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Jean-Paul Delahaye
(Ed. Dunod, 2025, 240 pages, 22,90€)
Le 7 novembre 1930, à Königsberg, en Allemagne, sur les bords de la mer baltique — ville rebaptisée Kaliningrad et située depuis la fin de la seconde guerre mondiale en Russie —, un jeune mathématicien Tchèque, d’origine autrichienne, âgé d’à peine 24 ans, étonne son auditoire constitué pourtant de mathématiciens et de logiciens chevronnés et prestigieux : il expose devant ce parterre médusé la première version de son théorème d’incomplétude qui va bouleverser durablement les mathématiques en montrant que des propriétés assez simples sur les nombres entiers ne peuvent pas faire l’objet de démonstrations. Pour comprendre le caractère proprement stupéfiant de son propos, il convient de rappeler la situation.
Au début du XXe siècle, des mathématiciens mirent en évidence des étrangetés plutôt gênantes, car elles ébranlaient les évidences sur lesquelles sur lesquelles on fondait communément l’édifice des mathématiques. Ainsi en alla-t-il d’un certain nombre de paradoxes troublants. Parmi ceux-ci, on cite parfois l’affirmation « Tous les Crétois sont menteurs » formulée par Épiménide le Crétois. En effet, si cette formule est vraie, Épiménide doit être un menteur, puisque c’est un Crétois. Et à supposer que tout ce que disent les menteurs est faux, tout ce qu’il dit doit donc être faux, en particulier l’affirmation selon laquelle « Tous les Crétois sont menteurs », dont on a pourtant supposé la véracité… Un autre paradoxe plus difficile à résoudre a été formulé par Bertrand Russel en 1903 : il porte sur les ensembles qui ne se contiennent pas eux-mêmes. A priori, la définition de tels ensemble est claire. Pourtant une difficulté surgit lorsqu’on se demande si l’ensemble de tous les ensembles qui ne se contiennent pas eux-mêmes se contient lui-même…
Afin d’éviter de telles déconvenues, des mathématiciens essayèrent de caractériser avec une extrême précision les mathématiques. Et, comme rien n'est plus précis que les mathématiques, ils décidèrent de décrire mathématiquement les objets, les vérités et les démonstrations mathématiques. On en dériva une branche des mathématiques qualifiée de « métamathématique » parce qu’en quête des fondements des mathématiques, par analogie à la métaphysique qui est en quête des causes du monde et des principes premiers de la philosophie.
C’est alors — nous étions en 1920 — que David Hilbert, le plus grand mathématicien de son temps, proposa de reconstruire l’ensemble de l’édifice des mathématiques sans recourir à l’intuition, uniquement au moyen d’axiomes, considérés comme évidents, et de manipulations formelles exprimables en termes mathématiques. Une dizaine d’années plus tard, Kurt Gödel démontra, avec minutie et justesse, la vanité de ce projet : il prouva, d’une façon irréfutable, que des théories mathématiques assez rudimentaires étaient incomplètes en ce qu’elle ne permettaient pas de prouver des propriétés évidentes, qui pourtant répondent à l’intuition et n’ont jamais été réfutées.
