Les membres de l’Afas publient régulièrement des notes de lectures. Elles sont à retrouver ici.
Pier Vincenzo Piazza
(Albin Michel, 2019, 432 p. 22,90€)
Le présent ouvrage est un plaidoyer scientifique bien structuré pour nous faire comprendre comment les connaissances biologiques actuelles peuvent expliquer la nature humaine, en remettant en cause sa dualité, le corps et l’esprit.
Pier Vincenzo Piazza, médecin, neurobiologiste, est l’auteur de cet ouvrage de plus de quatre cents pages qui propose une lecture inédite de l'humain et de ses aspirations. Il démontre que les découvertes révolutionnaires de la biologie et de la psychiatrie du XXIe siècle concernant notre corps et notre cerveau permettent de décrire ce que nous sommes vraiment sans besoin de recourir à un esprit immatériel. En effet, comme le suggère l’auteur, ce ne serait pas l'esprit mais son immatérialité qui devient obsolète puisque la biologie permet d’expliquer nos comportements. Les données de la biologie conduiraient donc à une autre approche de la connaissance de l’esprit, en le matérialisant.
Cet ouvrage contient un ensemble de trois chapitres scientifiques précédés d'un prologue intitulé «Tout a changé mais rien n'est vraiment différent» et suivis d'un épilogue «Rien n'a vraiment changé mais tout est différent» !
A la fin du livre on trouve aussi un petit mémento de biologie qui n'est pas inutile, comme dit l'auteur, «pour ceux qui veulent naviguer dans les méandres de la science».
Dans le premier chapitre, intitulé La matière, l’auteur rappelle que depuis des temps immémoriaux, on a considéré qu'Homo sapiens était constitué d’un corps biologique et d’un esprit immatériel, non biologique.
Cette conception dualiste de l’humain a été mise en doute vers le milieu du XXe siècle par les découvertes des neurobiologistes indiquant que des maladies mentales sont en réalité biologiques car on arrive à les soigner avec des molécules chimiques. Ainsi la biologie de notre siècle a réconcilié l’esprit et la matière. Elle ne nie pas l’esprit mais simplement le matérialise en admettant que le cerveau produit la pensée et l’esprit.
D’une manière poétique, l’auteur compare notre génome à un instrument de musique polyvalent. Les protéines seraient des notes polyphoniques permettant de jouer de multiples mélodies à partir du même génome.
Dans le deuxième chapitre, intitulé Les aspirations, par une étude scientifique et philosophique à la fois, l'auteur explique que la biologie a pour but la liberté qui se trouve au centre des aspirations humaines et qui est un concept variable en fonction des époques et des cultures.
Ainsi nous sommes tous esclaves de la thermodynamique car pour maintenir notre entropie et ne pas mourir, nous sommes dépendants de l’eau, de l’air et de la nourriture. Si nous nous privions de l’un de ces trois éléments, nous disparaîtrions rapidement. Le combat de notre biologie contre cet esclavage est peut-être le pivot fondamental autour duquel se sont développés nos comportements et une grande partie de notre civilisation.
Une analyse détaillée de ces faits amène à la conclusion que la biologie peut expliquer les aspirations modernes de la liberté, jusqu’à maintenant considérées uniquement comme des caractéristiques de l’esprit. Elle ne réduit pas l’esprit mais elle le matérialise. L’incarnation de l’esprit, loin d’être réductrice, ouvre un nouvel horizon porté par celui que l’auteur appelle Homo interstaticus, qui n’est ni conservateur, ni progressiste, ni spiritualiste, ni matérialiste. Il s’agit d’un homme nouveau qui, finalement, est capable de donner un avenir à notre espèce tout entière.
La liberté et l’épanouissement sont donc des aspirations fondamentales de la vie, qui n’est rien d’autre qu’un catalyseur entropique. L’homme est le seul être vivant qui crée l’entropie non seulement pour survivre mais aussi pour se divertir.
En conclusion, les hommes seraient supérieurs aux autres êtres vivants en fonction du critère utilisé, cette supériorité n’étant qu’une valeur relative.
Le respect pour les autres formes de vie qui nous entourent nous permet de réaliser le caractère illusoire de notre supériorité...
Dans le dernier chapitre, intitulé Les excès, l’auteur, en tenant compte des avancées des connaissances biologiques du comportement, définit et analyse les normes, la normalité, les vices et les maladies ainsi que les addictions, en prenant comme exemples l’obésité pour la nourriture et la toxicomanie pour les drogues.
Avant les choses étaient assez simples : la médecine s’occupait des déviations du corps, et la morale de celles de l’esprit. Plus les connaissances de la biologie ont progressé, plus les frontières entre vices de l’esprit et maladies du corps sont devenues ténues. Ainsi les vices ou les crimes sont des déviations des normes alors que les maladies sont des déviations de la normalité. Il en résulte que là où la normalité est transculturelle, les normes changent profondément au cours de l’histoire et d’une culture à l’autre.
Les déviations de la normalité sont souvent des maladies du comportement, maladies neurologiques ou psychiatriques. Au cours des pathologies neurologiques, le cerveau perd progressivement ses fonctions, comme par exemple dans le cas des maladies d’Alzheimer ou de Parkinson. A l’opposé, dans les maladies psychiatriques, le cerveau en fait un peu trop en donnant une expression excessive et invasive aux émotions et aux comportements parfaitement normaux. Par exemple, l’anxiété est une exacerbation de la peur et la dépression est une tristesse irrépressible. Or ni la peur ni la tristesse ne sont des émotions pathologiques, mais en excès, elles peuvent devenir maladies !
