Les membres de l’Afas publient régulièrement des notes de lectures. Elles sont à retrouver ici.
Michel Lévy-Provençal
(Belin, 2019, 216 p. 21€)
Le livre veut donner des éléments de réflexion pour comprendre le monde qui vient, grâce à 33 groupes d’interrogations rassemblées en quatre «révolutions» – la révolution de la ressource et des territoires, la révolution politique, la révolution cognitive, la révolution de la vie et du vivant – afin de lancer le débat sur notre futur commun. Il fait référence d’emblée à la Singularity University de Ray Kurzweil et Peter Diamandis : vision «exponentielle» de l’évolution du monde et rencontre des trois «singularités» – technologique, écologique et sociale – qui font que l’humanité est à un tournant de son histoire.
Dans le chapitre Révolution de la ressource et des territoires, il constate le processus de création d’un «cerveau planétaire», passe en revue un certain nombre de domaines technologiques – énergie, mobilité, eau, spatial, biotechnologies et biomimétisme –, pour s’interroger sur nos capacités à dépasser les contraintes naturelles et nos propres limites.
Dans le chapitre Révolution politique, il s’interroge sur notre capacité à maîtriser le post-carbone, la pauvreté et les inégalités, sur le devenir du travail, sur l’impact des cryptomonnaies, des plateformes, réseaux et blockchains, qui mettent en question la citoyenneté traditionnelle dans le cadre des Etats-Nations, et sur l’impact que pourrait avoir le développement de la cryptologie quantique.
Dans le chapitre Révolution cognitive, il s’interroge sur le fonctionnement du cerveau, nos émotions, leur origine chimique et leur rôle, sur le processus d’apprentissage, sur les différents moyens d’augmenter nos capacités cérébrales par la réalité virtuelle, les interfaces hommes-machines ou la création d’exocortex.
Dans le chapitre Révolution de la vie et du vivant, il s’interroge sur les perspectives ouvertes par la révolution numérique appliquée aux biotechnologies, par les manipulations génétiques, par les modifications de l’ADN, les nouvelles formes de production alimentaire, la reproduction asexuée et l’eugénisme cognitif.
Il s’agit donc d’un balayage qui se veut très complet des questions posées par les principaux champs scientifiques et technologiques et leurs possibles évolutions ouvrant souvent des perspectives vertigineuses, dont on se demande toujours quelle est la part du vraisemblable et quelle est la part de la science-fiction. Va-t-on vraiment vers une noosphère de clones virtuels et immortels, dans le cloud, pour chacun de nous ?
Mais il fait apparaître aussi les risques forts de clivage, au sein de notre humanité, entre les «inutiles» et les «dieux» (Harari) et le rôle de quelques individus – experts et scientifiques de haut niveau dans leurs domaines de spécialités respectifs, chefs d’entreprises à dimension mondiale, dirigeants politiques – sur ces possibles évolutions. Quel sera le pilotage politique, c’est-à-dire d’intérêt général, de ces perspectives qui concernent le devenir de l’humanité toute entière ?
Bernard Jimenez
(Glénat, 2019, 208 p. 35€)
Le nom de Lapérouse stimule l’imagination. Il est synonyme d’aventures, de sciences, de découvertes géographiques, mais aussi de disparition mystérieuse. Le livre de Bernard Jimenez, magnifiquement illustré et extrêmement bien documenté, permet de suivre dans le détail cette aventure humaine et scientifique autour du monde, jusqu’au drame final. Grâce à des photos et des textes annexes, il décrit aussi ce que sont devenus les différents sites visités par Lapérouse, ce qui replace l’itinéraire dans le monde d’aujourd’hui.
Bien que né à Albi, au milieu des terres, le jeune Jean-François de Galaup, futur Lapérouse, va aller vers la mer. Le petit garçon, subjugué par les histoires racontées par des cousins officiers de marine, entrera dans une école navale à Brest. Il progressera vite et ses prouesses militaires le feront connaître.
