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Ian Stewart
(Dunod, 2020, 352 p. 23,90€)
La crise sanitaire nous le rappelle : nous n’aimons pas l’incertitude. Depuis toujours, l’homme s’est efforcé de la réduire, la maîtriser, l’encadrer. Dans son dernier livre, Ian Stewart, mathématicien et professeur émérite à la prestigieuse université de Warwick en Angleterre, nous offre, en 300 pages, un vaste panorama du monde de l’incertitude.
Les premiers chapitres sont consacrés aux grandes étapes historiques.
Dans l’Antiquité, l’art de la prédiction était d’une grande complexité. On recensait 8000 présages possibles devant la seule observation d’un foie de mouton ! Le christianisme a interdit ces pratiques divinatoires mais certaines se sont maintenues (horoscopes, lignes de la main).
Ce sont les jeux de hasard qui sont à l’origine du calcul des probabilités. L’Italien Cardan, mathématicien, médecin, joueur et voyou, en est le pionnier (1545). Pascal et Fermat inventent l’espérance mathématique et le Suisse Jacques Bernoulli énonce la loi des grands nombres.
C’est ensuite l’astronomie qui suscite les travaux sur les calculs d’erreur, permettant de fixer une valeur probable à partir de mesures imprécises, avec Legendre (1805), Moivre, Laplace, et Gauss. La fameuse courbe en cloche fait son apparition : elle va dominer le monde des probabilités et des statistiques.
Une nouvelle branche théorique s’ouvre au XIXe siècle avec les probabilités conditionnelles calculées par le pasteur britannique Thomas Bayes (probabilité d’un évènement E si un évènement F s’est produit).
Les probabilités pénètrent au cœur de la physique théorique avec l’Autrichien Boltzmann et sa théorie cinétique des gaz, basée sur les calculs statistiques des mouvements de molécules (1870). Il y a une probabilité non nulle que tout l’air d’une salle se concentre soudain dans un coin, asphyxiant les personnes présentes !
« Notre intuition des probabilités est désespérante », se lamente Stewart. Dans un étonnant chapitre « Illusions et paradoxes », il présente des problèmes dont les solutions nous sont contre-intuitives et il explique pourquoi avec beaucoup de pédagogie. Exemple : une famille a deux enfants, dont une fille. Quelle est la probabilité pour qu’il y ait deux filles ? Réponse correcte : 1/3.
L’auteur traite en détail des multiples applications pratiques des probabilités : les procès (probabilités de culpabilité devant une preuve), les modèles économiques, la médecine (essais cliniques), le cerveau (qui fonctionne comme une machine à décider probabiliste), la sociologie (statistiques démographiques, comportements humains), la cryptographie (génération de nombres aléatoires), le contrôle chaotique (missions spatiales).
La météorologie occupe une place à part car elle est à l’origine de la théorie du chaos. En 1973, le météorologue américain Edward Lorenz déclare qu’un battement d’aile de papillon au Brésil peut provoquer une tempête au Texas ! Il a découvert que les résultats des équations de la météo sont extrêmement sensibles aux conditions initiales. De ce fait, bien que les lois qui les guident soient parfaitement connues, leur évolution dans le temps ne peut être prédite au-delà d’une certaine limite. C’est le lot de tous les systèmes chaotiques, dont Poincaré avait d’ailleurs eu l’intuition en 1908. L’horizon prédictif est de quelques jours pour la météo, quelques mois pour les marées et quelques millions d’années pour la position des planètes.
Avec la mécanique quantique, qui traite des particules, on entre dans un monde radicalement différent. Dans tout ce qui précède, l’incertitude n’était due qu’à notre ignorance. Si l’on connaissait avec précision tous les paramètres d’un lancer de dés, on pourrait calculer son résultat. Ici rien de tel : l’incertitude est intrinsèque au phénomène. Une particule quantique est dans une superposition d’états possibles dont la probabilité est donnée par une équation. C’est seulement lorsqu’on « observe » la particule que celle-ci prend un état défini. Einstein ne croyait pas à cette nature aléatoire : « Dieu ne joue pas aux dés », disait-il. Un débat célèbre avec Niels Bohr s’ensuivit. Selon Einstein, la particule est guidée par des variables classiques cachées. En 1964, Bell démontre l’impossibilité de ces variables cachées. Sauf pour les systèmes chaotiques, corrige Tim Palmer en 1995.
