Notes de lecture

Les membres de l’Afas publient régulièrement des notes de lectures. Elles sont à retrouver ici.

Marie-Christine de La Souchère

(Ellipses, 2022, 192 p. 22€)

 
La radioactivité (M.-C. de la Souchère, Ellipses, 2022)La radioactivité n’a pas bonne réputation. Invisible et mystérieuse, elle évoque des images sombres de maladie et de destruction. Marie-Christine de La Souchère entend démystifier le sujet et donner au lecteur les moyens de se forger une opinion raisonnable. Le plan du livre est simple : la découverte, le fonctionnement, les applications, l’environnement.

Paris est le berceau de la radioactivité. Trois savants exceptionnels ont partagé le prix Nobel de 1903 : Henri Becquerel, le découvreur (1896), Marie et Pierre Curie, les maîtres du radium. A Montréal, à l’Université Mc Gill, Ernest Rutherford a réalisé les expériences explicatives décisives (1902).

Le radium a immédiatement suscité un engouement incroyable auprès du public. On le trouve dans les médicaments, la layette, les appâts pour la pêche, les crèmes de beauté, les ceintures amincissantes, les suppositoires pour «rendre aux hommes leur virilité». La fièvre retombe lorsque le produit magique s’avère dangereux (1920, scandale des «Radium Girls»).

Le mécanisme de la radioactivité est fascinant. Dans tout noyau d’atome s’opposent les forces électriques répulsives des protons et la force attractive nucléaire liant protons et neutrons.
S’il y a déséquilibre, le noyau est radioactif. Il éjecte des particules et se transforme en un autre élément «fils», avec forte production d’énergie. Etrangement, le moment de cette désintégration spontanée est totalement aléatoire. Et pourtant c’est selon une courbe précise que la population des noyaux décroît dans le temps (la hauteur de mousse dans un verre de bière suit la même courbe exponentielle !). La demi-vie d’un radioélément est le temps au bout duquel il ne reste que la moitié de ses noyaux initiaux.
Si l’élément fils est lui-même radioactif, le processus se répète. Ainsi l’uranium 238 (demi-vie : 4,5 milliards d’années) mute en thorium 234, qui lui-même se transforme pour aboutir, après quatorze mutations, au plomb 206, non radioactif. Une véritable «alchimie naturelle» !

Les applications de la radioactivité dans de multiples disciplines constituent la partie la plus originale du livre. En voici quelques exemples : la datation au carbone 14 (demi-vie : 5740 ans) a été corrigée et l’âge des premières peintures rupestres de Lascaux est passé ainsi de 17 000 à 21 000 ans. Selon une datation au samarium, la doyenne des roches terrestres serait au Québec (4,28 milliards d’années).
La radioactivité modifie la couleur des diamants naturels, pour le bonheur des faussaires. Source constante d’énergie, elle alimente les missions spatiales depuis Apollo jusqu’aux robots martiens. Elle se fait «mouchard des mers» en traquant les rejets des usines. Elle piège les séquences d’ADN recherchées par les biologistes. Par son rayonnement destructeur, elle réduit les tumeurs cancéreuses, et ce dès 1925. Elle dévoile nos activités cérébrales en 3D (tomographie). Elle démasque des faux en peinture grâce au «pic de la bombe», celui du taux de carbone 14 dans l’air en 1965. Et elle a même stérilisé une momie (Ramsès II).

Les radioéléments peuvent provoquer des lésions graves aux organismes, notamment en cas d’ingestion ou d’inhalation. Certains se fixent sur leur organe préféré, comme l’iode 131 sur la thyroïde. Et de façon plus sournoise, ils bousculent l’ADN des cellules, entraînant un risque de cancer d’autant plus haut que la dose reçue est intense.
Nous sommes tous plongés en permanence dans une soupe de radioactivité naturelle provenant des rayons cosmiques de l’espace, des radioéléments de l’écorce terrestre, de l’air, de l’eau et des aliments. Le radon, descendant gazeux de l’uranium, émane du sol ; il est la deuxième cause de cancer du poumon après le tabac.
Les essais nucléaires du XXe siècle ont engendré des radioéléments encore présents sur le globe. Les vents qui viennent du Sahara sont porteurs de césium 137. L’auteure relate en détails les accidents de Tchernobyl et de Fukushima. En France métropolitaine, toutes ces retombées sont largement en deçà des normes.

