La révolution des sciences. 1789 ou le sacre des savants

Jean-Luc Chappey

(La Librairie Vuibert, 2020, 320 p. 21,90€)

 
Le trésor des ondes gravitationnelles (P. Spagnou, CNRS Ed.)Les savants ont joué un rôle majeur dans les transformations politiques, économiques, sociales et culturelles de la période révolutionnaire. C’est la thèse centrale de l’ouvrage du professeur Jean-Luc Chappey.
Il montre combien, au long de ces quelque dix années (de mai 1789 jusqu’au coup d’Etat du 18 brumaire an VIII – 9 novembre 1799), la place des sciences et des savants a été forte dans un grand nombre de champs et dans les différents moments du mouvement révolutionnaire.

Un chapitre complet est d’abord consacré à Lavoisier, héros et martyr. Produit de la société et du système d’Ancien Régime, il entre en 1768, à 25 ans, à la Ferme générale en même temps qu’il est élu à l’Académie royale des sciences, et incarne ainsi le pouvoir académique, administratif, politique et financier. Il poursuit ses activités scientifiques et politiques (défendant la constitution de 1791) et sa carrière dans ces différents domaines pendant les premières années de la Révolution avant d’être condamné et guillotiné, le 9 mai 1794, avec vingt-sept autres fermiers généraux. Réhabilité par la Convention thermidorienne, il devient l’exemple du savant martyr de la barbarie de la Terreur. Son parcours est ainsi particulièrement représentatif des moments successifs de cette période de bouleversements.

Six champs sectoriels sont ensuite identifiés comme particulièrement représentatifs de la place des sciences dans la vie de la période révolutionnaire.

Il s’agit d’organiser et de compter la France, avec la mise en place du nouveau découpage administratif et son arsenal de mesures et de cartographie, la réalisation de l’inventaire général du pays avec nombre d’enquêtes et de travaux statistiques, la création du système métrique décimal, l’institution du calendrier révolutionnaire.

Il s’agit de parler, informer et traduire, avec l’imposition de la langue française et les travaux de réflexion sur la langue universelle, avec la création du télégraphe, du système logographique et sténographique pour enregistrer les débats des assemblées, avec les langages pour les sourds-muets et pour les aveugles, avec le développement de la comparaison des langues et la création de l’Ecole des langues orientales (30 mars 1795).

Il s’agit de combattre, dès l’instant où les périls extérieurs et intérieurs menacent la Révolution. Beaucoup de savants participent aux différents comités et commissions et développent l’industrie de guerre (Chaptal notamment, pour les industries chimiques et leur cortège de pollutions…), la médecine de guerre, mais aussi l’agronomie et les sciences vétérinaires. Est ainsi créée l’Ecole centrale des travaux publics ou Ecole polytechnique en mars 1794.

Il s’agit de couper, soigner, connaître les têtes, avec l’invention «philanthropique» de la guillotine, avec l’étude du cerveau et plus généralement de l’anatomie, avec les travaux sur le traitement de la folie et sur la science des crânes.

Il s’agit de voyager, explorer, conquérir, avec la poursuite des expéditions-découvertes autour du monde, plus ou moins couronnées de succès, avec l’organisation de l’expédition d’Egypte et le développement de la conquête des airs (aérostats, parachute).

Il s’agit de collecter, organiser, exposer, avec le Muséum national d’histoire naturelle succédant au Jardin du Roi (1793), la Ménagerie, le dépôt de minéralogie de l’Ecole polytechnique (1795), le grand inventaire bibliographique et la professionnalisation des bibliothécaires, la création d’un dépôt des machines avec le Conservatoire des arts et métiers (10 octobre 1794), le Bureau des longitudes (25 juin 1795).

Dans ces différents champs, on mesure l’importance du travail accompli, le grand nombre des individus qui y participent, le mouvement des institutions (suppression des institutions d’Ancien Régime, telles les académies royales en août 1793, création de nouvelles, plus ou moins pérennes ou en évolution, tel l’Institut national des sciences, arts et lettres en 1795), les tensions et les conflits entre les groupes politiques et les personnes. Avec, au départ, l’objectif ambitieux de régénération du peuple, de création d’un homme nouveau par le progrès des sciences et le développement de l’éducation (rôle de Condorcet notamment dans son Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, du Cercle social, de la Société de 1789…), l’affirmation de la mission civilisatrice de la France (avec les premières conquêtes et les «républiques sœurs»). Objectif qui évolue au fil du temps et des épisodes de la Révolution mais qui aboutit à la création de l’Ecole normale de l’an III, des écoles centrales dans chaque département, des trois écoles de santé (Paris, Strasbourg, Montpellier) et le vote de la loi Daunou sur l’instruction publique (25 octobre 1795).

L’ouvrage est un gros travail de synthèse pour essayer d’appréhender les multiples aspects d’une matière vaste et complexe qui mêle les sciences et leurs applications, les personnalités scientifiques, la vie intellectuelle et politique d’une période particulièrement riche et agitée.
Il est d’une lecture facile mais suppose d’avoir à l’esprit les principales étapes de la chronologie de la période révolutionnaire.