Les membres de l’Afas publient régulièrement des notes de lectures. Elles sont à retrouver ici.
Sous la direction de Corine Defrance et Anne Kwaschik
(CNRS Ed., 2016, 156 p. 29 €)
Cet ouvrage est la suite du colloque "Science, internationalisation et guerre froide. Bilan et perspectives de recherche", organisé à l’université de Berlin en juin 2012 en partenariat avec le Comité d’histoire du CNRS.
Il s’agit d’une série de neuf textes coordonnés par deux historiennes, l’une du CNRS (C. Defrance) et l’autre de l’université de Berlin (A. Kwaschik). Tous les auteurs sont eux-mêmes historiens de différents horizons, aussi bien nationaux que thématiques.
Cette socio-histoire de la guerre froide et de son retentissement sur la gestion de la science se découpe en quatre parties :
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- La première traite de "Collaboration internationale et stratégies nationales". Elle commence d’emblée par l’impact du passé de la guerre (crimes nazis et comportement de certains savants allemands) sur la reprise difficile des collaborations scientifiques franco-allemandes. Puis il est question de la mise en place de nombreuses institutions scientifiques internationales au cours de l’affrontement bipolaire de la guerre froide.
- La deuxième sur "Institutions nationales et les pratiques scientifiques internationales" décrit les efforts de F. Braudel pour développer après 1945 des recherches collectives et interdisciplinaires en sciences sociales. L’objectif de ces études sur les aires culturelles (areas studies) vise une connaissance globale du monde et par contrecoup, le maintien de la paix. La renommée de F. Braudel permet de garantir l’autonomie de la France dans cette organisation qui englobe le Centre européen et la Fondation Rockefeller des Etats-Unis. Ces programmes amènent à la découverte de "l’American way of life" qui animera la vie intellectuelle et sociale française en 1950-60. Dans cette partie se trouve également un texte sur le CNRS, qui doit se positionner entre la recherche américaine, et son aide financière, et l’activité scientifique impressionnante des Russes (Spoutnik en 1957). Cependant, toutes les relations d’échanges avec l’URSS vont être stoppées après le printemps de Prague. Vont alors se mettre en place davantage de collaborations avec les Etats-Unis et l’OTAN pour traiter les défis de la société moderne.
- La troisième partie "La science entre les blocs : coopération ou rivalité ?" traite des enjeux scientifiques, à distinguer des enjeux politiques tout en tenant compte des méfiances existant de part et d’autre. Les échanges entre scientifiques contribuent plutôt à la circulation des savoirs qu’à une réelle internationalisation de la science. Dans cette partie est également présenté le cas particulier des manuels scolaires et de leurs révisions internationales. Se basant sur ceux de l’histoire, il est admis que l’analyse des différents points de vue européens et mondiaux sur un événement doivent être reconnus tout en conservant la légitimité de l’histoire nationale. Apparaît alors l’incompatibilité entre ce principe révisionnel de l’Ouest et l’historiographie de l’Est.
- En quatrième partie, "Construction d’une Europe de la science", est analysée la construction de l’Europe de la science et de sa politique de coopération. La guerre froide 1945-1989 se termine par la chute du mur. Pendant cette période, l’hégémonie économique des Etats-Unis prédomine en même temps que progresse l’émergence d’une communauté européenne. Le but stratégique de la Recherche en Europe est de répondre à des impératifs de croissance économique. Les Etats-Unis, hyperpuissance scientifique et technologique, coopèrent avec l’Europe et privilégient un challenge technologique. La relation franco-allemande devient un partenariat privilégié, surtout après 1980. Mais toujours dans un certain contexte d’antagonisme et de rivalité.
En conclusion, nous avons ici l’analyse de différents aspects de la construction européenne de la science. Cette construction, influencée directement par les Etats-Unis en réponse à la guerre froide, amène à des programmes de recherche de type finalisé débouchant sur une nouvelle technoscience. D’où des interrogations sur le danger d’un travail scientifique trop lié à l’industrie et au politique et sur le développement d’une innovation forcenée oblitérant l’accroissement des connaissances pour un meilleur mode d’existence humaine.
Au total, nous nous trouvons avec des analyses pertinentes et richement documentées sur cette histoire récente de l’évolution de la recherche. Les enjeux économiques et politiques certes particuliers de l’époque sont éclairants en ce qui concerne la compréhension de notre présente actualité.