Les déchets radioactifs des centrales nucléaires les plus problématiques sont les «actinides mineurs», car non recyclables, non transmutables, à haute activité, et à longue durée de vie, que l’auteure ne chiffre pas (il s’agit de milliers d’années). Mais elle avertit : «Ils constituent une réelle menace pour l’humanité». La seule solution est d’enfouir profondément ces déchets dans le sol. C’est ce que l’on envisage de faire dans le nord de la France.

Lorsque l’on referme ce livre, on a le sentiment d’avoir fait le tour de la question. Les informations sont claires et factuelles, selon la devise annoncée en préface : «ni apologie, ni condamnation». Chaque chapitre est prolongé d’une bibliographie «pour aller plus loin». L’approche historique régulière et l’ouverture sur de multiples disciplines scientifiques renforcent l’intérêt de l’ouvrage.

Anne-Cécile Dagaeff et Agatha Liévin-Bazin

(Belin, 2022, 256 p. 19,90€)

 
Alice au pays des sciences (A.-C. Dagaeff, A. Liévin-BazinLes deux jeunes autrices, diplômées en comportement animal, se déclarent être «des passionnées de bestioles». Sensibilisées à la médiation scientifique, leur objectif annoncé est d’amener un large public à s’intéresser aux sciences. Dans cet ouvrage, elles scrutent le monde imaginaire d’Alice et nous en offrent un regard nouveau, nourri par mille anecdotes scientifiquement étayées.

Saviez-vous qu'Alice aux pays des merveilles est l’un des livres les plus connus au monde ? Edité en 1865, Lewis Caroll lui a donné une suite en 1871 avec De l’autre côté du miroir.

Cette présente analyse, d’un genre inédit, s’articule en deux parties : la première partie s’emploie à détailler l’extraordinaire diversité du bestiaire du monde d’Alice, la seconde partie est dédiée aux comportements de ses habitants, si singuliers. Le plaisir de se replonger dans l’épopée merveilleuse d’Alice imaginée par Charles Dogson (alias Lewis Caroll) nous guide en fil directeur d’une succession d’anecdotes scientifiques précises et fouillées. La gageure de ce livre est de faire correspondre le merveilleux à des données scientifiques ou historiques. Ainsi est d’emblée commenté le sourire si réputé des chats de Chester (Cheshire, région d’origine de Charles Dogson)!

Dans la première partie, il est d’abord question des métamorphoses et des transformations qui surviennent tout au long du parcours agité d’Alice, ceci en parallèle à certains phénomènes connus dans la nature.
Par exemple, nous voilà plongés dans les descriptions des extraordinaires possibilités de camouflage de l’oiseau petit-duc à face blanche et surtout avec les modifications du blob, cet organisme unicellulaire qui n’appartient ni au règne animal ni au végétal et qui change de taille pour explorer l’infini de son territoire.
Nous apprenons aussi que le dodo, cet animal mythique, s’est fait connaître à une échelle mondiale grâce au succès d’Alice aux pays des merveilles. En fait, cet oiseau qui disparut au XVIIe siècle a encore ses reliques les mieux conservées dans un musée à Oxford, où Charles Dogson était professeur de mathématiques.

La deuxième partie commente ce fameux tea party de folie avec le lièvre de mars et le chapelier. Le dérèglement comportemental de ces deux personnages pourrait s’expliquer pour l’un, par la période particulière de reproduction des lièvres en mars, et pour l’autre, par les méthodes de fabrication du feutre des chapeaux à base de mercure pouvant occasionner des incidences neurologiques.
L’attitude de la chenille fumant la pipe, en complet désintérêt du monde alentour, renvoie à une présentation des substances psychotropes et en particulier à celle de l’opium, très à la mode à la fin du XIXe siècle.
Les roses, le thé, ces affinités et occupations so British ont droit aussi à des descriptions historiques et scientifiques très détaillées et intéressantes.
Plus loin, l’hypothèse émise par la reine rouge dans De l’autre côté du miroir : «il faut courir de toute la vitesse de ses jambes pour rester là où on est» ferait allusion aux découvertes contemporaine de Darwin et à la théorie de l’évolution. Si l’on reste en place dans un monde qui bouge, on disparaît.