L’auteur aborde ensuite le problème de l’addiction, qu’il considère comme un cancer psychosocial, entre maladie et vice. En prenant comme exemple l’obésité et la toxicomanie, il montre que la véritable addiction, à la nourriture ou à la drogue, n’est pas une maladie de l’esprit, mais une véritable maladie du comportement qu’il faut combattre en la soignant.
En conclusion, l’auteur, par une analyse fine de l’humain à travers les âges et les croyances, nous apporte par ce livre des arguments solides basés sur les découvertes biologiques les plus récentes. Cette approche du corps et de l’esprit, à la fois scientifique et philosophique, donne une nouvelle vision de l’homme, homme moderne, libéré du mirage de l’immatérialité qui peut faire évoluer certaines règles sociales en nous orientant vers des choix de vie meilleurs.
Autrement dit et pour résumer :
Littéraires ou scientifiques,
Je vous recommande cet ouvrage
Qui de la biologie fait usage.
L'esprit ne serait pas immatériel
Mais comme notre corps, matériel :
Voilà l'esprit incarné
Et la vision de l'humain changée !
(Rodica Ravier)
Sylvain Laurens
(Ed. EHESS, 2019, 244 p. 21€)
Le cœur de l’ouvrage est constitué par le déroulé chronologique de l’histoire du mouvement rationaliste au long de 75 années d’existence.
Au fil de cette présentation historique sont posées les questions de sa relation avec le mouvement des idées et des idéologies politiques, avec le mouvement social, avec les principaux évènements qui marquent ces années et avec les changements profonds de la communauté scientifique.
Le déroulé chronologique est découpé en six chapitres.
1. Les fondements sociaux d’une épistémologie engagée. Socio-genèse de l’Union rationaliste (UR). 1930-1945.
Affirmation par les fondateurs (Henri Roger, doyen de la faculté de médecine de Paris, et Paul Langevin, professeur de physique au Collège de France) de l’universalisme de la science. Héritage de l’anti-cléricalisme des savants dreyfusards autour du laboratoire de Marie Curie et celui de Paul Langevin, dans un contexte de recomposition de la gauche intellectuelle et du développement de la politique du Parti communiste français (PCF) en direction des intellectuels. Création des Cahiers rationalistes.
2. Le rationalisme comme refuge. Guerre froide des savants et dissidences licites au sein du PCF. 1946-1956.
Période pendant laquelle les effectifs scientifiques commencent à changer d’échelle. La relation avec le PCF est étroite, dans la ligne des suites de la guerre, autour de Frédéric Joliot, avec Ernest Kahane, Evry Schatzman, Jean-Claude Pecker. Actions développées avec le Mouvement pacifiste, anti-nucléaire. Mais tensions avec la direction du PCF, avec l’affaire Lyssenko, le débat sur les deux sciences et le rapport au socialisme scientifique.
3. Refondre le rationalisme sans la béquille du socialisme scientifique. 1956-1970.
Période marquée par les dissidences au sein du PCF après 1956 (rapport Kroutchev). De nouvelles thématiques apparaissent autour du rapport au monde productif, du développement de l’éducation scientifique du grand public, de la lutte contre les pseudo-sciences et l’ésotérisme (publication du Matin des magiciens par Louis Pauwels et Jacques Bergier en 1960).
4. Sauver le grand public de l’irrationnel. La bataille de l’information scientifique et contre les pseudo-sciences. 1970-1993.
Création de l’Association française pour l’information scientifique (AFIS) en 1968 par Michel Rouzé. Les Cahiers de l’AFIS qui deviennent Science et pseudo-sciences en 1985, dénoncent l’astrologie, l’homéopathie, les émissions pseudo-scientifiques à la télévision, les «charlatans» et défendent l’innovation technologique.
5. Le mouvement rationaliste rattrapé par les patrons des nouvelles bureaucraties savantes. 1979-2010.
Les années soixante voient la multiplication d’institutions de la politique scientifique et technologique et le développement de la recherche industrielle. La peur des technologies et de leurs effets est dénoncée par l’UR comme un nouvel ésotérisme. Maurice Tubiana publie Le refus du réel en 1978, contre l’écologisme, le «retour à la nature» et en faveur du programme nucléaire civil. Henri Broch développe la zététique à l’université de Nice, avec un service minitel dédié, valorisant l’innovation technologique.
6. Le triomphe d’une épistémologie de marché. 1990-2005.
Dans un contexte de privatisation de l’économie et d’évolution des corps d’ingénieurs sont ouverts les débats sur l’expertise scientifique par rapport à la décision publique, sur le principe de précaution, le climat et les climato-sceptiques. L’UR décline, avec les héritiers des familles des créateurs. L’AFIS arrive à se renouveler.
En développant l’histoire des trois principales organisations – Union rationaliste, Association française pour l’information scientifique et Laboratoire de zététique (en dépit de la faiblesse des archives) –, l’auteur affiche un objectif de sociologie historique des sciences et des techniques. A travers l’évocation chronologique d’une période qui connaît des changements considérables en ces domaines, il aborde l’implication du savant dans la vie politique et dans le débat idéologique (marxisme-léninisme, socialisme scientifique), les relations avec des mouvements adjacents (franc-maçonnerie, Ligue des droits de l’homme, mouvement syndical), le débat autour de la raison comme lieu neutre, l’ambition de promotion de la science auprès du grand public. Il signale combien le mouvement a été, de plus en plus, confronté au sujet du traitement de la critique de la technologie et des applications industrielles de la science durant les dernières décennies.