Intitulé « Aux frontières des mathématiques — Kurt Gödel et l’incomplétude », le livre de Jean-Paul Delahaye, mathématicien, informaticien et grand vulgarisateur, raconte de façon claire l’histoire de ces découvertes et leurs conséquences. Il commence par rappeler la vie de Kurt Gödel. On y apprend, entre autres, que ce personnage singulier, qui quitta l’Autriche occupée par les Nazis pour occuper un poste au très prestigieux Institut des Études Avancées de l’université de Princeton, fit remarquer aux autorités américaines, lors de l’audition qui devait décider de sa naturalisation, qu’il y avait une faille logique dans leur constitution. Selon lui, les États-Unis n’étaient en rien prémunis contre une dérive autoritaire, ce qui déconcerta les magistrats chargés de l’interroger. Heureusement, grâce au pouvoir de persuasion de son ami Albert Einstein, cela ne l’empêcha pas d’être naturalisé…
L’ouvrage ne se limite pas à ces anecdotes. Il décrit le contexte intellectuel dans lequel ces travaux émergèrent. Il aborde les différentes questions mathématiques et philosophiques que cela suscita à l’époque, puis par la suite, au fil des années, jusqu’à aujourd’hui, et qui portent sur les indécidables et plus généralement sur l’existence d’ignorabimus, à savoir de choses que nous ne pourrons jamais connaître avec certitude. Ainsi, on s’est demandé si les indécidables étaient relatifs à des systèmes d’axiomes particulier ou s’ils sont intrinsèques, autrement dit s’il y a des propriétés qui demeurent indémontrables quels que soient les systèmes d’axiomes utilisés. On chercha aussi à savoir s’ils étaient rares ou nombreux, voire innombrables. Jean-Paul Delahaye parvient à nous introduire à toutes ces interrogations et à montrer avec clarté et simplicité, comment les mathématiciens les ont abordées depuis bientôt un siècle. Cela passe, entre autre, par la description d’un grand nombre de curiosités mathématiques, comme les nombres fusibles ou la suite de Goodstein définie à l’aide de bases dites héréditaires ou encore les multivers… Bref, c’est un univers extrêmement riche et vivant que celui qu’a ouvert Kurt Gödel en 1930 dans ses travaux et que présente Jean-Paul Delahaye dans un livre accessible à tous.
Jon Copley
(Ed. EPFL Press, 2025, 120 pages, 14,15€)
Le livre est d’apparence plutôt austère. Une couverture en noir et blanc, aucune photo, aucun dessin. Mais le lecteur est vite happé par un texte alerte qui l’emmène dans l’univers fascinant du monde sous-marin.
L’auteur, Jon Copley, est océanographe. Il a dirigé plusieurs expéditions sous-marines importantes. En dix petits chapitres, il nous brosse un panorama court mais complet de ce vaste espace, qui occupe 71% de la surface du globe.
Le paysage sous-marin a été modelé par des phénomènes assez différents de ceux de notre monde terrestre. A une profondeur moyenne de 2.500 m, une crête longue de 65.000 km, « serpente autour du globe comme la couture d’une balle de tennis » A partir de cette « dorsale », la croûte océanique, poussée par les courants de convection du manteau fluide situé en-dessous, est constamment régénérée et s’éloigne « à la vitesse que poussent nos ongles ». Autour de ce phénomène étonnant, l’auteur explique brièvement la formation des volcans, plaines abyssales, vallées, canyons, cheminées, montagnes, fosses, qui peuplent le paysage sous-marin.
La vie est présente partout jusqu’au point le plus profond : - 10 950 m. Depuis les crustacés microscopiques jusqu’aux calmars de 13 m de long., on répertorie aujourd’hui 200.000 espèces, et on en découvre de nouvelles tous les jours. On se trouve devant « une véritable bibliothèque illustrant l’ingéniosité de la nature ». Exemple : l’escargot à pied écailleux, vivant à - 2.000 m dans l’océan Indien, réalise un exploit dont l’homme est incapable : il fabrique du sulfure de fer à basse température : L’homme va adopter sa technique pour améliorer la performance des panneaux solaires.
N’ayant pas de poumons remplis d’air comme leurs confrères au-dessus, les animaux sous-marins sont insensibles aux énormes pressions des profondeurs. Ainsi, le poisson-limace osseux vit à - 8.500 m C’est la limite pour les poissons, car en-dessous, le fonctionnement de leurs cellules serait affecté.
