La maladie de Borna des chevaux et du mouton, zoonose émergente provoquant des encéphalites mortelles en Allemagne

Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
 
La maladie de Borna des chevaux et du mouton
 

La maladie de Borna (du nom de la ville de Borna en Allemagne) est connue depuis le XVIIe siècle chez les chevaux et les moutons. L’intérêt pour la maladie de Borna s’est accru en médecine vétérinaire à partir de 1993 suite à la découverte d’autres espèces sensibles (chat, autruche, bovins, chien…) et de son extension géographique (Etats-Unis, Suède, Israël, Japon…). En 2000, avec la collaboration du centre de référence sur la maladie de Borna de Berlin (Pr Hans Ludwig, Institut Robert Koch), nous avons signalé la présence de ce virus et de ses anticorps chez 73 chevaux français [1]. La même année, l’équipe de notre confrère S. Zientara rapportait également la présence d’anticorps chez des chevaux français [2].

A cette époque, on ne connaissait qu’un seul virus de la maladie de Borna, dénommé Mammalian 1 orthobornavirus ou BoDV-1. La maladie, caractérisée par des troubles nerveux dus à une méningo-encéphalite, est surtout connue en Allemagne, en Autriche et en Suisse et elle est souvent asymptomatique. La persistance de ce virus dans l’environnement est liée à un réservoir infecté permanent, la musaraigne bicolore (Crocidura leucodon) [3]. Depuis un peu plus d’une décennie, d’autres bornavirus ont été décrits chez des oiseaux Passeriform 1/2 bornavirus, Psittaciform 1/2 bornavirus, Waterbird 1 bornavirus) puis chez des écureuils («variegated squirrel bornavirus 1» ou Mammalian 2 orthobornavirus ou VSBV-1). Contrairement aux bornavirus aviaires, ce VSBV-1 hébergé par des écureuils exotiques (écureuil multicolore ou Sciurus variegatoides et écureuil de Prévost ou Callosciurus prevostii), identifié en 2015, a provoqué des encéphalites mortelles chez l’Homme en Allemagne (cf. Ecureuil multicolore et écureuil de Prévost : risque zoonotique lié au bornavirus VSBV-1, publié sur ce site en 2017). Ces cas d’encéphalites ont peut-être réactivé les discussions sur le rôle zoonotique potentiel de la maladie de Borna, surtout soutenu par l’équipe de l’Institut Koch de Berlin [4] considérant que certains troubles psychiatriques pouvaient être provoqués par ce virus. Si l’origine virale des troubles psychiatriques a toujours été très difficile à démontrer et était très controversée, la démonstration récente de cas d’encéphalites mortelles liés au BoDV-1 en Allemagne, notamment en Bavière, démontre que la maladie de Borna s’avère effectivement une zoonose à surveiller.

Après que trois publications aient signalé pour la première fois l’émergence des premiers cas d’encéphalite mortelle provoqués par le BoDV-1 en 2016 chez trois personnes immunodéprimées après une greffe [5] et deux autres cas non transplantés [6,7], Niller et al. [8] ont recherché le BoDV-1 dans les prélèvements cérébraux réalisés en Bavière entre 1999 et 2019, soit 56 cas mortels d’encéphalites humaines pouvant être d’origine virale. Huit malades se sont révélés positifs, dont deux cas d’immunodépressions après transplantation d’organe. Deux cas supplémentaires ont été identifiés à Munich.

Les symptômes rapportés ont été principalement une migraine et une hyperthermie suivies de signes neurologiques (troubles de la démarche, confusion, perte de la mémoire, convulsions puis progressivement perte de la conscience conduisant à un coma profond et à une perte des réflexes du tronc cérébral. Les patients sont décédés dans les 16 à 57 jours suivant leur admission à l’hôpital. Chez sept patients, l’analyse initiale du LCR a révélé une augmentation du nombre de leucocytes : 9-343 leucocytes par μL (normal : < 5 leucocytes par μL). Seuls les huit patients positifs lors de la recherche du virus possédaient des anticorps (IgG) dans leur LCR et leur sérum. Ces anticorps étaient parfois indétectables lorsque les patients étaient admis à l'hôpital mais augmentaient rapidement par la suite.

Les patients vivaient dans des zones rurales ou suburbaines et leurs activités auraient pu les mettre en contact avec des musaraignes infectées, en particulier les patients propriétaires de deux chats qui leur amenaient régulièrement des petits mammifères, y compris des musaraignes.

Ces huit nouveaux cas d’encéphalite mortelle associée à une infection zoonotique par le BoDV-1 dans le sud de l’Allemagne entre 1999 et 2019, avec les six cas précédemment publiés, suggèrent que cette encéphalite virale, bien que relativement rare, doit être recherchée dans les zones d’endémie à BoDV-1, en particulier chez les patients immunodéprimés. Le risque de transmission iatrogène par transplantation d’organes doit être aussi considéré.

 

[1] Brugère-Picoux J. et al. Identification du virus de la maladie de Borna en France. Bull Acad Vét France, 2000, 153, 411-420.
[2] Galabru J. et al. Borna disease virus antibodies in French horses. Vet. Rec., 2000, 147, 721-722.
[3] Hilbe M. et al. Shrews as reservoir hosts of Borna disease virus. Emerg. Infec. Dis., 2006, 12, 675-677.
[4] Ludwig H. et Bode L. Borna disease virus: new aspects on infection, disease, diagnosis and epidemiology. Rev sci tech Off int Epiz, 2000,19, 259-288.
[5] Schlottau K. et al. Fatal encephalitic Borna disease virus 1 in solid-organ transplant recipients. N Engl J Med, 2018, 379: 1377–79.
[6] Korn K. et al. Fatal encephalitis associated with Borna disease virus 1. N Engl J Med, 2018, 379 1375–77.
[7] Coras R. et al. Severe bornavirus-encephalitis presenting as Guillain-Barré-syndrome. Acta Neuropathol, 2019, 137, 1017–19.
[8] Niller H.H. et al. Zoonotic spillover infections with Borna disease virus 1 leading to fatal human encephalitis, 1999–2019: an epidemiological investigation. Published on line January 7, 2020, https://doi.org/10.1016/S1473-3099(19)30546-8.