Ian Stewart apporte aujourd’hui des arguments pour réhabiliter les variables cachées. Il pense que l’on parviendra un jour à dépouiller la mécanique quantique de sa dimension probabiliste : « Dieu joue certes aux dés. Mais ces dés sont cachés et non aléatoires. Comme les dés réels », annonce-t-il.
Cette prise de position d’Ian Stewart fait l’originalité du livre et lui donne son titre ! L’ouvrage est riche en informations et écrit dans un langage commun. Il nécessite néanmoins une bonne base en mathématiques et physique, et certains raisonnements sont ardus à suivre pour un lecteur non spécialisé.
Evelyne Heyer
(Flammarion, 2020, 388 p. 22,90€)
L’ouvrage nous fait voyager au long de l’histoire de l’humanité et sur tous les continents, à travers l’analyse des gènes, en cinq grandes périodes : les premiers pas (7 millions d’années-50 000 ans), l’esprit de conquête (50 000-10 000), l’Homme dompte la nature (10 000-1000), l’âge de la domination (1000 av-1500 ap), les temps modernes (jusqu’à nos jours et avenir).
Depuis la séparation de la sous-branche des Hominidés au sein de l’ordre des Primates, l’espèce humaine a cheminé et s’est répandue sur tout le globe, de la première à la deuxième sortie d’Afrique il y a environ 70 000 ans. A ce moment, au moins quatre espèces d’humains peuplaient la planète : Néandertal, Denisova, Florès et Sapiens avant que Sapiens reste la seule. Puis intervient, il y a environ 10 000 ans, la révolution du Néolithique qui, avec le développement de l’agriculture et de l’élevage en différents lieux du globe, accroît la diversité génétique des populations et modifie leurs capacités biologiques avec, par exemple, la capacité à digérer le lait chez certaines d’entre elles.
Tous les lieux sont évoqués, depuis la colonisation de l’Australie il y a environ 50 000 ans ou de l’Amérique il y a environ 15 000 ans jusqu’à la rencontre des Pygmées et des Bantous en Afrique centrale, l’expansion des Samanides perses en Asie centrale ou la communauté juive de Boukhara.
L’histoire de l’humanité est une histoire de migrations et de stabilités dans un équilibre variable entre les deux termes. Ainsi, tous les peuples européens puisent leur origine à trois sources, les premiers Paléolithiques européens, les hommes du Néolithique du Moyen-Orient et les populations de l’âge du bronze provenant des steppes.
L’auteur nous fait comprendre comment l’ADN permet d’explorer le passé. Il est possible de lire dans notre code génétique et ainsi de remonter progressivement dans le temps. La reproduction sexuée produit du «neuf» avec du «vieux» grâce à la recombinaison génétique à chaque génération. L’ADN est une sorte de mosaïque des ancêtres passés, même si beaucoup ne nous ont rien transmis au fur et à mesure que l’on remonte dans les générations.
Elle nous fait également toucher du doigt le travail du chercheur en anthropologie génétique, y compris dans ses modalités les plus concrètes, au contact des populations les plus diverses (et des autorités locales…), au Kazakhstan, au Kirghizistan, en Mongolie, dans l’Altaï, l’Asie centrale étant la région de prédilection de ses recherches, en relation étroite avec les travaux conduits en ethnologie et en linguistique.
Ecrit dans une langue très claire, l’ouvrage se lit avec beaucoup de facilité, même si l’articulation entre la dimension historique et la dimension génétique n’est pas toujours évidente pour le profane.
Mark Miodownik
(EPFL Press, 2020, 304 p. 20,85€)
Un livre surprenant, à la frontière entre beaucoup de genres. Livre de physique, d’histoire, de philosophie ? Tout ça à la fois ! L’auteur est un physicien britannique, spécialiste des matériaux, qui ne craint pas de s’écarter de son cœur de métier pour se poser des questions sur l’origine des objets qu’il côtoie.
