Les membres de l’Afas publient régulièrement des notes de lectures. Elles sont à retrouver ici.
Daniele Vegro
(Belin, 2019, 392 p. 23€)
Galilée n’a pas écrit ses mémoires ? Qu’à cela ne tienne : Daniele Vegro les invente ! Il donne la parole à Galilée, qui nous raconte sa vie en 300 pages, plongeant le lecteur dans l’intimité d’un des plus grands génies de l’histoire des sciences.
Ce qui frappe d’emblée, c’est le style. Galilée parle (car il dicte son texte) un langage fleuri, un peu grossier, truffé d’insultes et de jurons, ce qui, apparemment, est conforme à la réalité historique, ou presque.
Galilée croit aux vertus de l’expérience, et, plus encore, aux mathématiques. Vulgarisateur hors pair, il expose ses thèses, à l’aide de démonstrations brillantes et de dialogues à l’ironie dévastatrice. Il se livre à des attaques mordantes du système d’Aristote, clé de voûte de la cosmologie chrétienne. Il s’aventure même à de subtiles analyses théologiques comme l’incompatibilité de l’atomisme et du mystère de l’Eucharistie !
L’homme Galilée évoque son enfance, son père musicien, ses choix de carrière, ses trois enfants, et leur mère (qu’il abandonne), ses soucis d’argent, ses douleurs arthritiques. Nous découvrons le contenu des cours de l’Université (de l’astrologie pour les étudiants en médecine !), les grades de professeurs, leurs salaires, les montants exorbitants des dots de mariée, et aussi l’incroyable excommunication en 1606 de la République de Venise toute entière, ainsi que les ravages de la peste.
On revit avec émotion cette fameuse année 1610 qui va bouleverser la vie personnelle de Galilée (qui a 46 ans), mais surtout la vision que la science porte sur le monde. Grâce à un nouvel instrument venu de Hollande, la lunette, qu’il perfectionne, Galilée va faire, en quelques mois, une série de découvertes inégalée dans l’histoire des sciences : les satellites de Jupiter, les montagnes sur la Lune, les étoiles de la Voie lactée, les phases de Vénus, les taches dans le Soleil. Chacune de ces découvertes rend plus probable la thèse de Copernic du mouvement de la Terre. Un véritable coup de tonnerre dans le ciel de la science naissante. Kepler le soutient. Toute l’Europe scientifique applaudit.
Nous suivons alors notre conteur dans son combat pour faire accepter le système de Copernic par l’Eglise. Galilée est au centre d’une pièce aux multiples acteurs. Il y a les amis : le père Sarpi, le Vénitien excommunié, le complice des débuts, qui a fourni la fameuse lunette ; le prince Cosme II de Médicis, le protecteur, sans qui, dit-on, Galilée aurait été brûlé dès 1616 ; le prince Cesi, à la tête de la première Académie des sciences de l’histoire, dite des Lynx, qui a toujours soutenu Galilée, tout comme Kepler en dehors d’Italie. Il y a les ennemis : le jésuite Bellarmo, qui a déjà condamné Bruno au bûcher ; il est à l’origine de la première condamnation (discrète) de Galilée en 1616. Et puis, il y a le mystère de Maffeo Barberini, ami et admirateur de Galilée. Lorsqu’il est élu pape, sous le nom d’Urbain VIII, Galilée exulte. Mais l’ancien ami se transforme en un ennemi implacable et cruel. L’auteur montre bien que le combat du savant est une longue succession d’espoirs, de déceptions, et d’incompréhensions. Galilée avait des stratégies peut-être discutables, sondant l’ennemi à coups de ballons d’essai, faisant preuve d’optimisme exagéré. Mais, de toute évidence, il comprenait mieux les mystères du cosmos que ceux de la curie romaine.
L’auteur met fin à ces faux mémoires au moment où Galilée, bloqué quelques jours par une quarantaine due à la peste, reprend son voyage pour Rome, où les juges l’ont convoqué. On manque ainsi les neuf dernières années de la vie de cet homme exceptionnel et on peut le regretter.
