Vivent les corneilles. Un plaidoyer pour une cohabitation responsable

Frédéric Jiguet

(Actes Sud, 2024, 176 p. 21€)

 
Vivent les corneilles (F. Jiguet, Actes Sud 2024)Les grolles du Poitou, les corbeaux, les corneilles et autres corvidés sont des oiseaux noirs au cri désagréable. Ils aiment les vieilles ruines et ne rechignent pas à manger les cadavres, d’où une réputation désastreuse.
A la campagne, ils sont difficiles à approcher car très farouches. Les agriculteurs leur reprochent de causer des dégâts aux cultures et au petit gibier.
A Paris, où ils se sont acclimatés, ils ont un comportement qui irrite le Parisien en dispersant le contenu des poubelles et parfois en leur attaquant le crâne. La mairie de Paris, qui souhaitait avoir une étude sérieuse avant de commencer leur massacre, a contacté Frédéric Jiguet, professeur au Muséum national d’histoire naturelle, qui a alors commencé ses recherches, objet de ce livre, qui comporte dix-huit chapitres et une importante bibliographie suivie d’une visite de Paris à l’usage des corneilles.

Les premiers essais de capture, en 2015, à l’aide d’un filet agrémenté de frites et d’œufs, puis d’une cage-piège plus efficace, ont permis de baguer les corneilles et de les suivre. On constate qu’elles peuvent avoir une longue vie, qu’elles sont très futées et qu’elles ont des caractères très différents. Certaines prennent l’habitude de se faire attraper pour manger, de se faire relâcher puis de recommencer. Une autre arrive à sortir du piège et à y revenir pour se servir un bon repas. On constate aussi qu’elles fréquentent les parcs parisiens en fonction des heures d’éclairage.
Depuis les attentats de Paris, les poubelles sont équipées de sacs en plastique transparent. La corneille observatrice a vite compris : elle perce le sac et disperse les détritus en sélectionnant ce qui l’intéresse.
Le confinement du début des années deux mille vingt a permis une étude originale car les parcs étaient fermés et il n’y avait plus de nourriture autour des restaurants. Un modèle mathématique sophistiqué a été conçu et a montré l’impact du confinement sur leur survie.
Concernant l’arrachage des plantations par les corneilles, une recherche approfondie a montré qu’elles n’abîment pas les pelouses récentes par méchanceté ou provocation mais pour y trouver des larves de hannetons, dont elles raffolent. Cette découverte a permis de trouver une solution originale pour éviter ce problème récurrent dans les parcs parisiens.
Chaque année, début juin, la mairie de Paris reçoit des signalements de corneilles agressives (dont le nombre me paraît toutefois infiniment plus faible que pour les humains !). L’auteur nous apprend les causes de ce phénomène et les procédés pour s’en prémunir.
Il évoque ensuite le problème du jardin des Tuileries où l’on avait décidé, au milieu des années deux mille dix, de piéger les corneilles pour les faire émigrer en province. Mais on s’est rendu compte que ces malheureux volatiles servaient en fait de nourriture aux rapaces des piégeurs. La raison est revenue et les corneilles y sont désormais gérées par des méthodes plus «humaines».
Une information intéressante est de savoir d’où viennent les corneilles parisiennes. Pour cela, l’auteur a développé une méthode à partir de la mesure des métaux lourds dans les plumes : compte tenu de ce que les corneilles parisiennes mangent et respirent, elles devraient avoir un taux de métaux lourds plus important que celles des campagnes. En fait, cette technique n’a pas donné les résultats escomptés et on a commencé une expérience avec des balises GPS. On suit ainsi les aventures de la corneille baguée «Vert 335», ce qui va influencer l’analyse des données fournies par ces balises.

L’auteur quitte ensuite les corneilles parisiennes pour étudier leurs consœurs campagnardes. Il montre que leur destruction n’est pas la solution et propose des méthodes pour les réguler. Avec les expériences M et M’s, il conclut qu’en enrobant les semences avec des molécules simples, il serait possible de trouver un répulsif efficace.

Un problème plus grave concerne les virus transportés par les oiseaux : ces virus, souvent liés à la concentration d’oiseaux dans les élevages intensifs, tuent un grand nombre d’oiseaux sauvages et peuvent, éventuellement, être transmis aux humains. Toutefois les résultats des recherches menées par l’auteur sont rassurants.

Au printemps, des cornillons tombent au sol et des bonnes âmes les soignent et les relâchent. Mais ceux-ci ne survivent pas car leurs parents n’ont pas pu leur donner l’éducation nécessaire. De nouvelles recherches devront être engagées pour que cette bonne action devienne efficace.

Enfin les dernières constatations de l’auteur sont amusantes. Il décrit ses mésaventures avec les corneilles qui le reconnaissent au Jardin des plantes, malgré parfois son déguisement ! Il décrit aussi une machine qui fait ramasser les détritus par les corneilles – dont les mégots de cigarettes que les bipèdes humains mal élevés jettent impunément dans les villes. Sur le site «Birds for change», on peut voir une vidéo où l’on voit l’auteur en compagnie des inventeurs de cette étonnante machine.

À la fin de l’ouvrage, Frédéric Jiguet se livre à un plaidoyer pour sauver ces animaux intelligents, dont pratiquement un million est tué chaque année par les humains, qui les qualifient d’ESOD (espèces susceptibles d’occasionner des dégâts) – curieusement l’homme n’en fait pas partie ! Et il nous invite à rejoindre les observateurs de corneilles baguées afin de faire progresser ces recherches passionnantes.

On trouve en annexe de nombreuses références ainsi qu’un guide de Paris adressé aux corneilles, drôle et instructif.
A la fin de pratiquement chaque chapitre, un QR code permet d’accéder à un film illustrant les propos du chapitre.

J’ai lu ce livre d’un trait. J’avais déjà beaucoup de sympathie pour les corvidés, je les connais maintenant beaucoup mieux et ils ne me semblent plus du tout de mauvais augure !