L’auteur se place un peu à la manière des enfants qui posent les questions comme elles leur viennent à l’esprit, ce qui peut être passionnant ou agaçant (passionnant quand on sait répondre, agaçant quand on ne sait pas).
C’est donc un livre de physique qui explique de manière assez détaillée comment fonctionnent le verre, les métaux, le diamant comparé au graphite… Mais à la différence des livres de physique contemporains, il contient très peu de schémas et évidemment aucune équation.
Un livre d’histoire alors ? De fait, on apprend des tas d’anecdotes sur l’invention des matériaux. Cela provoque un profond respect pour nos ancêtres de Cro-Magnon et autres, dont le sens aigu de l’observation a donné les poteries d’argile, les métaux, les alliages et tant d’autres. On apprend ainsi que les Egyptiens savaient fabriquer du verre mais que les Chinois et les Japonais ont découvert ce matériau quand des Occidentaux les leur ont apportés. Réciproquement, il a fallu un millénaire avant que les Occidentaux sachent produire de la porcelaine.
Sur la forme, le livre s’efforce de varier les effets : lyrique sur le chocolat, à la mode cinéma sur les polymères, surprenant quand il passe sans transition des vertus du papier pour les lettres d’amour, pour la monnaie et le papier toilette, intimiste quand il parle du parcours de sa famille.
Finalement, un livre attachant où chacune ou chacun saura trouver une information nouvelle et une admiration pour nos glorieux prédécesseurs.
Pierre Papon
(CNRS Editions, 2020, 336 p. 25€)
L’ouvrage de Pierre Papon fait un tour d’horizon particulièrement complet, riche et documenté de la situation de la science et de sa place dans le monde d’aujourd’hui.
En trois grandes parties, il présente d’abord ce qu’est la science (Partie I. A la recherche de la «vérité» : les voies et les moyens de la connaissance scientifique) puis quel est son rapport à la société (Partie II. La science dans la société) et enfin quel est son rapport à la démocratie (Partie III. La science, vigie de la démocratie).
La première partie analyse le processus de la recherche de la «vérité», les méthodes et les normes de production du savoir, les valeurs de la science (universalisme, communalisme, désintéressement, scepticisme organisé), les évolutions de la «vérité» (par exemple les vérités «incroyables» de la physique quantique), la place particulière des sciences sociales, les changements apportés par la révolution numérique (une nouvelle science, la science des données).
La deuxième partie analyse la place de la science dans la société. Elle met en lumière l’évolution de la relation entre «République de la science» et Res publica. Elle montre l’institutionnalisation et la professionnalisation progressive de la science, sa relation aux pouvoirs politiques, son intrication croissante avec l’économie marquée par le développement constant des «technosciences» (Gilbert Hottois) et les controverses que cela suscite (Science studies), la spécificité des métiers de la science avec les questions d’intégrité scientifique qu’elle pose, l’invention, l’épanouissement puis la contestation de l’idée de progrès. Quelques exemples (climat, sciences cognitives, énergie, situation sanitaire) montrent la relation complexe entre la science et la décision politique. C’est tout le sujet de l’expertise qui est largement développé (l’expert : le rôle difficile du «troisième homme» entre le chercheur et le politique).
La troisième partie montre que la science ne peut jouer son rôle de «vigie de la démocratie» que si de nombreuses conditions sont réunies. Evidemment, elle est partie prenante dans le débat public sur tous les enjeux de société mais dans un contexte de «déclin de la vérité», de peur de la «république des experts» ou de craintes face au discours de la «singularité technologique».
Il est nécessaire de mieux articuler la relation de la science avec les décideurs et la conduite des politiques publiques, d'avoir une politique de recherche au niveau national comme international, de veiller à la réflexion prospective, de s’intéresser à la science citoyenne et à la place de la culture scientifique.