A trente-six ans, il a la croix de Saint-Louis et des revenus confortables. Par ailleurs, au grand désespoir de son père, il fait un mariage d’amour.
Louis XVI, porté vers les sciences, va engager Lapérouse pour une grande expédition autour du monde. Il s’agit, entre autres, de remplir les blancs que Cook a laissés au cours de ses voyages. On découvre dans le livre la complexité d’organisation d’une exploration qui doit durer quatre ans. La nature de la nourriture doit être particulièrement étudiée car on sait que le scorbut fait de nombreuses victimes lors de ce type d’expédition. Les bateaux doivent résister pendant de longues années aux tempêtes et aux tarets entre autres, et Lapérouse fait donc transformer des flûtes en frégates. Il est nécessaire aussi de rechercher les instruments scientifiques les plus sophistiqués de l’époque – ils emportent un chronomètre de Berthoud, dont l’atelier se trouve toujours au musée des Arts et Métiers, ainsi que la célèbre toise du Pérou, qui avait été utilisée par La Condamine en 1735 pour mesurer trois degrés du méridien au Pérou.
Le 1er août 1785, les deux frégates, La Boussole et L'Astrolabe, quittent Brest pour un voyage qui les mènera successivement à Madère, à Ténérife, à l’île de la Trinité, à l’île Saint-Catherine (au large du Brésil), et après le passage du cap Horn, à Concepción, à l’île de Pâques, en Alaska, à Monterey, puis à Macao, à Manille, en Manche de Tartarie, au Kamtchatka – où le jeune Barthélémy de Lesseps les quittera pour, à travers la Sibérie et l’Europe, porter les documents du voyage, ce qui est en soi une épopée extraordinaire –, et enfin à Botany Bay en Australie.
Le 10 mars 1788, l’expédition repart pour les îles Tonga et la Nouvelle-Calédonie mais on n’en aura plus de nouvelles. Dès 1790, on pense à un accident et d’Entrecasteaux part à leur recherche avec les frégates La Recherche et L’Espérance, mais l’expédition est un échec et se termine en drame. Bernard Jimenez nous fait vivre alors une enquête passionnante qui va durer deux cents ans et qui permet maintenant d’avoir une idée assez précise de ce qui s’est passé.
Ce livre se lit comme un roman de Jules Verne, avec beaucoup d’informations scientifiques, géographiques, anthropologiques, entre autres. On vit au jour le jour avec les savants et l’équipage d’une des plus grandes explorations du monde faite par la France. On mesure les difficultés et le courage de ces aventuriers confrontés aux éléments naturels mais aussi aux indigènes parfois «légèrement anthropophages» (James Cook a été assassiné par les Hawaïens en 1779).
Un excellent livre d’aventures vécues, qu'on relit volontiers.
Gabriel Naëj
(Buchet-Chastel, 2019, 224 p. 14€)
Précisons d’emblée que Raphaël, le personnage principal de ce roman, est né en 2015 et que l’action se passe en 2048. A cette époque il existe, comme il se doit, de notables modifications de la vie quotidienne grâce à l’évolution de nouvelles technologies. Certaines prévisibles à ce jour, telles des lunettes avec enregistreurs visuels et auditifs permettant de mémoriser et de tracer les instants de la vie in situ de tout un chacun, ou l’utilisation de robots ménagers, dressés à volonté. D’autres, et c’est là l’originalité de ce livre, portent essentiellement sur des avancées scientifiques qui rendent possible le téléchargement de l’esprit, l’ex-corporation suivie de la migration de l’esprit «outre corps» dans un androïde pour accéder à une forme d’éternité. Nous assistons à celui de la mère de Raphaël, qu’elle a elle-même organisé de manière clandestine dans une clinique privée.
Le tout sur une trame romancée où Raphaël doit se débattre avec un changement de partenaire, de vie, et surtout avec sa mère (genre Tatie Danièle) qui veut, par amour maternel, atteindre l’immortalité.
