Notes de lecture

Les membres de l’Afas publient régulièrement des notes de lectures. Elles sont à retrouver ici.

Sous la direction d'Edgardo-D. Carosella

(CNRS Editions, 2020, 240 p. 25€)

 
Sous le sceau du secret. Les plis cachetés de l’Académie des sciences (dir. E.D. Carosella, CNRS Ed.)Saint-Etienne, 1900. Charles Bertolus, ingénieur, a créé une entreprise qui fabrique des lampes à incandescence. Il veut améliorer leur rendement en remplaçant le carbone des filaments par du tungstène. Il est encouragé par ses premiers essais, qu’il veut garder secrets jusqu’au dépôt d’un brevet. Il envoie alors leur description sous pli cacheté à l’Académie des sciences de Paris. Son pli est enregistré le 4 mars 1901 sous le numéro 6319.

C’est une des missions de l’Académie des sciences de conserver ainsi des plis cachetés, dans le but de protéger une invention, une idée, une hypothèse scientifique. Le pli peut être ouvert à tout moment à la demande de l’auteur, de ses héritiers ou, après cent ans, de l’Académie.

Avec ce livre, l’Académie des sciences dévoile au grand public quelques-uns des 18 000 plis qu’elle a reçus depuis 1735. Douze spécialistes présentent quelque 200 plis regroupés en 21 chapitres. Les auteurs des plis sont des savants célèbres (Lavoisier, Buffon, Ampère, Pasteur, Poincaré, Joliot), mais aussi des ingénieurs, médecins, industriels, officiers, avec des motivations parfois obscures, comme pour ce moine usant d’un langage codé (pas encore déchiffré) ou cet amoureux galant visiblement égaré !

Le lecteur plonge tour à tour dans les sujets les plus divers de l’histoire des sciences et des techniques tels que les feux d’artifice en couleur, les vers à soie, les mandibules d’australopithèques, la reproduction des animaux, le coton-tige. Certains sujets sont plus développés :

  • La photographie et son remarquable cortège d’inventions françaises, de Niepce (1816) aux frères Lumière (1900).
  • La crise du phylloxéra et la kyrielle de propositions pour éradiquer le puceron ravageur de la vigne, laquelle sera finalement remplacée par une nouvelle vigne du Texas.
  • L’effort de guerre en 1914-1918 avec, en 129 plis, une prolifération époustouflante d’inventions comme le sonar, les tubes à gaz pour la TSF, ou le «pansement de sœur Marthe», et quelques incongruités comme le casque enregistreur de pensée !
  • La science nucléaire en ébullition après la découverte de la fission de l’atome en février 1939 et les enjeux énormes de la réaction en chaîne, encore hypothétique. En juin 1940, alors qu’il était à la pointe de cette recherche, Joliot exfiltre son équipe vers Londres, avec son précieux stock d’eau lourde.

La palme de l’émotion revient à Scott de Martinville, autodidacte français. Son pli cacheté déposé en 1857 est ouvert en 1985. Il contient un enregistrement sur papier, réalisé par un stylet relié à une membrane. A l’aide d’un logiciel spécialisé, on a pu restituer la voix enregistrée : celle de Scott chantant Au clair de la lune. C’est le plus ancien enregistrement de l’histoire de l’humanité. Il est inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco ! On peut l’écouter sur Internet.

Le pli de Lavoisier de 1772 est la pièce la plus précieuse de la collection : il consacre la naissance de la chimie moderne. Lavoisier montre qu’un corps en combustion fixe un élément de l’air, qu’il nomme oxygène. Il s’oppose ainsi à la théorie en vogue, qui soutenait que le corps qui brûle libère un fluide, le phlogistique. La bataille entre les deux théories se conclut par la victoire de Lavoisier en 1791. Trois ans après, il sera guillotiné.

Trente plis concernent les rayons N. Ces plis ont une valeur historique exceptionnelle car... les rayons N n’existent pas ! En 1903, le physicien Blondlot annonce la découverte d’un nouveau rayonnement, qu’il appelle N en l’honneur de sa ville de Nancy. L’engouement est immédiat : publications, plis cachetés et colloques se succèdent, avec tout le gratin des scientifiques français, à l’exception notable de Perrin et Langevin. Finalement, l’Américain Wood prouve que les rayons N n’existent que dans la tête des expérimentateurs, victimes d’autosuggestion ou saisis d’une hallucination collective ! Cet épisode incroyable rappelle la fragilité de l’observation humaine.