Pour conclure, il s’agit d’un joli livre très bien écrit, avec une approche scientifique du vivant très originale en forme de patchwork coloré et attractif, digne d’un nouveau cabinet de curiosités du XXIe siècle. La mission de médiation scientifique annoncée par les deux autrices est parfaitement accomplie. Ce livre offre en outre aux lecteurs intéressés de nombreuses pistes pour en savoir plus sur cette nature dont la fragilité inquiète.
A noter que, même si toutes ces interprétations et données scientifiques nous en donnent une nouvelle et captivante lecture, le merveilleux d’Alice demeure hors de toute atteinte !

Tim James

(Dunod, 2022, 232 p. 19,90€)

 
Magique atome (T. James, Dunod, 2022)Tim James est un vulgarisateur scientifique à succès, réputé pour sa verve et son humour. Dans son dernier livre, il s’attaque à un sujet à priori un peu désuet : l’atome et le tableau périodique des éléments, «cette chose hideuse qui devait probablement pendouiller» au mur de la classe.

On démarre en 1669 avec un certain Brandt qui découvre le phosphore en faisant bouillir de l’urine. Il révèle ainsi qu’un élément chimique simple peut se cacher dans un corps composé très différent. Lorsque Lavoisier identifie les composants de l’eau et de l’air (1780), une véritable course aux nouveaux éléments est lancée. Le Britannique John Dalton, quaker autodidacte, observe que ceux-ci se combinent exclusivement dans des rapports simples. Il en déduit qu’ils sont constitués d’«atomes» indivisibles (1808).

Depuis toujours, on a cherché à classer les éléments. Empédocle en identifie quatre : l’air, la terre, l’eau et le feu. Lavoisier classe trente-trois éléments dans quatre catégories. En 1869, le Russe Mendeleïev range soixante-six éléments dans un tableau selon leur masse atomique croissante. Tous ceux qui tombent dans une même colonne sont chimiquement semblables. Pour obtenir cette périodicité, Mendeleïev a eu le génie d’inclure des éléments hypothétiques encore inconnus. Leur découverte ultérieure assurera sa gloire et la consécration de son tableau.

L’atome imaginé par Dalton s’avère divisible : J.J. Thompson découvre les électrons (1897). Son modèle d’atome baptisé «flan aux pruneaux» est taillé en pièces par le Néo-Zélandais Rutherford avec sa fameuse «expérience de la feuille d’or» (1910) : l’atome, c’est un noyau central, des électrons périphériques et 99% de vide.

En 1932, on savait que les atomes étaient tous constitués des trois mêmes particules : les protons, les neutrons (formant le noyau) et les électrons. Comment dès lors expliquer que les éléments présentent des propriétés chimiques aussi différentes ? Ainsi le brome, liquide mauve qui embrase le métal, et le krypton, gaz incolore inerte, ne différent que par un proton et un électron. La réponse à ce mystère est dans la mécanique quantique, nous annonce Tim James. L’équation de Schrödinger (la seule du livre), qui définit non pas des orbites précises d’électrons mais des zones de probabilité, appelées orbitales, «où un électron a le plus de chance de se trouver». (1926). Celles-ci sont de formes variées : «sphères», «haltères», «paquets de ballon». Chaque élément voit ses propriétés chimiques expliquées par son orbitale. Le tableau de Mendeleïev est réaménagé en conséquence (1945). L’auteur le passe en revue avec son style imagé : à chacune des dix-huit colonnes correspond une famille d’orbitales. Il explique pourquoi les métaux sont conducteurs, le mercure liquide («l’excentrique»), le bore cristallin, le fluor violent («égoïste»), les gaz nobles peu réactifs («les snobinards»).

Les électrons peuvent danser sur leurs orbitales, l’élément reste inchangé. Ce n’est plus le cas lorsqu’on touche au noyau. L’auteur raconte comment Rutherford a fait la une des journaux en 1919 en transformant de l’azote en carbone, réalisant ainsi la première transmutation de l’histoire et le vieux rêve des alchimistes.
Lorsque le noyau est grand, il est instable : il éjecte alors des particules, il est radioactif. Dans certaines conditions, il se casse en deux : c’est la fission, le fondement de la bombe atomique et des centrales nucléaires ; elle fut découverte en 1938 grâce aux travaux de l’Autrichienne Lise Meitner, ce qui valut un prix Nobel... à son partenaire masculin, s’indigne un Tim James sarcastique.
Autre femme scientifique oubliée et réhabilitée par l’auteur : l’astronome américaine Cecilia Payne-Gaposchkin, auteure de «la thèse la plus brillante jamais écrite en astronomie» (1925), sur la composition des étoiles, d’où proviennent tous nos atomes terrestres.