Le piquant de cette fiction, de lecture fluide et menée comme un roman policier, est qu’il est écrit (sous pseudonyme) par l’un de nos experts en intelligence artificielle, Jean-Gabriel Ganascia. Aussi, même si l’on n’y croit pas, certains des détails numériques et techniques ou certaines discussions, certains questionnements sur les progrès de la science, l’éthique, les déviances du transhumanisme nous intéressent. Sans parler de la conclusion finale, que nous ne dévoilerons pas, qui fait intervenir jusqu’au centre interplanétaire de cybersécurité.
Sabine Hossenfelder
(Les Belles Lettres, 2019, 348 p. 19,50€)
La physique théorique est en crise, et c’est la «beauté» qui en est responsable ! C’est un véritable pavé dans la mare que lance Sabine Hossenfelder, physicienne allemande de 43 ans, avec ce livre iconoclaste.
On parle ici de la physique fondamentale, celle qui traite des particules, de la mécanique quantique, de la gravité, et de la cosmologie. Le développement dans les années soixante du «modèle standard», avec ses 25 particules et les équations qui les guident, a été le dernier grand succès des théoriciens, couronné par la confirmation récente de l’existence du boson de Higgs. Mais depuis 30 ans, les nouvelles théories abondent et aucune n’a encore reçu la moindre confirmation expérimentale.
Le problème, assure l’auteure, est que les physiciens sélectionnent leurs théories en fonction de leur beauté ! Une théorie est dite «belle» si elle est simple (peu de postulats) et naturelle (constantes calculées, proches de l’unité). L’auteure s’insurge avec force, et souvent avec une ironie mordante, contre ce critère non scientifique, qui génère des comportements pervers : on cherche à remplacer des théories laides qui fonctionnent par des théories, prétendues «trop belles pour être fausses», mais non vérifiées par l’expérience !
Ainsi on veut remplacer le modèle standard (laid parce que la masse du boson de Higgs n’est pas naturelle) par SuSy, une théorie de la supersymétrie, en vogue depuis 30 ans. Des milliers de personnes y travaillent. Il y a un congrès mondial SuSy chaque année. Et l’on n’a toujours pas la moindre preuve expérimentale de SuSy. «J’admire les mille et une façons d’expliquer pourquoi personne ne voit les particules que nous inventons», ironise l’auteure.
Elle fait des constats analogues avec la théorie des cordes (embauchez deux théoriciens des cordes, et vous avez créé un laboratoire de physique fondamentale à bon marché), les particules WIMPs, (belles mais introuvables), la constante cosmologique (qui est laide et donc ne peut expliquer l’énergie noire !).
Les physiciens peinent à abandonner des théories qu’ils trouvent belles, quitte à enjoliver un peu leur demande de financement : «Tous les scientifiques vivent secrètement un conflit d’intérêt entre financement et honnêteté». Certains vont jusqu’à mettre en veilleuse le besoin de vérification expérimentale. L’auteure sonne l’alerte sur ces dérives qui peuvent faire le jeu des ennemis de la science. «Nous, les physiciens des fondations, nous sommes comme le canari dans la mine de charbon... Les constructivistes sociaux [qui réfutent le caractère spécifique de la science] nous ont à l’œil, impatients de nous autopsier.»
Sabine Hossenfelder ne se contente pas de présenter sa thèse avec brio, rigueur et humour. Elle va, en plus, crânement interroger, aux quatre coins du monde, une dizaine de grands physiciens, dont deux prix Nobel. Nous avons ainsi droit à des échanges passionnants sur la beauté, dont chacun ou presque reconnaît le rôle de guide, sur le caractère «non naturel» des orbites de nos planètes, sur les bizarreries des probabilités au poker, mais aussi sur les grandes énigmes de la physique théorique, et le statut de la science. Ces entretiens complètent et parfois tempèrent les thèses de l’auteure.