Bien que parfois un peu touffu, l’ouvrage se lit facilement mais gagnerait à une clarification de certains concepts utilisés (bureaucratie scientifique par exemple).
Patrice Debré
(Odile Jacob, 2020, 304 p. 22,90€)
De tout temps, l’Homme a souhaité améliorer sa condition. Mais aujourd’hui, doté de moyens inégalés, il semblerait qu’il arrive à un tournant très particulier de son histoire.
Où en sommes-nous de ce que nous savons ou croyons savoir ? Que pouvons-nous faire pour améliorer la condition humaine ? Ce livre offre une belle opportunité de faire le point sur notre connaissance actuelle du vivant afin d’envisager les enjeux de demain.
C’est avec les rites cannibales que la lecture commence. En ingérant «l’autre», nos anciens croyaient intégrer sa force vitale, assurer une continuité entre vie et mort, se transmuter vers l’au-delà. L’Eucharistie des chrétiens relèverait de la même aspiration.
Au cours des siècles, la quête inépuisable de la connaissance nous a conduits à des découvertes sur le vivant, qui explosent actuellement. A la suite des acquis spectaculaires en immunologie, génétique, neurosciences, sans oublier le numérique, les innovations se multiplient et de nouvelles technologies à visée médicale se développent, tant en thérapie génique que dans le domaine des greffes d’organes.
Rien n’est binaire dans les processus biologiques et tout relève d’interactions complexes pour parvenir à des états d’équilibre satisfaisants. En utilisant l’image de l’influence de l’art et de la peinture sur notre ressenti et notre comportement, l’auteur introduit la notion d’épigénétique, c’est-à-dire de l’influence de l’environnement des gènes sur leur expression. Il rappelle également tout ce que nous gagnons de notre symbiose avec le microbiote. En effet, ce chimérisme de l’Homme avec les microbes, qui date de fort loin, ouvre des possibilités thérapeutiques très importantes dans le traitement de l’obésité, des allergies, du comportement, de l’autisme et de certains cancers.
Ensuite est abordée la relation tant médiatisée de l’Homme avec la machine. La révolution numérique avance, avec toute une série de technologies impressionnantes. Et même si les machines n’existent pas sans l’Homme, les énormes possibilités d’apprentissage profond de l’intelligence artificielle (IA) laissent présager des avenirs que la science-fiction s’empresse de s’approprier. Qu’en sera-t-il du cyborg, humain «augmenté» par implant cérébral ? ou de la machine «humanisée» par téléchargement de la conscience dans un robot ? Une nouvelle humanité serait-elle en marche ? En même temps que s’expriment ces désirs/craintes de transhumanime, force est de constater que l’IA, très implantée dans notre quotidien, est bienvenue en médecine pour l’aide au diagnostic, la lutte contre les handicaps moteurs et une future médecine personnalisée.
En réponse aux inquiétudes formulées par différents lanceurs d’alerte, l’auteur rappelle qu’à son point de vue, si l’homme se construit lui-même, la machine est sous sa dépendance et ne saurait le dépasser. Il cite Kant – «On mesure l’intelligence d’un individu à la quantité d’incertitudes qu’il est capable de supporter» – pour souligner cette dimension de l’intelligence humaine inaccessible à l’IA.
Le dernier chapitre traite de l’éthique avec un remarquable rappel historique de la mise en place des comités d’éthique en France et dans le monde. L’éthique est différente de la morale et requiert le débat public. Patrice Debré, lui-même impliqué dans le Comets, comité d’éthique du CNRS, en résume les principes : «Ne changeons pas les lois de la vie, cherchons à les connaître. Nous appelons à une tribune internationale qui s’adresserait à l’homme comme à un bien public mondial». L’idée principale reste que l’homme doit se modifier pour guérir et non pour se transformer.
En lisant ce livre, nous parcourons avec facilité et «appétit» toutes les étapes essentielles des découvertes des sciences du vivant, de ce que l’homme en a fait et se prépare à en faire. L’auteur nous apporte son témoignage éclairé et son ressenti de médecin et de chercheur. Cette lecture est un vrai plaisir. Enrichi d’anecdotes personnelles et de citations remarquables allant d’Aristote à Lewis Caroll et Stephen Hawking, le texte est d’expression fluide et précise.
Il s’agit là d’une impressionnante synthèse scientifique, élargie à une dimension philosophique et humaniste, très accessible à tous les curieux des sciences du vivant et de l’avenir de l’Homme.
Kerry Emanuel
(Le Pommier, 2020, 128 p. 11€)
Kerry Emanuel est un expert américain mondialement reconnu en climatologie. Professeur au prestigieux MIT de Boston, il a publié plus de 200 articles et quelques livres. En 2006, selon le Time, il était une des 100 personnes les plus influentes au monde. Lorsque Kerry Emanuel parle de climat, le monde écoute (ou devrait écouter !).
Ce petit livre est la traduction de la 3e édition mise à jour (2018) de son ouvrage de vulgarisation What we know about Climate Change, dans lequel il résume l’état des connaissances scientifiques sur le changement climatique (60 pages) et, dans une démarche plus politique, donne des clés pour en gérer les conséquences (40 pages).