Le tableau des quatre-vingt-douze éléments naturels est complété en 1940 avec l’astate, dont il n’existe qu’un gramme sur Terre ! En cette même année, l’homme devient démiurge et crée le premier élément artificiel, le neptunium, suivi par le plutonium. Vingt-six éléments artificiels seront ainsi créés, avec des applications militaires, médicales et industrielles, le dernier en 2016. Peut-on aller plus loin ? Les avis sont partagés.

L’auteur multiplie les sujets connexes parfois inattendus, comme le découvreur méconnu de l’électricité, Stephen Gray, ou la formule chimique du corps humain, sa combustion spontanée, la force des piments, les poisons, la radioactivité de la banane.

Devant ce foisonnement, il se peut que le lecteur peine parfois à se concentrer sur le sujet principal. Mais le style, alerte et enjoué, rend la lecture plaisante, tout en restant instructive. Le cœur de la présentation est techniquement solide et largement à la portée d’un non-initié. Ne boudons pas notre plaisir. Science et divertissement peuvent très bien cohabiter.

Eric Darrouzet, Vincent Albouy

(Quae, 2022, 152 p. 23,50€)

 
Les secrets de la communication animale (E. Darrouzet, V. Albouy, Quae, 2022)Cette collection «Les carnets de sciences», aux éditions Quae, répond bien à l'objectif de s’adresser à un large public soucieux d'«acquérir une culture scientifique». Plusieurs de ses ouvrages ont fait l’objet d’une note de lecture par l'AFAS (notamment Le peuple microbien).

Ce dernier livre, Les secrets de la communication animale, est écrit par deux auteurs, Eric Darrouzet, enseignant chercheur, spécialiste des frelons et des termites, et Vincent Albouy, entomologiste attaché au Muséum national d'histoire naturelle de Paris. Il est découpé en six chapitres, tous illustrés par des photos remarquables et nombreuses et un schéma sur les composés sémiochimiques. Ils sont introduits par cinq à six lignes résumant leur propos.

Les thèmes ne sont pas nouveaux mais leur traitement synthétique et suffisamment précis apporte un contenu scientifique très actuel. On peut citer l’exemple de la communication chimique bactérienne, ou, dans le chapitre «Communiquer pour se nourrir», celui du parasitisme acoustique, signalé pour la première fois par l’entomologiste américain William Cade en 1975.

Dans le chapitre «La communication pour survivre», la communication entre espèces est abordée ; elle présente les signaux communs qu’étourneaux et singes vervets ont appris à reconnaître dans un milieu naturel très bruyant, où les informations sonores sont très nombreuses.

Le dernier chapitre, «Les sociétés animales, un monde de communications», traite entre autres de la nécessité pour les espèces sociales de communiquer pour collaborer. La comparaison des termitières avec les pyramides d’Egypte est osée, mais elle souligne que «ce sont les sociétés les plus nombreuses et les mieux organisées qui peuvent mobiliser les forces suffisantes pour bâtir des constructions complexes».

Les très nombreux exemples traités dans cet ouvrage sur la communication dans le monde animal témoignent de la connaissance scientifique que nous en avons, mais il reste encore beaucoup à découvrir. La question est aussi posée de l’approche nouvelle de cette communication : échanges entre l’émetteur des signaux et son ou ses récepteurs, ou bien système éminemment égoïste permettant l’adaptabilité de cet émetteur à son environnement ?

Le dernier paragraphe de la conclusion ouvre sur un nouveau champ de la communication dans le monde vivant, celui de la communication entre les plantes, champ plein de promesses.

Yannick Béjot

(Ellipses, 2022, 152 p. 14,50€)

 
Les AVC en 100 Questions/Réponses (Y. Béjot, Ellipses, 2022)Ce livre est dédié aux nombreux patients victimes d'AVC (accident vasculaire cérébral) que le Pr Yannick Béjot a soignés dans le service hospitalo-universitaire de neurologie du CHU Dijon Bourgogne.
Il s’inscrit dans une actualité puisque chaque 29 octobre a lieu la journée mondiale des AVC.

En 100 questions/réponses traitées sur environ une page pour chaque, organisées en une quinzaine de chapitres répartis en cinq parties, le point est fait sur :
– les généralités,
– reconnaître et prendre en charge un AVC,
– la prévention,
– vivre après un AVC,
– la recherche dans l’AVC.