On peut aussi regretter que Galilée n’évoque pas un peu plus son travail de scientifique. Par exemple, il a mis dix ans à mettre au point sa loi sur la chute des corps. Sa première version était fausse et il a ensuite corrigé son erreur. Il aurait été intéressant d’imaginer le vieux Galilée racontant ce lent processus qui a donné naissance à l'une des premières lois de la science moderne.
L’auteur met à disposition une bibliographie très détaillée qui montre, s’il en était besoin, le sérieux de son entreprise. Quelque six cents commentaires de l’auteur ou de spécialistes de Galilée donnent un éclairage sur le texte des faux mémoires. Ainsi, les « erreurs » connues de Galilée sont bien identifiées : les marées, les orbites circulaires, les comètes, Saturne.
Ce livre est une bonne surprise, même pour qui connaît déjà bien l’histoire de Galilée. Daniele Vegro réalise là un tour de force. Il a su créer un Galilée vivant et vrai. Le livre est d’une lecture facile et souvent savoureuse, et s’inscrit bien dans la réalité historique. Les notes bibliographiques fourmillent d’informations passionnantes pour qui est intéressé à l’histoire des sciences. Des faux mémoires crédibles !
Franklin Lambert et Frits Berends
(EDP Sciences, 2019, 340 p. 34€)
Ce livre, préfacé par Thibault Damour, a pour auteurs deux professeurs émérites, le premier de physique mathématique à la Vrije Universiteit Brussel et le second de physique théorique à l’Institut Lorentz de l'université de Leiden. Le titre, curieux, de cet ouvrage est inspiré d'une expression utilisée par Albert Einstein dans une lettre privée. Le sous-titre est heureusement plus explicite.
Avant la première guerre mondiale, il n'existait pas de réunions scientifiques régulières. Un entrepreneur, Ernest Solvay, qui avait dirigé une très brillante réussite industrielle et commerciale, était un autodidacte visionnaire qui se croyait capable de découvrir les lois générales de la physique par ses intuitions et sa seule réflexion. Il a souhaité faire valider ses conceptions par un «corps savant autorisé». En 1911, il invite à Bruxelles vingt-et-un physiciens européens éminents pour discuter des contradictions apparues, selon lui, après l'introduction des échanges quantifiés entre matière et rayonnement. Cette quantification avait été introduite par Max Planck en 1900 pour rendre compte de la répartition en fonction de la longueur d'onde de l'énergie d'un rayonnement en équilibre avec de la matière. Une première quantification avait été rencontrée pour la charge électrique mais son importance n'avait pas été mise en évidence et les recherches se poursuivaient avec les anciennes théories de la physique du continu. La réunion tenue du 30 octobre au 3 novembre 1911 constitue un événement important de l'histoire de la physique : l'acceptation par la communauté des physiciens professionnels de l'existence d'échanges de quantités quantifiées. Les communications et les discussions montrent les difficultés rencontrées quand apparaissent de profondes innovations conceptuelles. Peu après, à la séance du 4 décembre de l'Académie des sciences de Paris, Henri Poincaré montre que l'existence des quanta résulte nécessairement de la répartition de l'énergie des rayonnements trouvée par Max Planck et vérifiée expérimentalement.
A la suite de la réunion, un Comité scientifique international est constitué. Grâce aux libéralités d’Ernest Solvay, il prépare la tenue d'un second Conseil et distribue des subsides à des laboratoires qui en ont fait la demande. C'est ainsi, par exemple, que la somme attribuée à James Frank et Gustav Hertz leur a permis d'étudier les collisions d'électrons rapides avec des atomes de mercure, d'où a été déduite expérimentalement la quantification des énergies des électrons dans un atome (ce résultat a été récompensé par le prix Nobel de physique de 1925).