L’auteur brosse l’histoire du climat de la Terre qui est loin d’être un long fleuve tranquille. D’amples mutations se sont produites (la Terre a été une boule de glace !), résultant d’interactions entre la Terre, son atmosphère, et le Soleil. Grâce à l’apparition de la vie (photosynthèse des bactéries) nous avons évité le scénario catastrophe de Vénus qui, avec des conditions de départ presque identiques à la Terre, est devenu un enfer à 500°C. Depuis 3 millions d’années, on assiste à une succession de périodes glaciaires (80 000 ans) et tempérées (20 000 ans), parfaitement expliquée par les oscillations de l’axe de rotation de la Terre (cycles de Milankovic).
K. Emanuel nous fait une présentation limpide et magistrale de l’effet de serre, le cœur de la machine climatique. C’est le Français Fourier qui postule le premier, en 1820, que l’atmosphère renvoie vers la Terre une partie du rayonnement (infrarouge) que celle-ci émet. En 1897, le Suédois Arrhenius établit et quantifie la relation entre la teneur en gaz carbonique (CO2) et la température moyenne de la Terre. On peut s’étonner qu’un gaz qui ne représente que 0,04% de l’atmosphère joue un rôle aussi déterminant, que la Terre reçoive deux fois plus d’énergie de l’effet de serre que du Soleil, et que tout ceci était déjà connu au XIXe siècle !
Des éléments viennent perturber de façon ponctuelle la belle mécanique de l’effet de serre et la physique d’Arrhenius, mais sans en changer la tendance fondamentale. L’auteur recense ainsi les nuages et la vapeur d’eau (qui induisent un effet de serre court terme), les aérosols sulfatés, le courant El Niño, les éruptions volcaniques et la nature chaotique des équations du climat, qui ensemble produisent un «bruit climatique» (expliquant, par exemple, des années anormales sans réchauffement).
Comme la quasi-totalité des climatologues, l’auteur n’a aucun doute sur le réchauffement en cours et sur son origine humaine. Les mesures, directes et indirectes, le montrent clairement. Par ailleurs, tous les modèles validés (une dizaine) le confirment.
L’auteur analyse les scénarios du futur : migrations massives, déplacements des zones de cultures, acidité de la mer. Il ne cache pas quelques incertitudes dans les modèles prédictifs, en particulier sur le rôle des nuages. Mais celles-ci ne doivent pas être prétextes à l’inaction. L’option la plus dangereuse est celle de ne rien faire. Il ne s’agit pas tant de sauver la planète (qui en a vu d’autres !) que notre civilisation humaine, construite sur 7000 ans de stabilité climatique. Il propose des mesures qui atténueront, un peu comme une police d’assurance, les effets néfastes d’une catastrophe potentielle : réduire la croissance démographique, favoriser les énergies non carbonées, développer massivement le nucléaire (la France est citée en exemple) et pénaliser les énergies fossiles (en les responsabilisant sur les coûts de santé qu’elles induisent et en cessant les subventions dont elles bénéficient).
K. Emanuel termine sur une note plus polémique : il dénonce les lobbies climato-sceptiques, qu’il compare à ceux de l’industrie du tabac des années soixante. Leur tactique est de distiller un doute sur l’origine humaine du réchauffement, en amplifiant la voix de francs-tireurs isolés, anti pensée unique, comme il en existe dans toute entreprise scientifique, et en créant l’illusion d’une controverse sérieuse (alors que le consensus des scientifiques est de 97%). Et Emanuel de conclure amèrement : «Aussi longtemps que nous élirons et nommerons des illettrés scientifiques tels que James Inhofe [sénateur républicain] et Scott Pruitt [administrateur de l’Agence de l’environnement en 2018], qui croient que le réchauffement climatique est un canular, nous serons empêchés de nous engager dans un débat politique intelligent.»
Le livre est concis mais l’essentiel est là, expliqué de façon simple et claire. Il est recommandé à ceux qui débutent sur la question du réchauffement climatique. Pour le public plus averti, il constitue un excellent moyen de maintenir ses idées en ordre, devant le flot permanent d’informations plus ou moins sérieuses qui circulent sur le sujet.
Jean-Luc Chappey
(La Librairie Vuibert, 2020, 320 p. 21,90€)
Les savants ont joué un rôle majeur dans les transformations politiques, économiques, sociales et culturelles de la période révolutionnaire. C’est la thèse centrale de l’ouvrage du professeur Jean-Luc Chappey.
Il montre combien, au long de ces quelque dix années (de mai 1789 jusqu’au coup d’Etat du 18 brumaire an VIII – 9 novembre 1799), la place des sciences et des savants a été forte dans un grand nombre de champs et dans les différents moments du mouvement révolutionnaire.
Un chapitre complet est d’abord consacré à Lavoisier, héros et martyr. Produit de la société et du système d’Ancien Régime, il entre en 1768, à 25 ans, à la Ferme générale en même temps qu’il est élu à l’Académie royale des sciences, et incarne ainsi le pouvoir académique, administratif, politique et financier. Il poursuit ses activités scientifiques et politiques (défendant la constitution de 1791) et sa carrière dans ces différents domaines pendant les premières années de la Révolution avant d’être condamné et guillotiné, le 9 mai 1794, avec vingt-sept autres fermiers généraux. Réhabilité par la Convention thermidorienne, il devient l’exemple du savant martyr de la barbarie de la Terreur. Son parcours est ainsi particulièrement représentatif des moments successifs de cette période de bouleversements.
