Vidéos

Jean-Gabriel Ganascia



Professeur d’informatique à la faculté des sciences de Sorbonne Université

(c) Pixabay

L’utilisation des grands modèles de langage affecte-t-elle nos facultés cognitives? Et, comment? Les optimistes espèrent que les générateurs automatiques de textes comme ChatGPT nous soulageront d’un fardeau inutile, celui de la rédaction, qu’ils allègeront notre charge cognitive et qu’ainsi libérés, nos esprits en deviendront plus mobiles, plus imaginatifs, plus libres et qu’ils poursuivront plus avant dans leur quête de savoirs nouveaux. Les grincheux craignent au contraire qu’ils n’incitent à la paresse et diminuent nos capacités critiques, ce qui provoquerait une forme d’atrophie cognitive. Comment départager entre eux?

Un travail conduit par huit chercheurs de Cambridge (Massachusetts), aux États-Unis, dont six membres du très prestigieux MIT (Massachusetts Institute of Technology) tente d’asseoir les réponses que nous apportons à ces questions sur la foi d’expérimentations scientifiques rigoureuses et pas uniquement d’intuitions vagues. Un article copieux — plus de 200 pages — et intitulé Your Brain on ChatGPT: Accumulation of Cognitive Debt when Using an AI Assistant for Essay Writing Task (en français « Votre cerveau sur ChatGPT : Accumulation de la dette cognitive lors de l'utilisation d'un assistant IA pour la rédaction d'un essai ») fait le point sur ces recherches1. Il a été récemment diffusé sur les réseaux sociaux, à partir de la mi-juin 2025, sans attendre les retours des rapporteurs chargés de l’évaluer pour le compte de la revue scientifique à laquelle il a été soumis. Nous nous proposons ici de résumer brièvement la teneur de cet article pour donner un avant-goût de la démarche suivie et des résultats obtenus.

Le protocole est parfaitement défini: trois groupes de 18 sujets chacun ont été constitués par tirage aléatoire sur un ensemble de 54 étudiants volontaires. Des électrodes placées sur leur crânes enregistrent les signaux électromagnétiques, à savoir leur EEG, au cours des activités auxquelles on les soumet. Il leur est demandé d’écrire trois textes durant trois périodes de 20 minutes espacées de quelques jours. Le premier groupe utilise chatGPT, le second fait appel à un moteur de recherche comme Google, sans recourir à des techniques d’IA générative, et le troisième fait appel au seul cerveau des individus. Pour chacune de ces rédactions, les étudiants ont le choix entre trois sujets différents et identiques pour tous, ce qui fait neuf sujets en tout. Enfin, au cours d’une quatrième session, on demande à 9 étudiants volontaires du premier groupe, celui des étudiants qui ont utilisés un LLM, d’écrire sans dispositif d’assistance, tandis que l’ont demande à 9 étudiants du troisième groupe, à savoir ceux qui ont écrit juste avec leur cerveau, d’écrire avec un LLM.

L’article porte sur l’analyse et la comparaison des textes produits au cours de ces différentes sessions, sur la mémorisation qu’ont les étudiants de leurs propres productions et sur leur activité cérébrale au cours de ces différentes tâches.

Il apparaît que les textes écrits sans l’aide de ChatGPT sont plus courts et qu’ils contiennent moins de références à des entités nommées, à savoir moins d’informations factuelles. Les professeurs chargés de les évaluer les trouvent toutefois plus synthétiques et plus clairs. En revanche, les étudiants ayant utilisé ChatGPT se souviennent assez peu des sujets qu’ils ont traités et sont incapables de citer des fragments de leurs propres productions, contrairement aux autres, à savoir, ceux qui ont utilisé un moteur de recherche et ceux qui ont uniquement recouru à leur propre cerveau. Qui plus est, lors de la phase 4, les étudiants ayant, dans les trois premières phases, écrit seuls, ont avec les LLMs de meilleurs performances que les autres que ce soit dans les phases initiales, où ils ont écrit uniquement avec les LLMs, ou après, lorsqu’ils écrivent sans le secours de ces dispositifs. Enfin, les EEG révèlent une bien meilleure connectivité cérébrale chez les sujets qui n’utilisent pas ChatGPT que chez les autres.

Cette étude est préliminaire. Elle ne porte que sur 54 sujets soumis à une tâche très particulière, l’écriture d’essais en temps limité. Elle demande à être poursuivie. De plus, nous attendons avec impatience les rapports des évaluateurs pour savoir si la démarche est considérée comme pleinement valide au regard des critères scientifiques en vigueur. Il n’empêche que les premiers résultats mettent en évidence deux points: les risques de perte de mémoire lorsque les tâches sont effectuées automatiquement, et en même temps, les bénéfices de l’augmentation, lorsque cette augmentation ne fait pas suite à une substitution de l’humain par la machine…


Jeanne Brugère-Picoux



Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France 

En 2024 la réémergence du virus Oropouche (OROV) avec de nouveaux réassortiments en Amérique Centrale, en Amérique du Sud et dans les Caraïbes, associée à une expansion dans des zones auparavant non endémiques, a suscité des inquiétudes quant à la menace plus forte que cet agent représente pour les pays voisins (territoires français des Caraïbes et Amérique du Nord). La contamination de voyageurs européens (Espagne, Allemagne, Italie, France) ou américains du Nord de retour de Cuba ou du Brésil a renforcé cette inquiétude justifiant plusieurs alertes dans le Monde dès février 20241.

L’OROV est transmis à l’Homme principalement par la piqûre d’un culicoïde (ou moucheron piqueur) dont il existe de nombreuses espèces dans le monde. Culicoides paraensis est considéré comme le principal vecteur, les moustiques étant parfois incriminés en tant que vecteurs secondaires.