Sabine Hossenfelder n’hésite pas à donner plusieurs contre-exemples relativisant sa thèse. Dans l’histoire des sciences, la beauté a souvent été un guide utile : Copernic a opté pour l’héliocentrisme pour des raisons purement esthétiques. La mécanique quantique, bien que laide, est bien établie. Et les générations futures pourraient d’ailleurs la trouver belle. «La science progresse obsèques après obsèques», se console l’auteure avec humour, paraphrasant Planck.
En conclusion, Sabine Hossenfelder appelle le monde de la physique fondamentale, chercheurs et décideurs, à se ressaisir, à retrouver une démarche plus conforme aux critères de la science et mettre la beauté au rancart. Et elle se veut confiante : «La physique va réaliser une nouvelle percée durant ce siècle. Et elle sera belle.»
En dépit de sa conclusion positive, certains reprocheront sans doute à Sabine Hossenfelder ses critiques acerbes à l’égard de ses pairs. «Plusieurs amis, bien intentionnés, ont tenté de me dissuader d’écrire ce livre», confie-t-elle. Ce livre est pourtant constructif et a toute sa place dans le débat sur l’évolution de la physique théorique et ses futurs dispositifs d’expérimentation, dont les coûts sont potentiellement énormes.
Ajoutons que Sabine Hossenfelder prend la peine d’expliquer longuement les concepts les plus ardus de la physique fondamentale, et elle le fait avec un talent de vulgarisatrice hors pair.
Ce volet pédagogique représente une part importante de ce livre passionnant, à l’argumentation brillante et solide, au langage simple et accessible, le tout agrémenté d’une bonne dose d’humour et d’autodérision.
Un livre rafraîchissant !
Pierre Léna
(Le Pommier, 2019, 392 p. 20€)
Ce livre, très personnel, raconte la vie d'astrophysicien de Pierre Lena et ce faisant, il nous promène dans les arcanes du combat contre le flou que mènent les scientifiques depuis le XVIIe siècle, depuis Galilée et sa première lunette astronomique.
Mieux voir, pour mieux comprendre, tel est l'objectif de ces hommes et de ces femmes qui, durant le cinquantenaire passé, ont inventé de nouveaux instruments et de nouvelles disciplines tels que l'optique adaptative, l'interférométrie, le VLT, les instruments SPHERE et Gravity, et bien d'autres pour explorer les trous noirs, les exoplanètes, les ondes gravitationnelles...
Pierre Léna a été l'un des protagonistes majeurs de ce combat contre le flou et la description qu'il en donne est particulièrement vivante et détaillée. Il cite les principaux acteurs qu'il a eu l'occasion de rencontrer durant cette aventure. Il raconte de nombreuses anecdotes ayant émaillé les longues nuits passées à regarder le ciel ou les images du ciel et il décrit le prodigieux développement de l'astrophysique de ces cinquante dernières années.
Le livre se termine avec l'évocation des nombreux projets en cours visant à repousser encore plus loin la barrière du flou tels que les mission Transiting Exoplanet Survey Satellite ou PFI de la NASA ou la mission européenne LISA.
Benjamin Lachaud
(Ellipses, 2019, 240 p. 23€)
L'auteur énumère les différents éléments de la classification de Mendeleïev avec, pour chacun, l'étymologie de son nom, l'histoire de sa découverte et enfin une brève description des utilisations et des applications mettant en œuvre l’élément ou ses dérivés.
De nombreuses anecdotes historiques, en particulier concernant les découvreurs de ces éléments, enrichissent cet ouvrage et rendent sa lecture agréable et facile.
Un livre de référence à avoir chez soi pour s'y reporter lorsque l'on se pose une question concernant le monde chimique dans lequel nous baignons.
dirigé par Etienne Klein, Philippe Brax, Pierre Vanhove
(Dunod, collection Quai des sciences, 2019, 224 p. 18,90€)
Un évènement extraordinaire a eu lieu le 14 septembre 2015. Pour la première fois, on a détecté des ondes gravitationnelles (causées par la fusion de deux trous noirs situés à 1,35 milliard d’années-lumière). C’est une nouvelle victoire éclatante de la théorie de la relativité générale. Par ailleurs, rappelons un autre fait, moins glorieux : nous ne savons expliquer que 5% de l’Univers et les 95 % restants sont d’origine totalement inconnue. Comment peut-on être aussi performant d’un côté et aussi ignorant de l’autre?