Aucune illustration ou schéma dans cet ouvrage, mais le propos est clair, très compréhensible, et les termes scientifiques ou médicaux très accessibles.
Les signes évocateurs de l'AVC sont nombreux et touchent la motricité ou la sensibilité ou l’équilibre ou le mal de tête. Des signes trompeurs pouvant être révélateurs d’un AVC existent également ; le patient pouvant, dans le cas de l’anosognosie, ne pas se rendre compte de son hémiplégie gauche.

28 questions (sur 100) sont consacrées au «vivre après un AVC», avec les séquelles possibles et leur prise en charge, les aspects de la vie quotidienne, les aspects administratifs, professionnels et légaux. Dans cette partie, les informations qu’on souhaiterait trouver au début de la lecture de cet ouvrage sont apportées.

Avec un cas d’AVC ou d’AIT (accident ischémique transitoire) toutes les quatre minutes en France, 140 000 hospitalisations chaque année, cette maladie demande à être diagnostiquée et traitée au plus vite. Aussi cet ouvrage se révèle-t-il d’une grande utilité.

Jacques Treiner

(Le Pommier, 2022, 120 p. 12€)

 
L'âge de la Terre (J. Treiner, Le Pommier, 2022)«Nous le savons depuis plus de soixante-dix ans : la Terre a 4,5 milliards d’années». Dès la première phrase de son livre, Jacques Treiner nous annonce la conclusion de l’histoire qu’il va nous raconter : celle de la quête de l’homme pour déterminer l’âge de notre Terre. En voici les grandes lignes.

Commençons par cet étonnant mythe sumérien, vieux de 4000 ans : les dieux créent les hommes, puis les détruisent sous un Déluge ; un seul être humain survit, avec ses proches et quelques animaux. La Bible reprend ce même thème quelque mille ans plus tard. Au XVIIe siècle, c’est en se référant à la Bible que de grands savants comme Kepler, puis Newton calculent que tout a commencé 4000 ans av. J.-C. Pourtant des esprits éclairés et courageux insistent pour cesser la lecture littérale de ces textes : Averroès pour les musulmans, Spinoza pour les juifs, Galilée pour les chrétiens.

La science ne s’est pas attaquée de front à la grande question de l’âge de la Terre. Le prix Nobel François Jacob a écrit : «Le début de la science moderne date du moment où aux questions générales se sont substituées des questions limitées ; où au lieu de se demander : comment l’Univers a-t-il été créé ? […], on a commencé à se demander : comment tombe une pierre ? […]».

Ou comment les sédiments s’accumulent ? Les géologues comprennent, à la fin du XVIIe siècle, que les épaisseurs de sédiments qu’ils observent supposent des temps très longs, de dizaines de millions d’années. Les 4000 ans de la Bible et de Newton apparaissent dérisoires.

Mairan, savant méconnu du XVIIe siècle, démontre l’existence d’un grand réservoir de chaleur dans la Terre. Buffon s’empare du sujet : selon lui, la Terre est un morceau de Soleil en train de refroidir. L’âge de la Terre serait donc le temps mis par celle-ci pour atteindre la température actuelle. Dans ses forges de Bourgogne, il porte des boulets de fer à incandescence, ainsi que d’autres matériaux, et observe leur temps de refroidissement, le toucher du doigt lui servant de thermomètre ! (1770). En extrapolant tout cela au globe terrestre, il lui calcule un âge de 75 000 ans. Il note néanmoins dans ses carnets que la géologie dicte un âge de plusieurs millions d’années. Dans son livre, il s’en tient au chiffre de 75 000 ans (peut-être par crainte de censure de l’Eglise ; mais l’auteur ne l’évoque pas).

Lord Kelvin reprend l’idée de Buffon en appliquant les dernières avancées de la thermodynamique. Certaines de ses hypothèses sont incorrectes. Il est persuadé qu’il n’y a aucune source active de chaleur dans la Terre ; ce qui sera démenti par la découverte d’éléments radioactifs. Son modèle de propagation de la chaleur dans le noyau terrestre est incomplet, car ignorant la convection. Finalement, Kelvin estime l’âge de la Terre à 100 millions d’années maximum (1847), ce qui déclenche l’opposition violente de Darwin, convaincu qu’il dépasse le milliard d’années du fait de la géologie et de l’évolution des espèces.