Luc Ferry
(Plon, 2016, 216 p. 17,90 €)
Le livre de Luc Ferry n'est à proprement parler ni un livre scientifique ni un livre sur la science. La présente analyse a-t-elle donc sa place ici ? Je pense que oui car un tel livre oblige à s'interroger sur l'usage que nous faisons des avancées de la connaissance scientifique et des développements techniques qui en résultent.
Le titre est : La révolution transhumaniste. Le sous-titre : Comment la technomédecine et l'uberisation du monde vont bouleverser nos vies. Il s'agit d'un cri d'alarme. Luc Ferry veut attirer l'attention, d'abord la nôtre, citoyens ordinaires, ensuite et surtout celle de nos dirigeants sur ce qui est train de se passer. Il pousse ce cri d'alarme car il sait bien et il voit bien que, face à cette extraordinaire révolution, lourde de tous les dangers, nous sommes, et nos politiques sont, aveugles et sourds.
Quels dangers ?
Citons-en un, le plus central. Dans le cadre d'initiatives privées ayant pour postulat que l'intelligence artificielle va - et très bientôt - surpasser l'intelligence humaine, des milliards et des milliards de dollars sont dépensés chaque année afin d'inventer un homme transhumain ou posthumain aux capacités physiques et intellectuelles décuplées. Est-ce merveilleux ou est-ce l'horreur devenant réalité du poème de l'apprenti-sorcier ?
Comment savoir ? Comment faire pour savoir ? Comment savoir quoi penser et quoi faire ?
Ça va si vite, les nouveautés sont si nombreuses, leur attrait si fort, leur complexité pour celui qui veut comprendre si grande... qu'on en a la tête qui tourne, qu'on ne voit guère comment réagir.
Luc Ferry dénonce ceux qu'il nomme "solutionnistes" car ils sont convaincus qu'aux problèmes que la science et la technique créent, la science et la technique trouveront toujours une solution.
Il dénonce les trop pessimistes, qu'il assimile aux réactionnaires, et il dénonce les trop optimistes, qui ne cherchent pas à savoir.
Il plaide pour une prise de conscience aussi générale que possible, pour une réflexion aussi courageuse et objective que possible, et enfin pour la mise en place d'une régulation internationale.
En bon héritier de la "juste mesure" qui nous vient de la philosophie grecque, il fonde beaucoup d'espoir en elle et souhaite manifestement qu'elle inspire nos politiques.
Mais ne pèche-t-il pas là lui-même par optimisme ? Car qui définira une telle régulation ? Car qui la mettra en œuvre ? Car qui contrôlera sa mise en œuvre ?
On quitte ici le domaine de la critique pour celui de la polémique, sinon celui de la croyance. Mais comment en serait-il autrement ? Le sujet est grave. On peut souhaiter une chose : que tous lisent ce livre, ou d'autres ouvrages traitant de la question, et que chacun se fasse son opinion. Car c'est de l'homme qu'il s'agit, rien de moins, de l'idée que nous autres humains nous nous faisons de ce que nous sommes...
Anne-France Dhauteville
(Buchet-Chastel, 2016, 144 p. 15 €)
Pour celles et ceux qui aiment cultiver leur jardin ou qui sont simplement amoureux de la nature et des plantes, ce livre est une petite merveille. Comme l’écrit Jean-Marie Pelt dans la préface, on peut y butiner au gré de ses humeurs et de sa fantaisie.
Rempli d’anecdotes amusantes et légendes, très joliment illustré et ponctué de remarques ancestrales dans des encarts « Ma grand-mère disait », ce petit recueil est une mine d’informations sur le monde végétal.
J’ose faire une suggestion : l’offrir en lieu et place d’un bouquet de fleurs avant un bon dîner chez des amis sensibles à l’intelligence subtile et étonnante de la nature. On aura toute chance de leur faire plaisir.
Coralie Taquet et Marc Taquet
(Ed. Quae, 2016, 148 p. 20 €)
Si vous gardez quelque nostalgie d'un séjour à la mer, ce petit livre consacré aux étoiles de mer et à leurs cousins vous fera découvrir la complexité et la variété des diverses espèces d'échinodermes, qui se répartissent en cinq classes très différentes d'aspect : les astérides ou étoiles de mer, les ophiures, les échinides ou oursins de mer, les crinoïdes ou lys de mer et les holothuries ou concombres de mer.