Nous sommes dans les mystères de la gravité, ce concept mystérieux et fascinant, qui a toujours été au cœur des schémas d’explication du monde. Ce livre fait le point sur ce sujet. Il est écrit par onze scientifiques, chacun disposant d’un chapitre et abordant un aspect différent de la question. Cette écriture à onze voix permet de présenter parfois le même sujet sous différents angles, ce qui n’est pas un luxe, tant les concepts traités sont quelquefois difficiles à appréhender. Dans certains cas, nous avons même droit à des opinions divergentes, qui reflètent des désaccords actuels dans la communauté scientifique.
L’histoire de la pensée cosmologique a ses grandes figures. Depuis Aristote et ses 55 sphères, en passant par Brahé, Galilée, Kepler, Newton, elle culmine avec Einstein et la Relativité générale (1915). Après son expérience de pensée de 1907 sur le principe d’équivalence («l’idée la plus heureuse de ma vie»), Einstein met huit ans à mathématiser son concept : il liquide finalement la force de gravitation de Newton (lequel trouvait lui-même «absurde» cette action à distance et instantanée) et il l’identifie à la courbure de l’espace-temps.
Depuis maintenant 100 ans, bon nombre d’observations ont confirmé avec éclat la théorie : courbure des rayons lumineux, décalage du spectre électromagnétique, invariabilité des constantes dans le temps et l’espace, et en 2015, les fameuses ondes gravitationnelles qui ouvrent aujourd’hui la voie à une nouvelle astronomie prometteuse.
Tout irait donc très bien dans le monde de la gravité ? Pas tout à fait ! Il reste deux énormes énigmes : la matière noire et l’énergie noire ! Explications :
En 1930, on découvre que les vitesses de certaines galaxies sont nettement incompatibles avec la masse stellaire connue. On postule alors l’existence d’une «matière noire», laquelle a ensuite trouvé de nombreuses autres justifications et est devenue incontournable dans les modèles cosmologiques. Elle est invisible, représente 27% de l’Univers, et sa composition reste une énigme totale.
Dans les années quatre-vingt-dix, on découvre, avec surprise, que l’expansion de l’Univers est en accélération. Pour expliquer ce phénomène, on doit maintenant invoquer un autre concept d’«énergie noire», qui représente 68% du contenu de l’Univers ! C’est sur la nature de cette mystérieuse énergie noire que les auteurs du livre divergent quelque peu. Il y a ceux qui pensent qu’elle correspond à la fameuse «constante cosmologique», qu’Einstein avait ajoutée à contrecœur à ses équations pour décrire un Univers qu’il croyait statique (1917). «La plus grosse erreur de ma vie», dira-t-il. Il l’avait ensuite supprimée en 1930 lorsque l’expansion de l’Univers fut observée. Aujourd’hui, il suffirait donc de rétablir cette constante pour tenir compte de l’énergie noire. D’autres auteurs penchent pour des théories plus exotiques, conciliant Relativité générale et Mécanique quantique, qui ne sont qu’esquissées dans le livre : théorie des cordes, gravitation quantique en boucles, multivers, quintessence, graviton massique, antimatière.
Notons un chapitre très intéressant sur Whitehead, qui en 1922, a publié une théorie concurrente à la Relativité générale, réfutée seulement en 1970. Son examen montre en creux les particularités de la théorie d’Einstein.