En conclusion, la réponse à la question posée par le titre est positive à la condition de préparer l’avenir, de s’appuyer sur des expertises transparentes, de développer la communication et la culture scientifique, d’avoir un dialogue permanent entre science et société.
L’ouvrage fait le tour de sujets d’une brûlante actualité en mobilisant les connaissances dans tous les champs disciplinaires et les publications les plus récentes (comme en témoigne la richesse de la bibliographie) dans un texte très dense mais très lisible.
On peut regretter qu’il ne creuse pas davantage le sujet des différentes catégories d’institutions scientifiques et la comparaison entre les différents systèmes mondiaux de recherche, innovation et enseignement supérieur en compétition aujourd’hui.
A l’issue de ce vaste panorama qui fait bien apparaître la complexité de la relation science-techniques-économie-société, dans le monde des technosciences qui est aujourd’hui le nôtre, on ne peut manquer de se poser une question évidente : la science et les technosciences ne sont-elles pas, désormais, les sujets principaux de toute réflexion politique ?
William Bynum
(De Boeck Supérieur, 2020, 352 p. 19,90€)
En quarante chapitres, l’ouvrage dresse le panorama des principaux moments de l’histoire de la science, avec ses découvertes, ses personnages essentiels, ses publications clés depuis l’Antiquité – qui bâtit un modèle (Aristote, Ptolémée, Galien) qui va s’imposer jusqu’à la Renaissance – jusqu’à la physique quantique, l’astrophysique, la biologie moléculaire et l’ère du numérique d’aujourd’hui. Après quelques chapitres initiaux transversaux (l’Antiquité, la Chine et l’Inde, le monde islamique), tous les domaines des sciences exactes sont abordés autour des principales étapes de leur développement. Le corps humain et la médecine depuis Hippocrate jusqu’au Human Genome Project ; l’astronomie depuis Eratosthène et Ptolémée jusqu’à l’astrophysique ; la physique depuis les Grecs jusqu’à la physique quantique ; la chimie et sa relation à la physique et à la biologie ; les sciences du vivant et la biologie ; la paléontologie ; les sciences de la Terre, alternent au long d’une chronologie dont on mesure bien l’accélération au fil des siècles. Ainsi apparaît de manière très complète la grande galerie des savants et des découvertes qui ont marqué l’histoire de toutes les disciplines, la multiplicité des acteurs, les quelques publications essentielles, de Copernic à Newton et à Einstein, de Darwin à Pasteur et Watson et Crick. Au passage est évoquée l’importance des outils qui ont permis les découvertes, télescopes, thermomètres, microscopes… et celle de quelques institutions…. dont la British Association for the Advancement of Science…
Le livre n’aborde pas les sciences humaines et sociales et très peu la relation entre science et techniques, ni les réflexions épistémologiques.
Il met néanmoins en lumière combien chaque scientifique et chaque génération de scientifiques peuvent bénéficier des connaissances de ceux qui vivaient avant eux. « Si j’ai pu voir loin, c’est en me trouvant sur les épaules de géants » (Newton).
Un index assez complet complète l’ouvrage, même s’il faut regretter qu’il mêle noms propres et noms communs.
Le livre, malgré des lourdeurs de style dues à la traduction – d’abord publié en anglais puis traduit en français sur un mode trop littéral – ne comporte aucune difficulté de lecture et s’adresse à tous les publics. Il permet de parcourir de manière aisée l’histoire de la connaissance au fil des grands moments de découvertes et de vie des savants qui les ont portées.
Sous la direction d'Edgardo-D. Carosella
(CNRS Editions, 2020, 240 p. 25€)
Saint-Etienne, 1900. Charles Bertolus, ingénieur, a créé une entreprise qui fabrique des lampes à incandescence. Il veut améliorer leur rendement en remplaçant le carbone des filaments par du tungstène. Il est encouragé par ses premiers essais, qu’il veut garder secrets jusqu’au dépôt d’un brevet. Il envoie alors leur description sous pli cacheté à l’Académie des sciences de Paris. Son pli est enregistré le 4 mars 1901 sous le numéro 6319.