Les plis reçus de l’étranger témoignent de l’excellente réputation de l’Académie. Citons l’Américain Jackson pour sa découverte de l’effet anesthésiant de l’éther (1846), et le Britannique Ramsay pour sa découverte du troisième gaz de l’air, l’argon (1894), dont le récit, un modèle du genre, est captivant en raison des contributions de multiples scientifiques et disciplines.

La pratique des plis cachetés se poursuit aujourd’hui : chaque année, l’Académie reçoit 30 nouveaux plis et en ouvre 250. Certains anticipent déjà l’intérêt probable des plis déposés pendant l’Occupation par les scientifiques juifs, qui étaient alors interdits de publication. Ces plis seront ouverts en 2040.

Après lecture des 230 pages de ce livre, d’un abord assez facile en dehors de quelques passages ardus en mathématiques, on reste fasciné et admiratif devant un tel bouillonnement tous azimuts de la pensée humaine.

Julien Bobroff

(Flammarion, 2020, 256 p. 20€)

 
La quantique autrement (J. Bobroff, Flammarion, 2020)Julien Bobroff réussit la gageure de faire appréhender les phénomènes quantiques les plus étranges sans équation et avec des comparaisons simples et imagées !

Les illustrations sont particulièrement pertinentes et participent, par leur inventivité, à une meilleure compréhension de tous ces phénomènes déroutants.

Ainsi, après la lecture de cet ouvrage, même si vous n’êtes pas scientifique, les notions d’effet tunnel, d’intrication, de décohérence, d’indiscernabilité ou de supraconductivité ne vous seront plus étrangères, et même plus, vous serez capable d’en appréhender le potentiel pour le monde de demain.

Julien Bobroff est professeur à l’université Paris-Saclay et par ailleurs un vulgarisateur de talent. Il a reçu le prix Jean Perrin de la Société française de physique et anime plusieurs sites de vulgarisation sur Internet : www.toutestquantique.fr, www.vulgarisation.fr, www.supraconductivite.fr ; ces sites présentent des vidéos, des animations et des expériences passionnantes.

Luc Perino

(Editions La Découverte, 2020, 210 p. 18€)

 
Patients zéro (L. Perino, Ed La Découverte, 2020) Ce livre, écrit par un médecin, remet en lumière les malades qui ont permis de grandes avancées en médecine et dont on a souvent oublié le nom dans le domaine des grandes découvertes médicales.

Il s’agit d’une autre histoire de la médecine, où c’est le malade qui est le héros et non le médecin qui a réalisé le diagnostic ou le traitement. Le terme patient zéro du titre du livre peut s’expliquer en épidémiologie car il s’agit du cas index de la personne considérée comme étant à l’origine d’une épidémie. Il ne s’agit pas obligatoirement d’un malade ayant présenté des symptômes, d’où le terme de patient et non de malade.

L’auteur présente dix-neuf cas de patients zéro.
Le premier, Tan Tan (ainsi surnommé car il ne connaissait que ce mot), est resté hospitalisé pendant 12 ans à partir de 1840, avant de mourir d’une gangrène. Le professeur Paul Broca, qui essaya de le traiter sans succès, examina son cerveau pour découvrir que c’était une lésion syphilitique du lobe frontal gauche (plus précisément la troisième circonvolution, qui deviendra l’aire de Broca) qui était responsable de son aphasie.
L’exemple suivant, remarquable, relate les débuts de l’anesthésie au protoxyde d’azote, puis au chloroforme et à l’éther, l’origine étant retrouvée chez un forain, un pitre, un arracheur de dents et un truand.

Puis viennent divers exemples :