La découverte de la radioactivité va permettre de mettre en place des chronomètres fiables et donner raison à Darwin ! Un atome radioactif, par nature instable, éjecte des particules de son noyau et se transforme en un autre élément. Cet évènement est aléatoire. Mais la décroissance dans le temps d’une population d’atomes radioactifs suit une loi très précise, que l’on utilise pour mesurer l’âge de l’objet. Chaque élément radioactif est caractérisé par sa demi-vie, le temps qu’il faut pour que la moitié de la population soit désintégrée. Pour mesurer l’âge de la Terre, on utilise l’uranium 235 et l’uranium 238 dont les demi-vies respectives sont de 0,7 et 4,5 milliards d’années. Ceux-ci subissent plusieurs mutations avant de se transformer en plomb stable.

Il n’y a pas d’objet terrestre d’origine. C’est donc paradoxalement sur les météorites que l’on fait les mesures : elles ont été formées avec le Système solaire et sont jumelles de la Terre. C’est le cas de celle tombée en Arizona il y a 25 000 ans, formant un cratère de 1,2 km, toujours visible (Meteor Crater). La mesure réalisée en 1953 a donné 4,55 milliards d’années. Les recherches continuent pour mieux comprendre cette période floue d’accouchement du Système solaire qui a tout de même duré quelques millions d’années.

Jacques Treiner prolonge son livre par des développements mathématiques concernant tous les sujets abordés. Du niveau de la terminale scientifique et de la licence de sciences, prévient-il.

Evoquons une réflexion de l’auteur sur les effets pervers de l’excès du doute dans les sciences. Il a traduit le livre américain Les Marchands de doute (2010) qui expose les techniques de lobbying consistant à nourrir la controverse à tout prix. Il cite Poincaré : «Douter de tout ou tout croire sont deux solutions également commodes, qui nous dispensent de réfléchir».

En résumé, ce petit livre (120 pages) est généralement assez facile à lire et très instructif.

Carlo Rovelli

(Dunod, 2022, 208 p. 18,90€)

 
Relativité générale. L'essentiel (C. Rovelli, Dunod, 2022)Ce livre de Carlo Rovelli a pour objectif de présenter les fondements de la théorie de la relativité générale en distinguant trois approches :
– celle de la physique, en mettant en avant tout particulièrement l'importance de la théorie de Maxwell sur l'électromagnétisme, qui a très largement inspiré Einstein dans la construction de la relativité générale ;
– celle de la philosophie : Einstein a eu l'idée que l'espace et le temps tels que les décrit Newton sont en réalité des entités qui sont la manifestation du champ gravitationnel ;
– celle des mathématiques : les découvertes de Gauss sur les surfaces courbes et les espaces courbes se sont avérées particulièrement efficaces pour décrire la gravité et la relativité générale.

A partir de là, l'auteur présente la théorie de la relativité générale et ses applications : limite newtonienne, ondes gravitationnelles, cosmologie, champ créé par une masse, trous noirs et gravité quantique.

Ce livre nécessite une bonne culture scientifique indispensable pour aborder ces notions complexes.

James Edward Gordon

(EPFL Press, 2022, 432 p. 24,20€)

 
Structures. Pourquoi les choses tiennent debout (J. E. Gordon, EPFL Press, 2022)Ce livre, rédigé par James Edward Gordon dans les années soixante-dix et publié en 1978, est aujourd'hui enfin édité en français, plus de quarante ans plus tard. Il est et reste un ouvrage de référence pour tout ceux qui souhaitent comprendre comment réagissent les matériaux qui composent non seulement les objets parmi lesquels nous vivons mais aussi la vie qui nous entoure : les ponts, les barrages, les maisons, les avions, mais aussi les squelettes de vertébrés, les ailes d'oiseaux, les artères, les arbres, etc.

L'auteur rend compréhensible le fonctionnement des structures, même pour des néophytes, tout en restant rigoureux et scientifique. Ainsi, les ingénieurs et scientifiques pourront compléter leurs connaissances et
mieux comprendre les principes fondamentaux des sciences des matériaux. Quant aux néophytes, grâce à des comparaisons simples, ce livre leur donnera accès à des notions à priori incompréhensibles, comme l'élasticité, la contrainte, l'énergie de rupture, le cisaillement ou la torsion, la compression... !

Le livre se termine par une réflexion philosophique sur la thématique «efficacité et esthétique», qui est tout à fait d'actualité.

