Le théorème du parapluie ou L’art d’observer le monde dans le bon sens

Mickaël Launay

(Flammarion, 2019, 304 p. 19,90€)

 
Le théorème du parapluie (M. Launay, Flammarion, 2019) « Depuis mon cours élémentaire, il ne s’est pas passé une année de ma vie sans que je réalise que je pensais de travers des choses que je croyais bien savoir ». Le mathématicien Mickaël Launay nous fait cette confidence dans l’introduction de son dernier livre. Fort de cette expérience, il propose de nous apprendre « l’art d’observer le monde dans le bon sens », en choisissant quelques sujets principalement dans le domaine des mathématiques, mais aussi de l’attraction universelle et de la relativité.
Mickaël Launay est un vulgarisateur de grand talent bien connu dans le monde des médias. Il fait preuve ici d’une pédagogie remarquable combinée à un sens aigu de la narration. Il présente chaque sujet comme une énigme à résoudre. Son chemin vers la solution emprunte alors de nombreux détours et chemins de traverse, souvent sans rapport apparent avec le sujet. En fait, par petites touches, il nous donne les clés qui nous préparent à comprendre la solution, un peu comme dans le dénouement d’un roman policier.
En voici quelques exemples très résumés (chaque énigme correspond à une cinquantaine de pages).

Selon la loi de Benford, si l’on prend une liste quelconque de nombres (les prix d’un supermarché, les longueurs des fleuves dans le monde, les populations par pays, etc.), environ 30% des nombres commencent par un 1, 18% par un 2, etc. et 4% par un 9 ! Pour expliquer cette répartition contre-intuitive, Mickaël Launay nous emmène dans le monde des nombres : leur vocabulaire, leur perception par les sociétés primitives, par les enfants, par les animaux (les rats ont une pensée multiplicative !). Après un détour chez les scribes de Mésopotamie, on aboutit en Ecosse, en 1614, lorsque John Napier invente les logarithmes. Ce dernier épisode est l’objet d’un véritable petit bijou de pédagogie de la part de Mickaël Launay : les logarithmes apparaissent d’une lumineuse simplicité ! Et, dans la foulée, l’étrange loi de Benford trouve son explication !

How long is the coast of Britain ? Cet article mythique de Benoît Mandelbrot (1967) établit l’impossibilité de mesurer les côtes d’un littoral car l’ajout de détails de plus en plus petits ne fait qu’augmenter la mesure, sans aucune limite. Launay disserte alors sur les grands nombres, donne l’exemple étonnant du nombre immense de livres possibles. L’infini est encore plus troublant. L’auteur l’illustre avec une histoire de barres de chocolat, mais aussi avec les surprenantes découvertes de Cantor (il n’y croyait pas lui-même !), et des lignes qui s’entortillent dont « on ne sait plus si ce sont des lignes ou des surfaces ». On fait un détour par la ville de Carthage et la légende de sa fondation par Didon, avant de parvenir à la dimension fractale, la réponse à notre énigme.

Le postulat d’Euclide sur la parallèle est-il vraiment nécessaire ? L’auteur prétend que cette question est « la plus grande énigme mathématique de tous les temps ». Quelques étapes du voyage explicatif : les couleurs (définition, vocabulaire), l’abstraction (illustrée par une nouvelle de Borges), l’ambiguïté (avec un dialogue de L’Avare de Molière), la géométrie sphérique des pilotes d’avion, et le déroutant disque de Poincaré, qui sera la dernière clé pour la réponse à l’énigme, finalement résolue seulement 2000 ans après Euclide.

Le chapitre sur la relativité d’Einstein est particulièrement réussi. Launay expose la théorie de la relativité restreinte en adoptant l’angle purement mathématique de l’espace-temps de Minkowski, dont la présentation est extraordinairement limpide. Son talent de pédagogue est à son meilleur. On retire de cette lecture le sentiment très positif d’avoir progressé dans notre compréhension de cette théorie.

Tout au long du livre, l’auteur ne cesse de souligner la puissance de l’outil mathématique, « la discipline dans laquelle on ne sait jamais de quoi on parle, ni si ce que l’on dit est vrai. » (Bertrand Russel, 1901). Du fait même de cette ambiguïté, elle permet de raisonner en dehors du réel, puis d’y revenir avec une compréhension enrichie.

Mickaël Launay fait preuve d’un enthousiasme communicatif et d’une capacité d’émerveillement rafraîchissante. Le style est simple, fluide, et proche du langage parlé. Le texte est truffé de dessins explicatifs amusants qui en facilitent la compréhension. On ne s’ennuie jamais dans ce livre. Et l’on en sort avec l’impression d’avoir découvert de nouveaux horizons.
Quant à savoir ce que vient faire un parapluie dans toute cette histoire, nous laissons au lecteur le plaisir de le découvrir !