  • l'âme de Phineas, patient zéro de la neurophysiologie de l’humeur (le plus connu des neurologues et qui a permis de comprendre les fonctions du lobe frontal, non touché par l'accident effroyable d’une barre à mine ayant traversé son visage) ;
  • les trois héroïnes de l’hystérie – Augustine, violée par son patron et devenue la star des leçons-spectacles du professeur Charcot à la Salpêtrière, Emmy von N., soignée par Breuer et Freud, et Anna O., soignée par Breuer – révélant que l’histoire de l’hystérie moderne ressemble à une succession de mensonges cliniques, le nom même d’hystérie ayant disparu du vocabulaire officiel de la santé mentale ;
  • le petit Joseph Meister, qui fut le premier sujet humain traité contre la rage en 1885 par Pasteur, même si, en 1885, c’était éthiquement difficile ;
  • la cuisinière de New York, Mary Mallon, surnommée Mary typhoïde car premier porteur sain identifié de la typhoïde, qui contamina ses patrons successifs ;
  • Madame Auguste Deter, hospitalisée pour maladie mentale à Francfort, première personne à avoir été décrite officiellement atteinte de la maladie d’Alzheimer ;
  • les problèmes liés à l’intersexualité, où un changement de sexe pouvait donner lieu à des opérations catastrophiques comme ce fut le cas en 1930 pour Lilly et en 1965 pour David ;
  • le soldat allemand de 1917 porteur d’un colibacille lui apportant une résistance aux germes pathogènes, patient zéro des antibiotiques et de l’antibiorésistance, ou la découverte de la bactériothérapie avec un autre colibacille commensal chez Selma, permettant de traiter des infections urinaires ;
  • la maladie génétique d’Unsa, atteinte de troubles du langage ou dyspraxie verbale développementale ;
  • l'immortelle Henrietta Lacks à l’origine des cultures cellulaires HeLa ;
  • l’infortune de HM ou de KC après des accidents respectivement de vélo et de mobylette suivis d’interventions chirurgicales, et dont l’amnésie a apporté de nombreuses réponses aux recherches sur les troubles de la mémoire ;
  • le microchimérisme foetal découvert pour la première fois chez madame McKey ;
  • l’énigme d’une parthénogenèse hypothétique de E.J. ;
  • la catastrophe liée au thalidomide, dont Gregor fut le patient zéro ;
  • les erreurs rencontrées par certains laboratoires dans la lutte contre le cholestérol ;
  • les miraculés du sida, qui ont survécu à la maladie ;
  • l’apparition du Sras en Chine en 2003 ;
  • enfin, l’extraordinaire potentiel de plasticité cérébrale démontré par Samuel, atteint d’une hydrocéphalie.

A la fin du livre, l’auteur explique la démarche bibliographique qu’il a eue avec chacun de ces cas. Chaque cas se lit comme une histoire passionnante, parfois avec ses controverses qui étaient moins connues, comme dans le cas de la rage. L’ensemble nous apprend une histoire de la médecine sous un angle différent.

Yann Mambrini

(Ed. Ellipses, 2020, 336 p. 24€)

 

 
L’ouvrage de Yann Mambrini est consacré aux révolutions intervenues dans le domaine de la physique entre les dernières décennies du XIXe siècle et les premières décennies du XXe siècle.

Il les présente en trois grands chapitres organisés autour des principaux savants dont les découvertes ont marqué le domaine :

  • Wilhem Röntgen (1845-1923, premier prix Nobel de physique en 1901), Henri Becquerel (1852-1908, prix Nobel en 1903 avec Pierre et Marie Curie) et Ernst Rutherford (1871-1937, prix Nobel de chimie en 1908) pour le chapitre consacré à la radioactivité ;
  • Max Planck (1858-1947, prix Nobel 1918), Ernst Rutherford à nouveau et Niëls Borh (1885-1962, prix Nobel 1922) pour la révolution atomique ;
  • Joseph John Thomson (1856-1940, prix Nobel 1907 pour la découverte de l’électron), Robert-Andrew Millikan (1868-1953, prix Nobel 1923) et Carl D. Anderson (1905-1991, prix Nobel 1936) pour le chapitre Une histoire de particule : l'électron.

Pour chacun d’eux, il évoque le parcours, l’historique des travaux, les interactions avec les très nombreux autres scientifiques avec lesquels ils travaillent et les principales publications.

Plus de la moitié de l’ouvrage est constitué des textes originaux des articles essentiels de ces savants, porteurs de leurs démonstrations et de leurs découvertes. Une grande partie du livre n’est donc abordable que pour des scientifiques chevronnés. Mais il met bien en lumière, même pour les non-scientifiques, le processus qui mène le chercheur à ses expériences et à ses conclusions, les échanges au sein de la communauté scientifique dans quelques grands lieux et institutions et l’importance de ces quelques décennies qui ont révolutionné la connaissance en physique au tournant entre les XIXe et XXe siècles.

Michel Gauthier-Clerc

(Editions Delachaux et Niestlé, 2019, 240 p. 29,90€)

 
Les manchots (M. Gauthier-Clerc, Ed. Delachaux et Niestlé, 2019)Lorsqu’on commence la lecture de ce livre en le feuilletant, on pense découvrir un atlas de photos de manchots tant celles-ci sont magnifiques et retiennent l’attention. Puis on commence à lire l’ouvrage et on découvre que c’est aussi un recueil de données passionnantes sur ces oiseaux si particuliers. Il est vrai que l’auteur est vétérinaire et spécialiste des manchots. Il a publié de nombreux articles scientifiques, dont l’un dans Nature en 2000 démontrant que ces oiseaux peuvent conserver leurs proies dans leur estomac, sans digestion ou fermentation, pendant plusieurs semaines afin d’en nourrir leurs petits.