L'ouvrage est illustré de superbes photographies et organisé autour de 80 questions auxquelles les auteurs, Coralie Taquet, docteure en génétique des populations marines et ingénieure agronome, et Marc Taquet, docteur en océanologie biologique et environnement marin, répondent avec clarté et tout le sérieux de deux scientifiques soucieux de la transmission des savoirs.
Ce volume vient enrichir la collection "Clés pour comprendre" des éditions Quae, qui, dans des domaines très divers, fait découvrir et mieux comprendre la complexité de la nature. Aussi instructif que le précédent volume (Quel est le meilleur chocolat ?, Michel Barel, 2015) que nous avions déjà recommandé dans notre rubrique, cet ouvrage grand public ravira tous ceux qui veulent s'instruire en s'amusant.
Daniel Bernard, Jean-Charles Boutonnet, Patrick Flammarion, Philippe Garrigues, Catherine Gourlay-Francé, Philippe Hubert, Pascal Juery, Jean-François Loret, Christophe Lusson, Marc Mortureux, Isabelle Rico Lattes, Éric Thybaud et Jacques Varet
(EDP Sciences, 2016, 230 p. 25 €)
Beaucoup d’auteurs ont contribué à cet ouvrage de la collection "Chimie et…". Ce 13e ouvrage est consacré à l’expertise en matière de sécurité sanitaire et environnementale. Il complète celui paru en 2015 sur Chimie et expertise. Sécurité des biens et des personnes (cf. l’analyse en ligne sur ce site).
La Maison de la chimie propose, à l’aide de cette collection, des ouvrages issus de colloques ayant lieu depuis 2007. Les informations fournies par ces livres sont accessibles également depuis 2012 sur le site www.mediachimie.org. Saluons cet effort de diffusion des connaissances à travers ces ouvrages et le site Internet.
Le dernier ouvrage est présenté en deux parties :
La partie 1 traite du règlement européen REACH (enregistrement, évaluation et autorisation des substances chimiques), règlement entré en vigueur le 1er janvier 2007. Les six chapitres de cette première partie apportent des témoignages d’entreprises après un chapitre introductif donnant un cadrage sur le risque et sur les grands concepts de sécurité sanitaire.
La partie 2, plus technique, traite des problèmes très actuels, tels les effets chroniques des faibles doses des substances chimiques, l’évaluation et la gestion des risques liés aux nanomatériaux, la question des gaz de schiste… J’ai été assez surprise de l’évolution du cadre de recherche concernant les nanomatériaux, pour exemple la création de mésocosmes : on trouve ainsi une représentation des installations du Center for Environnemental Implication of Technologies (CEINT) en Caroline du Nord (Duke University), installations permettant de suivre la dissémination des nanoproduits de notre environnement.
La conclusion pose et discute la question des défis actuels de la chimie, en reprenant les échanges du débat animé par Bernard Bigot.
Il faut souligner dans cet ouvrage la contribution de spécialistes français qui rend plus accessible la compréhension des enjeux actuels de la chimie.
Roger Lenglet et Chantal Perrin
(Actes Sud, 2016, 160 p. 19,80 €)
La maladie de Lyme est en progression constante dans de nombreux pays, principalement pour des raisons écologiques (réchauffement climatique, augmentation du nombre de réservoirs d'animaux sauvages, etc.). En France, cette maladie a été longtemps sous-estimée ou mal diagnostiquée. Il faut souligner que le diagnostic de cette affection est souvent difficile à confirmer tant les aspects cliniques peuvent être variés et l’interprétation d’un résultat de laboratoire parfois difficile à interpréter. Ces difficultés se traduisent souvent par des discussions passionnées entre les scientifiques, les médecins du terrain et/ou les malades dans les congrès sur ce sujet. Deux journalistes, qui ont enquêté sur cette maladie dans différents pays, témoignent de toutes ces difficultés sous le titre L’affaire de la maladie de Lyme. Une enquête.
Dans ce petit livre, les auteurs présentent dans un premier chapitre la maladie de Lyme et l’errance de plusieurs malades diagnostiqués trop tardivement. Le second chapitre rappelle aussi les aspects épidémiologiques et cliniques de cette affection dans le monde entier, en particulier la recrudescence actuelle signalée dans plusieurs pays et la possibilité de co-infections. Puis, dans un troisième chapitre intitulé « Les autorités restent sourdes », les auteurs signalent le retard des autorités françaises par comparaison avec d’autres pays pour la prise en compte de ce problème de santé publique. Ils rapportent en particulier les difficultés du laboratoire Schaller de Strasbourg, fermé en mai 2012 pour avoir détecté trop de malades de Lyme en utilisant un test d’origine allemande.