La nourriture vient surtout d’en haut. Dans les eaux de surface où perce la lumière du soleil, des algues se forment par photosynthèse, dont les krills se nourrissent. Les restes de ces repas, les excréments, et les cadavres tombent en « neige marine », dont profitent plus bas des créatures qui préfèrent cette manne plutôt que de s’épuiser à la chasse tel le vampire des abysses qui n’a qu’à étendre deux de ses dix bras pour déguster. Et la neige qui atteint le plancher océanique fait les délices de ses habitants tel le concombre des mers. Certains animaux suivent des régimes spécifiques : les charognards avec les carcasses de poissons, les palourdes xylophages avec le bois (3 millions de tonnes par an rejetées dans l’océan), les vers zombies avec les os dont ils dissolvent la couche minérale protectrice. « Dans les abysses, il y a très peu de gaspillage » remarque l’auteur. La photosynthèse n’est pas l’unique source d’énergie et de nourriture. La chimiosynthèse utilise l’énergie chimique du sulfure d’hydrogène des cheminées thermales. De même, l’electrosyntèse, utilise l’énergie de minuscules courants électriques entre les roches et l’eau de mer. La vie est possible sans la lumière du Soleil. Le monde sous-marin est décidément fascinant !
Les techniques de reproduction sont d’une incroyable diversité. Les calmars s’accouplent sans discernement peu importe le sexe, et même l’espèce du partenaire. Le concombre est hermaphrodite mais non autofécondant ; il reste fidèle à son partenaire : en témoignent leurs traces parallèles sur la boue de la plaine abyssale, « comme une voie ferrée ». Pour féconder ses œufs, la femelle du ver zombie garde sous la main un harem d’une douzaine de mâles, cent fois plus petits qu’elle. Celle du poisson-pêcheur fusionne dans un baiser permanent de toute une vie avec un mâle fournisseur de sperme. Le trophée du parent le plus dévoué revient à la pieuvre qui couve ses œufs pendant quatre ans, avant de mourir.
La lumière du Soleil est perceptible jusqu’à - 1.000 m. Dans cette zone crépusculaire, les animaux sont presque tous bioluminescents ; la lumière qu’ils émettent se confond avec celle du soleil et les rend quasi invisibles, une technique astucieuse appelée « contre-illumination ». Au-delà de 1.000 m, c’est l’obscurité totale, seulement troublée par les éclairs émis par les chasseurs, comme la pieuvre attirant les petits crustacés sur ses bras lumineux. Certains animaux n’ont pas d’yeux, comme le crabe de Hoff ; ils se guident par le son et l’odeur.
Dans un dernier chapitre, l’auteur s’alarme devant les effets multiples de l’activité humaine aux grandes profondeurs : chalutage de fond, exploration pétrolière (à – 3.400 m !) et minière (en projet). Il lance un appel pour une réglementation plus sévère.
Ce petit livre de 118 pages est passionnant et instructif. Le récit est fluide, parsemé de pointes d’humour. « J’espère que vous ne reviendrez pas tout à fait le même de cette aventure » souhaite l’auteur. Pari gagné !
Clémence Perronnet, Claire Marc, Olga Paris-Romaskevich
(Ed. CNRS Editions, 2024, 240 p. 24€)
Voilà un ouvrage particulièrement opportun à un moment où se creuse l’écart entre la France et nombre de pays comparables dans l’enseignement des mathématiques, notamment auprès des filles. Ce livre est à la rencontre de trois approches, sociologique, mathématique et féministe. Les deux premières sont scientifiques, la troisième est d’un ordre différent. C’est la seule critique que l’on pourrait faire à l’ouvrage du point de vue méthodologique.
Sur le plan pédagogique, le livre est une réussite. Il est bien illustré, repose sur une enquête dont les fondements et les résultats sont très bien présentés. Les références bibliographiques sont limitées à l’essentiel. Les exercices avec leurs corrigés sont attractifs. Au total, il devrait toucher un large public, à commencer par les jeunes filles et leurs parents, sans oublier les enseignants.
On ne peut donc que recommander sa lecture et son utilisation, notamment par les enseignants. La structure de l’ouvrage est particulièrement innovante. Elle pourrait être adoptée ou adaptée pour d’autres champs d’application comme l’IA, l’écologie... On peut souhaiter que CNRS Editions développe une collection en s’inspirant de cette réussite.