Dans ce livre, l’auteur rappelle l’historique de ces espèces, qui datent de 60 à 25 millions d’années, et dont les manchots actuels sont maintenant restreints à l’hémisphère Sud. Puis il nous décrit les manchots actuels, de la famille des Sphéniscidés, soulignant que le manchot n’est pas un pingouin chez les francophones, la confusion étant surtout due au fait que la plupart des langues européennes désignent les manchots par des mots proches de pingouin (penguin en anglais, Pinguin en allemand et pinguin en italien…). Le terme pingouin désigne des oiseaux de la famille des Alcidés, qui sont tous volants (mergules, guillemets, macareux...) et il ne reste dans cette famille que le Pingouin Torda (Alca torda). Les espèces de manchots (et dans la même famille des gorfous) sont nombreuses et plusieurs schémas permettent de connaître leurs effectifs et leur répartition géographique. Ces oiseaux ont été exploités pour de multiples usages (huile extraite de leur graisse, œufs consommés, plumes pour la confection d’oreillers et de matelas, viande...). Mais le réchauffement climatique peut aussi jouer un rôle dans leur disparition.

Ces animaux aquatiques passent la majorité de leur vie en mer mais ils sont obligés de venir à terre pour leur reproduction et leur mue. Le mâle participe à la couvaison pendant que la femelle se nourrit en mer et réciproquement. Le changement de plumage (mue) est aussi une période de jeûne pendant que les plumes se renouvellent.

La vie en mer montre une dépendance aux grands courants et fronts océaniques, les modalités de leur consommation montrant comment ces oiseaux sont de remarquables nageurs et plongeurs, pouvant chasser en groupe de façon coordonnée.
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Quelques adaptations remarquables :

  • la «crèche», où les poussins sont regroupés lorsque les parents sont partis en mer, pour les protéger des prédateurs et limiter un refroidissement ;
  • la «tortue», où la tendance à maintenir une distance de sécurité entre les adultes est abolie lorsque les conditions météorologiques deviennent trop difficiles (en référence à la formation militaire des troupes romaines se regroupant pour se défendre), ce regroupement leur permettant de maintenir la température de leur corps et celle de l’œuf et ainsi de jeûner plus longtemps ;
  • le sommeil très fragmenté, les manchots ouvrant leurs yeux plusieurs fois par minute pour surveiller leur environnement, en particulier l’approche d’un prédateur afin de réagir immédiatement ;
  • les signaux colorés (plus la couleur est intense, plus elle signale que l’individu dispose d’une bonne immunité et de grandes qualités pour la reproduction) ;
  • la reconnaissance vocale, notamment en bordure de crèche pour reconnaître son poussin et venir à lui ;
  • la perception des odeurs pour détecter la nourriture en mer ou le site de nidification ;
  • le jeûne de longue durée (pendant plusieurs mois pour certains), leur permettant de passer de l’état d’extrême maigreur à l’obésité pour reconstituer leur réserve de graisse et jeûner à nouveau ;
  • l'élimination du sel marin apporté par leur alimentation grâce des glandes à sel très développées leur permettant d’éliminer le sel par leurs narines ;
  • la nage et la plongée économique.

    Enfin, dans un dernier chapitre, l’auteur souligne que les manchots sont particulièrement exposés aux modifications climatiques, mais des morts accidentelles sont aussi à éviter notamment en raison des lignes et filets de pêche, des marées noires, des prédateurs (parfois introduits par l’Homme, comme les rats, les porcs ou les chats).

    Une importante bibliographie complète ce livre particulièrement bien illustré, tant par des photos particulièrement remarquables que par des schémas parfaits.

Denis Lairon

(Quae, 2020, 152 p. 18€)

 
Manger sain et durable (D. Lairon, Quae, 2020)Directeur de recherche émérite à l’Inserm, Denis Lairon est un expert reconnu en nutrition. Il synthétise les études récentes mettant en lumière les liens entre le régime alimentaire et la santé, montrant clairement l’intérêt de régimes plus végétaux. Mais comment bien se nourrir et produire directement des aliments sains ? C’est le projet de ce petit livre de 150 pages, qui comporte 9 chapitres.

Le premier se rapporte à la sécurité alimentaire et la malnutrition, soulignant les problèmes de sous-alimentation dans le monde, en particulier en Afrique et en Asie, cette insécurité alimentaire par défaut d’accès à la nourriture ne s’améliorant pas en raison de nombreux facteurs.