Le chapitre suivant, intitulé « Médecins et malades se rebiffent », est tout à fait d’actualité en ce mois de juillet 2016 où l’on a pu noter une pétition d’une centaine de médecins français[1]. Ceci a tout d’abord été le cas aux Etats-Unis à partir des années quatre-vingt-dix, puis plus tard en Europe. Dès 1999 un groupe de médecins et de chercheurs fondaient l’ILADS (International Lyme and Associated Diseases Society) pour faire face à l’IDSA (Infectious Diseases Society of America), en particulier pour faire reconnaître la forme chronique de la maladie de Lyme. Il y a eu une conférence de consensus en France en 2006 mais la maladie de Lyme était classée deux ans plus tard dans les maladies rares du site www.orphanet.fr. Les associations de malades se sont aussi révélées très efficaces dans le monde entier du fait des possibilités offertes par les médias et Internet. En France, rappelons le documentaire réalisé en 2014 pour France 5 par Chantal Perrin (La maladie de Lyme, quand les tiques attaquent) et qui a fait l’objet de plusieurs rediffusions. On peut aussi se poser la question des autres modes de transmission de la maladie de Lyme : transmission in utero, par l’allaitement, par transfusion sanguine, par le sperme ou les sécrétions vaginales ou encore par d’autres vecteurs (aoûtats, taons, moustiques, punaises).
Enfin, le dernier chapitre présente les solutions permettant de prévenir individuellement et collectivement cette redoutable maladie : comment éviter la morsure (vêtements clairs et couvrants, affiches, répulsifs, inspection, poules dans les jardins à tiques, etc.) ou enlever la tique (tire-tiques), comment reconnaître cliniquement et traiter la maladie de Lyme (traitement précoce) ?
En conclusion, l’enquête de ces auteurs est très bien menée, en présentant et expliquant les aspects complexes de la maladie de Lyme. Il est certain que ce document aidera le lecteur à mieux comprendre les multiples visages de cette maladie.
Enfin, signalons que l’Académie nationale de médecine a pris conscience de ce problème puisque la séance programmée pour le 20 septembre 2016 est dédiée à la maladie de Lyme.
Aurélien Barrau
(Dunod, 2016, 96 p. 11,90 €)
"De la vérité dans les sciences", quel vaste et passionnant sujet ! On pourrait l'exprimer sous la forme d'une question, "La vérité existe-t-elle ?".
Et on pense à Louis Pasteur qui disait de la notion d'infini qu'elle était aussi incompréhensible qu'indispensable. Ne peut-on pas dire la même chose de la notion de vérité ?
D'ailleurs, en introduction, l'auteur, l'astrophysicien Aurélien Barrau, prévient : "Ce petit livre donne peu de réponses, il pose également peu de questions. Il entend seulement plonger le lecteur dans un certain "inconfort" propice à la réflexion". Cet avertissement a valeur de résumé.
On ne se méfie jamais assez des certitudes. Ni du confort que les certitudes procurent.
Aurélien Barrau plaide, milite même, pour une certaine forme de relativisme, pour un relativisme éclairé pourrait-on dire. Il n'y a pas de science sans conviction, pas de science sans la conviction que certaines hypothèses sont plus vraies que d'autres. Toutes les hypothèses, toutes les opinions ne se valent pas, bien sûr ! Car si tout se vaut, rien ne vaut. Pour autant il n'y a pas non plus de science, et c'est là l'essentiel, sans le doute, sans la remise en question de ce qui pourtant semble vrai, de ce qui pourtant a toujours semblé vrai. D'où cet appel, d'où cet engagement même, pour une certaine forme et un certain degré de relativisme.
Astrophysicien s'interrogeant sur ce qu'il y avait avant le Big Bang (Big Bang et au-delà, Aurélien Barrau, Dunod), il mentionne qu'il est désormais convenu de s'interroger sur l'univers : est-il unique ou multiple ? est-il univers où "multivers" ? un au milieu d'une infinité d'autres ?
Philosophe, il s'interroge, à la suite du philosophe analytique américain Nelson Goodman, sur les différentes manières de faire des mondes, irréductibles les uns aux autres, au gré des différentes activités créatrices humaines, monde de la physique quantique, monde de la musique, monde des contes de fées, monde de la poésie, et bien d'autres. Univers multiples, mondes multiples, ces exemples montrent le degré d'inconfort, d'"intranquillité" auquel il convie son lecteur.