C’est une des missions de l’Académie des sciences de conserver ainsi des plis cachetés, dans le but de protéger une invention, une idée, une hypothèse scientifique. Le pli peut être ouvert à tout moment à la demande de l’auteur, de ses héritiers ou, après cent ans, de l’Académie.
Avec ce livre, l’Académie des sciences dévoile au grand public quelques-uns des 18 000 plis qu’elle a reçus depuis 1735. Douze spécialistes présentent quelque 200 plis regroupés en 21 chapitres. Les auteurs des plis sont des savants célèbres (Lavoisier, Buffon, Ampère, Pasteur, Poincaré, Joliot), mais aussi des ingénieurs, médecins, industriels, officiers, avec des motivations parfois obscures, comme pour ce moine usant d’un langage codé (pas encore déchiffré) ou cet amoureux galant visiblement égaré !
Le lecteur plonge tour à tour dans les sujets les plus divers de l’histoire des sciences et des techniques tels que les feux d’artifice en couleur, les vers à soie, les mandibules d’australopithèques, la reproduction des animaux, le coton-tige. Certains sujets sont plus développés :
- La photographie et son remarquable cortège d’inventions françaises, de Niepce (1816) aux frères Lumière (1900).
- La crise du phylloxéra et la kyrielle de propositions pour éradiquer le puceron ravageur de la vigne, laquelle sera finalement remplacée par une nouvelle vigne du Texas.
- L’effort de guerre en 1914-1918 avec, en 129 plis, une prolifération époustouflante d’inventions comme le sonar, les tubes à gaz pour la TSF, ou le «pansement de sœur Marthe», et quelques incongruités comme le casque enregistreur de pensée !
- La science nucléaire en ébullition après la découverte de la fission de l’atome en février 1939 et les enjeux énormes de la réaction en chaîne, encore hypothétique. En juin 1940, alors qu’il était à la pointe de cette recherche, Joliot exfiltre son équipe vers Londres, avec son précieux stock d’eau lourde.
La palme de l’émotion revient à Scott de Martinville, autodidacte français. Son pli cacheté déposé en 1857 est ouvert en 1985. Il contient un enregistrement sur papier, réalisé par un stylet relié à une membrane. A l’aide d’un logiciel spécialisé, on a pu restituer la voix enregistrée : celle de Scott chantant Au clair de la lune. C’est le plus ancien enregistrement de l’histoire de l’humanité. Il est inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco ! On peut l’écouter sur Internet.
Le pli de Lavoisier de 1772 est la pièce la plus précieuse de la collection : il consacre la naissance de la chimie moderne. Lavoisier montre qu’un corps en combustion fixe un élément de l’air, qu’il nomme oxygène. Il s’oppose ainsi à la théorie en vogue, qui soutenait que le corps qui brûle libère un fluide, le phlogistique. La bataille entre les deux théories se conclut par la victoire de Lavoisier en 1791. Trois ans après, il sera guillotiné.
Trente plis concernent les rayons N. Ces plis ont une valeur historique exceptionnelle car... les rayons N n’existent pas ! En 1903, le physicien Blondlot annonce la découverte d’un nouveau rayonnement, qu’il appelle N en l’honneur de sa ville de Nancy. L’engouement est immédiat : publications, plis cachetés et colloques se succèdent, avec tout le gratin des scientifiques français, à l’exception notable de Perrin et Langevin. Finalement, l’Américain Wood prouve que les rayons N n’existent que dans la tête des expérimentateurs, victimes d’autosuggestion ou saisis d’une hallucination collective ! Cet épisode incroyable rappelle la fragilité de l’observation humaine.
Les plis reçus de l’étranger témoignent de l’excellente réputation de l’Académie. Citons l’Américain Jackson pour sa découverte de l’effet anesthésiant de l’éther (1846), et le Britannique Ramsay pour sa découverte du troisième gaz de l’air, l’argon (1894), dont le récit, un modèle du genre, est captivant en raison des contributions de multiples scientifiques et disciplines.