Le second chapitre a pour objet l’amélioration des systèmes alimentaires pour éviter la «malbouffe» favorisant l’obésité et ses nombreuses conséquences médicales, les pollutions (nitrates, pesticides), les émissions de gaz à effet de serre, sans oublier le bien-être animal. L’auteur a collaboré au programme international de l’ONU sur les systèmes alimentaires durables décidé en 2014 et décrit dans le chapitre 9 de ce livre.

Le troisième chapitre concerne «une alimentation pour satisfaire nos besoins», en soulignant les teneurs en énergie, nutriments et fibres des aliments consommés ainsi que nos besoins physiologiques, nos habitudes alimentaires, avec des recommandations pour mieux se nourrir et surtout, mieux choisir les aliments transformés facilement. Des tableaux permettent de connaître la composition des aliments les plus courants et les consommations moyennes des adultes en France, pour terminer par des recommandations alimentaires françaises du ministère de la Santé en 2019.

Dans le chapitre suivant, l’auteur présente comment l’alimentation et notre mode de vie sont impliqués dans l’augmentation des maladies non transmissibles (cardiovasculaires, neurodégénératives, cancers, etc.) pour expliquer que les apports en énergie sont nécessaires mais avec modération, quels sont les nutriments et les fibres à valoriser, et le problème majeur de l’obésité en santé publique.

Puis la toxicité des pesticides est abordée dans le chapitre suivant, une alternative à l’emploi de ces toxiques étant annoncée dans les chapitres 8 et 9.

Le chapitre 6 s’attache aux productions alimentaires et à la santé de la planète. L’emploi croissant des sols (mais inversement, une urbanisation diminuant ces terres agricoles), la consommation d’eau trop importante, l’épandage massif d’engrais, une forte consommation d’énergie sont autant de facteurs jouant un rôle sur nos ressources qui, par ailleurs, peuvent se dégrader (pollution des sols, de l’eau ou de l’air). La biodiversité est aussi impactée (épuisement des réserves marines, disparition des oiseaux et des insectes), sans oublier l’émission des gaz à effet de serre.

Le chapitre 7 montre que les bienfaits de l’alimentation méditerranéenne ont été prouvés par diverses études mais que ce modèle d’alimentation se perd progressivement.

Dans le chapitre 8, l’auteur défend l’agriculture biologique, qu’il a découverte très jeune. Tout d’abord, il s’agit d’agroécologie (anciennement dénommée agriculture durable) et d’agriculture biologique (communément appelée bio). Ce chapitre présente la qualité des aliments bio, en particulier par la comparaison entre les produits transformés bio et non bio, et les données bibliographiques sur l’efficacité des produits bio dans la prévention de certaines maladies non transmissibles.

Enfin, le dernier chapitre souligne la grande urgence à s’orienter vers des systèmes alimentaires durables, rappelant comment mieux se nourrir durablement (alimentation méditerranéenne, alimentation traditionnelle asiatique des centenaires japonais de l’île d’Okinawa ou la nouvelle alimentation nordique s’inspirant de l’alimentation méditerranéenne), en rappelant que nous ne devrions pas oublier cette phrase d’Hippocrate : «que ton alimentation soit ta première médecine».

Ce livre est particulièrement dense en renseignements et conseils pour mieux se nourrir, en particulier dans le domaine du bio, malgré le fait que que la planète ne pourra jamais être nourrie que par du bio dans les années à venir.

François Rothen

(EPFL Press, 2020, 296 p. 18€90)

 
Science, orgueil et préjugés (F. Rothe, EPFL Press)Du réchauffement climatique au professeur Raoult, en passant par l’énergie noire et les OGM, on a l’impression que notre époque connaît une série exceptionnelle de controverses scientifiques. Exceptionnelle, vraiment ? Ce livre vient nous rappeler qu’il n’en est rien : les controverses en tous genres ont émaillé toute l’histoire des sciences.