En conclusion, la gravité résiste encore aux tentatives de l’apprivoiser. Les trois autres forces (électromagnétique, nucléaires forte et faible) ont été plus ou moins domestiquées avec leurs particules associées, émanant du modèle standard de la physique des particules et de la mécanique quantique. La gravité reste drapée dans son splendide isolement hérité de la Relativité générale et il y a encore beaucoup de recherches à faire avant de répondre à la question en titre du livre. Newton a résisté deux siècles avant d’être détrôné par Einstein. Quand arrivera le nouvel Einstein ?
Le livre est écrit dans un langage très accessible malgré la complexité des sujets abordés. A lire par tous ceux qu’intéressent la passionnante histoire des théories de la gravitation et les grandes énigmes de la cosmologie actuelle.
Valérie L’Hostis et Damien Féron
(EDP Sciences, Collection Bulles de sciences, 2019, 104 p. 14€)
C’est un livre assez court édité par EDP Sciences, gage de qualité scientifique, dans la collection Bulles de sciences, gage de pédagogie, et, effectivement, le contrat est bien rempli.
A la lecture, on voit de manière évidente ce que rencontrent tous les auteurs de livres, scientifiques ou pas : c’est l’éditeur qui choisit le titre et la couverture. De tour Eiffel, en effet, il n’est question que pages 55 et 57.
Mais cela ne restreint pas l’intérêt du livre qui est une vulgarisation d’un problème de portée industrielle considérable : la corrosion. Les phénomènes récents (effondrement du pont de Gênes, affirmation récente que 25 000 ouvrages d’art sont menacés en France..) montrent la portée vitale de la dégradation des objets sous l’effet de la rouille notamment.
Les auteurs ont choisi une pédagogie par analogie : représenter les espèces chimiques (métal, oxygène, eau...) par des coureurs de stade. Pourquoi pas ? Evidemment, connaître un peu de chimie aide bien la compréhension.
Le livre recense de manière fort utile les divers mécanismes de corrosion par l’oxygène, l’eau, les chlorures, etc., et aussi les parades possibles : passivation, peinture (la tour Eiffel !), courants de protection, anodes sacrificielles... Si ce livre pouvait susciter des vocations d’électrochimistes chez nos jeunes étudiants, nul doute qu’il rendrait un fieffé service à l’industrie de notre pays. A voir !
Pour la tour Eiffel en revanche, il faudra se référer à Internet et comprendre pourquoi il faut refaire la peinture alors qu’en fait, on ne fait que peindre par-dessus la couche précédente.
Thomas Heams
(Seuil, 2019, 192 p. 20€)
Le récit biblique de l’apparition, dans la boue, du premier être humain est de l’ordre du mythe.
Le récit moderne, qu’on dit scientifique, de l’apparition, dans la soupe primitive, du premier être unicellulaire est tout autant de l’ordre du mythe.
Ces deux récits sont semblablement fallacieux : il n’y a pas eu plus de première cellule vivante que de premier être vivant, il n’y a pas eu, il n’y a jamais eu apparition de la vie, il y a eu évolution continue ; conformément à la théorie darwinienne extrapolée au minéral, il y a continuité entre l’inerte et l’animé, entre le minéral et le biologique, entre le non-vivant et le vivant.
« L’homme n’est jamais apparu, la vie n’est jamais apparue » : la formule choque, elle est contre-intuitive, elle est juste pourtant. Elle ne signifie pas que l’homme ni la vie n’existent, elle signifie que face au continuum qui va du caillou à la vie, de la vie à l’être humain, toute frontière ne saurait être qu’une commodité arbitraire.
C’est là le regard que l’auteur, Thomas Heams, maître de conférences en génomique animale à AgroParisTech et chercheur à l’Inra, nous invite à adopter.
Aucune frontière entre le non-vivant et le vivant : un immense domaine que Thomas Heams nomme les infravies, faites de toutes les formes d’infravivant.
Il n’y a pas de nouveauté à proprement parler dans cette façon de voir. L’auteur part d’acquis bien établis sur les divers composants des tissus et organes et sur leurs innombrables modes d’interaction. Il s’agit bien pourtant d’un regard neuf.
