L’électricité, au cœur de notre futur bas-carbone

Yves Bamberger, Hans B. Püttgen

(EPFL Press, 2021, 347 p. 28,34€)

 
L'électricité, au cœur de notre futur bas-carbone, Yves Bamberger, Hans B. Püttgen, EPFL PressDans la confusion qui entoure les débats enflammés et parfois biaisés sur notre avenir énergétique, ce livre apparaît comme un havre de calme expertise. Les deux auteurs ont une longue expérience de la recherche dans le monde de l’énergie : Yves Bamberger à Electricité de France et Hans Püttgen en Suisse et aux Etats-Unis. Ils sont convaincus de l’urgence d’agir devant le réchauffement climatique. Avec ce livre, ils veulent «aider décideurs et citoyens à exprimer leur opinion sur les options de développement qui leur sont proposées».

L’objectif est de «décarboner» l’énergie que l’on consomme, c’est-à-dire réduire les émissions de gaz carbonique en brûlant moins de charbon, de pétrole et de gaz. Les auteurs recensent toutes les consommations d’énergie dans le monde et analysent les possibilités de les décarboner. D’abord par de meilleurs rendements, par exemple en rénovant l’isolation de logements. Ensuite par des transferts d’usage vers l’électricité, à condition que la production de celle-ci soit moins carbonée, ce qui est le cas dans la plupart des pays. Ainsi, la pompe à chaleur électrique (qui fonctionne comme un réfrigérateur inversé) peut se substituer à la chaudière à mazout. Le moteur hybride ou électrique peut remplacer le moteur à combustion des voitures tout en réduisant les pollutions dues aux oxydes d’azote, aux particules et au bruit. Les camions, les bus, les trains (75% des trains roulent au diesel) peuvent brûler de l’hydrogène, produit, en période creuse, par électrolyse. L’électricité peut se substituer au gaz dans les fours de fabrication du pain, du verre, des briques et du ciment.

Ces quelques exemples montrent le rôle central de l’électricité, dont la part dans l’énergie totale va sensiblement augmenter. Celle-ci est aujourd’hui de 20% au niveau mondial, et incidemment 0% pour le milliard d’individus qui n’a pas encore accès à l’électricité.
Les auteurs nous offrent alors, en une centaine de pages, un cours complet sur les technologies de production électrique, carbonées (charbon, pétrole ou gaz) ou décarbonées (hydraulique, nucléaire, éolien, solaire, géothermique). L’assortiment des centrales ou «mix électrique» doit tenir compte de nombreux facteurs, dont l’intermittence de l’éolien et du solaire. Le pompage-turbinage hydraulique est le mode de stockage de loin le plus répandu (95%), suivi par les batteries, aux performances perfectibles, l’air comprimé, et l’hydrogène. Le réseau électrique, «un des systèmes les plus complexes construit par l’humain», est une création fascinante, qui interconnecte des milliers de machines génératrices tournant en synchronisme et s’ajustant en permanence à une charge qui évolue à tout instant.

Délaissant l’analyse purement technique, les deux auteurs proposent, dans le chapitre le plus original du livre, des politiques d’incitation à la décarbonation. Ils excluent les scénarios qui imposent une baisse de la qualité de vie (pas de retour à la bougie !) et insistent sur la multiplicité des solutions selon les pays. Sans surprise, ils favorisent les productions d’électricité non carbonées, incluant «si nécessaire», le nucléaire. Ils proposent une aide à l’investissement dans l’éolien et le solaire, sous certaines conditions, et abandonnent la clause du «rachat garanti», qui fausse le marché et peut, par grand vent, générer des prix négatifs ! Pour décourager l’usage des énergies fossiles sans pénaliser le citoyen moyen, ils instaurent au niveau mondial une Redevance Carbone Universelle Redistribuée (RCUR), payée dans chaque pays par l’importateur de charbon, de pétrole ou de gaz, et entièrement redistribuée aux habitants du pays. Une redevance est également appliquée sur le contenu carbone des biens importés des pays qui ne participent pas à la RCUR. Le Climate Leadership Council, un organisme américain regroupant des dirigeants d’entreprise, soutient un mécanisme analogue.

Le livre se conclut par une étude de cas : un pays (fictif) réussit à baisser ses émissions de 80% en 20 ans. Les calculs sont très détaillés et permettent de quantifier les actions décrites dans le livre.

Tous les exposés techniques sont factuels, abondent en chiffres et statistiques et sont étayés par des exemples concrets. La grande variété des sujets, depuis la fabrique des baguettes de pain jusqu’à la production d’hydrogène en passant par le raffinage du pétrole, renforce l’intérêt du livre. On peut regretter que certaines questions moins techniques mais cruciales n’aient pas été plus développées, notamment celles des déchets nucléaires, de la croissance de la population mondiale, des coûts de la décarbonation et des résistances des riverains à tout nouveau projet. Il reste que ce livre permet de comprendre les mécanismes en jeu et constitue une référence sérieuse pour le citoyen désireux de participer aux débats à venir sur notre futur énergétique.