François Rothen est professeur honoraire de physique à l’université de Lausanne et il signe ici son dixième livre. Sans prétention d’exhaustivité, l’auteur nous présente un certain nombre de controverses, de natures très diverses, sans lien entre elles, chacune apportant son éclairage, explique-t-il, sur le fonctionnement de la science. Evoquons quelques exemples :

La découverte de la planète Neptune est un classique de l’histoire des sciences, de même que la controverse qui l’a suivie. Tout part d’Uranus, la dernière planète découverte (1781), dont l’orbite présente des anomalies mystérieuses. Deux jeunes génies, ne se connaissant pas, le Français Urbain Le Verrier et l’Anglais John Adams, résolvent l’énigme, séparément, au terme de calculs très complexes : les anomalies s’expliqueraient par l’attraction exercée par une planète hypothétique, encore inconnue, dont ils calculent la position dans le ciel. Chacun transmet les détails de sa découverte aux autorités compétentes de son pays et ne reçoit aucune réponse ! Dépité, Le Verrier avise l’Observatoire de Berlin, où l’on découvre immédiatement la planète à l’endroit indiqué (1846). C’est une grande première : Le Verrier est encensé. C’est alors que les Anglais revendiquent l’antériorité des calculs réalisés par Adams... et que démarre la querelle franco-anglaise de la paternité de la découverte de Neptune. Le récit de l’auteur est particulièrement bien renseigné sur la partie anglaise.

La disparition des dinosaures a suscité et suscite encore des débats, à tous les stades de l’enquête, menée par les Américains Luis Alvarez, prix Nobel de physique, et son fils Walter, géologue (années quatre-vingt). Les indices témoignent que la disparition a été rapide (quelques milliers d’années). Les enquêteurs examinent les pièces à conviction, comme cette couche d’argile avec sa forte et surprenante concentration en iridium. Ils procèdent par élimination pour désigner le coupable : une météorite de 10 km de diamètre qui s’est écrasée, il y a 66 millions d’années, au Yucatan (Mexique) et à laquelle, vraisemblablement, l’être humain doit donc son existence ! Au passage, nous apprenons qu’en 563, un tsunami a balayé... le lac Léman !

Un chapitre important est consacré à la théorie de la relativité. Malgré son grand succès médiatique dès 1919, elle eut son lot d’opposants : des philosophes (Bergson), idéologues, antisémites ou scientifiques : elle est qualifiée de «métaphysique» et d’«incompréhensible» dans l’enseignement universitaire. Aucun prix Nobel ne l’a récompensée (Einstein a été nobélisé pour l’effet photo-électrique seulement).

F. Rothen présente deux affaires fameuses des années quatre-vingt : la mémoire de l’eau et la fusion froide. La première voit un chercheur français respecté de l’Inserm prétendre bouleverser les fondements de la physique et, incidemment, crédibiliser l’homéopathie. Dans la seconde, deux chercheurs américains annoncent une technique de production d’énergie en abondance à très bon marché. Dans les deux cas, le battage médiatique est énorme, en raison des immenses enjeux économiques. Les sceptiques sont traités de mandarins s’accrochant à l’orthodoxie scientifique. Finalement, dans les deux cas, le soufflé retombe devant l’impossibilité manifeste de reproduire les expériences-clés.

Contrairement à ce que l’on pense parfois, la rotondité de la Terre n’a pas suscité de grandes controverses. Elle fut assez vite acquise, dès Pythagore. Pourtant, en 1838, un certain Rowbotham mesure la courbure le long d’un canal rectiligne de 10 km en Angleterre et en conclut triomphalement... que la Terre est plate ! F. Rothen explique comment il a été victime d’un mirage !

L’auteur aborde d’autres vieilles controverses comme l’influence de la Lune sur les activités humaines. Par ailleurs, il dénonce avec une efficacité convaincante la «théorie ahurissante» du mythe du progrès dans l’évolution, soutenue par le paléontologue Stephen Gould. Enfin, il s’insurge contre le «relativisme cognitif», cher à certains sociologues comme Bruno Latour.

Tout au long de ses exposés, l’auteur est généreux en explications techniques détaillées, qui situent bien le cadre de chaque controverse et constituent un des intérêts du livre. De plus, F. Rothen nous gratifie de nombreuses digressions et anecdotes, qui font le bonheur de l’amateur d’histoire des sciences.

En conclusion, voici un livre instructif et agréable à lire, qui contribue à donner le recul nécessaire à l’analyse avisée des controverses actuelles.

Eric Jacques

(Ellipses, 2019, 424 p. 26€)

 
Lavopisier (E. Jacques, Ellipses)Quand on s’intéresse à Lavoisier, il est difficile de ne pas l’admirer, et les ouvrages le concernant sont le plus souvent des panégyriques. Comment, en effet, ne pas être impressionné par la carrière de cet homme, riche, sérieux, froid, travailleur acharné, qui réussit à peu près tout ce qu’il entreprend : finances, chimie, thermodynamique, biologie, médecine, agronomie, cette liste n’étant pas exhaustive.