Car les infravies ne sont pas seulement une étape chronologique ayant permis le passage du non-vivant au vivant et, en tant que telles, appartenant au passé, elles sont présentes aussi ici, maintenant, partout, elles participent à la vie, elles lui sont indispensables. « Le bestiaire infravivant existe bel et bien, il est même d’une incroyable richesse ».
Un exemple : les virus. Porteurs d’information génétique, ils peuvent être classés dans le monde vivant. Dénués de tout métabolisme propre, de toute autonomie, dépendants des cellules qu’ils parasitent, ils ne sauraient être considérés comme pleinement vivants. Ils sont infravivants, le vivant ne saurait se passer d’eux.
De multiples autres exemples sont donnés dans l’ouvrage, plus surprenants les uns que les autres, pour le profane en tout cas. A l’intérieur de chaque organisme, chaque composant, vivant ou infravivant, a son génome ou fragment de génome, résultant de son histoire et de combinaisons passées, les uns et les autres se combinant et recombinant sans cesse, au gré des circonstances, en fonction du milieu...
Une telle approche conduit à voir le vivant autrement, non plus comme une catégorie nettement délimitée, porteuse d’ordre, d’organisation, en équilibre statique, mais bien comme le résultat d’un déséquilibre permanent, en perpétuelle transformation. Elle conduit, pour reprendre la formule ultra-condensée de l’auteur, à substituer « les dynamiques aux territoires ».
Savant, documenté, traitant des aspects tant historiques, épistémologiques et théoriques du sujet que de ses aspects pratiques et éthiques, ouvrant de larges perspectives de réflexion, un tel livre ne se résume pas aisément. Sa lecture est ardue, elle n’en est pas moins une expérience pleine de sens.
L’un des chapitres s’intitule « Loin des machines ». Il est particulièrement révélateur. L’abandon de la vision d’un vivant statiquement organisé, univoquement programmé par un génome fixe, oblige à abandonner aussi la métaphore machiniste. Autrement dit : l’homme n’est pas une machine. Les mécanismes à l’œuvre à l’intérieur des cellules comme entre les cellules répondent naturellement aux lois de la physique et de la chimie mais un organisme vivant, à la différence d’une machine, a une histoire, chacun de ses composants a une histoire, leurs génomes ont une histoire, une histoire de plusieurs milliards d’années ; en outre, cet organisme vivant a d’innombrables et indispensables échanges avec son milieu, avec les organismes qui l’entourent, avec ceux qui le parasitent et avec ceux qu’il parasite, etc., le tout en perpétuelle évolution... Rien à voir donc avec une machine, aussi élaborée soit-elle. Les deux ne sont pas de même nature. Ce constat invite à s’interroger sur bien des démarches éthiques, sur le bien-fondé de bien des projets.
Il s’agit bien d’un regard original, plein de promesse, sur le vivant, et partant, sur la vie et sur le monde.
Marc Lachièze-Rey
(Le Pommier, 2019, 156 p. 10€)
Le vide, c’est ce qui reste quand on a tout enlevé. Cela paraît simple. Mais on s’aperçoit vite que le diable est dans les détails. Si l’on vide une cruche d’eau, elle est encore remplie d’air. Si l’on pompe l’air hors de la cruche, elle est encore traversée de rayonnements émis par les parois, sauf si celles-ci sont à la température du zéro absolu, ce qui est impossible. Le vide véritable n’existe pas. Il s’agit seulement d’un concept, lequel a traversé l’histoire des sciences et reste aujourd’hui fondamental dans la physique moderne.
Le livre du physicien Marc Lachièze-Rey (qui vient de paraître en seconde édition après celle de 2005) est une réflexion sur le concept du vide. Dans un survol de l’histoire de la physique, l’auteur traque le vide, mais aussi ses avatars ou réincarnations multiples. Car lorsque le vide est réfuté, il réapparaît sous une autre forme. Aristote rejette le vide des atomistes, mais il adopte le concept d’éther et de cinquième élément ou quintessence. Newton refuse l’éther luminifère de Huygens mais il évoque « un esprit subtil qui pénètre tous les corps » pour transmettre l’action à distance de la gravitation. Le vide est un joker auquel on fait appel pour résoudre un problème insoluble !