Un second Conseil s'est tenu en 1913. Il a été marqué par deux événements importants : d'une part les déviations importantes de particules alpha par des atomes qui conduisent à concevoir l'existence de noyaux atomiques de très petites dimensions et, d'autre part, la diffraction de rayons X par des cristaux, ce qui permet d'accéder à leur structure.
Si le compte rendu du premier Conseil avait été édité par Paul Langevin et Maurice de Broglie en 1912, l'édition concernant le second Conseil a été retardée jusqu'en 1921 par la première guerre mondiale.
Après cette guerre, un troisième Conseil s'est tenu en 1921 mais sans la présence de physiciens allemand ou autrichien (Albert Einstein a été le seul invité, mais, dans ces conditions, il a refusé de participer). Cette réunion a été marquée par la théorie qui a permis de déterminer les diverses positions possibles d'un électron dans un atome d'hydrogène.
Un quatrième Conseil a eu lieu en 1924 avec un seul invité autrichien : Erwin Schrödinger (Albert Einstein ayant renouvelé son refus d'être le seul invité allemand). En revanche des physiciens américains et soviétique étaient présents.
Le dernier Conseil, qui a pu être présidé par Hendrik Lorentz et qui est étudié dans ce livre, s'est tenu en 1927 en présence de physiciens du monde entier. Il y a été discuté des effets Compton et des débuts de la mécanique quantique : rapports de Louis de Broglie, Werner Heisenberg et Erwin Schrödinger.
Ce livre est très documenté (les auteurs ont effectué une exploitation fort poussée des correspondances des physiciens concernés, conservées en des lieux les plus divers). Les illustrations, certaines inconnues du public jusqu'ici, sont nombreuses ; on peut simplement regretter la mauvaise qualité de certaines reproductions. La bibliographie est spécialement abondante. Le style est vif et clair. Ces rappels d'innovations importantes de l'histoire de la physique et la restitution des contextes dans lesquels elles se sont produites sont utiles pour apprécier les progrès accomplis pendant cette courte période.
Catherine Bréchignac et Arnaud Benedetti
(humenSciences, 2019, 173 p. 20€)
Voilà un livre tout à fait d’actualité pour tous ceux qui s’interrogent sur la relation entre science, technique et société et, encore plus globalement, sur l’impact de l’accélération du mouvement scientifico-technologique sur la marche et le devenir de notre monde.
Il ne s’agit pas d’un essai didactique bardé de références et de présentations savantes sur l’état de la science aujourd’hui. Les deux auteurs ont choisi la forme de la conversation entre amis, qui les fait balayer, au fil de sept chapitres qui sont autant d’entrées, l’articulation entre l’évolution accélérée des sciences et des techniques et ses conséquences sur le devenir du monde.
De l’écran, l’image et le développement de la réalité virtuelle (chapitre 1) on passe à la tyrannie de la com’ (chapitre 2) et son risque d’hystérisation de la société, puis aux fake news (chapitre 3) et au besoin d’une culture générale comprenant la CSTI [1] face aux risques de la post-vérité, puis à l’intelligence artificielle (chapitre 4) qui amène à repenser l’intelligence rationnelle, l’intelligence de situation et la conscience, puis à notre planète (chapitre 5) affrontée aux sociétés de la surconsommation et du déchet et à la croissance démographique, qui invente le concept de biodiversité et qui s’interroge sur une décroissance salvatrice, puis au post-humanisme (chapitre 6) qui passe de l’homme réparé à l’homme augmenté en vue de la préparation d’un surhomme avec toutes les conséquences que cela pourrait avoir en termes d’inégalité entre les humains et de risques de transgression, et enfin à nos limites (chapitre 7), limites des lois physiques telle celle de la vitesse de la lumière qui imbrique l’espace et le temps, finitude de notre planète, limites de l’intelligence rationnelle, risque d’inhumanité d’une société technicienne et son refus de la mort, limites de la politique et risque d’a-démocratie.