Le livre d’Eric Jacques apporte un nouvel éclairage sur ce personnage et sur sa faculté à grouper autour de lui et convaincre presque tous les grands savants de l’époque. On constate qu’en dehors de la chimie, où son action est en général connue, il a réformé l’Académie des sciences, a eu une importance considérable sur l’économie et les finances de la France, a dirigé la Régie des poudres et a effectué de nombreux travaux d’agronomie dans ses fermes expérimentales. Il a aussi participé à améliorer l’ensemble des institutions dont il avait la charge, jusqu’à la promotion du système métrique. Il a également été mêlé à la politique, ce qui, à cette époque, était plus un risque qu’autre chose.

Cette nouvelle biographie a le grand intérêt de développer des aspects moins connus de Lavoisier : son action pendant la Révolution et les dessous de son accusation et de son exécution, mais aussi l’influence de tous les personnages qui ont gravité autour de lui : Fortin, Lenoir et Mégnié pour ses instruments, Hassenfratz et Seguin, ses assistants, Meusnier, Laplace, Berthollet, ses collaborateurs – et, en plus, la plupart des savants de l’époque – mais aussi l’abbé Grégoire, qui a concrétisé les idées de Lavoisier sur la formation aux arts et métiers en créant la Conservatoire national des arts et métiers.

On y apprend aussi ce que sont devenus ses maisons, châteaux, terres, matériels et écrits. A Paris, ses maisons ont disparu, mais il reste une rue. Ses châteaux, dont celui de Freschines près de Blois, ont bien souffert. Heureusement, la majorité de ses appareils de chimie et ses écrits ont été conservés. Les premiers se trouvent au Musée national des techniques, où une salle leur est consacrée. Les seconds sont en grande partie à l’Académie et de nombreux directeurs d’éditions, dont madame Lavoisier, ont travaillé à les publier depuis 1801 jusqu’en 2012. En 2020 la tâche n’est toujours pas achevée. Il est par ailleurs triste que le célèbre tableau de David le représentant avec sa femme ait quitté la France, mais on peut se consoler en se disant qu’il a rejoint le pays d’adoption des du Pont de Nemours !

Plus qu’un illustre chimiste, Lavoisier est un personnage important de l’histoire de France, dont les multiples activités sont en général mal connues. Ce livre très bien documenté participe au comblement de cette lacune.

Jacques Véron

(Ed. Points, 2020, 272 p. 8,30€)

 
Faut-il avoir peur de la population mondiale ? (J. Véron, Points)Il n’est pas facile de répondre simplement à la question que pose le titre de l’ouvrage de Jacques Véron. Le livre dense mais clair qu’il nous propose montre la complexité d’un sujet qui mêle étroitement population, développement et environnement. Les trois termes forment une «totalité» et tous les éléments qui les constituent doivent être pris en considération (pauvreté, fécondité, mortalité, migrations, alimentation, éducation, santé, urbanisation...).

Dans une présentation large qui aborde tous les sujets, l’auteur nous montre que cette question est posée de longue date. Malthus l’exprimait déjà en 1798 alors que la population mondiale atteignait à peine un milliard. Puis est venue l’accélération brutale du XIXe et surtout du XXe siècle qui nous conduit aux huit milliards prévus en 2023. Les nombreux ouvrages et rapports qui s’échelonnent sur ce sujet depuis les années soixante du XXe siècle témoignent des interrogations, inquiétudes et controverses autour de ces questions. Le livre les rappelle, du Club de Rome et du rapport Meadows (Halte à la croissance) aux «avertissements à l’humanité» et aux différentes conférences organisées par les Nations unies, de Stockholm en 1972 au Sommet de la Terre de Rio en 1992 et au Programme de 2015 fixant les dix-sept objectifs de développement durable (ODD).

Au travers des douze chapitres, il nous rappelle les concepts-clés (capacité de charge, inertie démographique, équation de l’environnement, indicateur de développement humain...) indispensables à la compréhension des phénomènes, les principaux éléments quantitatifs (exemples : 100 millions de km2 utiles sur le globe soit environ 1,5 ha par humain mais moitié de la population concentrée sur 1% des terres avec croissance accélérée des grandes agglomérations ; Chine + Inde = un tiers de l’humanité ; population du Pakistan multipliée par cinq entre 1950 et 2015 et par sept au Kenya ou en Ouganda...), les situations très diverses des différents pays et des politiques qu’ils ont conduites et qu’ils conduisent en ce domaine.

Il n’écarte aucun des débats sensibles : relation entre pauvreté et fécondité, vieillissement de la population dans certains pays (Europe, Japon) et jeunesse dans d’autres, pressions migratoires conséquentes et enjeux politiques associés (débats sur la décroissance, sur le «grand remplacement», sur l’homogénéité culturelle...).