La fièvre d’Oropouche (FO) est une maladie fébrile ressemblant à d’autres arboviroses humaines (fièvre dengue, chikungunya, Zika ou infection par le virus du Nil occidental). Il s’agit aussi d’une zoonose car le virus a été détecté ou suspecté chez plusieurs réservoirs animaux (paresseux à trois doigts, ouistitis, capucin olive, oiseaux, rongeur…).

Réémergence en 2024

L’émergence en 2024 de la FO peut reconnaître plusieurs causes : réassortiments de l’OROV plus virulents avec de nouveaux aspects cliniques ? maladie sous-estimée avant 2024 ? échanges internationaux ? déforestation ? … En effet, cette émergence n’est pas sans rappeler celle du chikungunya dans la France d’Outre-mer avec les symptômes suivants : manifestations neurologiques (méningites, encéphalites, Guillain-Barré…), atteinte materno-foetale se traduisant par des avortements ou à des anomalies congénitales (microcéphalie…), plus rarement un décès sans comorbidité repérée.

Outre la transmission verticale, la présence du virus ou de son ARN dans le sperme, les urines et différents tissus suggèrent que le virus pourrait être transmis par la voie sexuelle, par don d'organes ou de tissus voire par transfusion sanguine du fait d’une virémie. Le diagnostic clinique de la FO nécessite d’être différencié des autres arboviroses présentant des symptômes similaires. Seul le diagnostic virologique (sang, liquide céphalo-rachidien…) peut permettre de confirmer une infection par l’OROV.

Transmis par des moucherons piqueurs

La particularité de l’OROV est d’être principalement transmis par des moucherons piqueurs et non par des moustiques comme les autres arboviroses. Les culicoïdes sont aussi responsables de trois maladies virales chez les ruminants, confinées auparavant dans des régions tropicales ou subtropicales, qui se sont révélées catastrophiques dans les élevages européens ces deux dernières décennies : la fièvre catarrhale ovine ou FCO et la maladie hémorragique épizootique ou MHE des bovins dues à des orbivirus ainsi que la maladie de Schmallenberg (MSB) due à un Orthobunyavirus (SBV) proche de l’OROV. Si la MHE est apparue en France en septembre 2022 suite à la propagation aérienne des vecteurs à partir du Maghreb vers l’Espagne, l’apparition surprenante de la FCO et de la MSB en Europe du Nord suggère une importation accidentelle de moucherons infectés transcontinentale. La similitude épidémiologique des six vagues successives observées entre 2006 et 2024 permet de suspecter leur importation avec des fleurs exotiques près des carrefours aériens du commerce mondial des fleurs aux Pays-Bas. Ces vecteurs auraient trouvé ensuite un relais avec des moucherons autochtones1. La progression de chacune de ces maladies dans toute l’Europe est liée vraisemblablement par un relais avec d’autres culicoïdes autochtones. Ces exemples en médecine vétérinaire doivent alerter sur un risque (difficile à évaluer) d’une propagation de l’OROV en Europe selon un scénario identique. Les voyageurs infectés revenant d’une zone où la maladie sévit sous une forme endémique peuvent aussi représenter un risque (aucune transmission autochtone n’a pas été signalée en Europe ou en Amérique du Nord à la date de cet article).

L’inconvénient majeur de la détection de ces arboviroses est la découverte tardive de leur émergence par l’apparition des foyers humains et/ou animaux où la prévention s’effectue dans l’urgence. L’espoir d’une détection précoce des arbovirus avant l’apparition de la maladie a été démontré dans une étude récente réalisée en France. Les résultats préliminaires d’une surveillance par le piégeage de moustiques infectés par deux virus zoonotiques [« Culex-borne arbovirus » du Nil occidental (VNO) et Usutu (USUV)] en Nouvelle-Aquitaine marquent un tournant dans l’épidémiologie de ces arboviroses. Le Haut Conseil de Santé Publique a pu ainsi écarter précocement des lots de sang contaminés par le VNO alors qu’aucun cas humain n'avait encore été observé2.

Face à l’émergence actuelle de la fièvre d’Oropouche transmise principalement par un culicoïde en Amérique du Sud et dans les Caraïbes il importe de recommander :
-la nécessité de la mise en place d’une surveillance en France (métropole et territoires d’outre-mer) des « Culicoide-borne arbovirus » en favorisant les méthodes de détection précoce de ces arbovirus tant en médecine vétérinaire qu’en médecine humaine dans un contexte « une seule santé » permettant d’intervenir avant l’apparition des premiers foyers humains et/ou animaux.
-d’avertir les voyageurs sur les risques encourus lors d’une destination vers un pays atteint notamment, pour la France d’outre-mer, en Guyane (où la maladie est observée depuis 2020) et la Guadeloupe ;
-la lutte anti-vectorielle dans les pays atteints en l’absence de tout traitement spécifique ou de vaccins ;
-chez les femmes enceintes, ou susceptibles de l’être, de reporter, par précaution, tout projet de voyage vers une zone d’endémie ;
-la protection par préservatifs lors de rapports sexuels dans les zones endémiques ;
-la surveillance du risque zoonotique éventuel d’un réassortiment de l’OROV avec le SBV encore présent en Europe chez les ruminants ;
-la recherche de l’OROV chez les voyageurs de retour d’une zone endémique lorsqu’une suspicion de dengue ou de chikungunya a été éliminée ;


Bibliographie

Jean-Pierre Luminet

(Editions du Cherche Midi, 2025, 20.90€)

Depuis que Galilée a pointé sa lunette astronomique vers le ciel, découvrant les satellites de Jupiter, la voute céleste s’est peuplée d’une infinité de formations aux propriétés et comportements extrêmement variés. L’actualité scientifique nous en informe constamment, mais comment s’orienter parmi cette infinité de formations cosmiques aux allures intrigantes? Jean-Pierre Luminet y répond dans ce livre en proposant un abécédaire de corps célestes insolites, véritable voyage dans le cosmos.