Riche de la verve et de la culture de chacun des duettistes, l’ouvrage pose la question fondamentale de ce qu’est la science et la marche de la connaissance dans la controverse entre un pessimiste redoutant l’hubris du développement technologique et une optimiste plaidant la cause de la raison raisonnable et de l’universalité de la science. L’Homme est un animal politique et un animal technologue, sa condition est le mouvement, auquel il ne peut échapper.
A chacun de construire sa conclusion...
Sébastien Bohler
(Robert Laffont, 2019, 270 p. 20€)
L’homme a atteint l’extraordinaire stade de développement que nous connaissons aujourd’hui. Il l’a atteint car son corps lui a permis cette performance. Son corps, c’est-à-dire son corps en entier, à commencer par son cerveau.
Son corps, et donc aussi son cerveau, se sont adaptés, au fur et à mesure, millénaire après millénaire, à toutes sortes d’événements et de contraintes extérieures. Chaud, froid, pénurie, surabondance, maladies, catastrophes naturelles, guerres... non sans mal, non sans beaucoup de pertes, il a traversé tout cela et est devenu ce qu’il est désormais.
La question que pose Le bug humain est la suivante : notre cerveau n’est-il pas devenu notre ennemi ? Les qualités qui lui ont permis de surmonter tant d’obstacles, et que ces obstacles mêmes ont contribué à forger, ne se retournent-elles pas contre nous ?
Sébastien Bohler, journaliste spécialiste des neurosciences, décrit longuement le fonctionnement de la partie du cerveau qui est en cause ici, le striatum. Elle est celle qui secrète la dopamine, l’hormone dite de la récompense. Tous les animaux sans exception ont un striatum. Il est la vie. Il est la voix intérieure qui nous dit, ainsi que l'écrit l'auteur : « Va, mange autant que tu peux car la nourriture n’est pas donnée dans ce monde. Va, copule autant que tu peux car plus ta descendance sera nombreuse, plus tu auras de chances de transmettre tes gènes à la postérité. Va, montre-toi plus important que les autres, car c’est ainsi que tu t’assureras une situation qui te garantira des ressources matérielles et des partenaires sexuels. Va, avale autant d’informations que tu pourras sur le monde qui t’entoure car cela augmentera tes chances de t’en sortir. Et fais cela plus que les autres, car sinon ce sont tes gènes qui seront submergés par ceux de tes concurrents. En conséquence, ne te modère surtout pas, ne te limite pour rien au monde. »
La sélection naturelle sélectionne les individus ayant un striatum en bon état de marche, un striatum dont le message exprime bien, fort et clair, ce toujours plus conditionnant la survie.
Oui mais voilà, comme le dit le sous-titre du livre, Pourquoi notre cerveau nous pousse à détruire la planète, une exploitation illimitée de ressources limitées est impossible.
Notre striatum nous mène-t-il à notre perte ?
Heureusement notre cerveau contient aussi le cortex, qui nous rend capable de raison, de conscience. C’est lui, le cortex, qui fait le constat de cette impossibilité de l’exploitation illimité de ressources limitées.
Le constat suffira-t-il ?
Car le striatum garde, gardera, il est indispensable qu’il le fasse, toute sa force.
L’ouvrage, très documenté, mentionne de nombreux modes d’action du striatum, et du cortex aussi, ainsi que, sous leurs multiples facettes, les répercussions individuelles, sociales, politiques des uns et des autres.
Lequel des deux l’emportera, le striatum ou le cortex ?
Deux hypothèses sont envisagées.
La première consisterait à prendre le striatum à son propre jeu. Puisqu’il nous contraint au toujours plus, faisons en sorte de l’orienter vers des toujours plus préservant l’avenir : toujours plus de frugalité, toujours plus de modestie, toujours plus d’altruisme... Les religions s’y sont essayé. Leur succès n’est pas flagrant.