Dans la foulée d’Aristote, l’Eglise s’est longtemps opposée au concept du vide. Au XVIIe siècle, elle se heurte à des penseurs tels que Bruno et Gassendi, et aux premiers expérimentateurs : Toricelli, Boyle, Pascal, Von Guericke. Plus tard, Maxwell introduit le concept de champ électromagnétique. Le vide se définit alors comme absence de matière et de champ.
Puis vient le vide de la relativité. Il joue un rôle dans le repérage des mouvements. L’auteur nous explique de façon très convaincante que le vide ne peut être que l’état de symétrie maximale. Einstein fait le ménage dans les avatars du vide. Avec la relativité restreinte (1905), c’est l’éther électromagnétique qui disparaît, « une hypothèse superflue ». Avec la relativité générale (1915), c’est au tour de l’éther gravitationnel de Newton de succomber. Le vide devient alors l’espace-temps lorsqu’il est dépourvu de toute source (matière ou énergie). Sa courbure est-elle nulle ? Le sujet est toujours débattu.
On passe au vide quantique. Le monde matériel est constitué d’une superposition de champs quantiques (électromagnétique, électronique, quarks), qui se répartissent dans la totalité de l’espace-temps. On parle de vide quantique lorsque chaque champ est à symétrie maximale et à énergie minimale. Le vide pour un observateur ne l’est pas nécessairement pour un autre. Le vide peut servir de banque d’énergie où des particules virtuelles empruntent au vide l’énergie nécessaire à leur apparition et la rendent en disparaissant. Ce sont-là quelques-unes des bizarreries de la physique quantique.
Dans un dernier chapitre, M. Lachièze-Rey aborde le vide en relation avec la cosmologie. Il raconte la fameuse saga de la « constante cosmologique », une composante répulsive de la gravitation, qu’Einstein ajoute, à contrecœur, en 1917, à ses équations, de façon à décrire un Univers qu’il croyait statique. « La plus grosse erreur de ma vie », dira Einstein. Lorsque Hubble découvre, en 1930, l’expansion de l’Univers, Einstein s’empresse de supprimer sa constante, malgré l’avis contraire de Lemaître. Plus récemment, dans les années quatre-vingt-dix, on découvre avec surprise que l’expansion s’accélère, ce qui est contraire aux attentes, et à la théorie d’Einstein. D’où un nouveau débat : faut-il rétablir la constante cosmologique ? ou bien introduire le concept de l’énergie sombre, avec une toute nouvelle physique ? L’auteur favorise la première solution. Ces deux solutions font appel à des avatars différents du vide. Le débat se poursuit.
A la fin de son livre, l’auteur se lance dans une vive critique du concept de « l’inflation », cette phase d’accélération gigantesque de l’expansion juste après le Big Bang, communément proposée dans les modèles de cosmologie, qui donne lieu à une multitude de variantes. Il ironise en les comparant aux épicycles que Ptolémée ajoutait pour faire coller à la réalité sa (fausse) théorie du mouvement circulaire des planètes autour de la Terre !
Le livre n’est pas d’un abord facile pour le lecteur moyen, en dehors de la partie qui concerne la physique classique (20 pages sur 140). L’ouvrage est dense : aucune phrase n’est superflue. Comme dans ses cours, Marc Lachièze-Rey déroule tranquillement son propos, avec son style fluide, sobre et rigoureux, sans artifice, ni formule-choc. Le lecteur, même profane, peut se laisser guider et assimiler lentement les concepts, présentés sans formule mathématique. En refermant le livre, on aura le sentiment, certes de n’avoir peut-être pas tout compris, mais surtout d’avoir grandement amélioré sa connaissance et sa compréhension du vide et des théories de la physique contemporaine.