Six champs sectoriels sont ensuite identifiés comme particulièrement représentatifs de la place des sciences dans la vie de la période révolutionnaire.
Il s’agit d’organiser et de compter la France, avec la mise en place du nouveau découpage administratif et son arsenal de mesures et de cartographie, la réalisation de l’inventaire général du pays avec nombre d’enquêtes et de travaux statistiques, la création du système métrique décimal, l’institution du calendrier révolutionnaire.
Il s’agit de parler, informer et traduire, avec l’imposition de la langue française et les travaux de réflexion sur la langue universelle, avec la création du télégraphe, du système logographique et sténographique pour enregistrer les débats des assemblées, avec les langages pour les sourds-muets et pour les aveugles, avec le développement de la comparaison des langues et la création de l’Ecole des langues orientales (30 mars 1795).
Il s’agit de combattre, dès l’instant où les périls extérieurs et intérieurs menacent la Révolution. Beaucoup de savants participent aux différents comités et commissions et développent l’industrie de guerre (Chaptal notamment, pour les industries chimiques et leur cortège de pollutions...), la médecine de guerre, mais aussi l’agronomie et les sciences vétérinaires. Est ainsi créée l’Ecole centrale des travaux publics ou Ecole polytechnique en mars 1794.
Il s’agit de couper, soigner, connaître les têtes, avec l’invention «philanthropique» de la guillotine, avec l’étude du cerveau et plus généralement de l’anatomie, avec les travaux sur le traitement de la folie et sur la science des crânes.
Il s’agit de voyager, explorer, conquérir, avec la poursuite des expéditions-découvertes autour du monde, plus ou moins couronnées de succès, avec l’organisation de l’expédition d’Egypte et le développement de la conquête des airs (aérostats, parachute).
Il s’agit de collecter, organiser, exposer, avec le Muséum national d’histoire naturelle succédant au Jardin du Roi (1793), la Ménagerie, le dépôt de minéralogie de l’Ecole polytechnique (1795), le grand inventaire bibliographique et la professionnalisation des bibliothécaires, la création d’un dépôt des machines avec le Conservatoire des arts et métiers (10 octobre 1794), le Bureau des longitudes (25 juin 1795).
Dans ces différents champs, on mesure l’importance du travail accompli, le grand nombre des individus qui y participent, le mouvement des institutions (suppression des institutions d’Ancien Régime, telles les académies royales en août 1793, création de nouvelles, plus ou moins pérennes ou en évolution, tel l’Institut national des sciences, arts et lettres en 1795), les tensions et les conflits entre les groupes politiques et les personnes. Avec, au départ, l’objectif ambitieux de régénération du peuple, de création d’un homme nouveau par le progrès des sciences et le développement de l’éducation (rôle de Condorcet notamment dans son Esquisse d'un tableau historique des progrès de l’esprit humain, du Cercle social, de la Société de 1789...), l’affirmation de la mission civilisatrice de la France (avec les premières conquêtes et les «républiques sœurs»). Objectif qui évolue au fil du temps et des épisodes de la Révolution mais qui aboutit à la création de l’Ecole normale de l’an III, des écoles centrales dans chaque département, des trois écoles de santé (Paris, Strasbourg, Montpellier) et le vote de la loi Daunou sur l’instruction publique (25 octobre 1795).
L’ouvrage est un gros travail de synthèse pour essayer d’appréhender les multiples aspects d’une matière vaste et complexe qui mêle les sciences et leurs applications, les personnalités scientifiques, la vie intellectuelle et politique d’une période particulièrement riche et agitée.
Il est d’une lecture facile mais suppose d’avoir à l’esprit les principales étapes de la chronologie de la période révolutionnaire.
Pierre Spagnou
(CNRS Editions, 2020, 214 p. 25€)
Les ondes gravitationnelles sont à la mode et il y a de bonnes raisons pour cela. Il y a 100 ans, elles étaient prédites par la théorie de la relativité générale d’Einstein, lequel n’y croyait pas vraiment : il pensait qu’elles n’avaient pas de réalité physique. Il a même écrit un article dans ce sens en 1936, pour la Physical Review... qui l’a refusé ! Einstein finit par admettre l’existence de ces ondes étranges, mais il était convaincu qu’on ne pourrait jamais les détecter. Or, c’est ce que l’on a fait le 14 septembre 2015 !
Le dernier livre de Pierre Spagnou est entièrement consacré aux ondes gravitationnelles. Son point de départ est un évènement, relativement banal, qui survint il y a 130 millions d’années dans une galaxie lointaine : la fusion de deux étoiles à neutrons. Celle-ci fait «vibrer la trame même de l’Univers» et engendre une onde gravitationnelle, qui, se propageant à la vitesse de la lumière, atteint notre Terre le 17 août 2017. Ce jour-là, trois interféromètres, situés aux Etats-Unis et en Italie, permettent de capter l’onde très affaiblie et d’identifier une fusion d’étoiles et sa localisation. C’est alors que ce résultat est aussitôt confirmé par le satellite Fermi qui a enregistré une bouffée de rayons gamma, et, la nuit suivante, par le télescope optique Swope, au Chili, qui repère optiquement le nouvel objet résultant de la fusion. C’est un résultat extraordinaire : pour la première fois, l’identification d’un évènement (la fusion de deux étoiles) par une onde gravitationnelle est confirmée indépendamment par des ondes électromagnétiques (rayons ϒ et lumière visible). L’astronomie «multi-messagers» vient de naître.