En présentant l’équation élémentaire de l’environnement : impact = population x mode de vie x effet technologie (I=PxAxT), il montre clairement la part des différents facteurs dans la dégradation environnementale et souligne les méfaits d’une culture du gaspillage et du déchet.

L’ouvrage montre bien la complexité d’un sujet où les actions ne peuvent avoir que des effets de moyen terme dans un contexte de très grandes inégalités entre populations des différents pays.

Faut-il avoir peur de la population mondiale ? La réponse est loin d’être simple. Citons quelques phrases du chapitre conclusif Comment (ré)concilier population et environnement : «La population mondiale ne peut se stabiliser à terme sans un développement qui permette à chacun d’être nourri, éduqué, soigné, dans des conditions satisfaisantes et employé s’il est d’âge actif.» ; «Le développement économique indispensable ne doit pas aboutir à une vaste société de consommation planétaire. Entre éradication de la pauvreté et surabondance, il importe de trouver un juste milieu.»

C’est dire la complexité d’un sujet souvent porteur de controverses, que l’ouvrage de Jacques Véron permet de mieux appréhender.

Alexandre Jeanneau

(Ellipses, 2020, 240 p. 23€)

 
Ordres de grandeur et méthode de Fermi (A. Jeanneau, Ellipses)Déjà le titre demande une explication, donnée au début du livre : le pionnier de la physique nucléaire Enrico Fermi a un jour demandé à ses élèves d’estimer le nombre d’accordeurs de piano à New York et il avait fait une évaluation à partir du nombre de familles, de la proportion possédant un piano et du travail que cela peut donner à un accordeur et il était tombé juste, à un facteur 2 près. En nos temps de suspicion, on aurait tendance à dire que Fermi avait compté les accordeurs dans l’annuaire avant de poser la question.

Toujours est-il que le livre explique comment on peut estimer des ordres de grandeur en analysant les facteurs qui les conditionnent. L’auteur donne des exemples nombreux et variés et, bien obligé, il explique ce que sont les puissances de dix et les unités de la physique. Exercice délicat qui interroge sur le public visé : probablement des professeurs cherchant à provoquer une interaction et des discussions avec leurs élèves. Une bonne chose sûrement.

Quelques exemples choisis :
1) Le nombre de participants à une manifestation politique ou sportive (marathon) à partir de l’aire occupée.
2) Le travail de Stanley Milgram : peut-on relier deux personnes quelconques par une suite de liens de personne à personne ? Le nombre moyen est étonnamment court : 5 ou 6.
3) Estimer la déviation d’un projectile vers l’est suite aux forces de Coriolis, sans écrire les équations.

Quelques bons morceaux :
1) Le prix d’une vie payé par les assurances après un crash d’avion par exemple.
2) L’énergie libérée par l’explosion du site AZF en 2001 à partir des bris de vitres.

Plus contestables :
1) Estimation du rayon de la Terre en regardant le coucher du soleil couché puis debout : l’auteur a confondu le rayon de la Terre et le rayon du parallèle de la mesure et, de toutes façons, faire de la triangulation de la Terre avec une base de 1,50 m, c’est un peu audacieux !
2) L’équation de Drake estimant le nombre de civilisations extra-terrestres à cet instant. On arrive à 10, on aurait pu dire 0 ou 100 000 ! Quant à entrer en contact...
3) Le rayon d’une ligne de TGV à partir de l’accélération latérale acceptable par les voyageurs : on oublie un peu vite les conditions de stabilité sur les rails (voir l’accident d’Eckwersheim en 2015).

La grande vertu de cette méthode d’estimation est qu’elle force à s’interroger sur les mécanismes des phénomènes, comme la respiration, la circulation cardiaque, etc.

L’auteur explique aussi la notion de facteur d’échelle chère à Galilée expliquant pourquoi une puce saute aussi haut qu’un homme sans élan, c’est une notion importante qui rassure sur l’arrivée d’un King Kong.

On aurait pu craindre que la recommandation serait qu’on n’a pas besoin de connaître les grandeurs et qu’on peut les estimer selon besoins. Heureusement, l’auteur liste en annexe quelques grandeurs typiques, qui vont d’un rayon atomique à la puissance d’une centrale nucléaire. On aurait pu ajouter quelques grandeurs économiques : PIB annuel de la France, salaire médian, espérance de vie, etc.
Mais on ne peut tout explorer.

Bref, un livre intéressant qui amène à être prudent quand les médias affirment des choses dans le registre «yaka faucon»...