Connu du grand public pour ses ouvrages de vulgarisation et comme conférencier, Jean-Pierre Luminet a œuvré dans des domaines très divers de recherche en astrophysique et cosmologie. Citons brièvement ses travaux sur la théorie des "effets de marée" causés par les trous noirs, ses intérêts pour la topologie de l’Univers, pour les anomalies du fond diffus cosmologique et pour la gravité quantique. Ajoutons à ses talents d’homme de science ceux de poète et de romancier-auteur d’œuvres inspirées par la vie des savants fondateurs de l’astronomie moderne, de Copernic à Newton.

Son énumération alphabétique apparaît a priori comme une suite de noms étranges, combinaisons de chiffres et de lettres établies selon des règles de nomenclature dictées par l’Union astronomique internationale, mais également des appellations poétiques, souvent inspirées de la mythologie ou tout simplement le patronyme du découvreur de telle ou telle comète. En reconnaissance de sa contribution à l’astrophysique, Jean-Pierre Luminet a d’ailleurs vu son nom associé à l’astéroïde5523, bien qu’il ne l’ait pas découvert lui-même.

Pour en rendre la consultation moins austère et attiser la curiosité du lecteur, l’auteur s’est amusé associer à chacune des 156 entrées un sous-titre évocateur ou amusant. Le lecteur est donc libre d’explorer cette riche énumération, au gré de sa propre curiosité. Un index de 68 références permet une approche de lecture plus directe.

Parmi l’infinité de formations gravitant dans le cosmos l’auteur a pris soin de choisir celles qui, par leurs spécificités, illustrent le mieux les objectifs de recherche et les découvertes les plus récentes. 156 corps célestes ont été retenus, du plus petit astéroïde à la plus grande galaxie connue, sans oublier trous noirs, quasars, pulsars et supernovas parmi les plus connus, et exoplanètes, amas globulaires, superamas, magnétars parmi les moins communs.

Chaque entrée est prétexte à fournir au lecteur une foule d’informations portant autant sur les caractéristiques propres de l’objet que sur les techniques employées pour le détecter ou l’analyser. On y découvre l’apport extraordinaire des observatoires terrestres et spatiaux les plus performants ainsi que l’étroite collaboration entre les centres de recherche et les agences spatiales par le partage des données collectées par ces appareils de très haute technologie.

Voici quelques incursions dans cette riche énumération.

  • Le petit astéroïde RYUGU a été ‘’égratigné’’ en 2019 par une mission japonaise, rapportant un échantillon de 5,4 grammes riche en matière organique et composants chimiques. Étant un des plus primitifs, il renseigne sur les matériaux à partir desquels le système solaire s’est formé. De 900 mètres de diamètre il entre dans la catégorie des astéroïdes géocroiseurs potentiellement dangereux.
  • Autre exemple de risque : on prévoyait en 2004 que l’astéroïde Apophys pourrait toucher la Terre le 13 avril 2029, avec un niveau 4 de risque sur l’échelle de Turin. Après rectification il passera en réalité à 32 000 km. Ces risques sont pris très au sérieux et la mission OSIRIS-Rex a été reprogrammée pour aller "voir" ce géocroiseur de plus près.
  • A une autre échelle, les astronomes, friands de records, sont partis à la recherche du plus gros trou noir. Les techniques utilisées pour les débusquer vont de l’analyse des raies d’émission (trou noir TON 618 de 66 milliards de masses solaires) à la mesure gravitationnelle directe (trou noir Holmerg 15A = 40 milliards de masses solaires).
  • Alcyonée, la plus grande galaxie connue de l’Univers a été découverte en 2022. Quelques chiffres : longue de 16 millions d’années-lumière (notre Galaxie a un diamètre de 100 000 années-lumière !), son trou noir est supérieur à 1 milliard de masses solaires. De type radiogalaxie, elle a été détectée par les ondes radio qu’elle émet.
  • Les fusions de galaxies sont des phénomènes fréquemment observées dans l’Univers. La galaxie qui résultera de la fusion de la Voie Lactée et d’Andromède a déjà été baptisée : Androlactée en français, Milkomeda en anglais.
  • La détection d’exoplanètes est une tâche permanente qui occupe de nombreux chercheurs. La méthode dite du ‘’transit’’ consiste à surveiller les variations de luminosité d’une étoile, signe du passage d’une planète en orbite autour de cette étoile.
  • L’étoile Polaire va s’éloigner du pôle Nord céleste en raison de la précession des équinoxes pour y revenir après un cycle d’environ 25 800 ans. Dans un futur lointain l’éclatante Vega prendra sa place.
  • 50% des étoiles vivent en couple, l’une s’alimentant de la matière de l’autre.
  • 80% des étoiles sont des naines brunes : elles n’ont pas accumulé assez de masse pour déclencher les réactions de fusion nucléaire d’hydrogène, contrairement à notre soleil.
  • Des irrégularités se manifestent dans la période du signal émis par certains pulsars, attribuables à des "tremblements d’étoile", signe que sa structure se modifie. Pas de quoi perturber les musiciens terrestres qui utilisent ce signal comme batterie !

Tous ces objets, insolites certes, mais tous sources inépuisables de données, contribuent à la reconstitution de l’histoire de l’évolution de l’Univers et des origines de la vie sur notre petite Terre.