Pierre Spagnou nous fait le récit détaillé de cette folle journée historique. Ingénieur de formation, il détaille le dispositif expérimental d’une incroyable sophistication, aboutissement d’un projet d’un milliard de dollars amorcé dans les années soixante-dix. Il s’agit, au départ, de détecter une variation spatiale de l’ordre du 1/1000e du diamètre d’un noyau d’atome ! Chaque interféromètre a des bras de 4 km de long, parfaitement rectilignes (l’effet de la courbure terrestre est corrigé), où l’on a fait un vide quasi absolu. La position des miroirs doit être fixée avec une précision d’un millionième de microns. La courbe de l’enregistrement permet d’identifier la nature de l’évènement-source et de le localiser, à partir de 300 000 courbes d’onde précalculées, un peu comme l’application Shazam identifie un morceau de musique à partir d’échantillons préenregistrés.
L’auteur expose la partie théorique, sans équations, en se concentrant sur l’interprétation physique des différents concepts : la relativité restreinte et les ondes électromagnétiques, la relativité générale et les ondes gravitationnelles, l’effet Einstein, les méthodes de calcul des courbes-signatures des évènements, les choix des repères (les jauges). A noter que certains passages peuvent être un peu ardus à suivre.
Pierre Spagnou fait preuve d’un enthousiasme communicatif quant aux perspectives prometteuses de cette nouvelle astronomie, qu’il compare à celle que Galilée inaugura en 1610 en pointant sa lunette sur Jupiter. Toute rotation asymétrique est susceptible de produire une onde gravitationnelle observable : fusions d’étoiles à neutrons (qui expliquent la présence d’atomes d’or dans le cosmos, et donc sur Terre !), fusions de trous noirs (une dizaine déjà observées depuis 2015), supernovas et autres cataclysmes. On dispose désormais d’une nouvelle méthode pour évaluer les distances des astres. On pourra ainsi affiner la mesure de la vitesse d’expansion de l’Univers et faire le tri sur les modèles cosmologiques. Déjà, on travaille à améliorer les dispositifs de détection actuels. L’auteur recense une dizaine de projets à l’étude, comme celui d’un d’interféromètre spatial, formé de trois satellites, avec des bras de 2,5 millions de km ! (2030, conjoint NASA – ESA).
Pierre Spagnou déclare en introduction : «Vulgariser, c’est simplifier, certes, mais sans jamais céder à la facilité». Tout au long de l’ouvrage, on sent ce souci constant de ne pas tromper le lecteur avec des images séduisantes mais fausses. A plusieurs reprises, il dénonce les vulgarisateurs qui manquent de rigueur. Ainsi, il s’insurge contre une analogie très courante utilisant une simple toile pour illustrer la courbure de l’espace-temps de la relativité générale. Les chapitres du livre se terminent souvent par une section intitulée Idées fausses. Ce choix général de la précision se fait au prix d’un texte peut-être plus difficile à lire, mais plus exact. L’auteur jalonne son exposé d’exercices dont la solution est donnée en annexe, ce qui permet une certaine respiration dans la lecture. Avec cet ouvrage, le lecteur aura fait un tour complet et précis des ondes gravitationnelles, nouveau domaine incontournable de l’astronomie de demain.
Alain Foucault
(Omniscience, 2019, 260 p. 20€)
Nombreux sont les ouvrages consacrés au changement climatique. Mais pour le lecteur qui cherche à comprendre quels en sont les causes et les effets, le dernier ouvrage d'Alain Foucault est remarquablement instructif.
Géologue, spécialiste de l’étude des variations de l’environnement et des climats, auteur d’une centaine d’articles et d’une douzaine d’ouvrages sur le sujet, Alain Foucault est particulièrement qualifié pour nous éclairer sur ce sujet difficile et si souvent controversé.
Au fil des pages, on comprend mieux les causes et les effets des modifications climatiques et pourquoi ces changements ne sont pas tous sensibles dans le même temps. Certains le sont à l’échelle d’une vie humaine, d’autres exigent plusieurs millénaires pour qu'on les constate, d'autres enfin ne peuvent s’apprécier que sur des temps géologiques de plusieurs millions d’années.
Au fil des chapitres, se découvrent ainsi les différents aspects de ces changements, ainsi que le fonctionnement des mécanismes qui les contrôlent.
Ecrit avec toute la rigueur propre au scientifique, ce livre donne aussi quelques pistes pour se préparer à affronter les effets considérables des changements à venir, et pour laisser en héritage aux générations qui nous suivent une planète accueillante et vivable.
Il nous donne envie de partager, avec cet auteur compétent pour parler de science, l'espoir que les progrès scientifiques et technologiques à venir apportent des solutions à des problèmes qui, aujourd’hui, n’en ont pas.
Je ne peux que recommander la lecture de cet ouvrage qui fait la part des choses sur un sujet qui est aujourd'hui au centre du débat public.