La seconde consiste à faire fond sur le cortex, c’est-à-dire sur la conscience. En effet, les injonctions du striatum sont obéies tant qu’elles sont inconscientes, masquées. Mises au jour, elles s’évanouissent, car en effet nous savons bien ce qu’elles ont d’absurde. Mais entre conscience et inconscience, entre action décidée et action de type réflexe, la partie n’est pas gagnée d’avance. C’est le pari de la raison.
Le bug humain offre un surprenant autant que séduisant point de vue sur un sujet de grande actualité, notre responsabilité dans l’avenir de la planète.
Nicolas Coltice, Romain Jolivet, Jean-Arthur Olive, Alexandre Schubnel
(CNRS Editions, 2019, 168 p. 18€)
L’homme, qui a colonisé la Terre, n’en appréhende bien que la surface. Le livre La Terre à l’œil nu nous conte, de façon pédagogique, l’histoire des découvertes qui permettent maintenant de comprendre ce qui s’y passe à l’intérieur.
Le texte se divise en dix chapitres, dans lesquels des scientifiques nous montrent les phénomènes qui régissent les soubresauts de notre planète et aussi de quoi elle est constituée.
Les premières bombes atomiques humaines ont fait vibrer la Terre et ont initié des phénomènes inquiétants, qui sont à l’origine de la création de Greenpeace. Le tsunami de Fukushima, quant à lui, nous a rappelé la puissance des phénomènes qui se passent sous nos pieds. Cette puissance se manifeste par les volcans et les séismes, auxquels sont consacrés les deux premiers chapitres. On y découvre le fonctionnement des volcans et leur relation avec la vie terrestre. Le mécanisme des séismes est expliqué et l'on comprend pourquoi il est impossible de les prédire.
Dans les chapitres suivants, on étudie la relation entre la tectonique des plaques et le climat, puis on explore les fonds marins, toujours très mal connus. On nous montre ensuite que depuis l’envoi des satellites d’observation, on constate que la Terre se déforme : elle gonfle par endroit et se dégonfle à d’autres. Le manteau est ensuite étudié : il se situe vers 35 km de profondeur et aucun forage ne pouvant y accéder, sa composition est trouvée de façon indirecte. Après le manteau, on s’intéresse au noyau, qui est le cœur de la Terre. Constitué majoritairement de fer fondu, sa température est de l’ordre de 5000 °C. Sa composition métallique génère des courants électriques et un champ magnétique que l’on peut mesurer en surface. Très curieusement, on apprend que le pôle Nord se déplace actuellement d’une soixantaine de kilomètres par an.
Naturellement, un chapitre est consacré aux minéraux terrestres, dont on recense 4750 espèces. Etonnamment, les météorites n’en comportent que 250. On apprend aussi comment le diamant se forme à grandes profondeurs.
Enfin, le dernier chapitre explore l’espace et compare la Terre à ses homologues qui tournent autour du Soleil mais aussi aux nouvelles mystérieuses exoplanètes.
La Terre à l'oeil nu a été rédigé par des scientifiques ayant l’objectif de transmettre les connaissances scientifiques de façon accessible à tous. Les illustrations sont amusantes et peuvent séduire les plus jeunes. Ce livre peut être lu avec grand intérêt par des lecteurs de tous âges et de toutes formations.
Sous la direction de Denis Guthleben
(CNRS Editions, 2019, 226 p. 24€)
Ce très bel ouvrage, sous couverture cartonnée grand format, est édité à l’occasion du 80e anniversaire du CNRS, ce que souligne la jaquette «Le livre anniversaire du CNRS».
La publication de cet ouvrage a été dirigée par Denis Guthleben, historien, attaché scientifique au Comité pour l’histoire du CNRS, qui a écrit les quatre textes du chapitre introductif. Le même historien avait publié en 2009, chez un éditeur privé, une excellente – à mon avis – Histoire du CNRS de près de 600 pages.
Le présent ouvrage, très bien présenté et imprimé, avec de nombreuses illustrations couleurs, rassemble un ensemble de 19 chapitres scientifiques, précédés d’un chapitre introductif. Chaque chapitre comporte plusieurs textes spécialisés mais à vocation grand public, écrits par plus de 80 auteurs, universitaires et chercheurs, dont les noms et affiliations figurent en annexe.