Pouvant être perçu de prime abord comme d’accès fastidieux, cet abécédaire s’avère être d’une grande richesse d’informations scientifiques sur l’état des connaissances en astrophysique et cosmologie, agrémenté par un style littéraire des plus agréables. Ceci en fait un ouvrage de référence que tout étudiant ou amateur féru d’astronomie moderne se devrait d’avoir dans sa bibliothèque scientifique.

Jean-Claude Richard

Dominique Leglu



Ancienne directrice éditoriale à Sciences & Avenir - La Recherche

Les IPhO 2025 se dérouleront pour la première fois à Paris du 18 au 24 juillet 2025, attirant près de 440 candidat(e)s venus du monde entier. Six prix Nobel français ont aidé à concevoir les deux épreuves, expérimentale et théorique, qui se dérouleront à l’École Polytechnique. En dehors de cette compétition, les jeunes de 15 à 20 ans pourront découvrir des laboratoires scientifiques et visiter Versailles ou le musée d’Orsay...

Participante en pleine épreuve expérimentale (c) IPhO2023_家さん

Nos 5 jeunes Françaises et Français vont-ils remporter une médaille ? Si vous avez aimé les Jeux Olympiques de 2024, peut-être vos neurones prêteront quelque attention aux Olympiades de cet été 20251. Une première pour Paris ! Ni 100 mètres haletant, ni mirifique saut à la perche mais un marathon mental pour deux épreuves de cinq heures chacune consacrées, elles, à la... physique. Pour ces IPhO (International physics olympiads -prononcer « ifo »), pas de Teddy Riner ou Cassandre Beaugrand, Léon Marchand, Antoine Dupont ou Manon Apithy-Brunet mais deux filles et trois garçons de moins de vingt ans, qui se mesureront à plus de 90 autres équipes, en tout 440 candidats venus du monde entier. Pas de Tony Estanguet pour haranguer les foules ? Non, mais un comité d’honneur archi-nobélisé – en physique évidemment – dont on aimerait que les noms résonnent aussi dans le grand public : Anne L’Huillier, Pierre Agostini, Alain Aspect, Gérard Mourou, Serge Haroche, Albert Fert. Autrement dit des conseillers on ne peut plus haut de gamme, qui ont aidé à concevoir à la fois une épreuve expérimentale (19 juillet), utilisant du matériel de laboratoire afin de résoudre un problème de physique concret, ainsi qu’une épreuve théorique (21 juillet) abordant des phénomènes complexes et leur modélisation. L’ensemble de la manifestation, qui dure une semaine, revenant à environ 2 millions d’euros2.

Lors des 15 dernières éditions, les Français ont remporté 5 médailles d’or, 39 d’argent, 21 de bronze. Et si le grand public n’est pas très au fait de ces résultats, certains sponsors des IPhO France 2025 sont, eux, à l’affût de « têtes bien faites. Surtout les financiers », fait remarquer Dominique Obert, co-président du comité d’organisation, que l’AFAS a rencontré (lire interview ci-après). Quant aux participant(e)s, ils devraient garder, elles et eux, des souvenirs émus de cette rencontre internationale. Comme le dit l’un d’eux, Adrien Sutter, médaille d’or IPhO 2018, « cet événement a sans nul doute été un moment clé de ma vie. Celui qui m’a fait comprendre qu’il ne fallait pas craindre de se fixer des objectifs élevés. Celui qui m’a fait réaliser que la science dépassait les frontières ».


[1] 55ème Olympiades de physique 18 au 24 juillet, www.ipho2025.fr. Les cérémonies d’ouverture (Cité des sciences et l’industrie 9h-12h) et de clôture (Centrale Supelec à Gif-sur-Yvette, 15h-18h) seront visibles sur YouTube.
[2] Outre les épreuves, les participants (candidats, leaders, observateurs) sont conviés à suivre des conférences scientifiques et accomplissent de multiples visites dans des laboratoires scientifiques, au Château de Versailles, au musée d’Orsay...


INTERVIEW : « L’épreuve expérimentale est un défi organisationnel avec ses 450 kits expérimentaux innovants ! »

«  Le souci de la mesure » sera au cœur de l’épreuve expérimentale du 19 juillet, selon Dominique Obert, co-président du comité d’organisation IPhO France 2025, inspecteur général honoraire de l’Éducation, du Sport et de la Recherche. L’AFAS a interrogé ce connaisseur des Olympiades, pour avoir accompagné la délégation française aux IPhO à trois reprises, à Copenhague (Danemark), Astana (Kazakhstan) et Mumbai (Inde).

Qui concourt aux IPhO ?
L’âge médian est 18 ans, les plus jeunes ont 15 ans et les plus âgés ne peuvent pas dépasser 20 ans, c’est le règlement. En France, leur profil est celui d’élèves de terminale et de classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE). Des jeunes qui vont entrer dans l’enseignement supérieur et ne sont pas encore à la recherche d’un métier. Ils se forment grâce au dispositif du ministère de l’enseignement supérieur, « Science à l’école », cette préparation reposant essentiellement sur le bénévolat des professeurs de CPGE, dans une quarantaine de centres en France, avec un appui notable des Écoles normales supérieures (ENS) de Paris et de Saclay. A noter, l’équipe française compte deux filles et trois garçons, un équilibre que n’ont pas beaucoup d’équipes1, peut-être une dizaine seulement, la très grande majorité étant composée uniquement par des garçons.

Un défi majeur de ces Olympiades ?
La plus grande gageure réside dans l’existence d’une épreuve expérimentale. Pour nous, c’est un défi organisationnel, il nous faut commander 450 kits expérimentaux... que nous avons conçus ! Des équipements très innovants pour la conception desquels le comité scientifique s’est montré particulièrement brillant. A l’occasion de cette épreuve qui dure cinq heures, et dont je ne peux évidemment pas révéler la teneur, s’exprime tout particulièrement le souci de la mesure. Il ne faut pas avoir honte de répéter plusieurs fois une même mesure, de façon à obtenir éventuellement une meilleure estimation des incertitudes. Au cœur de la problématique de l’épreuve, on mesure, on exploite les résultats et on teste des modèles.