Hervé Lehning
(Flammarion, 2019, 464 p. 25€)
C’est avec un plaisir évident, et qu’il sait nous faire partager, que l’auteur nous amène à plonger dans l’histoire de la cryptologie au travers de multiples anecdotes extrêmement bien choisies, détaillées et référencées. Indispensable dans les domaines diplomatiques, militaires, des affaires commerciales, mais aussi ceux des relations amoureuses et des sociétés secrètes, la science des codes secrets remonte à très loin et se poursuit dans le temps présent.
Par exemple, vous serez bien étonnés d’apprendre que le chiffre utilisé par César l’ait été encore au moins deux fois à l’époque « moderne », que ce soit par les Sudistes pendant la guerre de Sécession ou par les Russes au début de la première guerre mondiale. Par contre, vous admettrez facilement que l’écriture secrète soit l’un des soixante-quatre arts de la concubine selon le Kamasutra.
L’astuce est de partir de ces anecdotes, et il y en a d'innombrables, pour inviter le lecteur à entrer lui-même dans le système de codage, de décryptage, et à s’y exercer lui-même. Comment résister aux messages donnés pour Edgar A. Poe, Jules Verne, Willy (celui de Colette) ou encore pour les initiés des sociétés secrètes (Templiers, francs-maçons…), que nous arrivons finalement à décrypter et à reproduire nous-mêmes sur leurs modèles. Nous sommes littéralement entraînés par une multitude d’exemples tous plus attrayants les uns que les autres, dont l’auteur nous donne les clés pour pouvoir en profiter. Au passage, nous apprenons qu’il ne faut jamais croire qu’un code puisse être inviolable et qu’il est indispensable d’en modifier le chiffre à tous moments. Idem pour nos mots de passe !
La saga des dictionnaires chiffrés, pour faire correspondre mots et nombres, est décrite depuis la première guerre mondiale (y compris l’affaire Dreyfus) jusqu’à l’avènement des machines électromécaniques, telle celle bien connue d’Enigma ; machine d’abord conçue pour des relations commerciales avant d’être adoptée par l’armée allemande de la seconde guerre mondiale. Son système de chiffrage, la façon dont chaque code a pu être cassé sont parfaitement expliqués et paraissent tout à fait accessibles à chacun : c’est la magie de ce livre, tout est vraiment simple. Il suffisait d’y penser.
Les derniers chapitres abordent l’ère numérique et la cryptographie quantique. Dans ce contexte où tout devient immatériel, où la confidentialité se perd dans le cloud, des protections se mettent en place pour sécuriser les communications, telles celles de la blockchain. Il faut protéger les données, surveiller les trafics illégaux, assurer des précautions élémentaires pour éviter tout espionnage. Encore une fois, le lecteur est amené à comprendre les mécanismes mis en jeu et les solutions apportées. Et finalement à accepter qu’actuellement les ordinateurs contenant des secrets ne doivent pas être connectés à Internet, ni raccordés à des ordinateurs eux-mêmes connectés au réseau !
Ce livre est un vrai parcours initiatique à travers les codes secrets. On suit leurs histoires, leurs évolutions, leurs échecs et leurs victoires. On est constamment invité à y participer. Ce qui est remarquable, c’est à la fois l’attractivité du texte et sa réelle accessibilité pour tous. A chacun de le parcourir selon son idée, livre d’histoire et/ou exercices mathématiques.
Oui, il s’agit bien d’une vraie « bible » de la cryptologie, c’est à dire LE livre de référence des codes secrets.
Mickaël Launay
(Flammarion, 2019, 304 p. 19,90€)
« Depuis mon cours élémentaire, il ne s’est pas passé une année de ma vie sans que je réalise que je pensais de travers des choses que je croyais bien savoir ». Le mathématicien Mickaël Launay nous fait cette confidence dans l’introduction de son dernier livre. Fort de cette expérience, il propose de nous apprendre « l’art d’observer le monde dans le bon sens », en choisissant quelques sujets principalement dans le domaine des mathématiques, mais aussi de l’attraction universelle et de la relativité.
Mickaël Launay est un vulgarisateur de grand talent bien connu dans le monde des médias. Il fait preuve ici d’une pédagogie remarquable combinée à un sens aigu de la narration. Il présente chaque sujet comme une énigme à résoudre. Son chemin vers la solution emprunte alors de nombreux détours et chemins de traverse, souvent sans rapport apparent avec le sujet. En fait, par petites touches, il nous donne les clés qui nous préparent à comprendre la solution, un peu comme dans le dénouement d’un roman policier.
En voici quelques exemples très résumés (chaque énigme correspond à une cinquantaine de pages).
Selon la loi de Benford, si l’on prend une liste quelconque de nombres (les prix d’un supermarché, les longueurs des fleuves dans le monde, les populations par pays, etc.), environ 30% des nombres commencent par un 1, 18% par un 2, etc. et 4% par un 9 ! Pour expliquer cette répartition contre-intuitive, Mickaël Launay nous emmène dans le monde des nombres : leur vocabulaire, leur perception par les sociétés primitives, par les enfants, par les animaux (les rats ont une pensée multiplicative !). Après un détour chez les scribes de Mésopotamie, on aboutit en Ecosse, en 1614, lorsque John Napier invente les logarithmes. Ce dernier épisode est l’objet d’un véritable petit bijou de pédagogie de la part de Mickaël Launay : les logarithmes apparaissent d’une lumineuse simplicité ! Et, dans la foulée, l’étrange loi de Benford trouve son explication !