"Penser en scientifique, écrit-il, c'est d'abord accepter de se laisser surprendre, c'est vouloir penser au-delà de nos fantasmes et de nos croyances".
Et sur la vérité : "Cherchons la Vérité. Naturellement ! Qui pourrait s'y opposer ? Mais est-il un concept plus équivoque que celui de vérité ?". "Soyons sérieux avec la vérité : rien ne serait pire que de l'appeler, à la manière d'une prière, sans comprendre les difficultés et les subtilités qui lui sont associées." Et aussi : "[La vérité] encadre, elle limite. Elle fixe la ligne de démarcation entre le possible et l'interdit non négociable [...] Pourtant, et c'est là tout le paradoxe, elle constitue elle-même une part de la construction. Elle est à la fois frontière de l'édifice et partie de celui-ci". "Plus qu'un devoir, la vérité est une méthode. La contrainte de vérité n'est pas optionnelle".
La vérité dans la Grèce archaïque, rappelle-t-il, n'était pas opposée au mensonge mais à l'oubli. Il y a là une observation essentielle. Car lorsque la vérité est croyance, que la réfuter est donc impossible, il reste le danger de la négligence et de la tiédeur à son égard.
Le propos d'Aurélien Barrau va, comme on le voit, bien au-delà de la science. Il y est question à plusieurs reprises de la violence, violence de la vérité érigée en source de diktats, violence de la radicalité soit d'un scientisme naïf soit d'un obscurantisme nocif. Violence de l'exclusion lorsqu'on tente d'établir une frontière entre science et non-science. Toutes les guerres n'ont-elles pas été menées, ne sont-elles pas toutes menées, au nom de l'idée que chaque camp se fait de la vérité ?
En guise de conclusion, pour mettre une note finale à l'inconfort du lecteur, et lui donner envie d'en savoir plus en lisant ce livre passionnant, cette définition, citée par Aurélien Barrau, de la vérité par Nietzsche : "La vérité est une sorte d'erreur, faute de laquelle une certaine espèce d'êtres vivants ne pourraient vivre".
Didier Kahn
(CNRS Ed., 2016, 238 p. 22 €)
Tout un chacun et souvent même les chimistes pensent que l’alchimie est la mère de la chimie. L’une et l’autre semblent de toute façon ésotériques mais l’alchimie est de plus associée à diverses sciences occultes. Le livre de Didier Kahn intitulé Le fixe et le volatil s’intéresse à remettre l'alchimie à sa place en y retirant toutes les scories qui l’associent avec la magie et l’astrologie.
Historiquement, la chimie existe depuis que l’homme transforme la matière mais pendant des millénaires, le manque de théories fiables va engendrer des cogitations étonnantes et ésotériques qui vont donner naissance à l’alchimie. C’est le travail des métaux, la fabrication des colorants, etc., qui, en Egypte hellénistique, cristallisent une pensée qui va conduire à l’alchimie. Du grec en passant par l’arabe pour arriver dans l’Occident chrétien aux XIIe et XIIIe siècles, l’alchimie qui se dessine en Occident se concentre sur la transformation des métaux en associant une pratique et une théorie de la matière.
Malheureusement, les diverses traductions, associées à un langage volontairement mystérieux et énigmatique, n’en favorisent pas la compréhension. L’auteur décortique le vrai du faux et montre que beaucoup d’auteurs anciens sont des inventions mythiques. Dans les racines médiévales de l’alchimie, Didier Kahn montre bien la complexité du corpus théorique du genre : tous les métaux sont constitués de soufre et de mercure, mais aussi que tout corps est composé des quatre éléments, terre-eau-air-feu. Il décrit aussi les trouvailles qui ont fini par isoler des acides minéraux, des alcalis, l’alcool, etc.
Le livre concerne particulièrement l’évolution de l’alchimie depuis Paracelse jusqu’à Lavoisier. Pourquoi Paracelse ? Parce qu’au début du XVIe siècle, il va remettre à plat la philosophie d’Aristote et la médecine de Galien en y introduisant la révélation chrétienne. Cela dit, des notions telles que : tout corps est constitué de sel, de soufre et de mercure, le tout agrémenté de notions religieuses, ne font pas le début d’une science. Malgré cela, il a eu de nombreux disciples, mais aussi de nombreux contradicteurs. Toutefois les recettes de l’époque semblent délirantes à nos yeux d’aujourd’hui, par exemple : un onguent pour blessé par balle se prépare à partir de sang de la victime, d’un peu de mousse recueillie sur un crâne humain mort de mort violente, si possible un pendu, d’un morceau de chair prélevé sur un cadavre, le tout appliqué non pas sur la blessure (heureusement !) mais sur l’arme ou à défaut sur un bâton.