Et s’il y a une panne des instruments ?
Je n’ai pas trop d’inquiétude mais si tel était le cas, la difficulté serait d’intervenir auprès des candidats sans les « aider ». Notamment en déterminant si c’est de leur faute ou pas...

Quel est le défi pour l’épreuve théorique ?
Tous les pays n’ont pas le même rapport à la manipulation des modèles, en physique. Je me souviens d’un sujet merveilleux, lors des IPhO au Danemark, évoquant le modèle de l’écoulement de la calotte glaciaire du Groenland quand, à Astana, il s’agissait d’un problème technique très peu contextualisé et quasi infaisable, faisant appel à la virtuosité intellectuelle pure. Ressort ainsi la dualité de la perception de ce qu’est la physique, avec une plus ou moins grande contextualisation du problème. Quant au mode de restitution par les candidats, il n’y a pas de rédaction de phrases qualitatives mais une tendance à privilégier les aspects mathématiques. Donner la réponse avec une formule, une valeur numérique...

Il vous a fallu trouver nombre de sponsors pour cet événement à 2 millions d’euros...
Le sponsoring n’est pas venu de ceux auxquels on pensait. Nos trois gros sponsors2 viennent du monde la finance et sont à la recherche de « têtes bien faites », de talents formés par la physique et capables de coder. C’est à double tranchant, car ce sont des jeunes formés par les sciences mais qui ne feront peut-être plus de science ultérieurement. On retrouve cette problématique en astrophysique, les banques sachant que ceux qui s’y forment savent gérer des big data.

Quels pays réussissent le mieux ?
La Chine rafle souvent les cinq premières places, les Russes3 sont très bons aussi. Ces pays s’organisent pour ces Olympiades, plus que nous ne le faisons. Pour ce qui est de l’épreuve expérimentale, je pense que l’Allemagne est peut-être mieux placée que la France, grâce à ses clubs scientifiques.

Propos recueillis par Dominique Leglu

[1] Quatre équipes parmi les mieux équilibrées fille-garçon seront mises à l’honneur.
[2] QRT, Jane Street, Square Point
[3] Les délégations de Russie, peut-être de Biélorussie (non encore certaine de venir à la date de l’entretien), participeront sous une bannière « neutre ».

« L'invité du jeudi »
Jeudi 26 juin 2025 à 18h30 en visioconférence Teams
Le replay de cette conférence est visible ici 

Avec Antoine Balzeau, paléoanthropologue

Comment étudier le cerveau des humains préhistoriques alors qu’il ne se fossilise jamais ? C’est le défi que s’est lancé Antoine Balzeau, paléoanthropologue, en analysant les traces laissées dans les boîtes crâniennes de nos ancêtres. Entre paléoanthropologie et neurologie, cette approche innovante permet d’explorer l’évolution du cerveau humain, son développement à travers les millénaires et les liens entre anatomie, compétences et capacités cognitives.
Au fil de ses recherches, entre terrains de fouille et salles d’IRM, Antoine Balzeau a dirigé le projet PaleoBRAIN, financé par l’ANR (Agence nationale de la recherche), pour mieux comprendre l’histoire de notre organe le plus mystérieux. Il partagera lors de cette conférence ses découvertes récentes et les enjeux de cette exploration fascinante.
Passionné par la diffusion des savoirs, il vous invite à plonger dans la tête de nos ancêtres et à découvrir les coulisses de cette aventure scientifique.

L'invité du jeudi

Rendez-vous mensuel en visioconférence, qui a pour objet d’alimenter la curiosité scientifique et technique des participants, de s'interroger sur de grands enjeux de société et de débattre collectivement des évolutions en cours.
Animées par des experts passionnés de leur domaine d’intervention, les conférences traitent de sujets d’actualité mais en prenant le recul nécessaire. Elles sont suivies d'échanges avec un grand témoin et le public.

Un jeudi par mois, de 18h30 à 20h, en visioconférence via l'application Teams
Inscription préalable obligatoire, pour obtenir le lien informatique de la visioconférence

En partenariat avec le Cnam Bretagne

Cet événement s'inscrit dans un cycle de webinaires « Matériaux ».
Jeudi 26 juin 2025 à 13h en visioconférence Zoom.

Ce webinaire est consacré aux matériaux des patrimoines.

Intervenants :

Ivan Guillot, Institut de Chimie et des Matériaux Paris Est (ICMPE UMR 7182), Continuités et ruptures dans la fabrication des cordes de piano entre 1780 et 1855
Comprendre les matériaux constitutifs de la corde à piano permet d'établir "l'histoire de la corde à piano". L'accent a été mis sur les cordes utilisées par deux facteurs de pianos parisiens emblématiques : Sébastien et Jean-Baptiste Erard et Ignace Pleyel. L'ensemble des échantillons couvre une période qui commence en 1780 avec l'installation de Sébastien Erard (1752-1831) à Paris rue Mail et s'achève en 1855 avec l'Exposition universelle de Paris alors que le piano-forte s’est largement répandu en Europe. En 1807, Ignace Pleyel fonde sa manufacture et devient le principal rival d'Erard. Son expansion illustre la transition entre la production artisanale et industrielle du pianoforte.

