’Athènes. A sa suite, les philosophes atomistes, Démocrite, Epicure, Lucrèce, défendent tour à tour la pluralité des mondes. Dans le camp opposé, les Pythagoriciens, puis Platon et enfin Aristote, enseignent que seule la Terre est habitée : tout ce qui est au-dessus de la Lune est figé dans la perfection.

Les chrétiens, pour qui la Terre, création de Dieu, est l’unique monde habité, adoptent le modèle d’Aristote. Mais il y a quelques exceptions surprenantes : l’évêque de Paris condamne «ceux qui croient que Dieu ne pourrait pas créer une pluralité de mondes» ! (1277). Le cardinal allemand Nicolas de Cues déclare en 1440 : «Aucune des étoiles, croyons-nous, n’est privée d’habitants», puis cette réflexion extraordinairement lucide et visionnaire : «Partout où il y a un homme, il pense qu’il est au centre de l’Univers». Le dominicain Giordano Bruno défendra des idées similaires mais terminera sur le bûcher (1600). Le dogme est de retour.

Durant la seule année 1610, Galilée découvre des montagnes sur la Lune, des taches dans le Soleil, des phases sur Vénus et des satellites de Jupiter. La perfection du monde supralunaire d’Aristote est soudain mise à mal. Des scientifiques comme Kepler et Huygens pensent que les planètes sont habitées. Le livre de Fontenelle Entretiens sur la pluralité des mondes (1686) est réédité trente-trois fois de son vivant !
Aussi étrange que cela puisse paraître, le Soleil devient, au XVIIIe siècle, un cadre de vie extraterrestre très populaire ! Pour l’astronome William Herschel, par ailleurs découvreur d’Uranus, les habitants du Soleil vivent dans une caverne, protégée du feu externe par une couche d’atmosphère (1795). A cette époque, la structure interne du Soleil était encore totalement inconnue.

Coup de théâtre en 1877 : avec sa nouvelle lunette astronomique, l’Italien Giovanni Schiaparelli observe sur Mars des «canaux», que l’on imagine construits par des êtres intelligents. La communauté scientifique s’emballe, tout comme le marché des lunettes astronomiques ! Mais un groupe de sceptiques parle d’illusion optique. La controverse s’installe et dure un siècle. Les photos de la sonde spatiale Mariner 4 mettent fin aux canaux ainsi qu’au mythe des Martiens (1965).

C’est alors vers les microbes, martiens ou autres, que les scientifiques se tournent ! Les annonces à sensation se succèdent, qui restent aujourd’hui sujettes à controverse : des matières organiques dans une météorite martienne ? Du méthane d’origine biologique sur Mars ? De la phosphine d’origine microbienne sur Vénus ? Les auteurs nous expliquent les techniques d’observation spectrographiques utilisées. Ils montrent la complexité de l’interprétation des résultats, qui exige la prudence, peu compatible avec la pression médiatique ambiante.

Un chapitre est consacré à la panspermie, théorie selon laquelle la semence de vie est éternelle et se transmet de planète en planète. Elle connut de nombreux adeptes, de Lord Kelvin (1871) à Francis Crick (1973). Son point faible : les organismes vivants ne résistent pas aux rayonnements de l’espace. Néanmoins, des molécules «prébiotiques» (possédant tous les éléments de base de la vie) nous proviennent régulièrement de l’espace, et un acide aminé a été détecté dans une comète (2016).

L’exploration de la vie extraterrestre se poursuit aujourd’hui au-delà du Système solaire. On a développé des techniques sophistiquées pour évaluer les paramètres importants de ces exoplanètes : taille, température, atmosphère, présence d’eau liquide. Des dizaines de planètes, candidates prometteuses, ont déjà été identifiées.

Quelle est la probabilité qu’«une vie ailleurs» se soit développée ? Selon les auteurs, «il est impossible de donner une réponse nette». Certes, sur une planète donnée, la vie est peu probable car nécessitant la conjonction de nombreux paramètres précis. Mais il y a des centaines de milliards de planètes dans notre galaxie ! Et il y a cent milliards de galaxies ! Le produit de zéro par l’infini donne... un nombre indéterminé !

Voici un excellent livre de vulgarisation. Les auteurs restent factuels et se concentrent sur l’essentiel. Les 150 pages sont illustrées de figures remarquablement documentées. Le style est clair et abordable pour tout lecteur qu’intéresse cette passionnante énigme de la «vie ailleurs».

Anja Røyne

(Dunod, 2022, 272 p. 19,90€)

 
Les atomes de nos vies (A. Royne, Dunod, 2022)Anja Røyne, physicienne, chercheuse à l'université d'Oslo, aborde le problème de la raréfaction des matières premières sur Terre de façon très originale : elle commence par dresser une vaste fresque de l'histoire de la création de l'Univers depuis le Big Bang, en mettant en évidence en particulier la façon dont se sont créées les diverses ressources terrestres ; elle énumère ensuite les principaux matériaux utilisés par les hommes depuis l'origine, en décrivant à chaque fois les méthodes d'extraction utilisées, les utilisations, les stocks initiaux, les stocks encore restants et les solutions éventuelles de remplacement. Elle fait une analyse particulière sur les sources d'énergie «sans lesquelles il ne se passe rien».

Ainsi, elle fait apparaître de façon concrète la nécessité pour l'humanité de changer de paradigme avant qu'il ne soit trop tard.