Presque jusqu’à la fin du XVIIe siècle, l’alchimie se concentre sur la transmutation, avec son lot d’escroqueries et d’illusions. A la fin du XVIIe siècle, Van Helmont développe le paracelsisme en y introduisant de nouvelles notions, par exemple que toute chose est constituée d’eau et de semences invisibles, mais surtout débutent les expérimentations plus rigoureuses qui permettront à Lavoisier de créer la science chimique. Pendant ce siècle l’alchimie va induire de nombreuses recherches et la chimie, liée à l’analyse scientifique, va peu à peu se séparer de l’alchimie, qui, elle, va se complaire dans des notions obscures et ésotériques mais en gardant toutefois de nombreux adeptes. A la fin du XVIIIe siècle, la chimie moderne est née avec son aspect mathématique et sa nomenclature. C’en est alors fini des quatre éléments, des discours obscurs et du mélange avec des notions religieuses. D’ailleurs, Lavoisier ne soufflera mot sur l’alchimie.
Le livre de Didier Kahn aide à la compréhension de cette aventure humaine qu’est l’alchimie en essayant de clarifier cette protoscience, volontairement obscure voire obscurantiste, et en la séparant de la magie et autres occultismes. On prend beaucoup de plaisir à suivre les méandres de la pensée humaine qui, pendant des siècles, a mélangé une véritable expérimentation, des considérations ésotériques et religieuses, le tout étant très difficile à appréhender pour un esprit actuel.
Jean-Didier Vincent
(Seuil, 2016, 112 p. 8 €)
Ecrit comme une suite de conversations de Jean-Didier Vincent (professeur de physiologie à la faculté de médecine de l’université Paris XI, membre de l’Académie des sciences et de l’Académie nationale de médecine) avec son petit-fils de 16 ans, ce livre renferme une mine d'informations. Il se compose de 20 chapitres très courts (2 pages pour le plus court sur "La pensée et l'action" et 18 pages pour le plus long sur "Les comportements de base"). L'ouvrage ne comporte pas d'illustrations (ou très peu).
J'y ai appris que nous ne savons pas seulement reconnaître quatre saveurs (sucré, salé, amer et acide) mais cinq avec celle toujours oubliée, l'umami, saveur spécifique du glutamate ; que c'est un petit peptide secrété par les cellules graisseuses qui déclenche le rythme accéléré de la lubérine lors de la puberté, peptide au nom savoureux de kisspeptide...
Comme toujours, Jean-Didier Vincent sait parler de choses complexes de façon simple.
Carl Zimmer
(Belin, 2016, 128 p. 16 €)
Le livre de Carl Zimmer, sorti en mars 2016, fait suite à un ouvrage publié en 2011, A planet of viruses.
Carl Zimmer, journaliste scientifique, a enrichi cette édition des évolutions connues avec le virus Ebola, le coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS-CoV).
Cette édition correspond aux essais écrits dans le cadre du projet «World of viruses» (site : worldofviruses.unl.edu).
Le livre est découpé en trois grands chapitres : «De vieux compagnons», «Partout en toutes choses», «Le futur viral», eux-mêmes découpés en trois ou quatre parties. J’ai été intéressée par la vision originale de ce monde viral, les anecdotes pour expliquer les phénomènes biologiques complexes. Les titres sont là pour illustrer cette approche : «Des lapins à cornes», «La conquête de l’Ouest», «Nos parasites intimes»…
L’écriture est celle d’un journaliste scientifique mais les références bibliographiques sont là pour assurer la partie scientifique du propos (pp. 115 à 120).
Le livre se termine par un épilogue posant question pour un biologiste, avec les virus géants (exemple de virus découverts dans le permafrost) et la définition de la vie.
Ce livre n'est pas pour ceux qui attendent un propos illustré : il ne comporte qu’une dizaine de photographies (aux légendes d’ailleurs assez incomplètes). Il faut le lire surtout pour sa mise en lumière particulière de la «virosphère».