Homo biologicus

Pier Vincenzo Piazza

(Albin Michel, 2019, 432 p. 22,90€)

 
Homo biologicus (P.V. Piazza, Albin Michel)Le présent ouvrage est un plaidoyer scientifique bien structuré pour nous faire comprendre comment les connaissances biologiques actuelles peuvent expliquer la nature humaine, en remettant en cause sa dualité, le corps et l’esprit.

Pier Vincenzo Piazza, médecin, neurobiologiste, est l’auteur de cet ouvrage de plus de quatre cents pages qui propose une lecture inédite de l’humain et de ses aspirations. Il démontre que les découvertes révolutionnaires de la biologie et de la psychiatrie du XXIe siècle concernant notre corps et notre cerveau permettent de décrire ce que nous sommes vraiment sans besoin de recourir à un esprit immatériel. En effet, comme le suggère l’auteur, ce ne serait pas l’esprit mais son immatérialité qui devient obsolète puisque la biologie permet d’expliquer nos comportements. Les données de la biologie conduiraient donc à une autre approche de la connaissance de l’esprit, en le matérialisant.

Cet ouvrage contient un ensemble de trois chapitres scientifiques précédés d’un prologue intitulé «Tout a changé mais rien n’est vraiment différent» et suivis d’un épilogue «Rien n’a vraiment changé mais tout est différent» !
A la fin du livre on trouve aussi un petit mémento de biologie qui n’est pas inutile, comme dit l’auteur, «pour ceux qui veulent naviguer dans les méandres de la science».

Dans le premier chapitre, intitulé La matière, l’auteur rappelle que depuis des temps immémoriaux, on a considéré qu’Homo sapiens était constitué d’un corps biologique et d’un esprit immatériel, non biologique.
Cette conception dualiste de l’humain a été mise en doute vers le milieu du XXe siècle par les découvertes des neurobiologistes indiquant que des maladies mentales sont en réalité biologiques car on arrive à les soigner avec des molécules chimiques. Ainsi la biologie de notre siècle a réconcilié l’esprit et la matière. Elle ne nie pas l’esprit mais simplement le matérialise en admettant que le cerveau produit la pensée et l’esprit.
D’une manière poétique, l’auteur compare notre génome à un instrument de musique polyvalent. Les protéines seraient des notes polyphoniques permettant de jouer de multiples mélodies à partir du même génome.

Dans le deuxième chapitre, intitulé Les aspirations, par une étude scientifique et philosophique à la fois, l’auteur explique que la biologie a pour but la liberté qui se trouve au centre des aspirations humaines et qui est un concept variable en fonction des époques et des cultures.
Ainsi nous sommes tous esclaves de la thermodynamique car pour maintenir notre entropie et ne pas mourir, nous sommes dépendants de l’eau, de l’air et de la nourriture. Si nous nous privions de l’un de ces trois éléments, nous disparaîtrions rapidement. Le combat de notre biologie contre cet esclavage est peut-être le pivot fondamental autour duquel se sont développés nos comportements et une grande partie de notre civilisation.
Une analyse détaillée de ces faits amène à la conclusion que la biologie peut expliquer les aspirations modernes de la liberté, jusqu’à maintenant considérées uniquement comme des caractéristiques de l’esprit. Elle ne réduit pas l’esprit mais elle le matérialise. L’incarnation de l’esprit, loin d’être réductrice, ouvre un nouvel horizon porté par celui que l’auteur appelle Homo interstaticus, qui n’est ni conservateur, ni progressiste, ni spiritualiste, ni matérialiste. Il s’agit d’un homme nouveau qui, finalement, est capable de donner un avenir à notre espèce tout entière.
La liberté et l’épanouissement sont donc des aspirations fondamentales de la vie, qui n’est rien d’autre qu’un catalyseur entropique. L’homme est le seul être vivant qui crée l’entropie non seulement pour survivre mais aussi pour se divertir.
En conclusion, les hommes seraient supérieurs aux autres êtres vivants en fonction du critère utilisé, cette supériorité n’étant qu’une valeur relative.
Le respect pour les autres formes de vie qui nous entourent nous permet de réaliser le caractère illusoire de notre supériorité…

Dans le dernier chapitre, intitulé Les excès, l’auteur, en tenant compte des avancées des connaissances biologiques du comportement, définit et analyse les normes, la normalité, les vices et les maladies ainsi que les addictions, en prenant comme exemples l’obésité pour la nourriture et la toxicomanie pour les drogues.
Avant les choses étaient assez simples : la médecine s’occupait des déviations du corps, et la morale de celles de l’esprit. Plus les connaissances de la biologie ont progressé, plus les frontières entre vices de l’esprit et maladies du corps sont devenues ténues. Ainsi les vices ou les crimes sont des déviations des normes alors que les maladies sont des déviations de la normalité. Il en résulte que là où la normalité est transculturelle, les normes changent profondément au cours de l’histoire et d’une culture à l’autre.
Les déviations de la normalité sont souvent des maladies du comportement, maladies neurologiques ou psychiatriques. Au cours des pathologies neurologiques, le cerveau perd progressivement ses fonctions, comme par exemple dans le cas des maladies d’Alzheimer ou de Parkinson. A l’opposé, dans les maladies psychiatriques, le cerveau en fait un peu trop en donnant une expression excessive et invasive aux émotions et aux comportements parfaitement normaux. Par exemple, l’anxiété est une exacerbation de la peur et la dépression est une tristesse irrépressible. Or ni la peur ni la tristesse ne sont des émotions pathologiques, mais en excès, elles peuvent devenir maladies !
L’auteur aborde ensuite le problème de l’addiction, qu’il considère comme un cancer psychosocial, entre maladie et vice. En prenant comme exemple l’obésité et la toxicomanie, il montre que la véritable addiction, à la nourriture ou à la drogue, n’est pas une maladie de l’esprit, mais une véritable maladie du comportement qu’il faut combattre en la soignant.

En conclusion, l’auteur, par une analyse fine de l’humain à travers les âges et les croyances, nous apporte par ce livre des arguments solides basés sur les découvertes biologiques les plus récentes. Cette approche du corps et de l’esprit, à la fois scientifique et philosophique, donne une nouvelle vision de l’homme, homme moderne, libéré du mirage de l’immatérialité qui peut faire évoluer certaines règles sociales en nous orientant vers des choix de vie meilleurs.

Autrement dit et pour résumer :

Croyants ou agnostiques,
Littéraires ou scientifiques,
Je vous recommande cet ouvrage
Qui de la biologie fait usage.
L’esprit ne serait pas immatériel
Mais comme notre corps, matériel :
Voilà l’esprit incarné
Et la vision de l’humain changée !
(Rodica Ravier)