How long is the coast of Britain ? Cet article mythique de Benoît Mandelbrot (1967) établit l’impossibilité de mesurer les côtes d’un littoral car l’ajout de détails de plus en plus petits ne fait qu’augmenter la mesure, sans aucune limite. Launay disserte alors sur les grands nombres, donne l’exemple étonnant du nombre immense de livres possibles. L’infini est encore plus troublant. L’auteur l’illustre avec une histoire de barres de chocolat, mais aussi avec les surprenantes découvertes de Cantor (il n’y croyait pas lui-même !), et des lignes qui s’entortillent dont « on ne sait plus si ce sont des lignes ou des surfaces ». On fait un détour par la ville de Carthage et la légende de sa fondation par Didon, avant de parvenir à la dimension fractale, la réponse à notre énigme.
Le postulat d’Euclide sur la parallèle est-il vraiment nécessaire ? L’auteur prétend que cette question est « la plus grande énigme mathématique de tous les temps ». Quelques étapes du voyage explicatif : les couleurs (définition, vocabulaire), l’abstraction (illustrée par une nouvelle de Borges), l’ambiguïté (avec un dialogue de L’Avare de Molière), la géométrie sphérique des pilotes d’avion, et le déroutant disque de Poincaré, qui sera la dernière clé pour la réponse à l’énigme, finalement résolue seulement 2000 ans après Euclide.
Le chapitre sur la relativité d’Einstein est particulièrement réussi. Launay expose la théorie de la relativité restreinte en adoptant l’angle purement mathématique de l’espace-temps de Minkowski, dont la présentation est extraordinairement limpide. Son talent de pédagogue est à son meilleur. On retire de cette lecture le sentiment très positif d’avoir progressé dans notre compréhension de cette théorie.
Tout au long du livre, l’auteur ne cesse de souligner la puissance de l’outil mathématique, « la discipline dans laquelle on ne sait jamais de quoi on parle, ni si ce que l’on dit est vrai. » (Bertrand Russel, 1901). Du fait même de cette ambiguïté, elle permet de raisonner en dehors du réel, puis d’y revenir avec une compréhension enrichie.
Mickaël Launay fait preuve d’un enthousiasme communicatif et d’une capacité d’émerveillement rafraîchissante. Le style est simple, fluide, et proche du langage parlé. Le texte est truffé de dessins explicatifs amusants qui en facilitent la compréhension. On ne s’ennuie jamais dans ce livre. Et l’on en sort avec l’impression d’avoir découvert de nouveaux horizons.
Quant à savoir ce que vient faire un parapluie dans toute cette histoire, nous laissons au lecteur le plaisir de le découvrir !
Sous la direction de Richard Frackowiack, Bassem Hassan, Jean-Claude Lamielle, Stéphane Lehéricy
(Glénat, ICM, Le Monde Editions, 2018, 208 p. 39,95€)
Ce très beau et grand livre résume, à l’aide d’images spectaculaires et d’un texte explicite, l’état actuel des connaissances sur le cerveau. Il s’agit d’une œuvre collective réunissant pas moins de quarante-cinq chercheurs, cliniciens et spécialistes en neurosciences ; beaucoup provenant de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière.
Avec cet atlas, nous pénétrons dans un monde bellement coloré qui nous révèle l’architecture générale du système nerveux central jusqu’à ses ramifications les plus intimes. Le cerveau est un organe hyperconnecté, constitué de milliards de cellules toutes communicantes entre elles. Les techniques d’étude, morphologiques et/ou fonctionnelles, sont parfaitement décrites et détaillées. De même les modèles animaux utilisant poulets, souris et drosophiles du fait des grandes similarités fonctionnelles entre espèces animales. Ces diverses approches technologiques et d’étude évoluent en permanence pour essayer de décoder au plus près le fonctionnement cérébral. Les acquisitions les plus récentes permettent d’associer des régions spécifiques du cerveau à la plupart des fonctions cognitives (motricité, sensibilité, vision, audition, langage, mémoire...) dans les conditions normales et pathologiques.
Nous apprenons que cet organe, considéré comme le chef d’orchestre de nos fonctions vitales, est capable de plasticité jusqu’après l’adolescence. Les capacités d’apprentissage nous suivent toute la vie grâce aux remaniements synaptiques qui se modifient cependant, de façon variable, au cours du vieillissement ou de certaines pathologies.
Des notions comme l’état de conscience nécessitent une approche multidisciplinaire et sont présentées aux confins de la philosophie, de la psychologie et des neurosciences. Les questionnements sur les états entre vie et mort ou sur quand décider d’un arrêt des traitements pour un maintien de vie sont aussi abordés et montrent comment la mort est un processus complexe. Ce n’est plus le cœur mais le cerveau qui est au centre de l’individu.
Pour ce qui est de l’avenir, l’informatique et le numérique ont toute leur place pour le traitement des mégadonnées de l’imagerie. La modélisation par simulation du Blue Brain Project montre déjà la puissance du croisement de ces différentes technologies. L’objectif est de pouvoir intégrer les données actuelles pour comprendre le cheminement complexe vers la cognition.
Comme disent les auteurs, ce panorama sur le cerveau n’est qu’un aperçu de ce qui est connu. Il a vocation à se perfectionner. Après l’étude du génome, le cerveau est LA grande exploration en cours. Au rythme des découvertes, ce remarquable atlas devrait pouvoir complètement se renouveler d’ici une dizaine d’années ! A suivre !