Clément Holé, ESRF, Caractérisation de céramiques chinoises par µXRD et µXANES du fer
Les céramiques à glaçures noires et brunes fabriquées sous la dynastie Song (960-1279) constituent une famille importante dans l'histoire de la céramique Chinoise. La couleur caractéristique de ces glaçures est due à la présence de la phase ε-Fe2O3 en surface, un oxyde de fer rare, intermédiaire entre la maghémite et l’hématite. La compréhension de la croissance de cette phase cristalline qui a révolutionné la manière de boire le thé sous la Dynastie Song est donc cruciale pour documenter les pratiques de ces artisans. 

Modérateurs : Sylvie Lartigue, Daniel R. Neuville et Jean-Paul Itié, FFM


Kathryn Harkup

(Ed. Delachaux et Niestlé, 2025, 224 pages, 21.90€)

Kathryn Karkup, l’auteure britannique de ce petit livre, est chimiste, vulgarisatrice scientifique, vampirologue, passionnée d’Agatha Christie. Elle nous présente de façon assez peu conventionnelle, 52 molécules, qu’elle a choisies pour leur importance, ou l’intérêt de leur histoire.

Une molécule est une association d’atomes tout comme un mot est une combinaison de lettres, et ses propriétés transcendent celles de ses composants. La chimie des molécules est une négociation entre atomes visant à partager, échanger, donner, recevoir leurs électrons.

L’auteure présente chaque molécule en quatre pages (2/3 de texte et 1/3 d’infographies), par ordre de complexité croissante. On démarre avec la toute simple molécule d’ozone, ce « triangle amoureux » formé de trois atomes d’oxygène, qui nous protège des rayons UV. Et l’on termine avec l’ADN, la molécule « la plus réussie de toutes », époustouflant langage unique de tous les organismes vivants. Voici quelques exemples parmi les 52 étapes de ce passionnant parcours.

Le lithium ferro-phosphate : C’est la molécule-clé des batteries modernes dont le principe n’a pas changé depuis leur invention, en 1800. Galvani fait alors des expériences sur les grenouilles et postule que l’électricité est d’origine animale. Ce que Volta trouve absurde, et il le prouve en réalisant, sans grenouille, la première « pile ». Il empile des cellules faites de disques de zinc et d’argent séparés par une feutrine imbibée d’eau salée. Le zinc cède ses électrons et c’est ce qui constitue le courant électrique lorsque les extrémités sont connectées. Il s’agit d’un évènement capital dans l’histoire des sciences qui va permettre l’ usage de l’électricité dans les expériences de chimie et de physique.

L’éthylène : Vers 1810, alors que l’éclairage au gaz arrive dans les villes, on observe des phénomènes bizarres : une poussée de croissance inédite des arbres alentour et des feuilles jaunes en plein été ! Le mystère restera entier pendant un siècle. Le coupable est l’éthylène, un des gaz combustibles, avec sa molécule en nœud papillon. Il s’avère être aussi une hormone végétale, synthétisées par toutes les plantes, qui agit sur les rythmes biologiques. On l’utilise aujourd’hui pour faire mûrir à leur destination les bananes transportées vertes.

La nitroglycérine : « ses atomes profitent de la moindre occasion pour se séparer de leurs voisins et se réarranger dans des configurations plus stables ». Voici une description assez distanciée d’une explosion !

Le glucose : le carburant de base des organismes vivants est la molécule la plus abondante sur Terre. Il est produit par la chlorophylle des végétaux qui capte l’énergie solaire pour combiner eau et dioxyde de carbone en glucose.

Le plomb tétraéthyle. « Voici une leçon sur ce qu’il ne faut pas faire », avertit Kathryn Harkup. A partir de 1920, on l’ajoute à l’essence pour supprimer le cliquetis des moteurs. Les ouvriers qui le manipulent souffrent de vertiges, de pertes de mémoire, et de délires. Ils le surnomment « le gaz zinzin ». Cinq meurent du saturnisme en septembre 1924. Le passage à l’essence sans plomb s’est finalement imposé après beaucoup d’atermoiements. A noter que la teneur en plomb du Châteauneuf du Pape a culminé en 1978, et cette année est aussi un des meilleurs millésimes de cette appellation ! (l’acétate de plomb a très bon goût).

La cellulose : l’eunuque Cai Lun (vers -100) s’inspire de la guêpe faisant son nid. Il rassemble brindilles, écorces, chiffons, fait bouillir, malaxe et obtient une pâte qui, une fois séchée, absorbe l’encre, juste assez pour qu’elle « tienne ». Le papier est né. Quatorze siècles plus tard, il arrivera en Europe et supplantera papyrus, parchemins et vélins.

La géosmine : c’est la molécule de l’odeur de la pluie, En touchant le sol poussiéreux, chaque goutte d’eau emprisonne de l’air entre elle et la terre. Une bulle remonte à travers la goutte, éclate, et libère des aérosols parfumés par la géosmine, synthétisée par les bactéries qui décomposent la matière organique dont il existe 500 espèces, qui incidemment ont fourni 2/3 de nos antibiotiques.

Le rétinal est l’interrupteur qui transmet au cerveau la présence de lumière, selon un mécanisme assez complexe. Il est formé d’une chaine d’atomes carbone et hydrogène. En position « éteint », il est de forme courbe. Lorsqu’un photon le frappe, il se redresse, et actionne une protéine, l’opsine, qui engendre un courant électrique transmis au cerveau par les nerfs.

L’auteure utilise parfois des procédés insolites pour décrire certaines de ses molécules. Ainsi l’octane est un jeune marié, surdoué, doté d’un énorme potentiel de revenus, aux amis puissants, et héros de la bataille d’Angleterre (supériorité des avions alliés). Le parasite du paludisme organise son plan de colonisation de l’humain, combattu par la quinine. On assiste au procès assez comique de l’invité endormi, victime de la molécule du « roupillon après repas ». C’est dans une pièce de théâtre que l’histoire de l’anesthésie est racontée. Le DDT se présente en clone de James Bond. La vie de la reine d‘une ruche est racontée à la manière d’un conte de princesse, et l’histoire de la progestérone comme une recette de cuisine.

