Savoir, penser, rêver. Les leçons de vie de 12 grands scientifiques

Sous la direction de Geneviève Anhoury

(Flammarion, 2018, 288 p. 19,90€)

 
Savoir, penser, rêver. Les leçons de vie de 12 grands scientifiques (Collectif, Flammarion, 2018)Belle idée que celle de Geneviève Anhoury d’inviter des chercheurs à se livrer sur leur métier et sur eux-mêmes. Six hommes, six femmes, d’horizons variés, certains très connus, d’autres un peu moins : le médecin chercheur Jean-Claude Ameisen, le psychanalyste François Ansermet, la virologue Françoise Barré-Sinoussi, l’économiste Agnès Bénassy-Quéré, la psychologue Nicola Clayton, le physicien Stéphane Douady, la primatologue Jane Goodall, la généticienne Edith Heard, le philosophe et physicien Etienne Klein, l’assyriologue Cécile Michel, le neurologue Lionel Naccache et l’astrophysicien Hubert Reeves.

Chacun dispose de vingt pages pour décrire ses recherches, mais aussi son parcours, ses émotions, ses combats, ses croyances et ses principes de vie. Evidemment, et c’est l’un des intérêts du livre, on retrouve des points communs dans ces témoignages : la joie de découvrir, de transmettre, le rôle des mentors, le rôle trompeur de l’intuition, l’importance du hasard (la fameuse sérendipité), l’obligation de douter, le courage de savoir faire le pas de côté, de tout reprendre à zéro…

La condition des femmes dans la recherche apparaît sous une lumière crue : selon F. Barré-Sinoussi, la femme doit faire beaucoup plus que l’homme pour être reconnue. On n’écoute tout simplement pas les femmes, constate A. Bénassy-Quéré. Les femmes renoncent plus vite à leur métier de chercheuse, regrette E. Heard.

Ce livre permet de découvrir des personnalités hors du commun et nous donne des coups de projecteur privilégiés sur leurs disciplines. En voici quelques exemples.

On est saisi par le fort engagement personnel de F. Barré-Sinoussi, prix Nobel de médecine 2008, pour la cause du sida : « Vivre pour moi ne m’intéresse guère. C’est en vivant avec les autres et pour les autres que je trouve de l’intérêt à ma propre vie ».

On découvre le personnage extraordinaire de N. Clayton, qui mène de front trois activités professionnelles : la psychologie expérimentale à Cambridge, l’étude de la cognition des oiseaux et la danse. Elle évoque en termes sensuels la parade amoureuse de corbeaux, qu’elle compare à un couple dansant le tango !

Et l’on aime l’émotion ressentie par S. Douady devant une dune de sable (« Regarder une dune, c’est percevoir cet équilibre des forces qui s’est fait avec le temps ») tout autant que sa haine des jardins !

On est impressionné par le parcours de J. Goodall qui, pour toute formation, a suivi des cours de secrétariat, avant de passer sa vie à étudier les chimpanzés. Elle a fondé l’institut qui porte son nom et créé un réseau mondial d’éducation écologique de 150 000 groupes dans 100 pays.

E. Klein rappelle que l’intuition peut être mauvaise conseillère : non seulement pour l’homme de la rue, par exemple sur la course du soleil ou la chute des corps, mais aussi pour les scientifiques, comme Cantor sur les infinis ou Planck sur les quanta, lesquels ne croyaient pas à ce qu’ils avaient découvert.

Le texte de C. Michel est l’un des plus intéressants du livre : elle nous fait partager l’excitation de décrypter des tablettes cunéiformes que personne n’a lues depuis 4000 ans, et être la première à entrer dans un nouveau monde par le biais de l’écriture ; elle a réinventé la technique de l’écriture cunéiforme, et elle organise des ateliers d’écriture dans les écoles !

J.-C. Ameisen explique comment une cellule peut, en se suicidant, se sacrifier au profit de la collectivité.

F. Ansermet prédit, de façon un peu provocatrice, que les marginaux de demain seront les hétérosexuels qui procréent quand ils veulent, sans diagnostic prédictif.

Tout comme F. Ansermet, L. Naccache parle de la plasticité du cerveau, qui ne reste jamais le même. Il nous apprend que « toute perception est une construction, résultat d’un ballet entre conscient et inconscient ».

Ce ne sont là que quelques-unes des multiples perles que l’on découvre au hasard de ces douze rencontres. Laissons à H. Reeves le mot de la fin, que chacun des douze chercheurs pourrait s’approprier : « La réalité du monde est si fantastique et si mystérieuse que je ne vois pas de plus bel objectif dans l’existence que d’avoir envie d’en percer tous les secrets ».