Avant d’examiner plus en détail le contenu de cet ouvrage, sur lequel je porte une appréciation d’ensemble très positive, je me dois d’émettre une critique, qui est aussi un regret.
Les recherches menées dans les différents laboratoires du CNRS sont rattachées aux 41 sections scientifiques du Comité national. Les sections 1 à 30 peuvent être qualifiées – à de rares exceptions près comme l’économie – comme relevant des sciences dites «dures», par opposition aux sciences «douces» qui relèvent en majorité des sections 31 à 40.
Curieusement, cet ouvrage ne s’intéresse presque exclusivement qu’à ces sciences dures, au détriment des sciences de l’Homme et de la société, qui ne sont effleurées marginalement que dans certains textes.
Les concepteurs de cet ouvrage considèrent-ils que les sciences de l’Homme n’ont pas leur place pour «bâtir un nouveau monde»?
Cela étant dit, examinons de plus près le contenu de cet ouvrage, qui s’ouvre sur une présentation générale, suivie d’un chapitre intitulé Au commencement la liberté, contenant trois exposés, le tout sous la plume de Denis Guthleben. Le premier texte retrace le processus de création du CNRS, juste avant la seconde guerre mondiale, par Jean Perrin et Jean Zay, le deuxième rappelle la fondation, dès l’année 1930, de l’IBPC (Institut de biologie physico-chimique), dont les brillants résultats scientifiques ont inspiré la réorganisation de la recherche française, et le troisième met l’accent sur le parcours militant de l’ethnographe Germaine Tillion, qui, elle aussi, avait entrepris ses travaux de recherche dans les années trente.
Vient ensuite la partie proprement scientifique de l’ouvrage, qui comporte 18 chapitres couvrant un grand nombre de domaines scientifiques et un chapitre sur le CNRS et l’Europe.
Je crois intéressant de lister ici les titres de ces chapitres, afin de montrer l’étendue du domaine scientifique parcouru, à la restriction près énoncée ci-dessus : Au cœur de la matière – Observer jusqu’aux confins de l’Univers – Qu’est-ce que la vie ? – Au défi de la Terre – Mathématique, mathématiques – Saisir un monde en mouvements(s) – La transition énergétique – L’océan comme laboratoire – Les médicaments, du laboratoire au patient – Les atomes, un siècle après Jean Perrin – L’ingénierie, une science, un art... – Les neurones entrent en scène – L’informatique, une science à part – Les économistes à la conquête du vaste monde – L’horizon européen du CNRS – Les matériaux, une longue histoire – Une chimie verte enracinée dans la société – Environnement et développement durable – Le changement climatique : étudier, comprendre et agir!
Chacun des chapitres comporte plusieurs articles, illustrés en couleurs et signés par des spécialistes du domaine.
Il n’est pas question de tenter ici de résumer les articles contenus dans les différents chapitres ; ce n’est pas le but d’une note de lecture et de plus, ces articles sont déjà concis par eux-mêmes. Il faut d’ailleurs savoir gré aux différents auteurs d’avoir su utiliser un langage non spécialisé, accessible à tous les publics.
Pour résumer, si l’on oublie la réserve concernant les sciences de l’Homme et de la société, nous avons là un beau document qui donne un bon aperçu d’une partie de l’activité scientifique au sein du CNRS.
Nicole Le Douarin
(CNRS Editions, Collection Les grandes voix de la recherche, 2019, 64 p. 8€)
L’objet de cette collection des éditions du CNRS est de donner la parole aux lauréat-e-s de la médaille d’or du CNRS, afin qu'ils ou elles retracent leur parcours en textes courts d’une cinquantaine de pages. Ces Grandes voix de la recherche peuvent aussi être écoutées sous forme de livre audio.