Avec son style teinté d’humour, et parfois franchement déjanté, Kathryn Harkup nous fait découvrir de façon amusante des épisodes de l’histoire des sciences, et le fonctionnement intime des molécules, souvent incroyablement ingénieux. Un petit livre très instructif.

Pierre Potier

Cycle « L'aventure des transitions »
Jeudi 19 juin 2025 à 18h au Cnam, Paris, et sur YouTube

L’IA responsable vise à développer et utiliser l’intelligence artificielle de manière éthique, équitable et transparente. Face aux opportunités qu’elle offre, des enjeux cruciaux émergent : éviter les biais, protéger les données personnelles et garantir la transparence des algorithmes. Il s’agit donc à la fois d’une question technique et d’un impératif social. L’IA nous invite à repenser notre rapport à la technologie pour qu’elle serve le bien commun en confiance et en transparence.

Table ronde, animée par Cécile Dejoux, professeure des Universités au Cnam, en présence de :

  • Roxane Adle, Orange
  • Axel Cypel, LCL, auteur de l’ouvrage Voyage au bout de l’IA (2023)
  • Gilbert Saporta et Jean-Paul Aimetti pour leur manifeste «Pour une IA comprise et responsable» (2022)

 

Cycle de conférences
« L'aventure des transitions »

Après un premier cycle de conférences consacré aux inventions, le Cnam propose en 2024-2025 un nouveau cycle dédié aux transitions écologiques et sociétales.
Pensé par et avec les écoles thématiques du Cnam, l’Ecole des transitions écologiques, l’Ecole de l’énergie, l’Ecole de la santé et l’Ecole du numérique et de l’IA, ce cycle de conférences s’adresse à tous les publics curieux des questions de société. L'occasion de mieux comprendre et appréhender les enjeux des transitions avec des spécialistes et d'échanger avec eux.

  • octobre et novembre 2024 : énergie
  • décembre 2024, janvier et mars 2025 : santé
  • février et mars 2025 : transitions écologiques
  • avril et juin 2025 : numérique et IA

Tous les jeudis, d'octobre 2024 à juin 2025, de 18h à 19h30
au Cnam, 292 rue Saint-Martin, 75003 Paris (Amphithéâtre Abbé Grégoire)
Entrée gratuite sur inscription.
Et en direct sur la chaîne YouTube du Cnam

Organisé par le Cnam
En partenariat avec l'AFAS

Cet événement sur la puissance osmotique aura lieu jeudi 19 juin 2025 à 18h à l'Hôtel de l'industrie à Paris et sur YouTube

Avec les interventions de :

  • Jean-Pierre Javelle, ingénieur de la Météorologie, membre du comité de rédaction de La Météorologie et de Météo et Climat
  • Jordan Slimani, chargé de conservation de la Commission Histoire de la Société d'Encouragement

Modératrice :
Sylvianne Villaudière, vice-présidente de la Société d'Encouragement pour l'Industrie Nationale et co-fondatrice du Cercle de l'expertise à mission (CEM)

 

Une conférence exceptionnelle sur la Météorologie, les recherches dans ce domaine et les applications pour l'industrie nationale, à l'occasion de la commémoration du centenaire du colloque de la SEIN de 1925 et du centenaire de la Revue La Météorologie.

 

Inscription ici


Jean-Pierre Javelle, ingénieur de la météorologie, retraité de Météo-France, membre du comité de rédaction de La Météorologie et de Météo et Climat.

Jordan Slimani, diplômé d’un M2 Patrimoine Scientifique, Technique, Naturel et Architectural (PSTN-A) à l’Université Paris-Cité, est chargé de la conservation des collections  de la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale.

Sylvianne Villaudière, diplômée de l’IEP de Paris, est experte en stratégie d’alliance, transition écologique et développement durable des entreprises et territoires, avec un parcours de consultante et dirigeante d’entreprises. Elle a co-fondé le Cercle de l'Expertise à Mission (CEM). Elle est vice-présidente de la Société d’Encouragement.


 

Cycle de conférences
Pour le Développement des Sciences et de l'Innovation (PDSI) au service des transitions

Rencontres d’information scientifique et technologique, à visée pédagogique et didactique, autour d’un scientifique et d’un acteur socio-économique, qui présentent une thématique à travers leurs connaissances et leurs expériences, contribuant à décrypter et présenter des solutions répondant aux enjeux de transition économique, sociétale, technologique, numérique et/ou environnementale.

Partenariat : AFAS – Société d'encouragement pour l'industrie nationaleSociété des ingénieurs et scientifiques de France (Ile-de-France)
Avec le soutien d'EcoLearn, MR21, e5t, BNI Saint-Germain-des-Prés, Pariscience, Cnes, CNRS, ABG

Dominique Leglu



Ancienne directrice éditoriale à Sciences & Avenir - La Recherche

Une passionnante exposition sur le biomimétisme vient de s’ouvrir au Clos Lucé, où Léonard de Vinci a vécu ses dernières années au début du XVIe. On y découvre les travaux précurseurs du savant toscan sur le vol des oiseaux, la nage des poissons, les turbulences ou les merveilles colorées de la nature... Une nature qui inspire aujourd’hui nombre d’industries, de l’aéronautique à la marine, des drones aux caméras, mais aussi l’industrie des cosmétiques ou des textiles. A voir, tous neurones à l’affût !