Denis Collin

(La nouvelle librairie, 2022, 118 p. 13€)

 
Malaise dans la science (D. Collin, La Nouvelle Librairie, 2022)Platon comme Aristote opposent la connaissance, l’épistémè, à l’opinion, la doxa.
Face au transhumanisme, face à l’apparition de robots tellement «intelligents» qu’ils seraient appelés à nous supplanter, face aux contrôles sociaux multiformes que permet le big data, face à tous ces «prodiges» que la technique alliée à la science rend désormais possibles, la question est aujourd’hui de savoir si nous ne confondons pas de plus en plus connaissance et opinion, science et idéologie.

Le philosophe Denis Collin, dans un petit livre intitulé Malaise dans la science, cherche à comprendre et à faire comprendre ce que nos sociétés modernes développées ont fait de la science, qui est à la fois référence ultime et cible de toutes les critiques, qui est à la fois, telle une idole, vénérée et rejetée.

Il cite Épicure : «Mieux vaudrait consentir à souscrire un mythe concernant les dieux, que de s’asservir aux lois du destin des physiciens naturalistes : la première option laisse entrevoir un espoir, par des prières, de fléchir les dieux en les honorant, tandis que l’autre affiche une nécessité inflexible». On ne peut mieux dire. Faute de Dieu, ou de dieux, ne sommes-nous pas en effet pris dans une nécessité inflexible ?

Avec Thalès et Pythagore naquirent les mathématiques, avec Galilée la physique, avec Lavoisier la chimie, et désormais, avec la révolution de la biologie, ce n’est plus seulement la nature que nous observons, de l’extérieur, c’est sur nous-mêmes que nous nous penchons. Quand le sujet qui observe est aussi l’objet observé, la vérité change de sens.

Descartes nous voulait, grâce à la connaissance scientifique, «maîtres et possesseurs de la nature». Nous lui avons obéi, et avec quel zèle ! Et maintenant, maîtres et possesseurs de la nature, nous serions aussi maîtres et possesseurs de nous-mêmes, qui sommes partie de la nature. Il y a là une difficulté majeure, une aporie comme disent les philosophes : quel sens cela a-t-il d’être «maître et possesseur de soi-même» ?

Denis Collin propose la philosophie en remède à ces excès, à ces contradictions, à ces non-sens. Cela est certes un plaidoyer pro domo, c’est aussi une très pertinente invitation à la réflexion.

Son livre, dont ces quelques lignes ne donnent qu’un très imparfait aperçu, est accessible aux non-philosophes, il est bien écrit et facile à lire, il mérite d’être lu par ceux qui s’interrogent sur le rôle de la science et sur notre avenir.

Bernard Faye, Gaukhar Konuspayeva, Cécile Magnan

(Quae, 2022, 204 p. 32€, gratuit en eBook)

 
L'élevage des grands camélidés (B. Faye, G. Konuspayeva, C. Magnan, Quae, 2022)Avec ce guide pratique, on pouvait s’attendre à un livre peu passionnant sur cette espèce animale peu présente en France si ce n’est dans les cirques et les parcs zoologiques. C'est tout le contraire, les auteurs réussissent fort bien à intéresser le lecteur à tous les aspects de la vie des grands camélidés. L’on apprend même que certains pays européens ou américains ne les élèvent pas à des fins touristiques mais aussi avec une vocation agricole (lait, viande).

Tout d’abord, ils nous rappellent que ces espèces ont pour origine l’Amérique du Nord, où ils étaient présents il y a quarante millions d’années. Puis ils ont migré soit vers l’Amérique du Sud soit vers l’Asie pour donner respectivement les petits camélidés andins (lama, alpaga, guanaco, vigogne) et les grands camélidés (dromadaire, chameau de Bactriane et chameau de Tartarie). Le plus étonnant est de découvrir la grande diversité de la population cameline mondiale, fort bien illustrée par les photos des douze phénotypes du dromadaire et des quatorze phénotypes de chameaux rencontrés dans divers pays d’Asie.

Ce guide pratique décrit successivement les généralités sur l’espèce, les bases physiologiques de la reproduction, de la lactation et de l’alimentation, les principales productions, ainsi que la gestion de la santé et de l’hygiène en élevage camelin. Tout est parfaitement illustré (photos ou dessins, tableaux, histogrammes...).

Cet ouvrage est remarquable par l’ensemble des données apportées sous un format très pratique. Particulièrement agréable à lire, d'un genre trop rarement disponible en langue française, il nous apprend beaucoup sur les grands camélidés.