La pratique des plis cachetés se poursuit aujourd’hui : chaque année, l’Académie reçoit 30 nouveaux plis et en ouvre 250. Certains anticipent déjà l’intérêt probable des plis déposés pendant l’Occupation par les scientifiques juifs, qui étaient alors interdits de publication. Ces plis seront ouverts en 2040.
Après lecture des 230 pages de ce livre, d’un abord assez facile en dehors de quelques passages ardus en mathématiques, on reste fasciné et admiratif devant un tel bouillonnement tous azimuts de la pensée humaine.
Julien Bobroff
(Flammarion, 2020, 256 p. 20€)
Julien Bobroff réussit la gageure de faire appréhender les phénomènes quantiques les plus étranges sans équation et avec des comparaisons simples et imagées !
Les illustrations sont particulièrement pertinentes et participent, par leur inventivité, à une meilleure compréhension de tous ces phénomènes déroutants.
Ainsi, après la lecture de cet ouvrage, même si vous n’êtes pas scientifique, les notions d’effet tunnel, d’intrication, de décohérence, d’indiscernabilité ou de supraconductivité ne vous seront plus étrangères, et même plus, vous serez capable d’en appréhender le potentiel pour le monde de demain.
Julien Bobroff est professeur à l’université Paris-Saclay et par ailleurs un vulgarisateur de talent. Il a reçu le prix Jean Perrin de la Société française de physique et anime plusieurs sites de vulgarisation sur Internet : www.toutestquantique.fr, www.vulgarisation.fr, www.supraconductivite.fr ; ces sites présentent des vidéos, des animations et des expériences passionnantes.
Luc Perino
(Editions La Découverte, 2020, 210 p. 18€)
Ce livre, écrit par un médecin, remet en lumière les malades qui ont permis de grandes avancées en médecine et dont on a souvent oublié le nom dans le domaine des grandes découvertes médicales.
Il s’agit d’une autre histoire de la médecine, où c’est le malade qui est le héros et non le médecin qui a réalisé le diagnostic ou le traitement. Le terme patient zéro du titre du livre peut s’expliquer en épidémiologie car il s’agit du cas index de la personne considérée comme étant à l’origine d’une épidémie. Il ne s’agit pas obligatoirement d’un malade ayant présenté des symptômes, d’où le terme de patient et non de malade.
L’auteur présente dix-neuf cas de patients zéro.
Le premier, Tan Tan (ainsi surnommé car il ne connaissait que ce mot), est resté hospitalisé pendant 12 ans à partir de 1840, avant de mourir d’une gangrène. Le professeur Paul Broca, qui essaya de le traiter sans succès, examina son cerveau pour découvrir que c’était une lésion syphilitique du lobe frontal gauche (plus précisément la troisième circonvolution, qui deviendra l’aire de Broca) qui était responsable de son aphasie.
L’exemple suivant, remarquable, relate les débuts de l’anesthésie au protoxyde d’azote, puis au chloroforme et à l’éther, l’origine étant retrouvée chez un forain, un pitre, un arracheur de dents et un truand.
