Intérêt de l’erreur en sciences et en médecine

Article issu des notes de

Rodica Ravier

Directrice de recherche honoraire au CNRS, modératrice de la conférence de

Laurent Degos

Professeur émérite d’hématologie à l’université Paris Diderot, ancien président-fondateur de la Haute Autorité de santé

(Conférence du 30 mars 2017 à l’Institut Pasteur – Partenariat AFAS / Chercheurs Toujours)
 

intérêt de l'erreur en sciences et en médecine

L’erreur est humaine, dit l’adage. Mais qu’est-ce que cela signifie ? L’erreur peut perturber notre quotidien mais aussi être un moteur d’évolution et d’adaptation. Elle est à la base de tout apprentissage et peut être source de multiples innovations et découvertes.

L’erreur n’est pas un ennemi. C’est un outil de connaissance. L’esprit de génie s’oppose à l’esprit de découverte. L’un vise à maîtriser totalement une situation, l’autre doit rester en éveil, prêt à réagir devant l’inattendu. L’esprit de découverte pousse à oser toujours plus et incite à effectuer des expériences inédites. Si l’on regarde la liste des prix Nobel en médecine et physiologie, par exemple Marie Curie avec la découverte de la radioactivité ou Alexandre Flemming avec celle de la pénicilline, leur mérite est d’avoir reconnu dans l’événement inattendu « l’erreur » qu’ils ont su décrypter.

L’erreur est inhérente au fait d’avancer, d’aller plus loin, d’évoluer. Il ne faut pas confondre l’erreur et la faute. Faute vient de fallere et signifie le manquement aux règles établies et donc connues. L’erreur vient de errare et signifie errer. Cette confusion fait parfois considérer l’erreur comme notre ennemie. Or l’erreur, c’est errer au sens de l’aventure dans un environnement inconnu. Faire l’éloge de l’erreur, c’est faire l’éloge du progrès et de l’innovation. L’homme ne serait pas apparu sans les errements et les chaos qui fondent l’évolution du monde vivant. La nature sélectionne, fait le tri entre erreur bénéfique conservée et erreur nocive éliminée.

Les règles établies au cours du passé et acquises au cours d’un apprentissage, professionnel ou autre, permettent de gérer notre quotidien et de connaître la conduite à tenir dans des situations complexes, que ce soit pour la construction d’un château de cartes, la conduite automobile, la prise en charge d’un patient, etc. Considérée comme un manquement accidentel aux règles, l’erreur doit être corrigée ou assimilée dans le système considéré.

Un système complexe adaptatif évolue constamment entre deux tendances : l’inertie et le chaos. Si d’un côté, la sécurité des règles établies et strictes permet de maîtriser le système, de l’autre, il y a risque de le figer, de le rendre inapte à s’adapter et de le voir basculer vers le chaos face à un événement imprévu. Comme exemple d’inertie et absence de réaction peut être cité celui de Kodak, qui est resté sur des films photographiques sans avoir pris le tournant du numérique, ce qui l’a conduit à sa perte.

Dans le cadre du système de santé actuel, certaines situations évoluent et modifient la relation médecin-malade d’autrefois. La variabilité des médicaments, les effets secondaires, la multiplicité des examens complexifient le circuit des actes successifs nécessaires à la prise en charge du malade et de la maladie. Il faut à la fois suivre les règles mais aussi savoir s’adapter à leur évolution.

Sécuriser est nécessaire mais pas à n’importe quel prix. L’ultra-sécurité est difficile à atteindre et difficile à conserver. Trois paradoxes lui sont rattachés :

  • 1° Dans les conditions extrêmes de sécurité, le système adaptatif ne fonctionne plus. Le système se fige et ne permet plus l’innovation.
  • 2° Plus on accroît la sécurité, moins on dispose d’informations pour la gérer. Tout est fait pour supprimer les erreurs et donc les variations du système, sources d’information. C’est le paradoxe de la régulation.
  • 3° Plus le système est complexe, plus l’erreur est compensée et donc cachée. C’est le paradoxe de visibilité. Cette stratégie de compensation peut servir à échapper aux contraintes trop fortes du système. Mais il faut pouvoir la retrouver pour réparer exactement le système.

La fable du chêne et du roseau s’applique bien aux systèmes complexes adaptatifs. C’est par le maintien d’une certaine souplesse liée à la diversité et à la variabilité qu’il y a possibilité d’échapper à l’adversité.

Éviter les accidents dus aux erreurs. Améliorer la sécurité. L’erreur génère des améliorations qui permettent l’évolution d’un système.

Face à un événement inattendu et grave, deux attitudes sont possibles selon que l’on se place du côté de la sanction ou que l’on se concentre sur la réparation. D’un côté, on se focalise sur les notions de responsabilité-culpabilité, de l’autre, on recherche les causes de la défaillance et on améliore le système. La loi Kouchner de 2002 sur les aléas thérapeutiques a voulu distinguer l’erreur involontaire due au hasard, de la faute qui est poursuivie par le tribunal. Il est intéressant de noter que, quelles que soient les régions et les périodes de temps analysées, la fréquence de survenue d’un événement indésirable lors d’une hospitalisation est estimée autour de 6%, comme s’il s’agissait de l’atteinte de la limite humaine. Par contre, pour un problème au cours d’un voyage en avion, milieu contraint, elle est de l’ordre d’un par million.

L’erreur conduit vers des besoins de plus de sécurité. Ce qui nécessite qu’au moment de la découverte de son origine, il faut savoir en réparer le défaut. Exemples : prescription hospitalière sur papier ou par informatique avec erreurs de recopiage ; médicament urgent non disponible à temps par changement d’emplacement dans l’armoire à pharmacie du service… L’amélioration n’est pas toujours bénéfique dans un contexte d’urgence ! Pour qu’un incident ne se reproduise pas, il faut savoir en analyser tous les aspects.

Dans le monde vivant, le moteur de survie est l’interaction entre un monde évolutif et un environnement changeant. Les chercheurs, en matière de sécurité, se dirigent actuellement vers l’étude de la capacité de s’ajuster, de s’adapter. Ouvrir les yeux plutôt que de les fixer sur des protocoles. Là intervient la résilience, qui est une attitude d’adaptation face à la variabilité en anticipant à chaque moment. Elle diminue le risque de catastrophe mais laisse place à la variabilité et aux erreurs mineures.

Dans un service de santé, la recherche d’une solution particulière pour parer au plus pressé et éviter un événement grave est parfois préférable au maintien de soins totalement réglés et établis. Par exemple, quand une infirmière prend des initiatives devant un patient dont l’état s’aggrave, change les traitements prévus et se met en porte-à-faux avec sa hiérarchie absente, elle joue son rôle dans le cadre de la résilience, alors qu’elle pourrait se conformer aux prescriptions devenues inadaptées.

L’homme moderne crée des systèmes complexes comme la communication via Internet, ou devenus complexes comme la santé, l’éducation, les finances, etc. En même temps que son pouvoir s’accroît, des principes de précaution se mettent en place pour que soit respecté le bien-être de l’homme, dans une nature et une biodiversité préservées.

Les limites à ne pas dépasser dans la gestion des systèmes adaptatifs sont définies par des notions d’éthique. La bioéthique, lorsqu’il s’agit du système de santé, est en relation avec notre sagesse, avec le sens que nous donnons à la vie. Plus généralement cette éthique, véritable gouvernail propre à chaque système, permet d’orienter, en réponse aux aléas, une évolution adaptée aux objectifs poursuivis par la société humaine telle que nous la souhaitons.