L’Homme microbiotique

Patrice Debré

(Odile Jacob, 2015, 300 p. 23,90 €)

 
L'Homme microbiotique (P. Debré, Odile Jacob, 2015)« Inter faeces et urinam nascimur » aurait dit saint Augustin, « c’est entre fèces et urine que nous naissons ». La citation est souvent utilisée pour rappeler l’humilité qui sied à notre condition d’homme. Il semble en effet aller de soi que ce que notre organisme excrète ne mérite aucune espèce de considération. Cette certitude, comme souvent, est une fausse certitude. Le livre de Patrice Debré montre tout ce que nous devons à nos fèces, il décrit leur richesse, l’extraordinaire complexité de leur composition et de leur fonctionnement.
La vie n’est avare ni de mystères ni de merveilles. Plus on cherche, plus on pénètre dans la connaissance du vivant, plus on s’émerveille de ce qu’on trouve, plus le champ de la recherche s’élargit…
Notre organisme ne pourrait pas vivre sans son microbiote, cet ensemble de centaines de milliards de bactéries étrangères à lui, sans oublier virus et champignons. Ce microbiote couvre une surface développée de près de 400 m², pèse plusieurs kilogrammes, il constitue un organe en soi, un organe de plus dans notre organisme, un organe étranger et pourtant indispensable.
Présent dans les intestins, il l’est aussi sur la peau, dans le vagin, dans la bouche… Son influence se fait sentir dans tout le corps, sur tous les autres organes, jusqu’au cerveau.
Les exemples sont nombreux, dans le monde animal et végétal, de ces symbioses hôte-parasites qui voient non seulement des parasites incapables de vivre sans leur hôte mais aussi, et c’est plus surprenant, l’hôte incapable de vivre sans ses parasites. On s’interroge sur la façon dont l’évolution a pu mener à de telles situations. Le livre donne l’exemple parmi d’autres de cet acacia d’Afrique qui abrite des fourmis. Ces fourmis le protégent, par les phéromones qu’elles sécrètent, des herbivores qui mangeraient son feuillage. Mieux encore, l’acacia annihile chez les fourmis qu’il abrite l’enzyme leur permettant de digérer le sucre et il leur fournit lui-même cet indispensable enzyme avec le nectar dont il les nourrit, en somme il fait d’elles ses esclaves !
Dans notre organisme se passent des choses de cette nature et encore plus extraordinaires.
Un exemple les résume : l’hologénome. Les gènes ne se transmettent pas seulement verticalement, de parents à enfants, ils se transmettent aussi horizontalement, de cellules à cellules, au point que l’on parle désormais d’hologénome car force est d’admettre que notre génome est composé de l’addition de nos gènes propres et des gènes de certains des microbes commensaux de notre microbiote. Cela fait de l’homme une sorte de chimère, ce terme revient à plusieurs reprises, c’est-à-dire un être fait de plusieurs êtres assemblés.
Immunologue, Patrice Debré consacre de longs développements aux interactions entre microbiote et système immunitaire. On s’interrogeait sur la capacité des cellules immunitaires à distinguer « le soi du non-soi », il faut s’interroger aussi maintenant sur leur capacité à distinguer les microbes commensaux des microbes pathogènes.
Médecin, il décrit les nombreuses thérapies que ces nouvelles connaissances permettent, et certainement permettront, de mettre en œuvre.
Épidémiologue, il pose la question de l’hygiène, indispensable mais jusqu’à quel point ?, et celle des antibiotiques, qui sauvent tant de vies mais déséquilibrent le microbiote et suscitent des bactéries multirésistantes.
Et, pour être complet, il n’oublie pas de mentionner que si c’est à la naissance, inter faeces et urinam, que le nouveau-né sortant d’un placenta stérile fait les rencontres qui sont à l’origine de son microbiote, il est de multiples façons de l’enrichir au cours de la vie, par exemple le baiser…
On parlait de « flore intestinale », longtemps on ne s’y est pas assez intéressé, le microbiote était encore récemment terra incognita ; l’ouvrage montre la façon dont ce retard est en train d’être comblé. Il ouvre des domaines passionnants d’analyse et de réflexion.