Puis viennent divers exemples :
- l'âme de Phineas, patient zéro de la neurophysiologie de l’humeur (le plus connu des neurologues et qui a permis de comprendre les fonctions du lobe frontal, non touché par l'accident effroyable d’une barre à mine ayant traversé son visage) ;
- les trois héroïnes de l’hystérie – Augustine, violée par son patron et devenue la star des leçons-spectacles du professeur Charcot à la Salpêtrière, Emmy von N., soignée par Breuer et Freud, et Anna O., soignée par Breuer – révélant que l’histoire de l’hystérie moderne ressemble à une succession de mensonges cliniques, le nom même d’hystérie ayant disparu du vocabulaire officiel de la santé mentale ;
- le petit Joseph Meister, qui fut le premier sujet humain traité contre la rage en 1885 par Pasteur, même si, en 1885, c’était éthiquement difficile ;
- la cuisinière de New York, Mary Mallon, surnommée Mary typhoïde car premier porteur sain identifié de la typhoïde, qui contamina ses patrons successifs ;
- Madame Auguste Deter, hospitalisée pour maladie mentale à Francfort, première personne à avoir été décrite officiellement atteinte de la maladie d’Alzheimer ;
- les problèmes liés à l’intersexualité, où un changement de sexe pouvait donner lieu à des opérations catastrophiques comme ce fut le cas en 1930 pour Lilly et en 1965 pour David ;
- le soldat allemand de 1917 porteur d’un colibacille lui apportant une résistance aux germes pathogènes, patient zéro des antibiotiques et de l’antibiorésistance, ou la découverte de la bactériothérapie avec un autre colibacille commensal chez Selma, permettant de traiter des infections urinaires ;
- la maladie génétique d’Unsa, atteinte de troubles du langage ou dyspraxie verbale développementale ;
- l'immortelle Henrietta Lacks à l’origine des cultures cellulaires HeLa ;
- l’infortune de HM ou de KC après des accidents respectivement de vélo et de mobylette suivis d’interventions chirurgicales, et dont l’amnésie a apporté de nombreuses réponses aux recherches sur les troubles de la mémoire ;
- le microchimérisme foetal découvert pour la première fois chez madame McKey ;
- l’énigme d’une parthénogenèse hypothétique de E.J. ;
- la catastrophe liée au thalidomide, dont Gregor fut le patient zéro ;
- les erreurs rencontrées par certains laboratoires dans la lutte contre le cholestérol ;
- les miraculés du sida, qui ont survécu à la maladie ;
- l’apparition du Sras en Chine en 2003 ;
- enfin, l’extraordinaire potentiel de plasticité cérébrale démontré par Samuel, atteint d’une hydrocéphalie.
A la fin du livre, l’auteur explique la démarche bibliographique qu’il a eue avec chacun de ces cas. Chaque cas se lit comme une histoire passionnante, parfois avec ses controverses qui étaient moins connues, comme dans le cas de la rage. L’ensemble nous apprend une histoire de la médecine sous un angle différent.
Yann Mambrini
(Ed. Ellipses, 2020, 336 p. 24€)
L’ouvrage de Yann Mambrini est consacré aux révolutions intervenues dans le domaine de la physique entre les dernières décennies du XIXe siècle et les premières décennies du XXe siècle.
Il les présente en trois grands chapitres organisés autour des principaux savants dont les découvertes ont marqué le domaine :
- Wilhem Röntgen (1845-1923, premier prix Nobel de physique en 1901), Henri Becquerel (1852-1908, prix Nobel en 1903 avec Pierre et Marie Curie) et Ernst Rutherford (1871-1937, prix Nobel de chimie en 1908) pour le chapitre consacré à la radioactivité ;
- Max Planck (1858-1947, prix Nobel 1918), Ernst Rutherford à nouveau et Niëls Borh (1885-1962, prix Nobel 1922) pour la révolution atomique ;
- Joseph John Thomson (1856-1940, prix Nobel 1907 pour la découverte de l’électron), Robert-Andrew Millikan (1868-1953, prix Nobel 1923) et Carl D. Anderson (1905-1991, prix Nobel 1936) pour le chapitre Une histoire de particule : l'électron.
Pour chacun d’eux, il évoque le parcours, l’historique des travaux, les interactions avec les très nombreux autres scientifiques avec lesquels ils travaillent et les principales publications.
Plus de la moitié de l’ouvrage est constitué des textes originaux des articles essentiels de ces savants, porteurs de leurs démonstrations et de leurs découvertes. Une grande partie du livre n’est donc abordable que pour des scientifiques chevronnés. Mais il met bien en lumière, même pour les non-scientifiques, le processus qui mène le chercheur à ses expériences et à ses conclusions, les échanges au sein de la communauté scientifique dans quelques grands lieux et institutions et l’importance de ces quelques décennies qui ont révolutionné la connaissance en physique au tournant entre les XIXe et XXe siècles.