Le premier poste de Nicole Le Douarin comme enseignante est à Caen, après l’agrégation de sciences naturelles. Elle rejoint en 1958 le CNRS, entité récente créée juste avant la deuxième guerre mondiale, après sa rencontre heureuse avec Etienne Wolff, directeur d’un laboratoire dynamique de biologie et de développement.
Ses recherches porteront sur l’embryon d’oiseau, matériel expérimental remarquable car il permet d’observer facilement la transformation rapide de l’embryon. L’utilisation d’un nouveau matériel, l’œuf de caille, et la découverte de la particularité cellulaire, un nucléole géant, avec non seulement de l’ARN et des protéines mais aussi de l’ADN en quantité anormalement grande vont rendre possible la visualisation des cellules de caille dans un organisme de poulet à l’aide d’une coloration simple de l'ADN. Et ce seront les fameuses chimères caille/poulet avec ce marqueur cellulaire, qui vont permettre d’élucider les dérivés des crêtes neurales, la compréhension du processus de céphalisation chez les vertébrés, la compréhension de la tolérance des greffes, et bien d’autres mécanismes clefs du développement.
Nicole Le Douarin est professeur honoraire au Collège de France et secrétaire perpétuelle honoraire de l’Académie des sciences.
Stefan Klein
(Dunod, 2019, 208 p. 18,90€)
Stefan Klein est un grand auteur allemand de vulgarisation scientifique et technique. Il aborde dans cet ouvrage les questions essentielles que la physique du XXIe siècle nous amène à nous poser : que s'est-il passé avant le Big Bang ? y a-t-il de la vie ailleurs dans l'Univers ? le temps et l'espace sont-ils des illusions ? de quoi est faite la matière ? qu'est ce que la masse ? quelle est cette substance totalement inconnue qui compose 85% du cosmos ? pourquoi existons nous ?
Afin de mieux nous faire entrevoir l'étrangeté de ce monde, l'auteur utilise des références historiques, des comparaisons surprenantes et des commentaires poétiques.
Le style est clair, simple et imagé, et permet à tous les lecteurs, scientifiques ou non, d'appréhender ces questions fondamentales et d'entrevoir les premières réponses que la physique et les mathématiques commencent à apporter.
Jean-Philippe Desbiolles
(Dunod, 2019, 160 p. 16,90€)
L'auteur est un praticien de l'IA (chez IBM). Il énonce 10 règles d'or susceptibles de nous aider à mieux comprendre ce qu'est l'intelligence artificielle, savoir comment l’appréhender, ne pas la craindre ni lui conférer des pouvoirs qu'elle n'a pas, et surtout mesurer l'impact qu'elle aura sur notre vie :
– Arrêtez d'appeler ça intelligence artificielle
– Arrêtez d'en parler et lancez-vous
– Par où commencer ? priorisez !
– Ne faites pas de l'IA un sujet technologique
– Arrêtez de croire en Harry Potter
– Ne devenez pas obsessionnel de l'IA
– Laissez l'IA stimuler votre créativité
– Soyez prêts : vous allez vivre dans un monde augmenté
– Grandissez avec l'IA
– Ne demandez pas ce que l'IA peut faire pour vous
Ce livre écrit en termes simples et clairs permet de démystifier l'IA et surtout d'en comprendre les côtés positifs.
Matteo Barsuglia
(Dunod, 2019, 208 p. 18,90€)
Prévues théoriquement par Albert Einstein en 1915, observées en 2015 et 2017 sur les détecteurs Ligo et Virgo, les ondes gravitationnelles sont en train de révolutionner la perception de l'Univers en donnant une vision plus précise des phénomènes troublants que sont les étoiles à neutrons, les pulsars, les trous noirs et la matière noire.
L'auteur, qui a été un des acteurs de la détection de ces ondes, nous présente l'épopée de cette découverte de façon extrêmement vivante et concrète.
Ce livre facile à lire se lit comme un roman policier et permet de mieux comprendre les enjeux liés à ces expériences gigantesques, coûteuses mais essentielles.