(c) Dominique Leglu

À coup sûr, vous aimez les réseaux de gyroïde sans le savoir. Car les nuances bleu-vert du papillon Morpho didius qui fascinent tout un chacun, sont dues à cette structure complexe faite de cristaux microscopiques dans les écailles de ses ailes. A l’exposition « S’inspirer du vivant. De Leonard de Vinci à nos jours » qui vient de s’ouvrir au Clos Lucé1, il est possible d’en avoir une étonnante vision macroscopique. Des modèles en 3D des cristaux agrandis 50 000 fois font découvrir des tunnels entrelacés, sorte de labyrinthes dont les trous en hexagones ou en carrés filtrent la lumière de façon sélective2. Aucun pigment, mais de la photonique... Juste à côté de ces modèles, plusieurs de ces grands lépidoptères du Pérou sont artistiquement disposés, qui permettent au visiteur de jouir des couleurs chatoyantes de leurs structures photoniques méconnues. On comprend pourquoi l’industrie a voulu en imiter les motifs et créer des objets ou produits nouveaux, légers, aux propriétés physiques originales, de quoi bouleverser de multiples domaines, cosmétiques, textiles, aéronautique etc.

L’exposition ne triche pas, ne prétendant pas que Léonard de Vinci a inventé la bio-inspiration, « démarche, loin d’être récente, [qui] trouve ses racines dès la préhistoire », selon ses commissaires Andrea Bernardoni, professeur d’histoire des sciences et des techniques (université de l’Aquila) et Pascal Brioist, professeur d’histoire moderne (université de Tours)3. Mais « nul doute qu’à la Renaissance, le savant toscan fut l’un des observateurs les plus perspicaces de la nature ». Avec une inspiration qui « ne se limitait pas aux végétaux et aux oiseaux, mais s’étendait aux insectes, aux chauves-souris et aux créatures marines », précisent-ils.

(c) DL

Pour les amoureux de Léonard, un précieux cadeau a été prévu : un feuillet du « Codex Atlanticus », tout spécialement venu pour l’exposition de la Veneranda Biblioteca Ambrosiana à Milan, présente les « Études sur le vol mécanique et observations sur le mouvement de l’eau ». C’est le témoignage des recherches qu’il mena « sur la possibilité du vol humain et sur la dynamique naturelle des fluides ». De quoi faire songer à une démarche éminemment scientifique, où sont associées « observation technique, exploration anatomique et spéculation physique », selon les commissaires.

L’affiche pour le grand public de l’exposition ne s’y trompe pas, qui superpose une image d’un avion moderne à celle du membre porteur (des ailes) d’une chauve-souris, dessin choisi parmi ceux dont on se souvient généralement.

Thomas Steinmann, de l’Institut de recherche sur la biologie de l’insecte (IRBI, université de Tours), va plus loin. Il voit en « Léonard de Vinci un précurseur dans la compréhension de la dynamique des fluides, qu’ils soient liquides ou gazeux »4. Et c’est seulement aujourd’hui qu’il est permis, grâce aux « formules mathématiques et aux programmes informatiques, de simuler les mouvements [de ces] fluides, à différentes échelles », écrit-il. Le chercheur ne manque pas, à cette occasion, de rappeler la fascination de Léonard de Vinci pour « la libellule [aux] prouesses aériennes exceptionnelles », qui lui inspira de magnifiques esquisses. Aujourd’hui, précise-t-il par ailleurs, des simulations ont permis de comprendre que la mâchoire des larves de l’insecte est « remarquablement hydrodynamique et génère une zone de tourbillons créant un effet d’aspiration semblable à celui observé chez certains poissons. Cette découverte pourrait être appliquée aux dispositifs de capture de petits véhicules sous-marins autonomes ». Les tourbillons et turbulences, un autre des multiples sujets d’étude de Léonard de Vinci, représentés à la plume, à l’encre, à la sanguine.

(c) DL

Outre ces dessins, qui conservent un côté énigmatique – ne semblent-ils pas interroger la volonté de compréhension du visiteur ? – plusieurs objets qui s’inspirent du vivant retiendront l’attention, pour leur beauté, leur élégance ou leur étrangeté. Ainsi l’ « œil de mouche artificiel, composé de 630 minuscules yeux élémentaires, organisés en 42 colonnes de 15 capteurs chacune », baptisé CurVACE5, à observer derrière une loupe. Ou encore les habitats sous-marins (dessins, maquettes) de l’architecte océanographe Jacques Rougerie, faisant songer ici aux méduses, là aux hippocampes. Envie, enfin, viendra peut-être aux visiteuses de se glisser dans l’une des extraordinaires robes d’Iris Van Herpen, dont les ondulations fluides et les sortes de plumes transparentes sont inspirées par « la complexité des champignons et l’enchevêtrement de la vie souterraine ». Étonnant.


[1] Jusqu’au 10 septembre 2025. Halle muséographique du Château du Clos Lucé – Parc Leonardo da Vinci, Amboise. Rens. : 0247570073 ; www.vinci-closluce.com
[2] Découvert par le physicien Alan Hugh Schoen (Nasa, Southern Illinois university Carbondale) et ainsi nommé par lui, le gyroïde est en termes mathématiques « une surface minimale triplement périodique infiniment connexe ». Voir https://mathworld.wolfram.com
[3] A lire, l'ouvrage « Biomimétisme » (éd. Skira, 29€), auquel ont contribué 13 auteurs (chercheurs, architectes, ingénieur, chirurgien), publié à l’occasion de l’exposition.
[4] « Écrivez sur la nage sous l’eau et vous aurez le vol de l’oiseau dans l’air » (Codex Atlanticus)
[5] Issu des travaux de l’Ecole Polytechnique de Lausanne, Fraunhofer Institut de Jena, Université de Tübingen, CNRS, Université d’Aix-Marseille, Institut des sciences du mouvement Etienne-Jules Marey (université Aix-Marseille)