Michel Gauthier-Clerc
(Editions Delachaux et Niestlé, 2019, 240 p. 29,90€)
Lorsqu’on commence la lecture de ce livre en le feuilletant, on pense découvrir un atlas de photos de manchots tant celles-ci sont magnifiques et retiennent l’attention. Puis on commence à lire l’ouvrage et on découvre que c’est aussi un recueil de données passionnantes sur ces oiseaux si particuliers. Il est vrai que l’auteur est vétérinaire et spécialiste des manchots. Il a publié de nombreux articles scientifiques, dont l’un dans Nature en 2000 démontrant que ces oiseaux peuvent conserver leurs proies dans leur estomac, sans digestion ou fermentation, pendant plusieurs semaines afin d’en nourrir leurs petits.
Dans ce livre, l’auteur rappelle l’historique de ces espèces, qui datent de 60 à 25 millions d’années, et dont les manchots actuels sont maintenant restreints à l’hémisphère Sud. Puis il nous décrit les manchots actuels, de la famille des Sphéniscidés, soulignant que le manchot n’est pas un pingouin chez les francophones, la confusion étant surtout due au fait que la plupart des langues européennes désignent les manchots par des mots proches de pingouin (penguin en anglais, Pinguin en allemand et pinguin en italien…). Le terme pingouin désigne des oiseaux de la famille des Alcidés, qui sont tous volants (mergules, guillemets, macareux...) et il ne reste dans cette famille que le Pingouin Torda (Alca torda). Les espèces de manchots (et dans la même famille des gorfous) sont nombreuses et plusieurs schémas permettent de connaître leurs effectifs et leur répartition géographique. Ces oiseaux ont été exploités pour de multiples usages (huile extraite de leur graisse, œufs consommés, plumes pour la confection d’oreillers et de matelas, viande...). Mais le réchauffement climatique peut aussi jouer un rôle dans leur disparition.
Ces animaux aquatiques passent la majorité de leur vie en mer mais ils sont obligés de venir à terre pour leur reproduction et leur mue. Le mâle participe à la couvaison pendant que la femelle se nourrit en mer et réciproquement. Le changement de plumage (mue) est aussi une période de jeûne pendant que les plumes se renouvellent.
La vie en mer montre une dépendance aux grands courants et fronts océaniques, les modalités de leur consommation montrant comment ces oiseaux sont de remarquables nageurs et plongeurs, pouvant chasser en groupe de façon coordonnée.
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Quelques adaptations remarquables :
- la «crèche», où les poussins sont regroupés lorsque les parents sont partis en mer, pour les protéger des prédateurs et limiter un refroidissement ;
- la «tortue», où la tendance à maintenir une distance de sécurité entre les adultes est abolie lorsque les conditions météorologiques deviennent trop difficiles (en référence à la formation militaire des troupes romaines se regroupant pour se défendre), ce regroupement leur permettant de maintenir la température de leur corps et celle de l’œuf et ainsi de jeûner plus longtemps ;
- le sommeil très fragmenté, les manchots ouvrant leurs yeux plusieurs fois par minute pour surveiller leur environnement, en particulier l’approche d’un prédateur afin de réagir immédiatement ;
- les signaux colorés (plus la couleur est intense, plus elle signale que l’individu dispose d’une bonne immunité et de grandes qualités pour la reproduction) ;
- la reconnaissance vocale, notamment en bordure de crèche pour reconnaître son poussin et venir à lui ;
- la perception des odeurs pour détecter la nourriture en mer ou le site de nidification ;
- le jeûne de longue durée (pendant plusieurs mois pour certains), leur permettant de passer de l’état d’extrême maigreur à l’obésité pour reconstituer leur réserve de graisse et jeûner à nouveau ;
- l'élimination du sel marin apporté par leur alimentation grâce des glandes à sel très développées leur permettant d’éliminer le sel par leurs narines ;
- la nage et la plongée économique.
Enfin, dans un dernier chapitre, l’auteur souligne que les manchots sont particulièrement exposés aux modifications climatiques, mais des morts accidentelles sont aussi à éviter notamment en raison des lignes et filets de pêche, des marées noires, des prédateurs (parfois introduits par l’Homme, comme les rats, les porcs ou les chats).
Une importante bibliographie complète ce livre particulièrement bien illustré, tant par des photos particulièrement remarquables que par des schémas parfaits.